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Union africaine : Le Sénégal consent à juger Hissène Habré

Dakar doit agir rapidement pour traduire en justice l’ex- dictateur tchadien

(Banjul, Gambie, 2 juillet 2006) – La décision du Sénégal de juger Hissène Habré, en réponse à la demande formulée aujourd’hui par l’Union africaine, marque un tournant décisif dans la longue campagne visant à traduire en justice l’ancien dictateur du Tchad.

« C’est un grand jour pour la Justice en Afrique. Les chefs d’Etat du continent ont aujourd’hui témoigné leur volonté commune de ne permettre à aucun individu, même un ancien Président, de se dérober à la loi »
Reed Brody de Human Rights Watch
  

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« C’est un grand jour pour la Justice en Afrique. Les chefs d’Etat du continent ont aujourd’hui témoigné leur volonté commune de ne permettre à aucun individu, même un ancien Président, de se dérober à la loi », a déclaré Reed Brody de Human Rights Watch. « Le Sénégal doit maintenant agir rapidement et prendre les mesures nécessaires pour permettre le jugement de Habré et l’utilisation des conclusions des années d’enquête qui ont été conduites. »  
 
Hissène Habré, qui s’était réfugié au Sénégal en 1990, après huit années au pouvoir marquées par de graves violations des droits de l’homme, a été inculpé au Sénégal en 2000 pour torture et crimes contre l’humanité. La justice sénégalaise s’est pourtant, par la suite, déclarée incompétente pour le juger. Ses victimes se sont alors tournées vers la Belgique, laquelle, après quatre années d’enquête préliminaire, a inculpé Habré en septembre 2005 et a demandé au Sénégal son extradition. Après que la justice sénégalaise se soit reconnue une nouvelle fois incompétente, cette fois-ci pour statuer sur la demande d’extradition, les autorités sénégalaises ont saisi l'Union africaine pour déterminer la juridiction compétente pour juger Habré. Sur la base des conclusions du groupe d’experts juridiques, l’Union africaine a demandé aujourd’hui au Sénégal de revenir sur sa position et de juger l’ancien homme fort de N’Djaména. Le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a déclaré que le Sénégal avait accepté cette demande formulée par l’Union africaine.  
 
Les victimes de Hissène Habré, et ceux qui les soutiennent, ont accueilli avec joie cette nouvelle mais ont néanmoins appelé le Sénégal à agir rapidement. Ils ont averti ce dernier que si ce dossier piétinait, ils n’hésiteraient pas à utiliser d’autres voies de recours.  
 
«Après avoir combattu sans relâche pendant 16 années, le Sénégal soutenu par toute l’Afrique semble enfin disposé à nous rendre justice », a déclaré Ismaël Hachim Abdallah, le Président de l’Association des Victimes des Crimes et de la Répression Politique au Tchad. « Mais le temps nous est compté, beaucoup des survivants des geôles de Habré sont depuis décédés, et nous ne pouvons pas attendre indéfiniment. Le Sénégal nous a déjà fait faux bond deux fois, nous restons donc sur nos gardes. »  
 
En demandant au Sénégal de se saisir du dossier, les chefs d’Etat africains ont évoqué les engagements du Sénégal aux termes de la Convention des Nations Unies contre la torture de 1984 obligeant un Etat membre soit à juger soit à extrader les présumés tortionnaires qui se trouvent sur son territoire. En mai dernier, le Comité des Nations Unies contre la Torture a condamné le Sénégal pour avoir failli à son obligation de traduire Hissène Habré en justice et a demandé à l’Etat partie à la Convention de garantir le procès ou l’extradition de l’ancien dictateur tchadien. De son côté, la Belgique a averti que, si le Sénégal ne se conformait pas à ses engagements internationaux, elle chercherait une décision contraignante auprès de la Cour internationale de Justice.  
 
Le groupe d’experts juridiques de l’Union africaine a appelé le Sénégal à prendre les mesures législatives préalables visant à étendre la compétence des tribunaux sénégalais pour couvrir les crimes dont Habré est accusé. Le Comité des Nations Unies contre la torture avait formulé le mois dernier une demande analogue.  
 
Human Rights Watch a, par ailleurs, déclaré que pour prévenir tout délai supplémentaire, le Sénégal devait procéder aux arrangements nécessaires lui permettant d’utiliser les conclusions de l’enquête préliminaire de la Belgique, y compris les procès-verbaux d’interrogatoire, les dépositions des témoins, et les milliers de documents découverts au sein de l’ancien quartier général de la police politique de Hissène Habré.  
 
L’avocate des victimes tchadiennes a salué le rôle de la Belgique dans cette affaire et l’a appelé à rester attentive quant à l'évolution de ce dossier.  
 
« La justice belge a fait naître un réel espoir de justice pour les victimes et a contraint le Sénégal à agir », a déclaré Jacqueline Moudeina, Présidente de l’Association pour la Promotion et la Défense des Droits de l’Homme. « Nous espérons que la Belgique restera vigilante et disposée à porter le cas devant la Cour internationale de Justice si le Sénégal ne respectait pas sa parole. »  
 
 
Rappel des faits  
 
Hissène Habré a dirigé le Tchad de 1982 à 1990, date à laquelle il a été renversé par l’actuel président Idriss Déby Itno avant de fuir au Sénégal. Son régime à parti unique a été marqué par de graves violations des droits de l’homme. Le gouvernement d’Hissène Habré prenait régulièrement pour cible des groupes ethniques, procédant à des homicides et des arrestations massifs parmi les membres de ces groupes lorsqu’il considérait que leurs dirigeants constituaient une menace. Les archives de la police politique d’Hissène Habré, la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), découvertes par Human Rights Watch en 2001, révèlent les noms d'au moins 1,208 personnes mortes en détention. Les noms de plus de 12,321 victimes d'abus de toute sorte y sont par ailleurs mentionnés. Sur la base de ces documents, il a été également établi que Hissène Habré a reçu 1,265 communications directes de la DDS concernant le statut de 898 détenus.  
 
En février 2000, un tribunal sénégalais a inculpé Hissène Habré de torture et de crimes contre l’humanité et l’a placé en résidence surveillée. Mais en mars 2001, la Cour de Cassation du Sénégal a statué qu’Hissène Habré ne pouvait pas être jugé pour des crimes qui auraient été commis ailleurs. Les victimes d’Hissène Habré ont alors annoncé qu’elles demanderaient qu’il soit extradé vers la Belgique où 21 d’entre elles avaient déjà intenté une action en justice. Le président du Sénégal, Abdoulaye Wade, a ensuite annoncé qu’il garderait Hissène Habré au Sénégal, ajoutant : « Si un pays, capable d'organiser un procès équitable – on parle de la Belgique – le veut, je n'y verrai aucun obstacle. Mais qu'il fasse vite. Je ne tiens pas à garder Hissène Habré au Sénégal ».  
 
En septembre dernier, après quatre années d’enquête, le juge d’instruction belge en charge du dossier a lancé un mandat d’arrêt international contre Hissène Habré pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture. Après l’émission de ce mandat et le dépôt d’une demande d’extradition par la Belgique, les autorités sénégalaises ont arrêté Hissène Habré le 15 novembre. La justice sénégalaise ayant refusé de se prononcer sur la demande d’extradition, les autorités ont annoncé qu’elles avaient demandé à l’Assemblée de l’Union africaine réunie en janvier 2006 de faire une recommandation sur la « juridiction compétente » pour juger Hissène Habré. L’Assemblée a chargé un Comité d’éminents juristes africains d’examiner les différentes options disponibles pour le jugement d’Hissène Habré et de faire connaître ses conclusions lors du Sommet de l’Union africaine de juillet 2006.  

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