HRW News
Rapport Mondial 2002 : Algérie FREE    Recevez des Nouvelles 
Lettre aux Membres du Parlement européen sur l'Accord d'association euro-méditerranéen avec l'Algérie

Le 30 septembre 2002
Aux Membres du Parlement européen

Madame, Monsieur,

Les 9 et 10 octobre, le Parlement européen s'apprête à voter l'Accord d'association euro-méditerranéen avec l'Algérie. En donnant son assentiment, le Parlement européen s'attend à ce que le gouvernement algérien respecte son engagement, en vertu de l'article 2 de l'Accord, à traiter les principes et droits fondamentaux comme des éléments essentiels de l'Accord.

Approuver l'Accord sans préciser les mesures concrètes devant être prises risque de réduire l'article 2 à un voeu pieu, à une période où de graves violations des droits de l'Homme continuent d'être perpétrées dans l'impunité en Algérie.

C'est pourquoi les organisations de défense des droits de l'Homme signataires appellent le Parlement européen à adopter le projet de résolution, B 5-0000/2002, approuvé par son Comité des Affaires Etrangères et explicitant des mesures spécifiques devant être prises par le gouvernement algérien pour tenir ses engagements en matière de droits de l'Homme, ainsi que des mécanismes visant à évaluer périodiquement le respect de l'article 2. Afin d'appuyer cette résolution sur les droits de l'Homme, nous recommandons que celle-ci soit citée dans la résolution ratifiant l'Accord d'association.

Les organisations signataires souhaitent souligner l'importance des points suivants, tirés du projet de résolution du Comité des Affaires Etrangères :

1) Préciser des mécanismes d'évaluation (Article 22 du projet de résolution)
Nous nous félicitons que la résolution demande l'instauration de mécanismes visant à assurer une surveillance régulière de l'application de l'article 2. Nous recommandons que le Parlement européen contribue à ce processus en s'engageant à convoquer des audiences annuelles, conjointement avec le Conseil et la Commission, avant la réunion des Conseils d'association.

2) Soutenir les droits de l'Homme, la société civile et la lutte contre l'impunité
Le projet de résolution insiste à juste titre sur la nécessité pour le gouvernement algérien de poursuivre ses efforts pour améliorer ses procédures de défense et de protection des droits de l'Homme et permettre à la société civile de s'épanouir. Il reconnaît également que l'impunité demeure un obstacle majeur au rétablissement de l'Etat de droit. Nous vous encourageons à apporter votre soutien aux articles du projet de résolution allant dans ce sens, notamment les articles 6, 16 et 22.

3) Permettre l'accès aux mécanismes thématiques des Nations Unies et aux ONG internationales
Nous soutenons entièrement l'article 5 du projet de résolution, qui demande l'accès à l'Algérie pour les mécanismes thématiques des Nations Unies ainsi que pour les ONG internationales de défense des droits de l'Homme.

À la lumière des déclarations faites le 9 septembre par le Ministre algérien des Affaires Etrangères Abdelaziz Belkhadem devant le Comité des Affaires Etrangères, selon lequel l'Algérie avait toujours répondu favorablement aux demandes des mécanismes des droits de l'Homme des Nations Unies et accueilli des ONG internationales en 2000, 2001 et 2002, nous souhaitons vous rappeler que :

  • Les autorités algériennes ont manqué à coopérer effectivement avec les mécanismes des droits de l'Homme des Nations Unies. Le Groupe de travail des Nations Unies sur les Disparitions Forcées, qui avait demandé en 2000 à aller en Algérie, n'a toujours pas obtenu l'autorisation de s'y rendre. De même, les demandes faites de longue date par le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur les exécutions extrajudiciaires, sommaires ou arbitraires et le Rapporteur Spécial des Nations Unies sur la torture n'ont pas non plus débouché sur des invitations à se rendre en Algérie.

  • Dans les cinq dernières années, des visas n'ont été que rarement accordés aux ONG de défense des droits de l'Homme, notamment Amnesty International, Human Rights Watch, la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) et Reporters sans Frontières, pour leur permettre d'effectuer des visites d'enquête officielles en Algérie. Le gouvernement algérien devrait modifier ses règles pour permettre aux organisations internationales un accès régulier à l'Algérie aux fins de rassembler et échanger des informations en matière de droits de l'Homme.
4) Aborder le problème des " Disparitions " (Article 3 du projet de résolution)
Nous nous félicitons que le Parlement européen réaffirme que le respect des droits de l'Homme, y compris " la résolution du dramatique problème des disparitions et l'élimination de toutes les formes d'impunité, est un élément essentiel de l'accord d'association ". A cette fin, l'article 3 devrait être amendé en vue d'appeler les autorités algériennes à établir une commission d'enquête indépendante et impartiale pour enquêter sur les milliers d'assassinats, de " disparitions ", de cas de torture et autres violations des droits de l'Homme perpétrées depuis 1992 par les forces de sécurité, des milices gouvernementales armées et d'autres groupes armés. Le Parlement européen devrait également appeler les autorités algériennes à rendre public les méthodes, découvertes et conclusions de toutes les enquêtes prétendument menées, à préciser quelles mesures complémentaires ont été prises en conséquence, et enfin, à traduire en justice toute personne raisonnablement suspectée d'être responsable de violations des droits de l'Homme dans le respect des normes internationales de procès équitable.

Encore une fois, à la lumière des déclarations faites le 9 septembre par le Ministre des Affaires Etrangères Belkhadem devant le Comité des Affaires Etrangères, prétendant que des cas de " disparitions " faisaient l'objet d'un examen par le Ministère de la Justice, que l'Algérie avait créé un bureau chargé des " disparitions ", et que les résultats de l'enquête en cours seraient transmis au Président, nous souhaitons vous rappeler que :

  • Les autorités algériennes ont jusqu'à présent négligé d'entreprendre les enquêtes exhaustives, indépendantes et impartiales nécessaires afin de s'attaquer au problème. Les " clarifications " qu'elles donnent se basent en général seulement sur les réponses inadéquates fournies par les forces de sécurité impliquées dans les disparitions.

  • Les autorités algériennes ont également négligé de mettre en oeuvre les recommandations clés faites en août 1998 par le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies, explicitant comment l'Algérie devrait s'attaquer au problème des " disparitions ".

  • Les bureaux qui ont été établis à travers le pays pour recevoir les plaintes de " disparitions " n'ont produit que de faibles, voire aucun, résultats tangibles pour les familles de " disparus ". Ces bureaux sont par leur nature même source de problèmes, puisque sur le plan administratif, ils font partie du Ministère de l'Intérieur, alors que les forces armées de cette institution sont soupçonnées d'avoir enlevé nombre des personnes signalées comme ayant " disparues ".
5) Mettre fin à l'Etat d'urgence (Article 4 du projet de résolution)
Nous vous appelons à soutenir l'article 4 qui demande la levée de l'Etat d'urgence. Nous encourageons le PE à presser les autorités algériennes à réviser la législation adoptée à la suite de la proclamation de l'Etat d'urgence, afin de la rendre conforme aux normes internationales des droits de l'Homme. Après que l'Etat d'urgence ait été proclamé en 1992, un décret " anti-terroriste " avait été publié en septembre 1992 qui, entre autres choses, prolongeait la durée limite pendant laquelle les forces de sécurité pouvaient détenir des suspects en garde à vue avant qu'ils ne comparaissent devant un juge, la faisant passer d'un maximum de deux à douze jours.

La législation adoptée en 1995 a introduit dans le Code pénal et le Code de procédure pénale un grand nombre des dispositions inacceptables de ce décret " anti-terroriste ", transformant ainsi un décret d'urgence en législation permanente. Ces amendements, ainsi que d'autres par la suite, ont eu un profond retentissement sur la situation des droits de l'Homme en Algérie.

6) Lutter contre le " terrorisme " dans le respect des droits de l'Homme (Article 10 du projet de résolution)
Nous nous félicitons que le Parlement insiste sur le fait que des mesures prises pour lutter contre le " terrorisme " doivent se conformer aux principes fondamentaux des droits de l'Homme. Dans ce contexte, le Parlement européen devrait demander au Conseil et à la Commission de prendre des actions immédiates afin d'assurer que des mesures prises dans le cadre du " contre-terrorisme " en Algérie respectent les normes internationales de droits de l'Homme, comme le requiert le texte de l'Accord d'association.

Le PE devrait s'engager à assurer que toute coopération de l'Union européenne avec l'Algérie en matière de lutte contre le " terrorisme " se fasse dans le respect des normes de droits de l'Homme reconnues internationalement, et demander au Conseil et à la Commission de garder la même vigilance.

7) Aborder la crise en cours en Kabylie (Article 17 du projet de résolution)
A la suite de la mort d'une centaine de civils non armés tués depuis avril 2001 lors de manifestations et de troubles, notamment en Kabylie, le Parlement européen devrait demander explicitement aux autorités algériennes de garantir la tenue d'enquêtes rapides, exhaustives et indépendantes sur toutes les violations du droit à la vie, ainsi que la poursuite en justice de tous les criminels présumés dans le respect des normes internationales de procès équitable.

Nous nous félicitons que le Parlement européen ait l'intention de peser d'un plus grand poids dans les relations UE-Algérie à venir. Une résolution politique forte constitue une première étape importante dans ce processus. Nous pensons également que la proposition de renforcer le langage du projet de résolution servira de base à un contrôle parlementaire effectif de l'application de l'article 2 par le Conseil et la Commission.

Depuis l'entrée en vigueur en 1998 du premier Accord d'association euro-méditerranéen de l'UE, il est devenu clair que les nobles sentiments exprimés dans l'article 2 exigent des références explicites et des mécanismes d'évaluation, s'ils veulent faire l'objet d'une mise en oeuvre significative. En approuvant les mesures proposées ci-dessus, le Parlement européen montrera son engagement à atteindre cet objectif, non seulement par rapport à l'Algérie, mais par rapport à tous ses partenaires méditerranéens.

Nous vous prions d'agréer, Madame la députée, Monsieur le député, l'expression de nos salutations distinguées.

Dick Oosting
Directeur
Bureau UE d'Amnesty International

Marc Schade-Poulsen
Directeur exécutif
Réseau euro-méditerranéen des droits de l'Homme

Driss El-Yazami
Secrétaire Général
FIDH (Fédération Internationale des droits de l'Homme)

Hanny Megally
Directeur exécutif, Bureau Moyen-Orient et Afrique du Nord
Human Rights Watch