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Tunisie : Une avancée marquante pour les droits des personnes détenues

Les garanties intégrées dans le Code de procédure pénale devraient cependant être renforcées

(Tunis, le 4 février 2016) – Le parlement tunisien a réalisé une avancée importante pour les droits humains en approuvant les modifications proposées aux droits des détenus, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Des dispositions accordant aux suspects le droit à un avocat dès le début de la détention, et visant à raccourcir la durée maximum de la détention avant l’inculpation sont inclues dans une révision du Code de procédure pénale (CPP) adoptée par le parlement le 2 février.

Les législateurs devraient adopter une loi permettant la mise en œuvre de ces dispositions afin de renforcer ces garanties en réduisant la large latitude laissée à la police pour placer une personne en état d’arrestation, et en renforçant le droit d’un détenu à demander un examen médical, comme garantie contre les mauvais traitements. Les législateurs devraient garantir que toute personne détenue soit présentée devant un juge sans délai – dans les 48 heures en principe – et qu’elle bénéficie d’un accès sans délai à un avocat. Personne ne devrait se voir refuser l’accès à un avocat en raison de la catégorie de l’infraction alléguée pour laquelle elle fait l’objet d’une enquête.

Un homme incarcéré dans le centre de détention de Sfax, en Tunisie, s'agrippe aux barreaux de sa cellule, le 26 septembre 2013. © 2013 Human Rights Watch


« La nouvelle loi a le potentiel de combler des lacunes qui ont conduit à des abus généralisés sous la présidence de Zine el-Abidine Ben Ali », a déclaré Amna Guellali, directrice pour la Tunisie à Human Rights Watch. « Étant donné cet historique, et la persistance des abus dans les cinq années écoulées depuis le départ de Ben Ali, la Tunisie a besoin de garanties plus fortes afin de s’assurer que les arrestations ne sont pas arbitraires et que les mauvais traitements aux mains de la police sont détectées et punies. »

La loi ramène à 48 heures la durée maximum de la détention avant l’inculpation pour certains crimes, durée renouvelable une fois sur un ordre du procureur et pour un maximum de quatre jours. Pour des délits mineurs, la durée maximum est de 24 heures, renouvelable une fois. Si cela réduirait la limite actuelle qui est de trois jours, renouvelable une fois pour les délits mineurs comme pour les infractions graves, cette durée est toujours plus longue que les normes internationales émergentes, qui exigent qu’un examen judiciaire soit effectué dans les 48 heures de la détention.

Selon le droit tunisien actuel, les personnes qui sont arrêtées n’ont aucun droit de consulter un avocat avant leur première comparution devant un juge d’instruction, qui selon la loi a lieu au plus tard six jours après que les personnes sont placées en détention. En pratique, pendant ce temps, la plupart des suspects ont signé, sans la présence d’un avocat, une déposition de police qui pourrait être utilisée contre eux pendant le procès.

La nouvelle loi comporte une disposition innovante qui donne à la personne détenue ou à un membre de sa famille le droit de demander l’assistance d’un avocat pendant la détention avant l’inculpation. Quand la police recevra cette demande, elle devra informer l’avocat des accusations portées contre son client et du moment où elle interrogera la personne. La police devra notifier l’avocat de tous les interrogatoires et de toutes les confrontations entre la personne accusée et les témoins ou les victimes de l’infraction alléguée et permettre à l’avocat d’être présent, sauf si la personne accusée décide « explicitement » de ne pas invoquer le droit à un avocat ou bien si l’avocat n’arrive pas à temps.

Si le détenu n’a pas d’avocat, la loi prévoit que la police doit informer l’ordre national des avocats, qui lui attribuera un avocat choisi dans une liste d’avocats bénévoles. La personne détenue pourra rencontrer un avocat en privé à sa demande jusqu’à une durée de 30 minutes. Le projet de loi donnera un procureur un plus grand contrôle des décisions de détention prises par la police, en exigeant de la police judiciaire l’obtention de son accord préalable pour une arrestation. Selon le CPP actuel, la police doit seulement notifier le procureur d’une décision de procéder à l’arrestation.

La nouvelle loi exige que la police judiciaire ou le procureur appelle un médecin sans délai lorsque la personne détenue, ou son avocat, sa famille, ou toute personne de son choix, en fait la demande. La loi actuelle indique que la police doit informer le détenu de son droit à voir un médecin sans obligation pour elle de donner suite à une demande.

La nouvelle loi prévoit l’invalidation de la procédure au tribunal si la police judiciaire a enfreint les exigences du CPP.

La nouvelle loi transfère la supervision de la police judiciaire du ministère de l’Intérieur au ministère de la Justice, par le bureau du procureur. Toutefois, cela ne garantit pas l’indépendance du bureau du procureur ni ne protège les procureurs eux-mêmes contre les ingérences dans leurs affaires de la part du ministre de la Justice ou d’autres membres de l’exécutif.

La nouvelle loi comporte plusieurs lacunes. Les autorités tunisiennes devaient adopter la législation d’application qui pourrait combler les failles restantes.

La législation d’application devrait clarifier le fait que la détention commence au moment de l’arrestation, afin d’anticiper des interprétations alternatives qui retarderaient l’accès d’une personne détenue à un avocat et sa présentation devant un juge.

La nouvelle législation devrait encore renforcer le droit à un examen médical en exigeant qu’il soit effectué par un médecin formé en médecine légale et sans être entendus par la police ni par les autorités pénitentiaires. La législation devrait exiger que l’examen donne lieu à un rapport écrit par le médecin sur un formulaire qui indique l’heure, le lieu et la nature de l’examen, ainsi que la description d’éventuelles blessures, en accord avec les normes internationales pour ce type de rapports, et que l’on peut trouver dans le Manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants (« le Protocole d’Istanbul »), et qu’il soit mis à la disposition de la personne détenue. Celle-ci ou bien son avocat devrait pouvoir demander un second examen effectué par un médecin choisi par le détenu.

La législation d’application devrait également établir un degré de suspicion exigé pour mettre une personne en arrestation qui soit conforme aux normes internationales. L’actuel CPP n’exige pas un niveau spécifique de suspicion de commission d’un crime pour que la police procède légalement à une fouille et à une arrestation. Human Rights Watch a documenté la façon dont la police tunisienne arrête fréquemment des personnes sans suspicion raisonnable d’action criminelle.

La législation d’application devrait également spécifier que les personnes détenues devraient être présentées devant un juge pour examiner la légalité de leur détention dans les 48 suivant le début de leur détention, en accord avec les normes internationales.

En outre, des amendements législatifs de dernière minute à la loi ont donné au juge d’instruction et au procureur l’autorité de retarder l’accès à un avocat pendant 48 heures à partir du début de la détention dans les affaires où la personne détenue est accusée de crimes de terrorisme.

Si dans des cas exceptionnels, il peut exister des motifs légitimes de retarder pendant un certain temps l’accès d’une personne détenue à un avocat particulier, les autorités ne devraient pas avoir le pouvoir discrétionnaire de refuser à un détenu tout accès à une assistance juridique sur la base de l’infraction alléguée. Comme mentionné par le Comité européen pour la prévention de la torture, la « question de savoir si les restrictions au droit à l’accès à un avocat sont justifiées devrait être évaluée au cas par cas, et ne pas dépendre de la catégorie d’infraction concernée. » En outre, le Rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la lutte antiterroriste a indiqué dans son rapport de 2008 que « Le retard ou déni d'assistance juridique pour des raisons de sécurité ne doit pas être permanent; ne doit pas entraver la capacité de la personne d'assurer sa défense ; et, dans le cas d'une personne placée en détention, ne doit pas créer une situation où cette personne est de facto gardée au secret. »

Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), auquel la Tunisie est un État partie, en son article 9, exige que l’examen judiciaire de la détention soit effectué « sans délai ». Pareillement, les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique stipulent que toute personne détenue a le droit d’obtenir une révision judiciaire rapide de la décision de son placement en détention.

Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies, qui interprète le pacte international, a jugé que « 48 heures sont ordinairement suffisantes pour transporter la personne et pour préparer l’audience judiciaire ; tout délai supérieur à 48 heures devrait être justifié par des circonstances exceptionnelles. » Le comité a tout récemment jugé que la durée d’une détention avant inculpation sans contrôle judiciaire ne devait pas dépasser 48 heures, non renouvelables, et a affirmé que tout délai supérieur à 48 heures devait demeurer absolument exceptionnel et être justifié par les circonstances.

L’Ensemble de principes pour la protection de toutes les personnes soumises à une forme quelconque de détention ou d'emprisonnement , adopté par l’Assemblée générale de l’ONU en 1988, stipule que : « Toute personne détenue ou emprisonnée se verra offrir un examen médical approprié dans un délai aussi bref que possible après son entrée dans le lieu de détention ou d'emprisonnement ; par la suite, elle bénéficiera de soins et traitements médicaux chaque fois que le besoin s'en fera sentir. » En outre, cet ensemble de principes stipule que : « Toute personne détenue ou emprisonnée ou son conseil a, sous la seule réserve des conditions raisonnablement nécessaires pour assurer la sécurité et le maintien de l'ordre dans le lieu de détention ou d'emprisonnement, le droit de demander à une autorité judiciaire ou autre un deuxième examen médical ou une deuxième opinion médicale. »

Le Sous-comité de l’ONU pour la prévention de la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants recommande que « tout examen médical de routine [soit] effectué en utilisant un formulaire standard qui comprenne (a) les antécédents médicaux (b) un récit par la personne examinée de toute violence (c) le résultat de l’examen physique approfondi, y compris une description de toute blessure .... Le rapport médical devrait, à la demande de la personne détenue, être mis à sa disposition ou à celle de son avocat. »

Le PIDCP interdit l’arrestation ou la détention arbitraire. Les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique stipulent également que les États doivent garantir que personne ne soit victime d’une arrestation ou d’une détention arbitraire, et que « les mesures d’arrestation, de détention et d’emprisonnement soient appliquées … en exécution d’un mandat délivré sur la base d’une suspicion raisonnable ou pour une cause probable », ainsi que le prévoient les Directives et principes sur le droit à un procès équitable et à l’assistance judiciaire en Afrique.

Ces Directives stipulent que : « Toute personne arrêtée ou détenue a le droit de consulter, dans le plus court délai, un avocat et, sauf dans le cas où la personne aurait renoncé à ce droit par écrit, elle ne sera pas contrainte de répondre à la moindre question ou de participer au moindre interrogatoire en l’absence de son avocat. »

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Babnet 05.02.16

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