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Le Sénégal Doit Arrêter L'Ancien Dictateur Tchadien Hissène Habré

Le "Précédent Pinochet" invoqué

(Dakar) - Une coalition d'organisations de défense des droits de l'homme a demandé à un tribunal sénégalais d'ordonner l'arrestation de l'ancien dictateur tchadien Hissène Habré.

Dans une plainte déposée ce mardi à Dakar chez le doyen du juge d'instruction, M. Demba Kandji, au nom de centaines de victimes de torture, d'assassinats politiques et de "disparitions", des organisations sénégalaises, tchadiennes et internationales ont accusé Habré d'avoir commis des crimes contre l'humanité et des actes de torture pendant qu'il était au pouvoir, entre 1982 et 1990. Habré vit au Sénégal depuis décembre 1990, date à laquelle il fut déposé par le président actuel Idriss Deby.

"Hissène Habré est le Pinochet de l'Afrique", a déclaré Reed Brody, Directeur-Adjoint à Human Rights Watch. "En le jugeant, le Sénégal remplit les obligations qui lui incombent en vertu du droit international et contribue à mettre un terme au cercle vicieux de l'impunité qui affecte le continent africain."

La coalition d'organisations a confié à un juge d'instruction de Dakar des documents contenant des informations détaillées sur 97 cas d'assassinat politique, 142 cas de torture et 100 cas de "disparition". Neuf Tchadiens et l'Association des Victimes des Crimes et Répressions Politiques au Tchad (AVCRP), qui représente 792 victimes des brutalités du régime de Hissène Habré, sont cités en tant que parties civiles.

Plusieurs partenaires se sont associés à cette initiative: Human Rights Watch (dont le siège est à New York), la Rencontre Africaine de Défense des Droits de l'Homme (RADDHO, basée à Dakar), la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH), l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme, la Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH), l'Organisation Nationale des Droits de l'Homme (Sénégal), Interights (basée à Londres), et l'organisation française Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme.

"Pour la première fois, des victimes africaines demandent au tribunal d'un autre Etat africain de poursuivre un ancien dictateur africain", a déclaré Alioune Tine, directeur de la RADDHO. "Cette initiative peut non seulement permettre d'apporter la justice aux milliers de victimes de Habré, mais est également susceptible de contribuer à mettre fin à l'habitude qu'ont prise les anciens dictateurs de vivre un exil paisible dans un pays voisin du leur".

Les groupes ont noté que le Sénégal a été le premier pays à ratifier le traité de Rome établissant la Cour Pénale Internationale. "Il est essentiel que le Sénégal continue de montrer l'exemple, alors même que les pays du Nord se montrent souvent trop frileux ou défaillants" a déclaré William Bourdon, Secrétaire- Général de la FIDH.

Habré, aujourd'hui âgé de 57 ans, avait pris le pouvoir dans l'ancienne colonie française en 1982, en renversant le gouvernement de Goukouni Wedeye. Le régime de parti unique de Hissène Habré fut marqué par de multiples abus. Il s'attaqua à plusieurs reprises à certains groupes ethniques, tels que les Hadjaraï (en 1987) et les Zaghawa (en 1989). Hissène Habré justifiait les assassinats et arrestations à grande échelle dont ces groupes firent l'objet en prétextant qu'ils représentaient une menace pour le régime. Juste après la fuite de Habré en 1990, sa Garde Présidentielle aurait tué plus de 300 prisonniers politiques détenus en secret au quartier général du Président, dans la capitale N'Djamena.

Le nombre exact des victimes de Habré est inconnu. Une Commission d'Enquête établie par le gouvernement Deby a accusé le gouvernement Habré de s'être rendu coupable de 40 000 assassinats politiques et d'avoir torturé 200 000 personnes. La plupart de ces crimes ont été commis par sa police secrète, l'inquiétante Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), composée de 8 000 agents.

La Commission d'Enquête a également accusé Habré de s'être enfui au Sénégal en emportant 11,6 millions de dollars. En 1998, le Ministre tchadien de la Justice de l'époque, Limane Mahamat, avait déclaré que le Tchad allait demander l'extradition de Habré, mais aucune demande formelle en ce sens ne fut jamais formulée. Le Tchad a réussi cependant, suite à une action en justice entreprise au Sénégal, à récupérer l'avion que Habré avait utilisé lors de sa fuite.

"Hissène Habré a écrit un chapitre particulièrement brutal de l'histoire tchadienne", a observé Delphine Djiraibe de l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme. "Son jugement contribuera, par le refus de l'impunité, à construire au Tchad une société fondée sur l'Etat de droit et la Justice".

Les États-Unis et la France ont soutenu Habré pendant toute la durée de sa présidence, le considérant comme un rempart contre le leader libyen Mouamar Khadafi. Pendant la présidence de Ronald Reagan, les États-Unis apportèrent en secret et par le biais de la CIA un soutien paramilitaire à Habré, afin que celui-ci prenne le pouvoir dans son pays. Selon le Secrétaire d'État Alexander Haig, le but de la manœuvre était -littéralement- "de donner un bon coup sur le nez de Khadafi ". Par la suite, les États-Unis fournirent à Habré des dizaines de millions de dollars par an et des informations militaires recueillies par les services secrets. Malgré l'enlèvement par Habré et ses hommes, alors en rébellion contre le pouvoir central, de l'anthropologue française Françoise Claustre en 1974 et le meurtre tragique du Capitaine Galopin venu négocier la libération de sa compatriote en 1975, la France a également soutenu le régime de Habré, en lui procurant armes, soutien logistique et renseignements, et en lançant les opérations militaires ‘Manta' (août 1983) et ‘Epervier' (en février 1986).

Les organisations ont présenté les témoignages recueillis sous serment de deux anciens prisonniers à qui la DDS ordonna de creuser des fosses afin d'enterrer les opposants de Habré. En plus de ceux qui furent assassinés, de nombreux prisonniers succombèrent à la faim, la malaria ou la dysenterie. La torture était monnaie courante dans les centres de détention. L'une des méthodes les plus fréquemment utilisées et dont deux des plaignants eurent à souffrir, "l'Arbatachar", consistait à lier ensemble et dans le dos les quatre membres d'un prisonnier, ce qui provoquait la coupure de la circulation sanguine et la paralysie. Les prisonniers étaient également passés à tabac et soumis à des séances d'électrochocs et d'immersion.

Dans les documents remis au tribunal, les groupes mentionnent l'obligation qui incombe au Sénégal, en vertu du droit international, de poursuivre en justice les individus accusés de crimes contre l'humanité. Sont également citées la loi sénégalaise sur la torture et la Convention des Nations Unies contre la torture, de 1984, que le Sénégal a ratifiée en 1987. Cet instrument oblige les Etats à poursuivre eux-mêmes les personnes suspectées de torture et se trouvant sur leur territoire ou à les extrader. Cette convention est celle qui a été à la base de la détention par la Grande-Bretagne du Général Augusto Pinochet.

Les victimes et organisations sont défendues dans cette affaire par un groupe d'avocats dirigés par le Batonnier de l'Ordre des Avocats du Sénégal, Me. Yerim Thiam et qui compte également Boukounta Diallo et Sidiki Kaba.

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