Africa - West

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    VIII. ABUS COMMIS PAR LES GARDIENS DE LA PAIX

Meurtres de civils

Les Gardiens de la Paix ont violé le droit humanitaire international de la façon la plus grave et la plus généralisée possible, lors des opérations de déplacements des habitants des campagnes vers des sites de regroupements. Selon un gardien,

On a passé beaucoup de temps à chercher des gens qui n'étaient pas allés dans les camps comme on leur avait dit de le faire. On a tué quiconque n'était pas dans les camps. On a tué beaucoup de gens, on l'a tous fait, comme les militaires. On a tué la plupart avec des fusils, d'autres avec des machettes, des baïonnettes et même de vieilles binettes.46

Un gardien a raconté que certains des pires massacres de civils ont eu lieu dans la commune de Buyengero, estimant que des centaines de civils étaient morts là bas. "Les soldats et les Gardiens de la Paix ont tué beaucoup de gens", a-t-il raconté, "tous n'étaient pas des rebelles, mais des civils aussi, on a tué des femmes et des enfants." Il a dit que dans certains cas, les gardiens avaient décidé de ramener les femmes et les enfants dans les sites de regroupments au lieu de les tuer mais il n'a pas expliqué pourquoi ils avaient pris une telle décision. Il a décrit certaines personnes qu'ils avaient traquées comme presque blanches de peau, leur peau étant très décolorée par la malnutrition endurée pendant les mois passés à se cacher. A la question des enquêteurs de Human Rights Watch de savoir si des soldats avaient été témoins de meurtres de civils, il a confirmé que tel avait bien été le cas. A la question suivante de savoir si des soldats leur avaient rappelé les règles de la guerre enseignées dans certaines des sessions de formation pour les gardiens, il a répondu par la négative. Et il a souri.47

Les gardiens qui refusaient de tuer des civils dans ces circonstances étaient suspectés de sympathie pour les rebelles et pouvaient être sévèrement punis, parfois même tués. Selon un gardien, "si vous refusiez de tuer des gens parce qu'il s'agissait de civils, de femmes et d'enfants, alors c'est vous qui étiez tué." En guise d'exemple, il a fourni des détails convaincants sur le meurtre d'un jeune gardien, exécuté parce qu'il avait refusé d'obéir à l'ordre de tuer sa propre s_ur, mariée à un rebelle et qui avait été trouvée à l'extérieur du site désigné.48

Alors que la présence FDD et l'intensité des combats diminuaient dans la région fin 1998 et 1999, certains gardiens se firent plus indulgents envers les civils trouvés en dehors des sites. Un gardien qui reconnaît avoir permis à des civils de payer une rançon de 5 000 ou 10 000 francs burundais pour échapper à leur sort a raconté qu'il avait suggéré aux autres de faire la même chose. "J'ai dit aux autres gardiens, regardez, ce sont des gens tout comme vous", raconta-t-il. "Il n'y a pas de raison de les tuer. Faites les plutôt payer et ramenez les dans les camps."49 La rançon était d'ordinaire exigée des hommes seulement parce qu'il est connu que les femmes et les enfants n'avaient pas de liquide pour se plier à une telle exigence. Certains soldats étaient au courant du paiement de ces rançons. Ils ont ramassé leur part de liquide et n'ont pas pris d'autres mesures.

Des gardiens auraient aussi tué des civils lors de vols ou d'extorsions de biens. Deux gardiens auraient battu à mort un vieil homme dans la commune de Musongati, province de Rutana parce qu'il refusait de leur donner de l'argent. Dans un incident similaire dans la zone de Gatete, commune de Rumonge, deux gardiens auraient tiré sur un homme d'âge moyen nommé Pamphile Barayunguye parce qu'il avait refusé de leur remettre son argent. Le 3 août, trois gardiens ont tiré sur un marchand de poisson nommé Nzeyimana et l'ont tué, sur la route principale entre la rive du lac et le centre de Bururi, apparemment afin de lui voler ses poissons et son matériel.50 D'autres personnes sont mortes après avoir reçu des coups lors de détentions pour des infractions mineures supposées. Le 12 juin 2001, des gardiens de la zone Minago, commune de Rumonge, ont arrêté un jeune de dix-sept ans, nommé Bihawe parce qu'il avait participé à une rixe, au marché avec une autre personne. Ils l'ont retenu prisonnier dans un lieu de détention, proche du marché où ils lui ont donné des coups de pied répétés et l'ont battu avec des bâtons et des ceintures. Ils l'ont relâché le 15 juin et il est décédé de ses blessures le lendemain.

Viols

Un gardien a affirmé que nombre de ses collègues avaient violé des femmes. Il a affirmé que ces actes ne s'étaient pas produits au cours d'opérations militaires mais plutôt lorsqu'ils étaient soit en service, soit au repos dans les camps de regroupement. Il expliqua ainsi :

On tombait sur les femmes dans les sites et on les menaçait de les dénoncer pour une infraction quelconque. On avait des fusils et c'était notre parole contre la leur. Elles ne pouvaient rien faire d'autre qu'obéir.51

Des gardiens ainsi que des soldats auraient violé des femmes surprises sur des chemins alors qu'elles allaient chercher de l'eau en dehors des sites.52

Vols et extorsion de biens

Plusieurs gardiens ont admis qu'eux-mêmes ou leurs camarades utilisaient des armes ou des grenades pour voler ou extorquer des biens aux gens qu'ils étaient supposés protéger. Un gardien a déclaré, "On volait et on pillait les maisons et ainsi, on rentrait et on avait quelque chose à manger. Beaucoup parmi nous aimaient fumer et comme ça, on avait de l'argent pour acheter des cigarettes.53 Un autre a indiqué qu'ils se sentaient autorisés à prendre ce dont ils avaient besoin parce qu'ils n'étaient pas payés. Cette absence de salaire explique pourquoi "il y a beaucoup de vols et de pillages dans la région."54 L'un d'entre eux a brutalement déclaré, "On est pauvre, on a besoin d'argent alors on vole et on extorque de l'argent."55

Un observateur qui a étudié comment les gardiens opéraient dans plusieurs régions du Burundi a fait le commentaire suivant :

Les gens eux-mêmes détestent les gardiens parce que ceux-ci les volent. Les gardiens collectent des impôts informels auprès des gens qui passent sur la route, disons 100 francs burundais, un peu de manioc, un poisson, du riz. Personne ne peut refuser parce qu'ils ont des fusils... Ils n'ont pas grand chose à faire et ils parviennent à prendre ce qu'ils veulent. Beaucoup d'entre eux étaient sans travail. Maintenant, ils ne travaillent que de temps en temps, ils ont le prestige et la nourriture gratuite.56

Dans un cas précis, trois gardiens auraient lancé une grenade dans une maison pour faire fuir les habitants et pouvoir ainsi piller le lieu. Une femme fut sérieusement brûlée dans cette attaque. Dans un autre cas, trois gardiens de Gatumba, en bordure de Bujumbura, ont fait des incursions répétées de l'autre côté de la frontière, en République Démocratique du Congo où ils ont commis des vols à main armée. Des gardiens se sont régulièrement appropriés du poisson pris à des pêcheurs du bord du lac ou différents biens volés à des femmes qui vendaient au marché. Ils ont collecté l'argent de voyageurs le long des routes sous prétexte que leurs papiers n'étaient pas en ordre. A partir de 2000, les autorités ont fermé la plupart des camps de regroupement au Burundi mais au cours de l'année 2001, certains habitants de Bururi n'avaient toujours pas le droit de travailler dans leurs champs dans certains coins, soit disant parce que ceux-ci n'étaient pas sûrs. Les gardiens qui ont trouvé des résidents dans les zones officiellement fermées à toute activité normale leur ont fait payer le droit de retourner dans le camp.57

Selon un gardien d'une région où les combats sont moins fréquents qu'auparavant, les gardiens volent maintenant davantage parce qu'ils ont moins de choses à faire pour les maintenir occupés.58

Certains gardiens ont affirmé que des soldats ont également volé et extorqué des biens aux civils et ont parfois utilisé les gardiens pour mener à bien ces tâches à leur profit. Par exemple, l'un d'entre eux a déclaré, "Ils nous donnaient l'ordre d'enlever des morceaux de toit en tôle [des maisons inoccupées] et de les rassembler. Ensuite ils les vendaient pour de l'argent."59 Dans certains cas, les soldats ont ordonné aux gardiens de récolter les noix des palmiers à huile des champs riches et temporairement abandonnés de Rumonge. Ils ont ensuite fait presser les noix et ont vendu l'huile.60 Des gardiens et certains militaires travaillant ensemble étaient soupçonnés d'avoir organisé plusieurs embuscades le long des routes du sud du Burundi. Dans un incident, un tel groupe aurait ordonné à un camion pickup transportant du poisson et d'autres marchandises de s'arrêter sur la route qui conduit à Bururi. Lorsque le chauffeur a continué sans s'arrêter, les gardiens ont ouvert le feu. Le chauffeur et son passager ont pris la fuite, indemnes et les gardiens et les soldats ont confisqué toute la marchandise. Lorsque le commandant militaire local a eu connaissance de cette attaque, il a fait arrêter les gardiens mais les soldats ont pu continuer à vendre la marchandise volée, apparemment sans être inquiétés.61

46 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001. Une binette usagée, appelée agafuni, a été fréquemment utilisée comme arme dans cette région au cours des dernières années. Peu coûteuse et facilement disponible dans une société agricole, une vieille binette permet de tuer en administrant un coup sur la tête.

47 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

48 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

49 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

50 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bujumbura, 29 septembre et 4 octobre 2000 ; 6 juillet, 30 et 31 août 2001.

51 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

52 Entretien conduit par Human Rights Watch, juillet 2001 ; Human Rights Watch, "Vider les collines : camps de regroupement au Burundi", pp. 18-19.

53 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

54 Entretien conduit par Human Rights Watch, Bururi, 18 août 2000.

55 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

56 Entretien conduit par Human Rights Watch, juillet 2001.

57 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bururi, 18 août 2000 ; Bujumbura, 28 août et 17 octobre 2000 ; juin et juillet 2001.

58 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

59 Entretien conduit par Human Rights Watch, juin 2001.

60 Entretiens conduits par Human Rights Watch, Bururi, 18 août 2000 ; juin 2001.

61 Entretien conduit par Human Rights Watch, juillet 2001.

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