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Burundi : Il faut cesser de harceler les avocats et les journalistes

Les détracteurs du gouvernement s’exposent régulièrement à des arrestations et à des interrogations

(New York, le 11 août 2011) – L’arrestation d’avocats par les autorités burundaises et les campagnes d’intimidation lancées par celles-ci à l’encontre de journalistes sont préoccupantes, ont déclaré Human Rights Watch et le Comité de protection des journalistes(Committee to Protect Journalists) aujourd’hui. Bien que la libération de deux des trois avocats arrêtés mi-juillet 2011 constitue une démarche positive, le gouvernement devrait immédiatement cesser de harceler tant les avocats que les journalistes, ont commenté les deux organisations. La procédure lancée contre l’un des avocats libérés reste en cours, tandis qu’un troisième avocat, également arrêté fin juillet, demeure en détention pour des chefs d’accusation qui semblent porter atteinte au droit international.

 

« Les avocats et les journalistes ne devraient pas avoir à redouter d’être harcelés, voire arrêtés, lorsqu’ils communiquent entre eux », a affirmé Daniel Bekele, directeur de la division Afrique à Human Rights Watch. « Les procureurs burundais devraient imposer le respect de la protection juridique des droits humains et non pas punir les individus qui exercent leurs droits. »

 

Le 15 juillet, un procureur burundais a ordonné l’arrestation d’une avocate, Me Suzanne Bukuru, pour « complicité d’espionnage » après qu’elle avait facilité une entrevue entre ses clients, plaignants dans une affaire de viol, et des journalistes français qui exerçaient leurs activités au Burundi en toute légalité. Me Bukuru a été mise en liberté provisoire le 1er août, la procédure étant toujours en cours.

 

Le 27 juillet, des policiers ont arrêté Me Isidore Rufyikiri, bâtonnier du Burundi, pour « outrage à magistrat » après son intervention lors d’un rassemblement dans la capitale, Bujumbura, en soutien à Me Bukuru. Me Rufyikiri a été relâché le 5 août et les accusations portées contre lui ont été abandonnées.

 

Des membres de l’ordre des avocats du Burundi ont fait grève la dernière semaine de juillet pour montrer leur solidarité avec Me Rufyikiri et Me Bukuru. Cette semaine, environ 70 membres de l’ordre des avocats du Burundi ont entamé un sit-in devant la cour d’appel afin de protester contre la détention d’un autre avocat, Me François Nyamoya, porte-parole du parti d’opposition Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD),arrêté le 29 juillet.

 

Me Nyamoya, qui a été accusé de subornation de témoins dans une affaire d’assassinat remontant à 2003, est également l’avocat d’un journaliste radio, Bob Rugurika, assujetti à plusieurs reprises à des harcèlements de la part du gouvernement. Les accusations portées contre Me Nyamoya s’appuient sur un nouveau code pénal qui n’était pas en vigueur au moment du délit présumé. Ces accusations ont été soumises à une prescription de trois ans pour infractions mineures commises au regard de l’ancien code pénal.

 

La Charte africaine des droits de l’homme et des peuples et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, auquel adhère le Burundi, interdisent strictement l’application rétroactive de sanctions et de délits pénaux.

 

En outre, les autorités ont à maintes reprises soumis des journalistes à des actes d’intimidation suite à la diffusion d’émissions perçues comme critiquant le gouvernement. Ainsi, depuis le 18 juillet, Rugurika, rédacteur en chef de la Radio publique africaine (RPA), a été convoqué quatre fois par le bureau du procureur public de Bujumbura afin de s’expliquer sur la diffusion récente d’émissions consacrées aux développements politiques. Ces harcèlements ont commencé après que la RPA avait diffusé un reportage sur un appel au dialogue lancé par un parti d’opposition et couvert la conférence de presse de la coalition de l’opposition. Un procureur a accusé Rugurika de diffuser « des informations incitant à la désobéissance civile ».

 

Par ailleurs, un reportage de la RPA a révélé que l’un des agents devant faire partie d’un comité chargé de la conception d’un projet de commission vérité et réconciliation était lui-même cité, dans un rapport de l’ONU sur les crimes contre l’humanité publié en 1996, comme étant l’auteur présumé de délits. Après la diffusion de cette émission, le bureau du procureur public a accusé Rugurika de diffuser des propos « incitant à la haine ethnique ».

 

Patrick Mitabaro, rédacteur en chef de la Radio Isanganiro, a également été convoqué formellement par les procureurs afin de s’expliquer sur les informations communiquées sur ses ondes. Le 3 mai, il a été accusé de « diffusion d’informations pouvant porter atteinte à la sécurité de l’État » après la transmission d’un entretien avec un chef de l’opposition en exil mettant en cause un projet de loi du gouvernement selon lequel tous les partis politiques devraient redemander un agrément sous six mois. Le 1er août, Mitabaro a été accusé de « diffusion de propos injurieux à l’égard de la magistrature » après avoir retransmis un entretien avec Me Rufyikiri dans lequel il prétendait que certains juges déshonoraient le système judiciaire à travers leurs actes.

 

Me Rugurika et Me Mitabaro ont été convoqués une nouvelle fois dans le bureau du procureur public le 9 août afin d’y être interrogés.

 

« Il est extrêmement inquiétant qu’au Burundi, des journalistes fassent fréquemment l’objet de harcèlements lorsqu’ils diffusent ou publient des opinions perçues comme critiquant le gouvernement », a commenté Mohamed Keita, coordinateur du plaidoyer pour l’Afrique du Comité de protection des journalistes. « Les innombrables convocations formelles de journalistes devant les autorités judiciaires semblent conçues pour les intimider et les empêcher de faire leur travail légitime. »

 

Informations de fond
Au regard du droit burundais, le président du pays est aussi chef du conseil de la magistrature, ce qui révèle un manque de séparation des pouvoirs entre les deux branches du gouvernement et rend le système judiciaire susceptible à une ingérence politique. En 2009 et 2010, Human Rights Watch a relevé plusieurs cas de juges mutés ou menacés car leurs décisions n’avaient pas été considérées favorables au gouvernement ou au parti au pouvoir.

 

Il s’en est suivi que des journalistes, des avocats et des personnalités de la société civile ont fait l’objet d’une série d’arrestations et de citations à comparaître pour motifs politiques. Bien que le gouvernement ait semblé faire preuve d’un respect accru envers la liberté d’expression en tolérant une manifestation de journalistes au mois d’avril, des agents du gouvernement et de la magistrature tentent en permanence d’intimider des journalistes et des militants de la société civile pour étouffer les critiques et opinions dissidentes publiques et d’affirmer que ceux-ci sont associés à l’opposition politique.

 

Un journaliste, Jean-Claude Kavumbagu, a passé dix mois en prison pour avoir rédigé un article dans lequel il mettait en doute la capacité de l’État à répondre à d’éventuels attentats terroristes. Il a été acquitté du chef d’inculpation initial de trahison mais jugé coupable de « porter atteinte à l’économie nationale », créant ainsi un précédent néfaste étant donné qu’aucun journaliste n’avait jamais été jugé coupable d’un tel délit. Kavumbagu a été libéré en mai.

 

Trois autres journalistes ont été arrêtés à la mi-2010 et détenus pendant de courtes périodes. Me Nyamoya, l’avocat, a été arrêté en septembre 2010 pour « menace à la sécurité de l’État » après avoir demandé au président de congédier certains membres des services de sécurité. Il a été libéré sous caution au bout de trois semaines.

 

Les différentes décisions prises par le système judiciaire dans le cadre d’affaires relatives à des délits contre les détracteurs du gouvernement soulèvent également des interrogations quant à sa neutralité. Par exemple, s’agissant du dossier d’Ernest Manirumva, un militant anti-corruption tué en avril 2009, les procureurs se sont abstenus de donner suite aux recommandations du Bureau fédéral d’investigation selon lesquelles des agents de police et des renseignements haut placés auraient dû être interrogés sur le délit. Un tribunal a maintes fois reporté les audiences relatives à cette affaire sans pour autant fournir de motif satisfaisant.  

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