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Rapport Mondial 2003 : Algérie et Tunisie FREE    Recevez des Nouvelles 
Lettre au Secrétaire d'Etat américain Colin Powell

New York, le 25 novembre 2003

The Hon. Colin L. Powell
Secrétaire d'État
Département d'Etat
Washington, DC 20520


Monsieur le Secrétaire d'État,

Le 2 et 3 décembre, vous allez entreprendre votre premier voyage en Afrique du Nord depuis l'important discours prononcé le 6 novembre par le Président Bush sur la nécessité de promouvoir la démocratie et les droits humains au Moyen-Orient.

Les chefs d'État et les hauts fonctionnaires que vous allez rencontrer au Maroc, en Algérie et en Tunisie estiment sans aucun doute que votre visite inaugurera la manière dont les États-Unis comptent promouvoir les principes évoqués dans le discours du Président. Il est donc crucial que vous abordiez franchement les problèmes de droits humains propres à chacun de ces trois pays et que vous présentiez quels progrès concrets pourraient y être faits. La campagne contre le terrorisme représentant également un aspect important de votre voyage, nous vous demandons instamment de déclarer publiquement dans chacun de ces trois pays que la lutte contre le terrorisme ne peut pas être menée aux dépends des droits humains.

En Algérie, la violence politique a diminué, mais les séquelles laissées par les pires années du conflit sont nombreuses. Les agents de l'État ont fait " disparaître " des milliers d'Algériennes et d'Algériens dont on est toujours sans nouvelles. En septembre, le Président Bouteflika a créé une nouvelle commission pour prendre en charge les cas de disparitions forcées, question que les États-Unis nous ont semblé suivre de près. Nous vous conseillons vivement de dire à vos hôtes que s'ils veulent que cette entité aide les Algériennes et les Algériens à tourner la page de cette période violente, il faut qu'elle dispose de pouvoirs bien plus étendus que ceux qui lui ont été donnés pour résoudre les cas et pour obtenir les réponses précises et fiables refusées aux familles des personnes " disparues " depuis des années.

L'Algérie est un pays qui profite d'un certain pluralisme politique et d'une certaine liberté de la presse. Cependant, les journalistes qui contrarient les autorités font parfois l'objet de poursuites judiciaires. Nous vous demandons instamment de soulever le cas de Hassan Bourras, reporter travaillant à al-Bayadh pour le quotidien de l'Ouest du pays, al-Djazaïr. Un tribunal l'a condamné au début du mois à deux ans de prison pour diffamation et lui a interdit d'exercer sa profession pendant cinq ans, en raison d'articles qu'il a rédigés sur la corruption dans l'administration. M. Bourras aurait l'intention de faire appel de ce jugement, qui le condamne à la peine la plus lourde infligée jusqu'ici dans le cadre de la loi sur la diffamation de 2001.

Au Maroc, les mesures de répression prises dans le cadre de la nouvelle législation anti-terroriste ont été renforcées après les attaques du 17 mai à Casablanca, et sont en train de remettre en cause les progrès importants qui avaient été faits dans le domaine des droits humains ces dix dernières années. Alors que la pratique des " disparitions " avait cessé et que l'utilisation de la torture diminuait nettement depuis plusieurs années, des décès suspects auraient de nouveau lieu dans les centres de détention et on serait toujours sans nouvelles de plusieurs personnes des mois après leurs arrestations. Nous vous recommandons vivement d'appeler les autorités marocaines à user de la détention, mener des enquêtes et conduire les procès des militants présumés d'une manière propre à conforter les progrès effectués qui avaient fait du Maroc l'un des pays de la région les plus respectueux des droits humains.

Il est aussi crucial que les autorités marocaines réaffirment leur engagement à respecter la liberté de la presse. L'une des mesures qu'elles devraient prendre est de libérer les journalistes emprisonnés, notamment Ali Mrabet, rédacteur de Demain et de Douman, hebdomadaires indépendants rédigés en français et en arabe, qui ont été interdits par ordre du tribunal. M. Mrabet purge depuis le mois de mai une peine de prison de trois ans pour avoir, à travers ses articles, ses entretiens et ses dessins, fait " outrage à la personne du roi ", porté " atteinte au régime monarchique ", et " à l'intégrité territoriale ".

Le gouvernement tunisien et les Tunisiens eux-mêmes sont fiers des résultats économiques du pays, de ses taux de pauvreté et d'analphabétisme peu élevés et du Code du statut personnel accordant aux femmes des droits presque égaux à ceux des hommes. D'après de nombreux Tunisiens, ces points positifs font de ce pays l'un des meilleurs candidats à la démocratie dans le monde arabe.

Mais le Président Ben Ali dirige son pays dans une toute autre direction. Il ne tolère aucune divergence d'opinion, laïque ou islamiste, de la part des médias, des partis politiques et des défenseurs des droits humains. Les dissidents non islamistes et les défenseurs des droits humains font l'objet d'agressions physiques par les policiers en civil, d'écoutes téléphoniques, d'interdiction de circulation et, quelquefois, d'emprisonnements sur des chefs d'inculpation inventés de toutes pièces.

Les islamistes présumés sont traités encore plus durement. Des centaines d'entre eux purgent actuellement de longues peines de prison infligées après des procès arbitraires pour des délits non violents tels qu'une simple adhésion à une organisation déclarée " illégale " par le gouvernement. Plusieurs dirigeants du mouvement islamiste sont maintenus en isolement total et n'ont pas le droit de disposer de stylos, de papier et autres agréments. Les prisonniers sont constamment transférés d'une prison à l'autre, ce qui rend les visites de leurs proches difficiles.

Nous vous recommandons avec insistance d'inciter les autorités tunisiennes à améliorer les conditions de détention des prisonniers politiques. Ces conditions sont en effet très dures uniquement par représailles et sont bien en dessous des normes recommandées par les règles minima pour le traitement des détenus de l'ONU.

Nous espérons aussi que vous pousserez les autorités tunisiennes à mettre fin à la répression des opposants au gouvernement. Elles devraient arrêter le harcèlement par la police d'avocats des droits humains tels que Radhia Nasraoui, qui a entamé une grève de la faim pour protester contre la surveillance et l'intimidation permanentes subies par sa famille, par ses clients et par elle-même. Abdullah Zouari purge actuellement une peine de prison de neuf mois à laquelle il a été condamné après un procès à visée politique pour avoir violé un ordre administratif. Ce journaliste avait auparavant passé onze ans en prison après un procès injuste.

Par une lettre datée du 8 août 2002, vous avez fait savoir à Human Rights Watch que des représentants américains avaient soulevé auprès du Ministre tunisien des droits humains le cas de l'opposant emprisonné Hamma Hammami. De nombreuses personnes estiment que sa libération anticipée le mois suivant est en partie due au grand intérêt porté par les États-Unis à ce cas.

Votre prochain voyage en Afrique du Nord représente une excellente opportunité d'exercer de nouveau une influence positive. Vous pourriez ainsi non seulement promouvoir des changements positifs en Algérie, au Maroc et en Tunisie mais aussi prouver aux gouvernements et aux populations du Moyen-Orient que l'administration Bush prendra des mesures concrètes pour atteindre les objectifs fixés par le discours du Président.

Veuillez croire, Monsieur le Secrétaire d'État, à l'expression de notre très haute considération.

Kenneth Roth
Directeur exécutif
Human Rights Watch

Tom Malinowski
Directeur de la Division de Plaidoirie
de Human Rights Watch à Washington