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Rapport Mondial 2002 : Nigeria FREE    Recevez des Nouvelles 
Nigeria : Human Rights Watch applaudit les mesures prises à l'encontre des Bakassi Boys
Lettre au Président Olusegun Obasanjo
10 octobre 2002

Son Excellence Olusegun Obasanjo
Président de la République et
Commandant en chef des Forces armées
Secrétariat Fédéral Présidence
Shehu Shagari Way
Abuja
Territoire de la capitale fédérale


Monsieur le Président,

Je vous écris pour exprimer ma satisfaction face à l'initiative gouvernementale visant à mettre un terme aux sérieuses violations de droits humains commises par le groupe d'autodéfense connu sous le nom de Bakassi Boys, opérant principalement dans les états d'Abia et d'Anambra. Comme vous le savez sans doute déjà, Human Rights Watch a effectué une recherche détaillée sur les exactions perpétrées par les Bakassi Boys, dont les résultats figurent dans notre rapport intitulé The Bakassi Boys : the Legitimization of Murder and Torture, publié en mai 2002 en collaboration avec le Centre for Law Enforcement Education (CLEEN). Les Bakassi Boys sont non seulement responsables de graves abus - réalisés souvent grâce à la complicité des gouvernements d'états - ils ont réussi à commettre des gestes criminels à répétition en toute impunité, sans obligation aucune de rendre compte de leurs actes. Depuis la publication du rapport, nous avons continué de surveiller l'évolution de la situation des droits de la personne dans la région. Nous avons donc manifesté un intérêt particulier pour les diverses opérations policières qui y ont eu lieu, d'abord dans l'état d'Abia en août 2002, puis dans celui d'Anambra à la fin du mois de septembre, opérations qui ont mené à l'arrestation de plusieurs dizaines de membres des Bakassi Boys ainsi qu'à la libération de personnes détenues illégalement par le groupe, nombre d'entre elles ayant été soumises à d'horribles actes de torture et de mutilation.

Nous serions fort reconnaissants de l'obtention de plus amples renseignements de la part de votre gouvernement au sujet des résultats de ces opérations, particulièrement en ce qui concerne le nombre exact de détenus libérés dans chaque emplacement, le nombre de Bakassi Boys arrêtés, leur identité, des détails sur les accusations auxquelles ils font face, et la date à laquelle leur jugement est censé débuter.

Bien qu'il nous paraisse regrettable que le gouvernement fédéral ainsi que les forces policières n'aient pas pris les mesures nécessaires auparavant, ce qui aurait pu épargner à des centaines de personnes la torture et le meurtre aux mains des Bakassi Boys, nous considérons louable la décision d'intervenir aujourd'hui. Cependant, pour rendre cette intervention véritablement fructueuse, nous soulignons l'urgence de mettre en oeuvre un certain nombre de mesures afin d'empêcher une telle situation de se reproduire. Par conséquent, nous vous exhortons à appliquer les recommandations suivantes dès que possible pour que ne soient pas répétés les graves abus commis par les Bakassi Boys et que cesse la dégradation de l'ordre et du respect de la loi ayant contribué à la création d'un tel groupe. Ces démarches sont particulièrement cruciales, au vu des réactions émanant de certains secteurs de la population des états d'Abia et d'Anambra, dont des représentants des gouvernements d'états, exprimant un mécontentement face à l'intervention policière à l'encontre des Bakassi Boys, et réclamant le rétablissement du groupe.

Les recommandations suivantes complètent celles contenues dans notre rapport du mois de mai 2002.

  • Porter, là où les preuves s'avèrent suffisantes, des accusations criminelles contre les membres des Bakassi Boys qui ont été arrêtés, de sorte que ceux-ci soient traduits en justice rapidement et équitablement ; donner au corps policier - ou à tout autre fonctionnaire responsable de leur détention - l'interdiction formelle de soumettre les prisonniers à toute forme de torture, de mauvais traitement ou d'exécution extrajudiciaire, ainsi que l'obligation de les maintenir dans des prisons officielles ou des lieux de détention reconnus. Le fait que beaucoup d'entre ces détenus se soient eux-mêmes livrés à des actes de torture, au meurtre et à l'emprisonnement illicite de personnes ne peut en aucun cas justifier qu'on leur administre un traitement semblable.

  • S'assurer que la police ne porte pas ses investigations uniquement sur le rôle des membres de la base du groupe, mais également sur celui des individus dont provenaient les ordres conduisant aux violations de droits de la personne, et qu'elle prenne les mesures judiciaires appropriées contre ces derniers. Bien qu'il soit impératif que tout individu ayant participé à un massacre ou à des actes de torture soit poursuivi en justice, une responsabilité légale incombe également à ceux qui ont organisé la violence.

  • Résister à toute pression, de la part d'officiels gouvernementaux ou d'autres individus, sollicitant le relâchement de membres des Bakassi Boys contre lesquels il existe des preuves concluantes de participation à des violations de droits humains ; ce genre de pression s'est fréquemment fait sentir par le passé. Tout récemment, on a informé Human Rights Watch que des agents du gouvernement de l'état d'Anambra auraient fait pression sur les autorités d'Abuja afin que soient relâchés les Bakassi Boys arrêtés par la police en septembre.

  • Enquêter sur tous les cas de violations de droits humains commises antérieurement par les Bakassi Boys, et veiller à ce que les auteurs soient jugés. Ces investigations devraient entre autres mettre au jour et livrer à la justice les nombreux cas de détention arbitraire, de torture et d'exécutions extrajudiciaires que Human Rights Watch et le CLEEN ont décrits dans le rapport de mai 2002. Dans la plupart de ces cas, les auteurs des crimes continuent de s'abriter derrière une totale impunité.

  • Rendre publics tous les aspects de la procédure légale dans les cas impliquant les Bakassi Boys et leurs partenaires, ce qui témoignerait de l'engagement du gouvernement à promouvoir une procédure en bonne et due forme ainsi que l'autorité de la loi - un pas significatif vers l'objectif, à plus long terme, d'éveiller la population à l'importance de respecter la loi, et ce particulièrement dans le cas d'individus qui ont outrageusement fait fi de cette loi.

  • Dédommager les femmes et hommes qui ont été illégalement détenus par les Bakassi Boys, et leur garantir un traitement médical approprié contre les blessures infligées par la torture. Assurer leur protection contre d'éventuelles représailles de sympathisants des Bakassi Boys ou des responsables de leur détention illicite.

  • Adopter des mesures efficaces et durables pour empêcher la reconstitution du groupe d'autodéfense ou son remplacement par une organisation similaire dans les états d'Anambra, d'Abia, ou dans tout autre état. Ces mesures auraient intérêt à se concentrer sur le besoin imminent de réforme au sein des forces policières, dont l'apparente incapacité à contrôler la criminalité et protéger la population a un grand rôle à jouer dans l'émergence des Bakassi Boys. A cet égard, je vous réfère à nos recommandations contenues dans le rapport de mai 2002, en particulier celles qui conseillent d'accroître l'effectif du corps policier, d'offrir aux agents un entraînement plus poussé ainsi que de meilleures conditions de travail, et d'éliminer les abus relatifs aux droits de la personne ainsi que la corruption au sein de la police. Human Rights Watch est d'avis que ce genre de réformes devrait former la priorité du gouvernement nigérian afin d'empêcher la résurgence des Bakassi Boys ou d'autres groupements similaires. Nous croyons qu'une interdiction générale visant les Bakassi Boys a peu de chances d'être efficace si des efforts pour rétablir l'autorité de la loi et l'ordre public ne sont pas entrepris parallèlement, et si la population n'obtient pas la garantie suffisante que sa sécurité est prise au sérieux par les autorités et par les agences officielles chargées de faire respecter la loi - la police, tout particulièrement.

  • Initier une procédure pour abroger les lois qui, au niveau des états, approuvent les activités des Bakassi Boys - telle que la loi en vigueur dans l'état d'Anambra, qui permit d'instituer le groupe sous le nom de Anambra Vigilante Services en 2000.

  • Garantir que tout groupe ou individu exerçant le pouvoir de faire respecter des lois sanctionnées par le gouvernement est soumis à l'obligation de rendre compte de ses actes et suive en tout temps les standards internationaux pour la mise en application de la loi, dont le Code de conduite des Nations Unies pour les responsables de l'application des lois de même que les Principes de base sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois.
Nous serions fort reconnaissants de l'obtention de plus amples renseignements de la part de votre gouvernement sur toute autre mesure destinée à empêcher de futures violations de droits humains par des groupes d'autodéfense au Nigeria.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma plus haute considération.


Peter Takirambudde
Directeur exécutif, Division Afrique

Cc : Tafa Balogun, Inspecteur général de Police
Chris Olakpe, Relations publiques de la police