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Rapport Mondial 2003 : Burundi FREE    Recevez des Nouvelles 
Burundi: Les civils payent le prix d'un processus de paix chancelant
Document de présentation par Human Rights Watch, février 2003
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Résumé

Un cessez-le-feu signé le 3 décembre 2002 par le gouvernement du Burundi et le mouvement rebelle, le Conseil National pour la Défense de la Démocratie-Forces pour la Défense de la Démocratie, CNDD-FDD, a suscité l'espoir de voir prendre fin la guerre, déjà vieille de neuf ans, au Burundi. Les parties en conflit ont réaffirmé leur engagement à respecter cet accord dans un deuxième document signé le 27 janvier 2003. Cependant, après des semaines d'incertitude et de violations de part et d'autre, les FDD ont suspendu les négociations le 21 février, accusant le gouvernement d'en bloquer l'exécution et de prendre des décisions unilatérales.


Sections du document

  • Résumé
  • Le contexte
  • Le cessez-le-feu de décembre 2002
  • Le cantonnement
  • Le recrutement par les FDD
  • De la nourriture pour les FDD
  • La rencontre avec les ministres
  • L'attaque de Mwegereza
  • Les viols
  • Réactions officielles au massacre de Mwegereza
  • La justice militaire
  • Les abus par les FDD
  • Conclusion
  • Recommandations

  • Même lorsque le cessez-le-feu était en vigueur, les combats ont continué et des civils burundais ont souffert de tueries délibérées, d'attaques armées, de viols, de pillages et de destruction de leurs maisons, sort qu'ils subissent depuis presque une décennie. Comme si souvent par le passé, les deux côtés ont fait fi de leurs obligations légales de protéger les civils en temps de guerre1.

    Dans le contexte d'un accord de paix chancelant, les inquiétudes se sont intensifiées de toutes parts. Les rumeurs faisant état de préparations d'un massacre, telles la distribution de machettes ou la concentration de troupes sur la frontière, abondent, alors que les principaux protagonistes s'accusent l'un l'autre de violer le cessez-le-feu2.

    Ce rapport, fondé sur trois semaines d'investigations par les chercheurs de Human Rights Watch, détaille les récentes violations des droits de l'homme et du droit international humanitaire commises par les deux parties au conflit au Burundi et appelle à la mise en application du cessez-le-feu et à l'arrêt des violences contre les civils.

    En date du 19 janvier 2003, les troupes gouvernementales ont illégalement tué au moins trente-deux - et probablement plus de quatre-vingts - civils à Mwegereza, commune Gisuru, a l'est de la province de Ruyigi. Ils auraient aussi délibérément tué des civils dans les communes avoisinantes de Kinyinya et Nyabitsinda. Les soldats du gouvernement ont aussi violé des femmes, aussi bien juste après les combats que plus récemment. De plus, ils ont mis feu à 420 maisons et en ont pillé plus de 1000 autres. Ils ont empêché les résidents de la région, qui avaient été forcés de fuir, de retourner chez eux pour s'approvisionner, récolter leurs cultures et travailler dans leurs champs.

    Les officiers militaires de la région, invoquant des considérations sécuritaires, ont refusé de permettre aux organisations d'aide humanitaire d'entrer dans de larges zones de la province de Ruyigi depuis la mi-janvier de sorte qu'il leur a été impossible de venir en aide aux malades, aux affamés et aux sans-abri.

    L'armée burundaise a rarement traduit en justice les militaires accusés de violation du droit international humanitaire. Dans le cas le plus récent et le plus flagrant d'impunité pour des crimes de ce genre, une juridiction militaire a, le 21 février, lavé deux officiers de toute responsabilité pour le massacre de 173 civils à Itaba, le 9 septembre 2002. Elle les a reconnus coupables de «violation des consignes» et leur a infligé une peine de quatre mois, soit moins que le temps qu'ils avaient déjà passé en prison3.

    Les rebelles des FDD ont délibérément tué des civils, violé des femmes, volé des vaches et des chèvres et d'autres biens dans beaucoup d'endroits au Burundi, particulièrement dans les provinces centrales de Gitega et Muramvya, ainsi qu'à l'est de la province de Ruyigi. Les FDD n'ont apparemment pas tenu leurs combattants responsables de violations du droit international humanitaire.

    La guerre civile, déjà vieille de 9 ans, a une forte composante ethnique: les Tutsi, minoritaires dans le pays, dominent l'armée alors que le groupe rebelle le plus important, les FDD, est à prédominance Hutu, comme le sont les Forces Nationales de Libération (FNL), la seule partie qui, jusqu'à présent, n'a pas signé d'accord avec le gouvernement.

    A mesure que la bataille se déplace du terrain militaire vers l'arène politique, les partis qui dominaient le gouvernement font face à de nouveaux défis. Le Front pour la Démocratie au Burundi (FRODEBU), le plus grand parti Hutu du pays, doit maintenant faire face à l'arrivée du très militant CNDD, l'aile des FDD qui a joué un rôle clé dans la rébellion. De la même façon, le FRODEBU et même le CNDD pourraient trouver dans les FNL un puissant rival, surtout dans les zones avoisinant la capitale, si ces derniers se décidaient aussi à accepter le cessez-le-feu et à entrer dans le processus politique.

    Les leaders de deux ailes, plus petites et dissidentes, du CNDD-FDD et des FNL, sont rentrés d'exil au début du mois de février, un événement de nature à souligner des changements récents dans le contexte politique. Le CNDD - que les autorités qualifiaient jadis de «assaillants» ou «terroristes génocidaires» - doit maintenant être reconnu comme un parti politique légitime selon l'accord de cessez-le-feu4.

    Le retour de ces leaders met également en évidence la possibilité d'une imminente reconfiguration politique. Avec plusieurs partis à majorité Hutu se disputant la prédominance, le parti à majorité Tutsi, Union pour le Progrès National (UPRONA), du président Pierre Buyoya, peut trouver l'occasion de nouer de nouvelles alliances et de dresser les partis Hutu les uns contre les autres. Mais l'UPRONA lui-même doit relever le défi de la montée d'un autre groupe majoritairement Tutsi et plus radical, le Parti pour le Redressement National (PARENA) dirigé par l'ex-président Jean-Baptiste Bagaza, en résidence surveillée depuis novembre 2002.

    La communauté internationale est soucieuse de promouvoir la stabilité dans la région et surtout, d'éviter un génocide comme celui qui a emporté au moins un demi-million de Tutsi et de Hutu modérés dans le Rwanda voisin. Elle a constamment fait pression - bien que parfois sans succès - sur les parties en conflit pour que des accords soient conclus. A la fin du mois de décembre, l'Union Européenne a pris la mesure peu habituelle de fournir de la nourriture aux combattants des FDD. Cette initiative, conçue pour les encourager à coopérer davantage au processus de paix, n'a pas encore atteint le résultat souhaité.

    D'autres nations africaines, dont l'Afrique du Sud, la Tanzanie et l'Ouganda ont servi de facilitateurs dans les négociations de paix. L'Afrique du Sud a fourni les forces pour assurer la sécurité des leaders faisant partie du gouvernement de transition établi par les accords d'Arusha en août 2000. La Tunisie, le Mozambique et l'Ethiopie ont accepté aussi d'offrir des observateurs et une force de maintien de la paix sous l'égide de l'Union Africaine. Les deux parties belligérantes ont accepté, lors de l'accord du début décembre, la présence des observateurs et de la force de maintien de la paix, connue sous le nom de Mission Africaine. Cependant, dans leur déclaration du 21 février, les FDD ont protesté faisant valoir qu'ils n'avaient pas été consultés au sujet des nations qui devaient fournir les troupes. Ils ont rejeté la participation des soldats du Mozambique et de l'Ethiopie qui, selon eux, seraient vus comme des «éléments qui viennent troubler la paix».5 Vers fin février, seulement un petit groupe d'observateurs était arrivé. Ils n'avaient pas encore été déployés au moment de la rédaction du présent rapport. Les lenteurs dans l'organisation de la Mission Africaine ont été en partie dues au retard dans la nomination du président de la commission de mise en application de l'accord, responsabilité qui revenait au Secrétaire Général de l'ONU. Le 25 février, le Col. El Hadj Alioun Samba est arrivé pour occuper ce poste, mais seulement de façon intérimaire.6

    Les tentatives pour stimuler le processus de paix en offrant de la nourriture aux forces FDD, les retards dans le déploiement de la force de maintien de la paix et le flou qui entoure l'accord de cessez-le-feu lui-même ont exacerbe les tensions et ouvert la voie à davantage d'abus à l'endroit des civils. Ceux commis à Mwegereza en sont un exemple.

    Le contexte

    La guerre au Burundi a commencé en octobre 1993 suite à l'assassinat du président Melchior Ndadaye par un groupe d'officiers de l'armée tutsi. Ndadaye, qui avait été élu librement et légitimement quelques mois plus tôt, était le premier Hutu à obtenir le statut de chef d'Etat au Burundi. Sa victoire a suivi les réformes instaurées par le président tutsi Pierre Buyoya, qui avait nommé pour la première fois un large nombre de Hutu à des portefeuilles ministériels. Les tentatives antérieures de la majorité hutu pour obtenir le partage du pouvoir avaient été réduites à néant par les Tutsi, une minorité représentant environ 15 pour cent de la population et qui dominait alors la vie politique, économique et sociale du pays. Après le meurtre de Ndadaye, les Hutu ont massacré, parfois sous les ordres des dirigeants politiques locaux, des milliers de Tutsi. De son côté, l'armée, dominée par les Tutsi, a abattu des milliers de Hutu.7

    Certains partisans de Ndadaye et d'autres combattants prirent les armes et formèrent trois mouvements rebelles. En 2002, deux de ces mouvements demeuraient actifs : les Forces pour la Défense de la Démocratie (FDD) avec près de 10 000 combattants et les Forces Nationales de Libération (FNL) avec moins de 3 000 recrues. À la fin de l'année 2001, les FDD se divisaient, le plus grand nombre suivant Pierre Nkurunziza et une minorité restant fidèle à l'ancien commandant Jean-Bosco Ndayikengurukiye. En août 2002, les FNL se scindaient à leur tour, le dissident Alain Mugabarabona revendiquant le leadership des mains du commandant Agathon Rwasa qu'il accusait de ralentir la poursuite des négociations. Mugabarabona, n'est toutefois pas parvenu à obtenir le soutien de la majorité des FNL, restée fidèle à Rwasa.

    Le gouvernement actuel, au pouvoir depuis novembre 2001, est constitué de dix-sept partis politiques et d'un savant mélange de Hutu et de Tutsi. Cet équilibre est le résultat de l'Accord d'Arusha signé en août 2000. Cet accord a été salué à l'époque comme un pas décisif vers la paix car il réunit les partis d'opposition au sein d'un même gouvernement. Mais ni les FDD ni les FNL n'ont signé l'accord et les combats ont continué. En août 2002, le gouvernement et la plus petite section des FDD dirigée par Ndayikengurukiye ont signé un accord. Mais c'est seulement en décembre 2002 que la principale section des FDD a accepté un cessez-le-feu et le principe d'un cantonnement des combattants des FDD dans certaines zones.

    Les états voisins du Burundi sont également impliqués dans le conflit. De nombreux combattants des FDD sont établis en Tanzanie et lancent des incursions au Burundi depuis cette base et ce, malgré les efforts apparents du gouvernement tanzanien pour décourager de telles activités. Les combattants des FDD et des FNL avaient également établi des bases sur le territoire congolais et bénéficiaient ainsi du support de Kinshasa. De plus, ils avaient intégré dans leurs rangs quelques Rwandais qui combattaient à présent le gouvernement en place dans leur pays. Certains de ces combattants faisaient partie de l'armée de l'ancien gouvernement rwandais (Forces Armées Rwandaises, FAR) ou étaient membres de milices (Interahamwe), et pouvaient avoir participé au génocide contre les Tutsi au Rwanda en 1994.

    De l'autre coté, les troupes de l'armée burundaise sont soutenues par les soldats de l'actuelle armée rwandaise, les Forces Rwandaises de Défense, qui les ont notamment assistés au nord et dans le centre du Burundi.

    Le cessez-le-feu de décembre 2002

    Suivant l'accord du 3 décembre, le président du Burundi, Pierre Buyoya, et le chef des FDD, Pierre Nkurunziza, se sont mis d'accord sur l'arrêt des activités militaires incluant les opérations de combat, le recrutement de nouvelles forces, le rééquipement des combattants et la pose des mines. Ils ont convenu que tous les combattants devraient avoir fini de se rassembler dans des zones de cantonnement avant le 30 décembre. Ils se sont engagés à mettre fin à toute propagande, notamment l'incitation à la haine ethnique et à «tout acte de violence contre la population», dont les tueries, la torture, l'utilisation d'enfants soldats, et la violence sexuelle. Ils ont également convenu d'observer tous les principes spécifiés dans les accords d'Arusha dont la formation d'un Etat de droit respectueux des droits humains.

    L'accord a cependant relégué à plus tard la discussion des points essentiels de la mise en application de l'accord. Cette défaillance dans la résolution de problèmes urgents tels que les zones de cantonnement pour les parties belligérantes, ainsi que des questions à plus long terme comme l'intégration des FDD dans la nouvelle armée, a accru les tensions, surtout au sein des membres de l'armée gouvernementale. Interrogés sur la façon dont ils voyaient la situation actuelle, plusieurs ont répondu : «elle est confuse». Quelqu'un a reconnu que les ordres reçus changeaient d'une semaine à l'autre en fonction de l'interprétation différente que donnaient ses supérieurs à l'accord.8

    Le cantonnement

    Comme première étape d'un désengagement, l'accord spécifiait que les forces des FDD et du gouvernement seraient cantonnées dans des zones supervisées par la Mission Africaine. Les zones des FDD devaient être déterminées par une commission composée de représentants des deux parties et de la Mission Africaine alors que les forces gouvernementales devaient être positionnées dans des zones « à convenir».9 Les membres de la Mission Africaine n'étaient pas arrives à la mi-février et jusqu'au moment de la rédaction de ce rapport, la commission ne s'était pas encore réunie. Sans rien de bien défini, les rumeurs ont circulé parmi les soldats et les civils sur le nombre et l'emplacement des zones qui devaient effectivement être concédées aux FDD.

    Au moment du cessez-le-feu, les FDD contrôlaient une grande partie de la Kibira, une forêt inhabitée. En plus, il existait d'autres régions habitées où ils étaient généralement bien accueillis et pouvaient se reposer, s'approvisionner et circuler librement, surtout pendant la nuit. Mais au cours des neuf ans de guerre, les FDD avaient généralement été forcés par l'armée d'être perpétuellement en mouvement et n'avaient pas pu établir de zones clairement délimitées dont ils pouvaient réclamer le contrôle. En septembre 2002, même avant le cessez-le-feu de décembre, les deux parties se disputaient déjà des zones possibles de cantonnement. A la suite de l'accord de la fin août entre le gouvernement et une petite faction dissidente des FDD, les forces de la plus grande faction, celle de Pierre Nkurunziza, auraient essayé d'établir leur contrôle sur la colline Itaba en province Gitega. Elles auraient dit aux gens qu'Itaba et les collines avoisinantes devaient devenir une zone de cantonnement des FDD. Cette revendication et la forte réaction qu'elle a suscitée parmi les soldats du gouvernement burundais ont mis le feu aux poudres et provoqué des combats au cours desquels les forces gouvernementales ont délibérément massacré 173 civils en septembre 2002.10

    Depuis le cessez-le-feu de décembre, Ruyigi était évoqué comme zone de cantonnement avec satisfaction de la part des combattants des FDD et avec frustration dans le chef des soldats du gouvernement, furieux de voir échouer leurs longs efforts qui tendaient à refuser aux FDD une solide base territoriale. Proche de la frontière avec la Tanzanie, où les forces FDD avaient leurs bases arrières, Ruyigi avait connu de longues périodes de combats. Un nombre important d'habitants du Moso, une plaine de Ruyigi, étaient considérés comme des partisans des FDD. Un document, peut-être basé sur un premier brouillon de l'accord de cessez-le-feu qui aurait été divulgué, fut circulé par courrier électronique parmi les Burundais au mois de décembre. Le document disait également qu'une partie de la province de Ruyigi serait cédée aux FDD. Selon un dirigeant politique, le problème a pris tellement d'importance que le président Buyoya lui-même a dû se faire entendre sur les ondes de la radio et insister sur le fait qu'il n'y avait jusqu'alors qu'une seule zone pour les rebelles et que c'était la forêt de la Kibira11.

    A la fin décembre, les FDD ont augmenté le nombre de leurs combattants dans la province de Ruyigi et ont établi de nouvelles positions, surtout dans le Moso à Karindo, Muvumu et Munazi.12 Le 8 janvier, le chef d'Etat-major de l'armée, le Brig. Gén. Germain Niyoyankana, a qualifié cette expansion de violation du cessez-le-feu et a lancé sur les ondes un appel aux FDD à observer les termes de l'accord. Le Capitaine Adolphe Manirakiza, porte-parole adjoint de l'armée, a déclaré, le 4 janvier, que les FDD avaient intégré dans leurs rangs 600 à 1.000 combattants venus de la Tanzanie jusqu'à Ruyigi. Il a prévenu que «nous n'allons pas rester les bras croisés» face à une telle expansion.13

    Quelques officiers militaires, déjà méfiants quant aux intentions des FDD, ont vu dans cette avancée une preuve qu'ils voulaient continuer la guerre. Un officier haut gradé s'est même fait écho de la rumeur selon laquelle les rebelles avaient essayé de tromper le gouvernement en glissant une page qui indiquait nommément les zones de cantonnement dans le document du cessez-le-feu au moment de sa signature.14

    Les FDD avaient en effet violé l'esprit de l'accord du 3 décembre. Cependant, étant donné que l'accord spécifie seulement que toutes les parties devront avoir terminé leurs mouvements vers les «zones de regroupement» au plus tard le 30 décembre, il est possible de soutenir qu'ils n'avaient pas violé la lettre du cessez-le-feu.15Avec le retard pris dans l'identification des zones, ils pourraient arguer qu'ils ne savaient pas encore exactement où ils devaient rester, une prétention que rend crédible la nature très mobile et dispersée de son mouvement.

    Suivant l'accord, les combattants devaient être autorises à prendre dans leurs zones de cantonnement des armes légères. Les armes lourdes de l'armée burundaise devaient être places sous la supervision de la Mission Africaine, à l'exception de celles nécessaires à la guerre contre les FNL qui ne sont pas signataires de l'accord.16

    Le recrutement par les FDD

    Bien que vague sur beaucoup de points, l'accord du 3 décembre stipulait clairement que les parties cesseraient le recrutement des combattants une fois le cessez-le-feu en vigueur.17 Ici aussi, les FDD ont violé l'esprit, sinon les termes même, de cette clause, en enrôlant de nouveaux combattants, que ceux-ci aient fait l'objet d'un recrutement actif ou se soient eux-mêmes présentés pour rejoindre leurs rangs. Les FDD veulent augmenter leurs effectifs dans le but d'avoir plus de poids dans les futures négociations, surtout celles relatives à la part qui doit revenir à chaque partie dans la nouvelle armée unifiée. Ils peuvent aussi souhaiter intégrer des gens qui soutiendront le CNDD, son aile politique, lors d'éventuelles élections. Tout comme le mouvement rebelle a intérêt à accroître ses effectifs, les gens trouvent aussi un intérêt à le rejoindre. Ce n'est un secret pour personne que les FDD reçoivent pour le moment de la nourriture de la part de la communauté internationale (voir infra): les gens qui ont faim - ou dont les familles ont faim - ont une bonne et immédiate raison de rejoindre les FDD. Certains peuvent nourrir l'espoir de réaliser des profits lors de la démobilisation. D'autres peuvent se faire enrôler avec l'idée que cette appartenance leur garantira un emploi à l'avenir puisque le CNDD-FDD est en train de devenir un acteur légitime sur la scène politique et, par conséquent, aura des emplois à distribuer.

    Radio Kwizera, une station indépendante basée en Tanzanie, aurait récemment diffusé des nouvelles selon lesquelles quelque 900 recrues ont rejoint les rangs des FDD à partir des camps de réfugiés burundais en Tanzanie, 600 de Karago, et 300 de Nduta.18 Le 8 janvier, l'armée burundaise a capturé 54 hommes, faisant partie d'un groupe plus large de 150 qui, paraît-il, s'apprêtaient à franchir la frontière avec la Tanzanie. Suivant les sources de l'armée burundaise, ils avaient été recrutés à l'intérieur du Burundi et entraînés à Munazi, une colline de la province de Ruyigi.19 L'Agence Burundaise de Presse a déclaré que 50 hommes originaires de Kayanza sont partis rejoindre les FDD à la mi-janvier, suivis de 116 en provenance de différentes communes de la province de Rutana20 et de 177 autres de la province de Cibitoke, beaucoup d'entre eux étant membres du groupe paramilitaire des Gardiens de la paix, organisé par le gouvernement.21 Le service de presse a également rapporté le 12 février que 27 membres des Gardiens de la paix sont partis de la commune Butihinda, province de Muyinga, pour rejoindre les FDD en Tanzanie. Il a dit que 20 autres avaient quitté le même endroit et pour le même objectif en janvier.22

    Par le passé, les FDD ont incorporé dans leurs rangs plusieurs enfants dont certains ont été enlevés à leurs familles.23 En décembre 2002, le Secrétaire Général des Nations Unies a inscrit les FDD - ainsi que l'armée burundaise - sur la liste des forces qui recrutent des enfants.24 Des dizaines de nouvelles recrues étaient aussi des enfants et écoliers du primaire et du secondaire dont 16 d'une école à Kageyo, 7 d'une autre à Gatara, 5 d'une école à Kayanza et d'autres d'une école à Gisuru.25 Un civil bien informé en matière d'éducation a affirmé que quelque 50 écoliers dans la province de Muramvya avaient quitté les bancs de l'école pour les FDD depuis la fin de l'année passée.26 Dans le but de mettre un frein au flux continuel des écoliers vers le mouvement rebelle, les autorités burundaises ont tenu des réunions avec ces derniers et les parents des enfants qui pourraient être tentés de s'en aller.27

    Lors d'une conférence de presse organisée pour présenter les hommes capturés en route pour rejoindre les FDD, le Général Niyoyankana, chef d'Etat-major de l'armée, et le Col. Cyprien Hakiza, commandant de la deuxième région militaire, ont accusé les FDD de violer le cessez-le-feu en continuant de recruter et d'entraîner les combattants.28

    De la nourriture pour les FDD

    L'accord de cessez-le-feu stipulait que la nourriture pourrait être fournie aux combattants afin de les encourager à participer au désarmement et à la démobilisation, processus qu'ils pourraient ne pas accepter autrement.29 La Communauté européenne était déterminée à ne pas perdre cet élan créé par l'accord et a donc décidé d'approvisionner les forces FDD en nourriture à la fin du mois de décembre comme un moyen d'appuyer le processus de paix, bien que ni la phase préliminaire de rassemblement dans les zones de cantonnement ni celle ultérieure de démobilisation et de désarmement n'aient été mises à exécution. La distribution, organisée à un endroit de la province de Bubanza près de la forêt, visait également à encourager les FDD dans la Kibira à rester calmes et à stopper les pillages des cultures des habitants de la région.30

    Les FDD et les autorités burundaises se sont mis d'accord sur la quantité et les procédures de distribution, mais les critères pour déterminer la qualité de bénéficiaire restent peu clairs même après le début des livraisons. La quantité de nourriture distribuée aurait ainsi dépassé les besoins des combattants des FDD, qui auraient stocké le surplus ou l'auraient soit vendu soit donné à la population locale. Malgré cette aide, les combattants des FDD continuent d'attaquer et de voler les gens qui habitent aux environs de la forêt Kibira.31

    Les distributions de nourriture ont été brièvement suspendues au début du mois de janvier lors d'une reprise des combats. Elles ont été relancées début février mais ont été stoppées encore après la mi-février parce que soit-disant la reprise des hostilités les entravait. Les FDD ont réclamé que leur ration alimentaire comprenne de la viande, un luxe rarement apprécié par les troupes de l'armée. La demande, bien que rejetée par les autorités militaires burundaises, a poussé certains à dire que les FDD étaient mieux approvisionnés que les soldats du gouvernement.32

    Beaucoup de Burundais - surtout ceux au sein de l'armée - ne comprenaient pas pourquoi l'Union Européenne approvisionnait en nourriture des rebelles qui n'étaient pas encore consignés dans leurs zones de cantonnement, qui continuaient de porter les armes et de grossir leurs rangs, et qui pillaient toujours ou harcelaient les civils burundais.33

    La rencontre avec les ministres

    Quand les combattants des FDD sont arrivés en nombre plus important à Ruyigi fin décembre et début janvier, ils ont établis plusieurs postes sur la ligne allant de l'ouest du centre communal de Kinyinya vers la petite ville de Nyabitare et incluant Munazi, Musumba, Ntore et Karinda. L'armée burundaise a également accru ses forces dans la région après le premier janvier, mais pendant quelque temps il n'y a pas eu d'affrontements. Comme l'a laissé savoir un habitant de la région, les «militaires sont venus et ont occupé l'école primaire à Murehe 2. Ils se sont servis des pupitres de l'école comme bois de chauffage. Les forces des FDD étaient seulement à deux kilomètres mais pendant une semaine environ, ils se sont tous bien entendus et ont même commencé à boire de la bière ensemble.»34

    Le 12 janvier, les ministres de l'intérieur et de la défense et le commandant de la deuxième région militaire se sont rendus à Nyabitare où ils ont rencontré une foule d'habitants de la région. Leur objectif était d'évaluer l'importance de la présence des FDD dans la région et la réaction qu'elle suscitait chez la population locale. Ils entendaient aussi «alerter le peuple pour qu'il ne tombe pas dans le piège des FDD», comme l'a affirmé un officier militaire bien informé. Celui-ci a confié aux chercheurs de Human Rights Watch que les autorités voulaient préciser que Ruyigi n'était pas une zone de cantonnement et que les FDD, contrairement à ses prétentions, ne la contrôlaient pas.

    Au cours de la réunion, les autorités ont appris que la présence des FDD était en effet en hausse et beaucoup de gens dans la foule étaient contents de l'arrivée des FDD et de l'accueil qu'ils avaient reçu auprès des soldats de l'armée. Un vieillard s'est levé pour affirmer qu'en route vers la réunion il avait rencontré plusieurs combattants des FDD qui lui avaient demandé de dire au gouvernement de leur fournir de la nourriture comme cela se faisait à Bubanza. D'autres dans la foule ont appuyé la proposition en disant : «Ils sont eux aussi des enfants du Burundi». Selon certains ayant assisté à la réunion, le premier intervenant ainsi qu'un autre au moins étaient en fait des membres des FDD. A la suite de la réunion officielle, un représentant du CNDD, l'aile politique des FDD, a rassemblé la foule et a fait sa propre réunion. Ainsi, des ministres et d'autres hauts officiels ont été témoins non seulement du soutien dont jouissent les FDD dans la région, mais également de la disposition des FDD de prendre avantage de ce soutien. Et ce soutien populaire s'était cristallisé dans la demande d'étendre jusqu'à Ruyigi le même programme de distribution de nourriture qui avait déjà soulevé de vastes critiques dans le camp de l'armée et des autres partisans du gouvernement.35

    Certains participants à la réunion ont dit que les ministres étaient visiblement fâchés par les remarques de l'auditoire. Ils se sont retirés immédiatement à la fin la réunion et la réception qui avait été prévue a été annulée.36 Nombre d'habitants locaux croient que la montée de l'importance des FDD à Ruyigi, telle que démontrée par la réunion, a poussé les ministres et les autorités militaires à plaider pour une reprise des opérations militaires dans la région. Deux jours après cette visite d'évaluation, des troupes de l'armée ont pris position pour attaquer les combattants des FDD à Ruyigi.

    L'attaque de Mwegereza

    Depuis la signature du cessez-le-feu au début du mois de décembre, les deux côtés ont ignoré la clause stipulant la fin des violences contre les civils.37 Un Burundais a suggéré qu'il s'agissait la d'une illustration de «celui qui signe peut aussi annuler sa signature» («uwasinye ni we usinyura»), selon l'expression burundaise. L'armée burundaise a massacré plus de trente et peut-être même jusqu'à quatre-vingt-neuf civils à Mwegereza et ailleurs à Ruyigi vers la fin du mois de janvier après quatre jours de combats avec les FDD.

    Suivant ce que les habitants de la région ont rapporté, une unité d'élite mobile connue sous l'appelation «Amasekanya» ou «Combattants acharnés» ont quitté l'école Murehe 2 pour mener les opérations à et aux alentours de Mwegereza le soir du 14 janvier.38 Ils ont expliqué que l'unité en question, dirigée par un major, était composée de troupes provenant de différents bataillons et qu'elle n'avait pas de base d'opérations fixe. Cette unité mobile originaire de Ngozi était responsable de la majorité des tueries dans le massacre de 173 civils à Itaba en septembre 2002.39 Un témoin a affirmé que l'unité responsable des massacres de Mwegereza était venue de Ngozi alors qu'un autre soutenait qu'elle était basée à Kirundo. Tous s'accordent sur le fait qu'elle était composée de soldats venus de l'extérieur de Ruyigi. Plusieurs affirment cependant qu'auparavant elle était déjà passée par la région au moins une fois.40 Le Col. Cyprien Hakiza a dit aux chercheurs de Human Rights Watch qu'aucune troupe originaire de Ngozi n'avait opéré dans sa zone, laquelle comprend Ruyigi, depuis septembre 2002.41 La population locale soutient que le 26ème bataillon, alors basé à Kinyinya, a renforcé Amasekanya et que les soldats des 21ième, 23ème et 24ème bataillons y auraient participé aussi.

    Les 15, 16 et 17 janvier, à Mwegereza, les troupes gouvernementales ont tiré, à l'arme légère et au mortier, sur une compagnie des FDD de quatre-vingts à quatre-vingt dix hommes. Les deux côtés ont fait appel à des renforts et à un certain point les FDD ont amené des combattants supplémentaires de leur base à Munazi pour attaquer les soldats par derrière. Plusieurs soldats ont été touchés et certains autres peut-être tués dans les affrontements qui s'en sont suivis.42

    Une fois les combats engagés, beaucoup de civils ont fui immédiatement vers les petits centres urbains environnants: quelque 1.000 personnes se sont rendues à Nyabitare et 500 autres à Gisuru. D'autres se sont réfugiées avec leur famille ou amis dans des zones éloignées des combats ou ont gagné la brousse. D'autres sont cependant restés chez eux, comptant, pour leur protection, soit sur les promesses faites par les FDD ou les autorités gouvernementales, soit sur leurs prières.43

    Durant les trois premiers jours des combats, les FDD ont fait mouvement de Mwegereza à Muvumu et le 17 janvier, la plupart ont quitté les environs immédiats. Le lendemain matin, vers 10h30, ils ont tendu une embuscade à un véhicule militaire à un endroit dit Gakurwa, à une petite distance au sud de Nyabitare. La presse internationale a rapporté qu'à bord du véhicule se trouvaient des soldats blessés, mais selon le Col. Hakiza il s'agissait plutôt de «biens».44 Un rapport local confie que les soldats transportaient le butin de leurs pillages chez un commerçant et que ce dernier avait appelé les FDD pour qu'ils tendent une embuscade au véhicule et récupèrent ses biens pillés. Au moins dix soldats - et peut-être douze - ont péri dans l'embuscade. D'autres qui sont venus à leur secours auraient délibérément tué au moins un civil qui travaillait dans sa rizière tout près - peut-être jusqu'à six civils dans les environs immédiats - et ce en violation du droit international humanitaire.45

    Peu avant l'aube du dimanche 19 janvier, les soldats ont ouvert le feu sur la colline Mwegereza. Tout rebelle encore présent sur les lieux a rapidement filé. Les soldats sont tombés sur un groupe de personnes qui avaient passé toute la nuit à prier ensemble. Elles appartenaient à une petite église connue sous le nom de «l'Eglise de l'Unité du Saint Esprit du Burundi» (ESEBU). Bien qu'il y eût une église tout près, elles tenaient apparemment une veillée de prière dans une maison privée quand les soldats les ont trouvées. Sept hommes, dont le pasteur James Cizanye, un évangéliste, et 5 autres, ont été sommés de suivre les soldats jusqu'à un endroit près d'une chapelle catholique, probablement à côté de l'école Murehe 2 où l'unité avait sa base. Les soldats les ont exécutés là. En plus, ils ont brûlé jusque mort s'en suive un vieil homme nommé Ndamuherubi avec deux jeunes adolescentes et deux autres hommes. Ils ont également tué Léonidas, le chef de l'église Esebu, sa femme Joséphine, leurs trois enfants, sa mère Spéciose Kaburo ainsi que Venance Bucumi, membre de cette église, Cubwa, Chomari et Gasagaro. Un autre témoignage affirme qu'Edouard Namiye, Onesphore Ntawurusiga, Magorwa et Nyenkori ont été aussi délibérément tués par les soldats.46

    A fur et à mesure de leur avancée sur la colline, les soldats ont brûlé beaucoup de maisons, plus de 420 dans les deux secteurs de Mwegereza et Ruhuni suivant ce que quelqu'un a raconté et en ont pillé plus de 1.500 autres. Selon les témoins qui se sont rendus à Mwegereza, plus de trois semaines après le massacre la colline avait toujours l'air d'une scène de dévastation, sans plus personne sur les lieux et avec des maisons incendiées. Un d'entre eux a dit que l'air était irrespirable, pollué par la fumée et la puanteur des corps en décomposition. Un autre témoin a fait savoir que les soldats avaient aussi brûlé et pillé des maisons sur les collines avoisinantes de Muvumu et Nyabitaka.47

    Le 6 février, le chef de secteur et quelques soldats ont ordonné à quelques habitants de la région d'enterrer trente-deux victimes du massacre du 19 janvier, dont seize femmes et enfants. Certaines des victimes avaient étaient tuées par balle alors que d'autres avaient été frappées au gourdin sur la tête ou à la baïonnette. Les victimes tuées au gourdin ou à la baïonnette sont nécessairement tuées de tout près, ce qui signifie que les soldats qui les ont tuées devaient savoir qu'elles étaient des civils non armés.

    Les soldats ont délibérément tué d'autres personnes dans les secteurs proches : six à Ruhuni, deux à Nyabigozi, et une à Munyinya. D'après ce que disent les gens de la région, une grande partie des corps ont été laissés non enterrés dans la brousse environnante et d'autres ont été jetés dans les latrines ou autres endroits. L'estimation d'un responsable de l'administration locale porte à quatre-vingt-neuf le total de civils injustement tués par les soldats les 19 et 20 janvier .48

    Les soldats ont empêché les gens qui ont fui pour leur sécurité de retourner récolter leurs cultures ou travailler dans leurs champs. Un homme a confié: «Les gens ne peuvent pas retourner pour travailler dans leurs champs parce que les soldats tireront sur quiconque ira là. Les gens sont aussi affamés parce qu'il n'y a pas d'aide humanitaire.» Il a ajouté qu'un jour, le 4 février, les soldats ont dit aux gens de Kinanira, secteur Kigamba, zone Nyabitare, qu'ils pouvaient retourner chez eux pour récolter leurs cultures. «Les gens sont venus et ont passé la journée à récolter» a-t-il dit. «Puis les soldats sont venus et les ont tués avant de se saisir de leurs récoltes et de les vendre à Nyabitare.»49 Dans un autre incident, les soldats auraient sommairement exécuté 6 hommes à Kibandi, secteur Nyakirunga, zone Nyabitare, fin janvier.

    Une femme a dit que pour le moment il y avait des soldats sur la colline où elle habite et qu'elle connaissait des gens qui avaient été tués à Kiyagara quand ils essayaient de rentrer chez eux.50 D'autres témoins confirment que les soldats ont chassé les gens de leurs maisons afin de piller leurs biens. «Les soldats ont menacé les gens à Bitambwe, Kiyagara, Kidibizi, Kaniro et Rugaga et ont tiré sur eux pour qu'ils fuient sans rien emporter avec eux », a confié l'un d'entre eux. «Ils ont ensuite vidé leurs maisons et pris leur bétail».51

    Les viols

    Des soldats du gouvernement ont violé des femmes et des filles dans les jours et semaines qui suivirent l'attaque de Mwegereza. Hommes et femmes confondus ont tous spontanément souligné que les viols par les soldats constituent un risque sérieux pour les femmes de la région. Une femme a cité le nom de six femmes qui avaient été violées le mois précédent. Elle a exposé :

        Le problème du viol persiste jusqu'à aujourd'hui encore. Les femmes sont harcelées partout où elles ont fui. La nuit de jeudi dernier, les soldats ont tué un homme avant de violer sa femme, si violemment qu'elle a perdu le bébé qu'elle portait. Immédiatement après, ils ont tiré en l'air pour empêcher les gens de venir à son secours.

        Aussitôt que les soldats arrivent sur une colline, ils repèrent les femmes et les filles et reviennent ensuite après la tombée de la nuit pour les violer. Quand ils arrivent, tout le monde fuit parce que tous sont traumatisés à cause de ces viols. Il ne nous reste plus rien, pas même des ustensiles pour la cuisine ni où dormir. Toutes les maisons ont été incendiées, tout a été dévasté.52

    Un témoin a rapporté que «les femmes se cachent parce qu'elles ont peur d'être violées». Il a cité le cas de trois femmes, dont une âgée de soixante dix ans, qui avaient été violées par des soldats. Une des victimes était de Mureba, une autre de Mago, une troisième de Mwegereza.53

    Les chercheurs de Human Rights Watch ont rencontré deux femmes qui venaient chercher une assistance médicale le 12 février après avoir été violées par des soldats la semaine précédente. Une femme qui tentait d'assister les victimes a dit qu'elle avait interpellé à ce sujet le commandant militaire du poste de Bikobe, commune Nyabitsinda. Elle avait même identifié les auteurs. Le commandant n'a apparemment rien fait, mais les troupes ont été mutées et remplacées par d'autres peu après. Un témoin a dit que les nouveaux militaires ne valaient guère mieux et que pas moins de vingt-quatre heures après leur arrivée sur la position, au moins une femme avait déjà dû affronter un soldat qui essayait de la violer.54

    Réactions officielles au massacre de Mwegereza

    Au cours de l'année passée, les autorités civiles et militaires semblaient davantage fermer les yeux sur les attaques dirigées contre les civils plutôt que les condamner. En août 2002, le porte-parole de l'armée, le Col. Augustin Nzabampema a déclaré lors d'une conférence de presse que tout civil qui n'a pas fui les forces rebelles, souvent appelées «assaillants», «sera traité comme un assaillant.»55 Une telle politique viole le principe fondamental du droit international humanitaire de distinction entre combattants et non-combattants. Les ministres de l'intérieur et de la sécurité publique de même que l'ex-ministre de la défense ont exprimé la même opinion.56

    Commentant le massacre de Mwegereza, le gouverneur de Ruyigi a reconnu que beaucoup de gens dans la province pensaient que les soldats les voyaient comme des partisans des FDD et qu'ils les ont délibérément tués pour cette raison. Il a déclaré que ce n'était pas vrai et que «les affrontements ont été violents et ont fait des dégâts dans la population parce que les FDD se sont cachées parmi elle».57 Après avoir écouté un résumé des résultats de la présente enquête de Human Rights Watch, le Colonel Hakiza, commandant de la région, a avoué aux chercheurs avoir reçu de l'administrateur de la commune Gisuru un rapport relatif à des civils «qui auraient péri» dans l'attaque de Mwegereza. Il a dit que le rapport mentionnait que certains avaient été tués par baïonnette. Il a ajouté que ce n'était que la semaine précédente qu'il avait pour la première fois été informé de cas de viols. Lors d'une entrevue avec les chercheurs de Human Rights Watch, le chef d'Etat-major de l'armée, le Général Niyoyankana, a reconnu que des civils avaient pu être injustement tués à Mwegereza. Il a insisté sur le fait qu'il n'avait pas l'intention de couvrir quelque crime que ce soit, mais a fait remarquer que des témoins qui voyaient des corps aux crânes fracassés pouvaient s'être trompés en tirant comme conclusion que les victimes étaient mortes des coups portés à la tête. Elles auraient pu, a-t-il expliqué, avoir été tuées par mortier ou grenade. Le Général Niyoyankana et le Colonel Hakiza ont acquiescé sur le fait que les crimes présumés étaient graves et que dans ce cas, des enquêtes devaient avoir lieu.58

    La justice militaire

    Etant donné l'actuelle atmosphère de peur et de suspicion mutuelle ainsi que l'histoire récente d'attaques militaires contre des civils, il est particulièrement important que les soldats accusés d'avoir violé le droit international humanitaire soient traduits en justice. Cependant, dans pratiquement tous les cas, la hiérarchie supérieure et le système judiciaire militaires ont failli à répondre de façon adéquate aux allégations de tueries, viols et pillages délibérés contre des civils.

    Dans un seul cas exceptionnel de réponse rapide aux violations présumées, le Général Niyoyankana est intervenu personnellement au début du mois de janvier après avoir appris que des soldats avaient tué douze civils alors qu'ils étaient en train de poursuivre des rebelles qui avaient attaqué leur position à Gasenyi, près de Bujumbura. Les soldats avaient également pillé une grande quantité de biens dont le Général Niyoyankana a exigé la restitution aux propriétaires. Deux hommes ont été arrêtés et attendent leur procès.

    Dans une entrevue du 18 février, l'auditeur militaire, le Lieutenant Colonel Kiziba, a reconnu que les crimes commis par des militaires à l'encontre de civils, tels exécutions sommaires, viols, pillages et vols, augmentaient. Il a dit que ses ressources matérielles et humaines étaient si limitées qu'il ne pouvait pas traiter ces crimes de façon adéquate. Interrogé sur le massacre à Mwegereza, il a répondu qu'il n'en savait rien, qu'il n'était pas anormal qu'il ignore les crimes commis par les soldats, surtout s'ils étaient commis loin de la capitale. Il manquait de moyen de déplacement, a-t-il souligné, et devait compter sur les autres autorités civiles et militaires pour être informé des questions qui nécessitent enquête. Le Lieutenant Colonel Kiziba a dit également qu'une loi était à l'étude en vue d'accroître le nombre des juridictions militaires jusqu'à une par région militaire. Un tel changement, a-t-il poursuivi, permettrait des investigations plus rapides, plus directes et plus proches du lieu de commission des faits. Le Général Niyoyankana a également précisé aux chercheurs de Human Rights Watch que le jour même de leur entrevue, il avait discuté de la proposition de loi avec le ministre de la défense et qu'il espérait qu'elle serait bientôt présentée à l'Assemblée nationale.

    Le système judiciaire militaire manque effectivement de ressources mais, comme l'illustre un récent procès, ces manquements résultent aussi du refus de mettre en exergue la responsabilité des soldats comme le droit international l'exige. En date du 20 février, le procureur militaire Pierre-Clavier Nizigiyimana a appelé à comparaître en justice le Major Joseph Budigoma, commandant en second du 4ème bataillon commando de Ngozi, et le Lieutenant Dédite Ngendakuriyo, commandant de compagnie, accusés d'être responsables du massacre de 173 civils en septembre 2002 à Itaba. Bien que le Lieutenant Colonel Kiziba ait dit en novembre que l'enquête impliquait d'autres soldats, seulement deux militaires ont été assignés à comparaître. Un chercheur de Human Rights Watch apprenant que le procès était prévu vers la fin de la semaine du 17 février éprouva d'énormes difficultés à découvrir le lieu et l'heure de l'audience qui est supposée être publique. Des observateurs burundais du domaine des droits de l'homme et de la justice ont exprimé la même grande surprise face aux difficultés à obtenir des informations fiables pour un procès d'une telle importance.

    Le procès devant le conseil de guerre de Kayanza a duré deux heures. Les prévenus, au départ inculpés de meurtre, se sont vus reprochés pendant le procès la prévention de moindre importance de «manquement à la solidarité publique», une infraction définie dans le chapitre 6, articles 351 et 352, du code pénal comme un manquement à intervenir pour empêcher la commission d'un crime ou à informer les autorités à temps pour qu'elles en empêchent la commission. Les accusés n'étaient pas représentés par un avocat et ont fait savoir qu'ils n'en éprouvaient pas la nécessité. Il leur a été permis de se faire entendre sur les faits leur étant reprochés mais pas de décrire les événements dans le détail. Aucun témoin n'a été entendu pas plus que ne se sont présentées de parties civiles pour réclamer des dommages, pourtant autorisées à ce faire par la loi burundaise.

    A la conclusion du procès le 20 février, le président de la cour, le Colonel Bandonkeye, a fait savoir que selon son opinion personnelle, les accusés avaient mené une bonne opération militaire. Mais, a-t-il poursuivi, étant donné que 173 civils étaient morts pour un seul militaire blessé, une faute semblait avoir été commise. Dans son réquisitoire, le procureur militaire Nizigiyimana a fait valoir que les accusés auraient dû faire preuve de suffisamment de dscernement pour remarquer que «les assaillants avaient battu en retraite et que ceux qui étaient restés n'étaient que des assaillants secondaires», signifiant par là les civils qui n'avaient pas fui les lieux. Il a requis une peine de cinq mois avec réintégration subséquente dans l'armée. Le conseil de guerre a acquitté les deux officiers du chef de manquement à la solidarité publique mais les a trouvés coupables de violation des consignes. Il les a condamnés à quatre mois, ce qui représente moins que la peine requise et un mois de moins que le temps déjà passé en détention. Les accusés ont ainsi passé moins d'un jour de détention par victime.59

    Le major et le lieutenant ont été libérés et auraient été réintégrés dans l'armée étant donné que la loi militaire permet la réintégration des militaires condamnés à moins de six mois de prison. Le porte-parole de l'armée, Colonel Nzabampema a annoncé que la légèreté de la décision était justifiée du moment que ces officiers «n'avaient pas de responsabilité directe dans ce qui s'est passé à Itaba».60

    L'auditeur militaire a précisé que pour le moment, il ne menait d'enquête sur aucune autre violation grave du droit international humanitaire, mis à part l'affaire de Gasenyi sus-mentionnée. Etant donné qu'un jugement a acquitté les officiers de toute responsabilité dans le massacre des 173 civils, il s'impose que l'auditorat militaire réouvre le dossier Itaba et traduise en justice ceux qui sont réellement coupables de ce crime odieux.

    Léonidas Ntibayizi, président de la commission des droits de l'homme à l'Assemblée nationale et un des premiers à dénoncer les tueries de Itaba, a qualifié le verdict de scandaleux. Des organisations de droits humains locales et internationales ont aussi critiqué le jugement. Au moment de la rédaction de ce rapport, les Etats Unis étaient le seul gouvernement donateur à commenter ce jugement, exprimant «sa grande déception de voir l'échec du gouvernement de transition du Burundi à honorer son engagement à punir de façon appropriée, conformément à la loi, ceux responsables du massacre de civils» et condamnant toutes les tueries de civils par l'une ou l'autre partie au conflit.61

    Blocage de l'aide humanitaire

    Depuis les attaques de la mi-janvier jusque vers la fin de février, les autorités militaires ont empêché les agences humanitaires de délivrer de l'aide aux milliers de gens exposés aux combats dans la région du Moso de Ruyigi. Ces derniers comprennent aussi bien les personnes vulnérables identifiées par le Bureau de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies (OCHA) comme nécessitant une assistance alimentaire déjà avant les combats les plus récents, que celles déplacées par les opérations militaires au courant du mois de janvier. Bien que les autorités prétendent que l'insécurité dans la région a rendu la distribution impossible, les conditions sur le terrain montrent qu'on aurait pu trouver au moins une journée, sur une période de cinq semaines, suffisamment calme pour permettre la distribution de l'aide. Il apparaît clairement que les autorités sont en train de refuser une assistance à des civils dans le besoin dans le but de punir ceux qui sont perçus comme étant favorables aux FDD ou d'empêcher les bénéficiaires de détourner cette aide pour les combattants des FDD. Le blocage de l'assistance est une violation du droit international humanitaire qui impose à un Etat en guerre civile l'obligation de faciliter l'assistance aux populations civiles en souffrance excessive suite au manque d'approvisionnement en nourriture et en médicaments62et oblige les parties belligérantes à respecter la neutralité et l'impartialité des agences humanitaires.

    Quelque 1.000 personnes déplacées, qui au départ avaient demandé de l'aide à la paroisse catholique de Nyabitare à la mi-janvier, ont été orientées vers un camp de transit préparé par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) mais qui n'était alors plus utilisé par les réfugiés. Les personnes déplacées sont restées sur le site jusqu'au premier weekend de février mais l'avaient toutes quitté le lundi matin suivant, juste avant qu'ait été programmée une visite de la région par les représentants de OCHA et d'agences humanitaires. Ils auraient été sommés par l'administration locale de se disperser rapidement pour empêcher que les agences humanitaires internationales ne constatent leur détresse.63

    Les autorités militaires ont annoncé aux représentants des organisations qui cherchent à délivrer l'aide médicale et alimentaire qu'ils ne peuvent pas entrer dans certaines parties de la province de Ruyigi - dont Nyabitare, Gisuru, Kinyinya et Nyabitsinda - parce que la présence des rebelles et les opérations militaires dirigées contre ceux-ci rendent la région peu sûre. Mwegereza se trouve dans cette zone. Une délégation du Groupe Technique de Suivi, un comité qui tente de coordonner l'aide et la protection aux personnes déplacées et compte des représentants du gouvernement burundais, OCHA et des organisations non-gouvernementales, est venue de Bujumbura pour visiter la région les 12 et 13 février. Mais les autorités militaires leur ont signifié qu'il serait dangereux de quitter la ville de Ruyigi à cause des mouvements des FDD et des opérations militaires dans la région. D'autres personnes se sont cependant rendues dans plusieurs localités de la région sans incident pendant ces mêmes jours et n'ont rien vu des opérations militaires dirigées par l'un ou l'autre camp.64

    Quand il leur a été demande de fournir un effort spécial pour permettre la distribution de l'aide à ceux dans le besoin dans cette zone, le Général Niyoyankana et le Colonel Hakiza ont accepté vers la fin du mois de février d'essayer d'aménager des corridors sûrs facilitant le passage des représentants des organisations humanitaires. A l'heure de la rédaction du présent rapport, ce plan n'avait toujours pas été mis en place.65

    Les abus par les FDD

    Les combattants des FDD ont aussi commis de graves abus contre la population civile, en ce compris des exécutions sommaires, des viols, le recrutement d'enfants et des pillages. Le 25 février, par exemple, les combattants FDD auraient tué trois civils sur un site de personnes déplacées en commune de Gishubi, province Gitega, et ont tué une personne et blessé trois autres lors d'une attaque en vue de se ravitailler en commune Nyamureneza, province Ngozi.66 Le 26 janvier, on rapporte que les combattants des FDD ont assassiné le rsponsable de quartier dans la commune Buraza et tué un civil sur un site de personnes déplacées en commune Itaba. Ils ont aussi brûlé neuf maisons et pillé des biens.67 Les FDD ont lancé une attaque sur la ville de Gitega le 8 février, tuant trois civils et pillant des biens.68

    D'après les habitants des provinces de Gitega et de Muramvya, les combattants des FDD ont de façon fréquente violé des femmes et volé des vaches et des chèvres fin 2002 et début 2003.69 Un habitant de la colline Murayi, province Gitega, a dit aux chercheurs de Human Rights Watch que les rebelles FDD avaient violé sa femme et environ quinze autres femmes de sa région ainsi que d'autres femmes sur les collines qui se situent le long de la frontière entre les provinces de Gitega et Mwaro. Des groupes FDD basés dans la forêt de la Kibira ont lancé de fréquentes attaques contre des civils habitant à la lisière de la forêt alors que d'autres, de passage à travers les provinces de Gitega et de Ruyigi vers la frontière tanzanienne, ont délibérément tué, violé et volé des civils en cours de route. Sur les chemins les plus fréquentés par les FDD, deux à trois groupes de combattants passent chaque semaine, s'arrêtant souvent pendant la nuit pour exiger de la nourriture et de l'argent des populations locales. Un pauvre homme s'est plaint : « Si vous n'avez pas d'argent à donner, alors ils vous battent. »70 Dans la ville de Muramvya, les forces FDD auraient exigé rançon de la part des propriétaires de bétail pour éviter que leurs bêtes ne soient emportées en retour. Les gens disent que les FDD attaquent aussi bien les Hutu que les Tutsi.71

    Un témoin a fait remarquer que les FDD venaient habituellement à Ruyigi en petit nombre et « collectaient de l'argent et de la nourriture, qu'on le veuille ou non.» Il a expliqué que «les gens signalaient leur présence aux soldats qui les chassaient et puis trois mois après, ils revenaient.»72 «Les combattants FDD sont dans la zone près de Munazi depuis l'année passée» a dit une femme de Ruyigi, « mais les gens ont peur d'eux et ne s'approchent pas. »73

    La nuit du 13 février, les FDD auraient pillé nombre de maisons à trois kilomètres du centre de la ville de Ruyigi, dépouillant systématiquement les résidents de leurs vivres et autres biens de valeur tels les radios et les bicyclettes.74 Le 17 février, les combattants des FDD ont tendu une embuscade contre un véhicule commercial sur la route entre Ruyigi et Cankuzo et ont tué au moins un soldat qui était à bord. Le 20 février, les rebelles ont tendu une autre embuscade contre un véhicule du service agricole et le 25 février, contre trois véhicules en commune Butaganzwa, province Ruyigi, tuant une personne et en blessant d'autres.75

    Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme

    Le petit bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme partage ses ressources entre l'assistance technique dans le domaine judiciaire et le contrôle limité de la situation des droits humains. Un représentant du bureau a assisté au procès des officiers accusés du massacre de Itaba, mais le bureau n'a publié aucun commentaire. Ordinairement, le bureau de l'Office au Burundi ne rend pas publics ses rapports, ce qui limite son impact sur la situation locale.

    Le directeur du bureau a proposé de participer à encourager la Mission Africaine à focaliser son attention sur les questions relatives aux droits humains. L'initiative devrait être encouragée.

    Conclusion

    Les zones de cantonnement n'étant pas définies par le cessez-le-feu, les deux parties ont poussé pour obtenir un maximum de contrôle des zones qu'elles se disputent. Les civils massacrés à Mwegereza ont été sacrifiés sur ce fond de bataille qui tend à gagner des avantages militaires et politiques. Dans l'accord du 27 janvier confirmant le cessez-le-feu, le gouvernement a accepté de voir la province de Ruyigi comme un endroit de distribution de nourriture, à l'instar de celui de Bubanza. Il cédait ainsi, du moins en partie, à l'objectif visé par les FDD. Mais avec la poursuite des affrontements à Ruyigi, il n'y a pas eu de distribution de vivres et même les distributions de Bubanza ont été stoppées.

    Les FDD ont cité le blocage de la nourriture de l'Union Européenne par le gouvernement comme une des raisons qui les ont amenés à interrompre les négociations. Ayant reçu la promesse de cette aide et ayant perçu celle-ci pendant un certain nombre de semaines, les FDD s'attendent manifestement à ce qu'elle continue, même si leurs hommes n'ont pas gagné les zones de cantonnement ni n'ont été désarmés, mesures qui devaient en principe précéder - ou du moins coïncider avec - la distribution de la nourriture.

    L'appui international aux FDD, combiné à l'accroissement de leurs effectifs et leurs tentatives de s'implanter sur le terrain, a attisé les tensions, du moins parmi certains soldats burundais qui craignent la force montante du mouvement rebelle.

    L'initiative européenne, conçue pour nourrir les signes encourageants de paix, s'avère plutôt avoir exacerbé la suspicion mutuelle et les récriminations, peut-être parce qu'elle a accordé un avantage aux FDD avant qu'ils ne fassent de leur côté de réelles concessions.

    A la suite de la rupture des négociations et des déclarations belliqueuses du CNDD-FDD et de l'UPRONA, l'ambassadeur Berhanu Dinka, le Représentant Spécial du Secrétaire Général de l'ONU, ainsi que l'Union Africaine ont appelé les parties en conflit à user de modération.76 L'arrivée d'un président intérimaire pour la commission de mise en application de l'accord pourrait donner une impulsion à un processus de paix qui stagne, mais il n'apparaît pas clairement que la commission pourra accomplir sa tâche avec suffisamment de célérité pour empêcher d'autres et même de plus graves combats.

    Il est clair que de tels combats causeront inévitablement davantage de souffrance aux civils exposés aux attaques et davantage de privation en termes d'aide humanitaire. Les FDD ont déclaré qu'avec la cessation de distribution de nourriture, ils assumeront la responsabilité de s'assurer leur propre approvisionnement, ce qui signifie, comme ce fut déjà le cas dans le passé, le pillage des citoyens ordinaires, déjà à la limite de la survie. Entre temps, étant donné le verdict prononcé dans le procès du massacre de Itaba, les soldats burundais n'éprouveront probablement pas la nécessité d'éviter de porter préjudice aux «assaillants secondaires» selon l'appellation choisie pour désigner les civils.

    Recommandations

    Au Gouvernement du Burundi :

    • Donner immédiatement ordre à toutes les forces armées gouvernementales de strictement respecter les clauses du droit international humanitaire relatives au traitement des civils et autres non-combattants en temps de guerre.

    • Mener une enquête et traduire en justice tous les soldats et officiers accusés de violation du droit international humanitaire dans les tueries illégales de Ruyigi et ailleurs au Burundi.

    • Punir ou traduire en justice, de façon la plus appropriée, les personnes impliquées dans les violations du droit international humanitaire dans le respect des principes internationaux relatifs au procès équitable, en ce compris le droit à une assistance judiciaire.

    • Faciliter aux agences humanitaires l'accès à tous les civils dans le besoin et respecter la neutralité et l'impartialité de ces agences.

    Aux FDD :

    • Ordonner à tous les combattants sous leur autorité de strictement respecter les clauses du droit international humanitaire relatives au traitement des civils en temps de guerre.

    • Tenir pour responsables tous les membres des FDD accusés de violation du droit international humanitaire, en ce compris le meurtre de civils, les viols, les pillages et la destruction des biens.

    • Cesser le recrutement d'enfants de moins de 18 ans ainsi que stipulé dans le Protocole Additionnel à la Convention des Droits de l'Enfant.

    Aux Nations Unies et aux gouvernements responsables de la Mission Africaine de maintien de la paix :

    • Accélérer le déploiement des observateurs et des troupes de maintien de la paix.

    • Insister pour que les forces de maintien de la paix protègent les civils et leur procurer la formation ad hoc pour ce faire. Créer une unité chargée d'enquêter et de faire des rapports sur tous les abus contre les droits huamins qui seraient le fait des forces du gouvernement burundais, des FDD ou de la Mission Africaine.

    Au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l'Homme:

    • Augmenter la portée et les ressources du bureau de l'Office au Burundi pour qu'il puisse enquêter efficacement sur les violations répétées du droit international humanitaire.

    • Charger le bureau de l'assistance à la mise en place et l'exécution d'une stratégie de défense des droits de l'homme pour la Mission Africaine de maintien de la paix.

    • Ordonner au bureau de rendre publics sans tarder les rapports sur ses investigations.

    Aux bailleurs qui assistent le Gouvernement burundais et à ceux en contact avec les leaders des FDD :

    • User de leur influence pour persuader le gouvernement burundais d'ordonner immédiatement à ses forces armées de se conformer strictement au droit international humanitaire relatif au traitement des civils en cas de conflit armé.

    • User de leur influence pour persuader les FDD d'ordonner aux combattants sous leur autorité de se conformer strictement au droit international humanitaire relatif au traitement des civils en temps de guerre.

    • Insister pour une complète et rapide mise en application des clauses de l'accord d'Arusha du mois d'août 2000, réaffirmé par l'accord de cessez-le-feu de décembre 2002, en ce compris les clauses relatives à la poursuite en justice de ceux accusés de violations du droit international humanitaire.

    • Assister le gouvernement burundais avec les ressources nécessaires à la mise en exécution des programmes de justice précités.


    1 Le Burundi a ratifié les Conventions de Genève de 1949 et leur Protocole Additionnel relatif à la Protection des Victimes des Conflits Armés Non-Internationaux (Protocole II). L'article 3 commun aux Conventions de Genève exige un traitement humain pour les personnes qui ne prennent pas part aux hostilités et le Protocole II interdit formellement les attaques contre des civils. Même avec la signature d'un accord de cessez-le-feu, la loi humanitaire internationale s'applique toujours. Par exemple, suivant le Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie dans le cas de Tadic, Appel en jugement, Procès IT-94-1-AR72 (2 oct. 1995): « Un conflit armé existe partout où il y a un recours à la force armée entre Etats ou violence armée prolongée entre tels groupes à l'intérieur d'un Etat. La loi humanitaire internationale s'applique depuis le déclenchement de tels conflits et s'étend au-delà de la cessation des hostilités jusqu'à ce qu'une conclusion générale ait été atteinte ; ou, jusqu'à l'adoption d'un règlement pacifique, dans le cas de conflits armés internes. Jusqu'à ce moment, la loi humanitaire internationale continue de s'appliquer - dans le cas de conflits internes - sur tout le territoire sous le contrôle de l'une ou l'autre partie, que des combats s'y livrent ou pas. » Pour les rapports sur les violations par les deux parties avant le cessez-le-feu, voir le Rapport de Human Rights Watch, « Burundi : Escalating Violence Demands Attention », novembre 2002 (disponible sur
    http://hrw.org/backgrounder/africa/burundi/burundi1128.pdf).

    2 Voir la déclaration de l'UPRONA publiée par l'Agence Burundaise de Presse, 24 février 2003 et celle par le CNDD-FDD du 21 février 2003 sur son site internet www.burundi-info.com.

    3 Notes de terrain de Human Rights Watch, 20 et 21 février 2003; pour les détails sur le massacre de Itaba, voir Human Rights Watch, « Burundi : Escalating Violence Demands Attention. » Un rapport du gouvernement à cette époque disait que 174 civils avaient été tués, mais en février 2003, les deux officiers ont été accusés seulement d'avoir tué 173 civils.

    4 Accord du cessez-le-feu entre le gouvernement de transition du Burundi et le Cndd-Fdd, signé à Arusha le 3 décembre 2002, Annexe 1.A.1.1.17. Le texte de l'accord est disponible sur http://www.reliefweb.int/w/rwb.nsf/f303799b16d2074285256830007fb33f/013196a196f718f3c1256c850052d6ec?OpenDocument

    5 Premy Kibanja, "Burundi Rebels and peace talks," BBC Actualités, 21 février 2003.

    6 Interview de Human Rights Watch, Kigali, 19 février 2003.

    7 Voir Human Rights Watch, Fédération Internationale des Droits de l'Homme, Ligue des Droits de la Personne dans la Région des Grands Lacs, Organisation Mondiale contre la Torture, Centre National pour la Coopération au Développement, Nationaal Centrum voor Ontwikkelingssamenwerking, NOVIB, "Commission d'Enquête sur les violations des droits de l'homme au Burundi depuis le 21 octobre 1993, Rapport Final."

    8 Interviews de Human Rights Watch, Bujumbura, 10 février, et Ruyigi, 13 et 14 février 2003.

    9 Accord du cessez-le-feu entre le gouvernement de transition du Burundi et le Cndd-Fdd, signé à Arusha, 3 décembre 2002, Annexe 1.A.1.1.6. et 1.A.1.1.7.

    10 Voir le Rapport de Human Rights Watch, "Burundi: Escalating Violence Demands Attention," novembre 2002.

    11 Interviews de Human Rights Watch, Bujumbura, 9 et 15 février et Gitega, 17 février 2003.

    12 Interviews de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 février 2003; Nyabitare, 13 février; Gitega, 17 février et Bujumbura, 18 février 2003.

    13 Agence Burundaise de Presse, 4 et 8 janvier 2003.

    14 Interviews de Human Rights Watch, Gitega, 17 février, et Bujumbura, 18 février 2003.

    15 Accord du cessez-le-feu entre le gouvernement de transition du Burundi et le Cndd-Fdd, signé à Arusha, 3 décembre 2002, Article 1.1.

    16 Ibid., Annexe 1.A.1.1.6 et 1.1.7.

    17 Ibid., Annexe 1.B.1.9.1.

    18 Interview de Human Rights Watch, Gitega, 17 février 2003.

    19 Agence Burundaise de Presse, 8 janvier 2003; Interview de Human Rights Watch, Gitega, février 2003.

    20 Agence Burundaise de Presse, 17 et 20 janvier 2003.

    21 Agence Burundaise de Presse, 23 janvier 2003. Pour les détails sur les Gardiens de la paix, voir Human Rights Watch, « Burundi : To Protect the People, The Government-sponsored ` Self-Defense' Program", A Brief Report, December 2001.

    22 Agence Burundaise de Presse, Munyinya, 12 février 2003

    23 Interview de Human Rights Watch, Gitega, 2 novembre, 2002; communiqué de presse de Human Rights Watch, "Burundi: Children Abducted for Military," November 14, 2001.

    24 Sur http: //ods-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/N02/7/14/49/PDF/N0271449.pdf?OpenElement

    25 Interview de Human Rights Watch, Gitega, 17 février, 2003; Agence Burundaise de Presse, 17, 20 et 23 janvier 2003.

    26 Interview de Human Rights Watch, Muramvya, 17 février 2003.

    27 Agence Burundaise de Presse, Cibitoke, 23 janvier et Muyinga, 12 février 2003.

    28 Agence Burundaise de Presse, 8 janvier 2003.

    29 Accord du cessez-le-feu entre le gouvernement de transition du Burundi et le Cndd-Fdd, signé à Arusha, 3 décembre 2002, Annexe 1, E.12.1.

    30 Interviews de Human Rights Watch, Bujumbura, 10 et 24 février et Kigali, 19 février 2003.

    31 Interviews de Human Rights Watch, Gitega et Muramvya, 17 février et Bujumbura, 24 février 2003.

    32 Interview de Human Rights Watch, Bujumbura, 16 et 24 février 2003.

    33 Interview de Human Rights Watch, Bujumbura, 10 février 2003.

    34 Interview de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 février 2003.

    35 Interviews de Human Rights Watch, Bujumbura, 9 février; Ruyigi, 12 février; Nyabitare, 13 février; Gitega, 17 février 2003.

    36 Ibid.

    37 Accord du cessez-le-feu entre le gouvernement de transition du Burundi et le Cndd-Fdd, signé à Arusha, 3 décembre 2002, article II, 1.7 et article VI.1.1.

    38 Un groupe radical qui défend les intérêts Tutsi à Bujumbura s'appelle aussi Amasekanya. Par ce nom, les habitants locaux auraient voulu suggérer le lien - bien que seulement idéologique - entre le groupe et l'unité militaire.

    39 Voir Rapport de Human Rights Watch, "Burundi: Escalating Violence Demands Attention," November 2002.

    40 Interviews de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 et 14 février et Nyabitare, 13 février 2003.

    41 Interview de Human Rights Watch, Gitega, 17 février 2003.

    42 Interviews de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 et 14 février; Nyabitare, 13 février; et Gitega, 17 février 2003.

    43 Ibid; Interview de Human Rights Watch, Bujumbura, 10 février 2003.

    44 "Ruyigi", Agence France Presse, 9 février 2003; interview de Human Rights Watch, Gitega, 17 février 2003.

    45 Interviews de Human Rights Watch, Bujumbura, 10 février ; Ruyigi, 12 et 14 février; Nyabitare, 13 février; et Gitega, 17 février 2003

    46 Interviews de Human Rights Watch, Bujumbura, 10 février; Ruyigi, 12 et 14 février, et Nyabitare, 13 février 2003.

    47 Interview de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 et 14 février 2003.

    48 Ibid.

    49 Interview de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 février, 2003.

    50 Ibid.

    51 Ibid.

    52 Interview de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 février 2003.

    53 Ibid.

    54 Interview de Human Rights Watch, 12 février 2003. [Lieu de l'interview omis pour protéger l'identité des victimes.]

    55 Reuters, "Burundi Army says 1,000 Rebels Enter from Tanzania," 2 août 2002.

    56 Interview de Human Rights Watch, Bujumbura, 31 octobre 2002; "Problématique du droit du respect humanitaire au Burundi," Bulletin Iteka, no 49, octobre 2002 ; conférence de presse du Ministre de la Défense, Gén. Cyrille Ndayikuriye, reportage de Net Press, 21 juillet 2002.

    57 "Ruyigi", Agence France Presse, 9 février 2003.

    58 Interviews de Human Rights Watch, Gitega, 17 février, et Bujumbura, 18 février 2003.

    59 Notes de terrain de Human Rights Watch, Kayanza, 21 février 2003.

    60 «Massacre de civils: deux officiers condamnés à 4 mois de prison» Agence Franc Presse, 22 février 2003.

    61 Déclaration de l'ambassade des Etats Unis, Bujumbura, 26 février 2003.

    62 Voir Protocole II, art. 18.

    63 Interviews de Human Rights Watch, Bujumbura, 9 et 10 février, Ruyigi, 12 novembre et Nyabitare, 13 novembre 2003.

    64 Notes de terrain de Human Rights Watch, Nyabitare et Ruyigi, 12-14 novembre 2003.

    65 Interviews de Human Rights Watch, Gitega, 17 février et Bujumbura, 8 février 2003.

    66 Nouvelles radio diffusées, Radio Publique Africaine, 25 février 2003.

    67 Integrated Regional Information Network (IRIN), "Burundi: Aid to 7,500 to proceed today," 28 janvier 2003.

    68 Nouvelles de Radio Bonesha, 10 février 2002.

    69 Interviews de Human Rights Watch, Gitega et Muramvya, 17 février 2003.

    70 Interview de Human Rights Watch, Gitega, 17 février 2003.

    71 Interviews de Human Rights Watch, Gitega et Muramvya, 17 février 2003.

    72 Interview de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 février 2003.

    73 Interview de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 février 2003.

    74 Interview de Human Rights Watch, Ruyigi, 12 février 2003.

    75 Interview de Human Rights Watch, Gitega, 17 février 2003; Radio Publique Africaine, nouvelles du 26 février 2003.

    76 Radio Télévision Nationale Burundaise, RTNB, actualités, 25 février 2003.