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Yémen : Frappe illégale menée par la coalition avec un missile britannique

Le Royaume-Uni devrait cesser de vendre des munitions air-sol à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite

(Londres, le 25 novembre 2015) - La coalition menée par l’Arabie saoudite a utilisé un missile de croisière fabriqué au Royaume-Uni pour détruire une usine de céramique – un bâtiment de caractère civil –au Yémen le 23 septembre, ont déclaré aujourd’hui Amnesty International et Human Rights Watch. Les deux organisations ont mené des recherches au Yémen et recueilli des témoignages auprès de témoins sur place.   

L’attaque contre cette usine du gouvernorat de Sanaa, qui ne produisait apparemment que des biens à caractère civil, a tué une personne et semble avoir constitué une violation du droit international humanitaire (DIH), qui codifie les lois de la guerre.   

Cette frappe, qui a utilisé un missile britannique fourni dans les années 90, est en contradiction avec les affirmations de ministres selon lesquelles l’utilisation d’équipements militaires britanniques par la coalition est conforme au droit international humanitaire, et que le Royaume-Uni surveille « de très près » le respect des règles en la matière. À la connaissance d’Amnesty International et Human Rights Watch, la coalition n’a ouvert aucune enquête crédible sur cette attaque ni sur d’autres frappes aériennes apparemment illégales afin de déterminer si des violations du droit international humanitaire ont été commises.  

« Le secrétaire d’État britannique aux Affaires étrangères, Philip Hammond se dit en faveur de véritables enquêtes sur les atteintes potentielles aux lois de la guerre au Yémen. Cette frappe nous fournit un exemple type - le Royaume-Uni doit exhorter de toute urgence la coalition dirigée par l’Arabie saoudite à ouvrir une enquête crédible sur cette attaque, ainsi que sur toutes celles qui semblent avoir enfreint les lois de la guerre », a déclaré Lama Fakih, conseillère senior sur les situations de crise à Amnesty International.

« Ces dernières révélations montrent que la politique britannique n’est ni transparent ni efficace. Malgré de nombreux cas avérés de violations des lois de la guerre par la coalition du Golfe au Yémen, les ministres britanniques continuent de refuser de reconnaître ces faits. Le Royaume-Uni devrait suspendre les ventes de munitions aériennes aux membres de la coalition, dans l'attente des résultats d'une enquête approfondie concernant cette attaque ainsi que d'autres frappes aériennes apparemment illégales », a ajouté David Mepham, directeur au Royaume-Uni au sein de Human Rights Watch.

Analyse de fragments d'armes

Amnesty International et Human Rights Watch ont examiné les restes retrouvés sur le site de l’attaque du 23 septembre, et ont identifié la munition utilisée, un missile de croisière PGM-500 « Hakim » à lanceur aérien, acquis vers le milieu des années 90 et fabriqué par l’entreprise britannique Marconi Dynamics. L’analyse s’est appuyée sur une comparaison entre les fragments photographiés sur le site de l’attaque et des restes non explosés du même type de missile, utilisé lors d’une frappe distincte, et a permis de conclure qu’ils correspondaient au déploiement d’un PGM-500 « Hakim » aéroporté. L’autre frappe enregistrée ayant utilisé ce type de missile de croisière s’est abattue sur un champ le 4 ou le 5 novembre à Sahar, dans le gouvernorat de Sada (nord du Yémen), et n’a, à la connaissance des organisations, fait aucune victime.  

Les inscriptions de l’entreprise Marconi sont clairement visibles sur un composant retrouvé sur le site de la frappe à Sanaa. L’armée de l’air des Émirats arabes unis a à sa disposition des stocks de ce missile, et a la capacité requise pour les tirer depuis des aéronefs Mirage 2000 et F-16F.  

Témoignages concernant la frappe du 23 septembre

Des représentants d’Amnesty International se sont rendus sur le site de la frappe à Sanaa le 6 novembre et ont recueilli, avec Human Rights Watch, les témoignages d’un des propriétaires de l’usine et d’autres personnes ayant assisté aux faits.  

La frappe a eu lieu entre 11 heures et 11 h 30 du matin le 23 septembre dans le village de Matna (zone de Beni Matar), à l’ouest de Sanaa. Les témoins et un des propriétaires de l’usine ont déclaré que quatre missiles ont touché l’usine de céramique Radfan en succession rapide.  

Ibrahim Ghaleb Mohammad al Sawary, fils de l’un des directeurs de l’usine, qui se trouvait à proximité lors de l’attaque, a déclaré à Human Rights Watch :

Je me préparais à prier, adossé au mur de l’usine, lorsque j’ai soudain entendu un sifflement, suivi d’une très forte explosion. Je me suis mis à courir mais moins de deux minutes plus tard, nous avons entendu la deuxième explosion. J’ai vu des gens sortir de chez eux en courant - des enfants, des personnes âgées et des jeunes - tous avaient peur, comme nous, et s’enfuyaient sans savoir où.

Ibrahim Ghaleb Mohammad al Sawary est revenu plus tard à l’usine, d’où s’élevait de la fumée et qui était en ruine, en particulier la section où étaient entreposées les volumineuses machines utilisées pour chauffer et presser les céramiques, qui a été entièrement détruite.  

Un autre homme qui se trouvait aux alentours, Yahya Abd al Karim al Sawary, 28 ans, a été tué par des éclats métalliques alors qu’il fuyait la zone. Un résident ayant demandé à garder l’anonymat a déclaré à Human Rights Watch que la victime travaillait comme gardien dans un centre de détention improvisé dirigé par Ansarullah, l’aile politique des Houthis, un groupe armé chiite zaïdite présent dans le nord du Yémen. Ce site était à l’origine un immeuble gouvernemental connu comme le Centre des familles productives, à environ 140 mètres de l’enceinte de l’usine. Les frappes aériennes n’ont pas touché le centre de détention.   

Ali Ahmad al Faqih, 55 ans, blessé lors de l’attaque, a déclaré qu’il était allé à moto s’assurer de la sécurité de sa famille, qui vit à côté de l’usine, durant une accalmie entre deux frappes - ne se rendant pas compte que l’attaque n’était pas terminée : « J’ai entendu un sifflement et j’ai su qu’une roquette arrivait », a-t-il dit. « Je me suis allongé et j’ai prié à voix haute. J’ai vu mon corps couvert de sang. » Ali Ahmad al Faqih a plus tard été conduit dans un hôpital privé, où on l’a opéré afin de lui retirer des éclats de la poitrine.   

Un autre résident a affirmé à Human Rights Watch qu’un second civil avait été blessé lors de l’attaque. Il s’agit d’Elham Hussein Hussein Taher, une jeune fille de 14 ans qui vivait près de l’usine.

Ghalib Muhammad al Sawary, un des propriétaires de l’usine, a déclaré à Amnesty International que l’usine n’avait jamais été utilisée à des fins militaires. D’autres témoins ont dit à Human Rights Watch qu’il n’y avait aucun combattant ni véhicule militaire dans l’usine ou à proximité au moment de l’attaque.  

Enquête sur le terrain

Lors de son enquête sur le terrain, Amnesty International n’a trouvé aucun élément donnant à penser que l’usine avait été utilisée dans un but militaire. L’organisation a noté que le voisinage immédiat de l’enceinte de l’usine semblait être une zone résidentielle et que l’hôpital du 26 septembre se trouvait à proximité.  

Les frappes ayant touché l’usine ont causé des dégâts mineurs à l’hôpital. Les représentants d’Amnesty International se sont rendus à l’hôpital le 6 novembre, ont observé les dégâts et parlé avec des membres du personnel qui étaient sur place lors de la frappe.  

Les propriétaires de l’usine de céramique, qui a ouvert en 1994, ont déclaré qu’il s’agissait de la seule entreprise de ce type dans le pays et qu’ils employaient environ 330 personnes, pour l’essentiel des résidents du village de Matna. Les propriétaires ont cependant ajouté qu’ils ont été contraints à suspendre leur activité en avril 2015, pour la sécurité du personnel et à cause des difficultés d’obtention de carburant pour faire fonctionner les machines.   

Le droit international humanitaire interdit les attaques délibérées contre les civils ne prenant pas directement part aux hostilités et contre les biens civils, ainsi que les attaques qui ne font pas la distinction entre des civils ou des biens de caractère civil et des combattants ou des objectifs militaires, ou qui causent des dommages disproportionnés aux civils ou biens de caractère civil par rapport à l’avantage militaire direct attendu. Ce type d’attaques constituent de graves violations du droit international humanitaire et peuvent constituer des crimes de guerre si elles sont commises dans un but criminel.  

Tous les pays ont le devoir, en vertu du droit international, de contrôler le transfert d’armes et de restreindre ou interdire leur commerce dans certaines circonstances. Le Royaume-Uni est partie au Traité sur le commerce des armes (TCA, ou Arms Trade Treaty, ATT), entré en vigueur fin 2014, et a joué un rôle de premier plan dans sa création. En vertu de l’article 6 du traité, les transferts sont interdits quand l'État concerné a connaissance, lors du processus d'autorisation, du fait que les armes en question serviraient à commettre « des attaques dirigées contre des civils ou des biens de caractère civil et protégés comme tels, ou d'autres crimes de guerre tels que définis par les accords internationaux auxquels il est partie ». L’article 7 du TCA exige en outre des États parties qu’ils évaluent s’il existe un risque que les armes exportées puissent être utilisées pour commettre une violation grave des droits humains ou du droit international humanitaire ; si le risque est majeur, il convient de ne pas autoriser l’exportation de ces armes. 

Étant donné qu’il est désormais évident qu’un tel risque existe, le Royaume-Uni et les autres pays fournissant des armes à la coalition dirigée par l’Arabie saoudite doivent suspendre l’ensemble des transferts d’armes quand il existe un risque substantiel qu’elles soient utilisées dans des frappes aériennes illégales au Yémen, notamment les munitions air-sol, ont déclaré Amnesty International et Human Rights Watch.  

Une enquête internationale indépendante devrait être diligentée afin d’examiner les violations imputées à l’ensemble des parties au conflit au Yémen, d’établir les faits et de déterminer qui sont les responsables des violations, dans le but de garantir qu’ils rendent des comptes.

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Autre lien :

Communiqué sur le site d’Amnesty International

 

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