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Rapport Mondial 2003 : Algérie FREE    Recevez des Nouvelles 
Lettre au Président Jacques Chirac de la France

Monsieur le Président de la République Jacques Chirac
Palais de l'Elysée
Paris, France

Bruxelles, le 21 février 2003

Monsieur le Président de la République,

Nous vous écrivons au sujet de votre visite en Algérie, qui devrait avoir lieu du 2 au 4 mars et qui sera la première visite d'Etat d'un Président français depuis l'indépendance de ce pays. Nous avons l'espoir que vous utiliserez cette occasion pour dire clairement au Président Abdelaziz Bouteflika qu'il est nécessaire et urgent que l'Algérie fasse des progrès dans le domaine des droits humains, et notamment dans le dossier des disparitions forcées.

Dans une longue étude, qui sera publiée le 27 février, Human Rights Watch arrive à la conclusion que les forces de l'ordre algériennes sont responsables de la " disparition " d'au moins 7 000 personnes pendant les années 90 et que les dirigeants n'ont pas traité ce problème de façon sérieuse comme ils l'avaient promis. Aucune des personnes que les agents de l'Etat ont fait " disparaître " n'a été retrouvée, aucune famille n'a reçu d'informations crédibles et vérifiables et aucun des présumés responsables n'a dû répondre de ces actes. Notre rapport se penche aussi sur le sort des personnes enlevées par des groupes armés qui se proclament Islamistes. Ces victimes se comptent peut-être par milliers. Leurs proches se sentent abandonnés par l'Etat et expriment souvent leurs frustrations de voir le peu d'efforts faits pour enquêter sur ces enlèvements ou pour identifier les restes des personnes trouvées dans les fosses communes. Selon nous, les " disparitions " opérées par des agents de l'Etat et par des groupes armés constituent des crimes contre l'humanité.

La France, sous votre impulsion, a joué un rôle important et louable dans la préparation de nouvelles normes internationales ayant force obligatoire et visant à faire baisser le nombre de " disparitions " forcées. Dans des réunions bilatérales mais aussi en tant que membre de l'Union européenne, la France a fait connaître sa préoccupation quant aux " disparitions " auprès des autorités algériennes. Elle a abordé aussi bien le problème dans son ensemble que dans des cas particuliers. D'après ce que nous savons, l'Algérie n'a jamais répondu en donnant des informations concrètes et crédibles. Le dialogue sur ce thème, même si les intentions sont louables, n'a porté aucun fruit.

Etant donné qu'aucun progrès n'a été fait sur les " disparitions " en Algérie, nous estimons que la France devrait maintenant faire des recommandations spécifiques qui, si elles sont suivies, aideront les autorités algériennes à respecter leur promesse de traiter sérieusement le problème. Lors de votre visite officielle, nous vous conseillons donc vivement d'exhorter vos homologues algériens à:

  • fournir des informations spécifiques et vérifiables aux familles de "disparus" ;
  • créer, pour enquêter sur les "disparitions ", une commission qui aura l'indépendance, l'autorité et l'intégrité nécessaires pour lui permettre d'obtenir des informations auprès des organismes étatiques, y compris les forces de l'ordre, sur les "disparus", sur ce qui leur est arrivé, sur leur situation présente et sur les personnes qui sont responsables de leur sort ;
  • donner l'ordre à tous les organismes de l'Etat de coopérer avec la commission, et déclarer que les fonctionnaires qui entraveront le travail de la commission ou ne coopéreront pas seront sanctionnés ;
  • répondre favorablement aux demandes de mission sollicitées depuis plus de deux ans par le Groupe de travail de l'ONU sur les disparitions forcées ou involontaires, par le Rapporteur spécial sur la torture et par le Rapporteur spécial sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires ;
  • accorder le statut légal qui leur a toujours été refusé aux organisations non gouvernementales qui travaillent sur le sort des "disparus".
Dans une lettre envoyée aujourd'hui, nous avons demandé à être reçus durant la dernière semaine du mois de février par des membres mandatés de votre cabinet. Nous voudrions débattre des résultats de notre rapport sur les " disparitions " et analyser comment la France peut utiliser cette occasion historique que représente votre visite en Algérie pour faire avancer la cause des droits humains dans ce pays.

Nous espérons que votre visite en Algérie sera productive.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de notre haute considération.




Hanny Megally
Directeur pour le Moyen orient et l'Afrique du Nord

Lotte Leicht
Directrice du bureau de Bruxelles

cc : M. Dominique de Villepin, le Ministre des Affaires étrangères
      M. André Parant, conseiller technique à la Présidence de la République