Afrique de l'Ouest

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I. RESUME

Des dizaines de milliers de réfugiés sierra léonais et libériens, qui ont subi pendant des mois de nombreuses attaques le long de la frontière guinéenne, sont finalement en train d'être délocalisés des zones frontalières de combat vers des camps à l'intérieur du pays. Même si ce mouvement organisé d'éloignement des réfugiés de la frontière est bien accueilli et attendu depuis longtemps, la sécurité à long terme des réfugiés est toujours menacée.

Les réfugiés font généralement face au choix peu enviable de rester sans protection en Guinée ou de retourner en Sierra Leone ou au Liberia, où de sérieuses menaces pèsent encore sur leur sécurité. Certains réfugiés disent qu'on leur demande en fait de choisir entre mourir en Guinée ou chez eux. S'ils restent en Guinée, les réfugiés craignent de voir se reproduire la violence et le harcèlement dirigés contre eux, l'année dernière, par des Guinéens qui leur reprochent la déstabilisation à la frontière. S'ils rentrent chez eux, ils font face à un avenir incertain puisque la Sierra Leone et le Liberia sont tous les deux en équilibre fragile, entre la guerre et la paix. Chacune des deux options soulève des inquiétudes graves sur la protection et la sécurité à long terme des réfugiés.

La probabilité de la reprise de la violence et de son escalade demeure élevée en Guinée et dans la sous région, tout comme le risque que les réfugiés soient à nouveau les victimes de cette insécurité. Ces réfugiés sont profondément conscients de cette situation. Nombre d'entre eux ont déjà souffert de façon répétée de la violence et des mauvais traitements, d'abord en fuyant les atrocités de la guerre dans leurs pays natals, puis comme réfugiés en Guinée, victimes d'attaques transfrontalières commises par les forces mêmes qu'ils cherchaient à fuir. Ils ont également subi la violence anti-réfugiée et le harcèlement commis à leur encontre par les Guinéens.

Au cours des dernières années, il y a eu une rapide escalade des attaques transfrontalières entre la Guinée, le Liberia et la Sierra Leone. Les combats entre des alliances variables de forces gouvernementales et rebelles menacent d'entraîner toute la sous région dans une spirale de guerre toujours plus importante. Un renforcement de la sécurité en Guinée est évident, particulièrement en zone frontalière, l'état d'urgence est décrété et le nombre de points de contrôle militaire a augmenté. Le gouvernement guinéen qui a généreusement accueilli nombre de ces réfugiés pendant plus de dix ans est en passe de devenir de plus en plus hostile à leur présence. Cette attitude s'explique par des inquiétudes légitimes quant aux menaces sur la sécurité nationale que font peser les attaques en provenance de Sierra Leone et du Liberia mais aussi par des raisons de politique intérieure.

L'attention du Bureau du Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) en Guinée s'est largement concentrée sur un programme de déménagement des réfugiés, de la zone frontière vers les nouveaux camps de l'intérieur du pays. Cette opération s'est achevée fin mai 2001. Si le processus de déménagement représente une étape majeure pour garantir la sécurité et la protection des réfugiés, de nombreuses questions concernant les droits de l'homme restent préoccupantes pour l'avenir.

Les réfugiés sont exposés aux mauvais traitements des autorités guinéennes sur les routes, dans les villes et dans leurs camps. Human Rights Watch estime que le Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (HCR), le gouvernement guinéen et les gouvernements des pays bailleurs de fonds doivent se concentrer sur un certain nombre de questions relatives aux droits de l'homme, suite au processus de déplacement maintenant achevé. Ces questions incluent :

· Utilisation de moyens déplacés pour rechercher des rebelles parmi les réfugiés : Les autorités guinéennes accusent les réfugiés de faire partie de groupes rebelles. Parce que les réfugiés victimes de ces allégations n'ont aucun recours et ne peuvent faire appel, cette situation constitue un problème majeur pour les réfugiés.

· Harcèlement, extorsion et obstacles à la liberté de mouvement : Les réfugiés sont soumis de façon fréquente à de mauvais traitements, en particulier aux points de contrôle, notamment coups, fouilles au corps, extorsion, agression sexuelle, arrestation arbitraire, détention et intimidation généralisée.

· Arrestations arbitraires et conditions de détention dans les prisons : Des réfugiés ont été retenus prisonniers dans les centres guinéens de détention de Forecariah, Guéckédou et Kissidougou, souvent sans inculpation ni procès. Certains ont été torturés et exécutés sommairement. Les réfugiés accusés d'affiliation à des groupes rebelles et arrêtés sont détenus dans de mauvaises conditions, physiquement mal traités. Ils ne sont pas traités selon les règles du droit en la matière. Les réfugiés peuvent être détenus pendant des semaines, voire des mois sans inculpation particulière et sans réelle preuve ou plainte spécifique contre eux.

· Papiers d'enregistrement et d'identité inadaptés : Les mauvais traitements perpétrés par les autorités sur les réfugiés sont exacerbés par l'absence d'un document d'identité standardisé concernant les réfugiés en Guinée. Le gouvernement guinéen et le HCR ne délivrent pas actuellement de documents officiels permettant d'identifier les réfugiés.

· Attention insuffisante portée aux réfugiés restant dans la zone frontière : Le HCR a terminé son principal programme d'assistance à la zone frontière, fin mai 2001 en achevant le processus de déplacement. Le HCR a affirmé son intention de continuer, autant que possible, à assurer la protection des réfugiés restant à la frontière et des nouveaux arrivants dans cette zone. Cependant, l'insécurité et la militarisation de cette région vont rendre cette tâche difficile. De nombreux réfugiés choisissent de rester même si la violence est susceptible de faire à nouveau irruption dans cette région. Ils sont réticents à l'idée de quitter une région dans laquelle ils ont vécu pendant dix ans, où ils sont bien intégrés et ont de forts liens culturels avec la communauté locale. D'autres estiment également que la frontière proche leur permet de quitter rapidement le territoire guinéen s'ils sont de nouveau menacés par la violence guinéenne anti-réfugiée. Il est difficile de prévoir ce qui pourrait arriver à ces réfugiés, en raison tout spécialement de la violence qui menace sérieusement de réapparaître dans la région. Cependant, leur sécurité doit demeurer une préoccupation pour le HCR.

Les inquiétudes en matière de sécurité exprimées par le gouvernement guinéen sont légitimes. Les conflits chez les voisins du Liberia et de la Sierra Leone peuvent s'étendre, comme cela est déjà arrivé par le passé. Le gouvernement a le droit de s'assurer que des armes ou des combattants rebelles ne se déplacent pas vers l'intérieur du pays. Cependant, harcèlement généralisé, extorsion, arrestations arbitraires et manque de procédures régulières pour les réfugiés accusés d'être des rebelles demeurent des problèmes graves, à la fois pour la sécurité nationale en Guinée et pour les réfugiés eux-mêmes. Alors que les questions de sécurité nationale sont clairement une priorité pour tout gouvernement quelque qu'il soit, Human Rights Watch estime que les intérêts d'un pays concernant sa sécurité sont mieux assurés, à long terme, par la mise en _uvre de mécanismes respectueux de l'état de droit. Enfin, criminaliser collectivement les réfugiés et violer leurs droits ne permet pas la mise en place d'une politique de sécurité efficace et durable.

En raison de l'urgence de la situation et des contraintes de sécurité, de logistique, de personnel et de financement, la protection des réfugiés en Guinée semble avoir reçu moins d'attention que nécessaire de la part du HCR et de la plupart de ses partenaires sur place. Le nombre de responsables du HCR en charge de la protection des réfugiés en Guinée est insuffisant et les réfugiés ont souvent des difficultés pour accéder à ces personnes et obtenir leur aide. Les responsables du HCR en charge de la protection des réfugiés en Guinée changent fréquemment, sont souvent nommés pour des périodes courtes et certains semblent mal connaître le pays et la sous région. Le HCR s'est engagé à augmenter le nombre de son personnel en Guinée, notamment le personnel en charge de la protection des réfugiés. Or, ces postes n'ont pas encore été pourvus ni déployés dans la zone. Les gouvernements des pays bailleurs de fonds n'ont pas fourni l'argent nécessaire à l'assistance et la protection des réfugiés en Guinée. Cependant, compte tenu de la situation, il est crucial que la protection des réfugiés en Guinée devienne une priorité encore plus forte.

Les résultats de ce rapport sont le fruit d'entretiens conduits en Guinée par Human Rights Watch, en avril 2001 ainsi que d'entretiens conduits en Sierra Leone, en février 2001, avec des réfugiés de retour de Guinée. Ces entretiens se sont déroulés en anglais ou en krio, avec l'aide d'un interprète.

II. RECOMMADATIONS

Au gouvernement guinéen :

Etablir et garantir des procédures légales assurant le respect des droits et la protection des présumés rebelles lors de leur fouille, sélection, arrestation et détention, aux points de contrôle et ailleurs. La pratique actuelle consistant à détenir des réfugiés pendant plusieurs jours consécutifs, à des fins de "vérification", n'est pas conforme aux critères du droit international, tels que définis dans le Pacte International sur les Droits Civils et Politiques.

Permettre au HCR et au Comité International de la Croix Rouge (CICR) un accès sans entrave à tous les réfugiés retenus dans des centres de détention temporaires ou non officiels ainsi que dans les centres de détention officiels qui font partie du système pénitentiaire ou policier.

Permettre au HCR de superviser partout et sans limite toute procédure de sélection établie pour identifier de présumés rebelles parmi les réfugiés; permettre au HCR de participer à la détermination d'un processus de séparation des rebelles des civils réfugiés et permettre au HCR d'assurer des conditions de vie civiles et humaines, dans les camps de réfugiés.

Offrir une formation appropriée aux forces de l'ordre et des milices de défense civile en contact avec les réfugiés, tout particulièrement aux points de contrôle. Enquêter et prendre les actions disciplinaires appropriées ou engager des procédures criminelles contre les personnels de l'armée, de la police ou des milices, dans les cas où existeraient des soupçons crédibles, contre eux, de responsabilité dans l'application de mauvais traitements.

Coopérer avec le HCR afin d'assurer l'enregistrement des réfugiés en Guinée et la délivrance de papiers d'identité standardisés. Former les autorités à l'intérieur du pays, et en particulier celles en place aux postes de contrôle, à distinguer un papier d'identité valide d'un autre qui ne l'est pas. Tant que ces documents n'existent pas, on ne devrait pas exiger des réfugiés des documents qu'ils ne peuvent produire.

Condamner publiquement l'incitation à la haine et les attaques contre les réfugiés. En collaboration avec le HCR, conduire des programmes continus d'éducation et de sensibilisation sur la sécurité, tant des réfugiés que de la communauté.

Au Bureau du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) :

Augmenter, en Guinée, le nombre de responsables expérimentés en charge de la protection des réfugiés. Leur fournir, avant leur prise de fonctions, une formation appropriée ainsi que des données sur la sous région et sur les problèmes principaux des réfugiés, en matière de protection.

Prioritairement, en ce qui concerne la protection, fournir conseils suivis et assistance au gouvernement guinéen afin de s'assurer que les mesures adoptées par le gouvernement concernant la sécurité, notamment pour l'identification des rebelles, respectent les règles internationales en matière de droit de l'homme et de droit des réfugiés. En particulier, fournir davantage de conseils au gouvernement guinéen sur la séparation des éléments armés du reste des populations civiles refugiées et sur l'exclusion des individus non aptes à bénéficier de la protection internationale des réfugiés. Négocier avec le gouvernement guinéen l'obtention d'un accès total aux procédures de sélection afin de s'assurer que la sélection et la séparation des présumés rebelles se fasse en accord avec les règles internationales en matière de droit de l'homme et de droit des réfugiés.

Coopérer avec le gouvernement guinéen dans les procédures d'enregistrement des réfugiés en Guinée et de délivrance de papiers d'identité valides.

Poursuivre les discussions avec le gouvernement guinéen afin de s'assurer que les réfugiés restant à la frontière et les nouveaux arrivants continuent de recevoir la protection et l'assistance dont ils ont besoin. Poursuivre, là où cela est possible, les efforts d'information publique afin d'informer les réfugiés restant à la frontière et qui n'ont pas été déplacés, des dangers de demeurer dans la région, des options qui s'offrent à eux et des conditions de vie, à la fois dans les nouveaux camps et dans leurs pays d'origine. Prendre en considération les éventuelles pressions en provenance d'éléments armés en Guinée ou de l'autre côté de la frontière, en Sierra Leone et au Libéria, visant à limiter la liberté des réfugiés de choisir entre retourner dans leur pays d'origine ou se déplacer vers les camps de l'intérieur de la Guinée.

Aux gouvernements des pays donateurs :

Renouveler l'appui financier au gouvernement guinéen et au HCR afin que ceux-ci puissent faire fasse à la charge extraordinaire que représente la crise des réfugiés.

Allouer au HCR des fonds spécifiques pour le déploiement d'un nombre accru de responsables en charge de la protection des réfugiés en Guinée.

Allouer au HCR et au gouvernement guinéen des fonds spécifiques afin qu'ils mettent en place un système efficace d'enregistrement des réfugiés et qu'ils délivrent des papiers d'identité aux réfugiés.

Encourager le HCR et le gouvernement guinéen à continuer, autant que possible, à répondre aux besoins de protection et d'assistance des réfugiés restant dans la zone frontière, après le processus de déplacement.

Inciter activement le gouvernement guinéen à adopter des politiques de sécurité ne violant pas les droits des réfugiés. L'inciter également à poursuivre en justice les membres des forces de l'ordre ou les citoyens ordinaires responsables d'atteintes contre les réfugiés, en particulier aux points de contrôle et lors des procédures d'identification des réfugiés. En particulier, inciter le gouvernement guinéen à mettre immédiatement fin aux pratiques d'arrestation et de détention arbitraires ne respectant pas les règles de protection des réfugiés.

Fournir aux forces de maintien de l'ordre et au personnel judiciaire guinéens des formations techniques sur les pratiques et les procédures pour faire respecter le droit des réfugiés, les droits de l'homme et le droit humanitaire. Cette formation devrait comporter les critères mis en avant par le Code de Conduite des Responsables des Forces de l'Ordre publié par les Nations Unies. La formation devrait aussi prendre en considération les pratiques violentes utilisées par les responsables des forces de l'ordre guinéennes contre les réfugiés et l'absence de procédures légales de protection pour les réfugiés accusés d'être des rebelles. Le programme devrait également aider le gouvernement à établir des mécanismes appropriés pour enquêter sur ces responsables des forces de l'ordre guinéennes coupables d'atteintes contre les réfugiés et les traduire en justice.

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