Rapports de Human Rights Watch

La structure et la culture organisationnelle de la FESCI

La FESCI est une organisation strictement hiérarchique qui consiste en un bureau national, en dessous duquel se trouvent un certain nombre de « sections » de même rang.64 Les sections sont formées soit par faculté existant au sein d’une université (par exemple, criminologie, lettres modernes, droit), soit par cité universitaire, ou par établissement d’enseignement secondaire. Le bureau national est dirigé par un secrétaire général national choisi par les membres de la FESCI lors d’élections, qui à son tour nomme tous les secrétaires généraux des différentes sections.65 Les membres de la base qui ne font partie du bureau d’aucune section sont connus sous le nom d’ « antichambristes » ou « ATC ».”66 Décrits par les membres de la FESCI avec lesquels nous nous sommes entretenus comme étant des « fantassins », il s’agit des membres envoyés aux mobilisations de masse pour manifester en faveur du gouvernement, ou pour faire le « sale boulot » décrit plus loin.67

Au-delà de la hiérarchie stricte, le statut au sein de la FESCI est souvent influencé par un certain nombre de facteurs informels. Dans la FESCI, il existe un système de parrainage en vertu duquel presque chaque membre agit en tant que protecteur de quelqu’un, et est à son tour protégé par quelqu’un d’autre. Les membres subalternes qui sont sous la protection politique d’un supérieur sont qualifiés de « bons petits ».68 Être le « bon petit » d’un dirigeant haut placé est souvent synonyme de possibilité d’accéder à une position dirigeante au sein de l’organisation, et donc synonyme de pouvoir, de statut élevé et souvent de richesse, découlant des opérations d’extorsion et de racket de la FESCI qui vont de pair avec la position. Par ailleurs, les dirigeants cherchent à avoir un nombre maximum de membres sous leur protection afin d’étendre leur influence.

En dehors de la structure officielle de la FESCI se trouvent d’anciens membres influents connus sous le nom de « doyens » ou d’ « observateurs », dont certains continuent à vivre dans les résidences universitaires des années après l’obtention de leur diplôme.69 Un doyen en particulier, connu sous le nom de « KB », abréviation de Kacou Brou, a été qualifié par les anciens membres de la FESCI interrogés par Human Rights Watch de « dirigeant militaire » de la FESCI et de « pouvoir derrière le trône » du leadership suprême de la FESCI. KB est également décrit par les anciens membres de la FESCI comme étant l’un des principaux agents de liaison entre le leadership de la FESCI et le FPI.70 KB est diplômé de la prestigieuse École Nationale d’Administration (ENA), une institution de l’État destinée à produire de hauts fonctionnaires.

Les divisions au sein du FPI au pouvoir se reflètent dans les divisions et les rapports de force au sein de la FESCI. Selon des membres de la FESCI interrogés par Human Rights Watch, il existe deux factions principales au sein du FPI, la première influencée par Pascal Affi N’Guessan, secrétaire général du parti, à qui « KB » et les tout derniers secrétaires généraux de la FESCI sont restés fidèles. Une seconde faction serait fidèle à la Première Dame Simone Gbagbo et à Charles Blé Goudé. Les violences intestines survenues fin 2006 au sein de la FESCI ont été attribuées à une tentative de ceux qui se trouvent dans le camp de Blé Goudé de prendre le contrôle de la FESCI, bien que Blé Goudé ait démenti ces accusations.71

Outre la politique intra-FESCI, les rapports de force au sein de la FESCI sont souvent motivés par les bénéfices financiers qui accompagnent la fonction. En raison de l’extorsion et du racket qui sont pratiqués par la FESCI (décrits en détail plus loin), être secrétaire général d’une section peut être extrêmement lucratif et est par conséquent très prisé. Résultat : les violences intestines, les putschs et les tentatives de putsch sont fréquents.72 La violence intra-FESCI lors des élections pour le bureau national, notamment des batailles à la machette entre factions rivales, est monnaie courante.73

Depuis le début de la crise, mais probablement déjà auparavant, la FESCI connaît une militarisation croissante de sa culture organisationnelle. Les secrétaires généraux, tant au niveau du bureau national que dans les sections individuelles, sont salués par les membres de la FESCI (et même par certains étudiants non membres de l’association qui vivent dans les résidences) avec ce qui s’apparente à un salut militaire et avec la formule « Mon Général, je suis à vos ordres ! ».74 Les membres ne sont souvent connus que sous leurs noms de guerre, comme par exemple « Che », « Foday Sankoh » ou « Kabila ». À l’entrée du siège de facto de la FESCI, l’une des cités universitaires connues sous le nom de Cité Rouge, l’emblème de la FESCI, un poing levé, est peint en rouge au-dessus des mots « commandement supérieur ».

Augustin Mian, élu nouveau secrétaire général de la FESCI lors des élections de décembre 2007 remportées sans opposition, pose devant la Cité Rouge à Cocody, un quartier d’Abidjan. © 2007 AFP

Pourquoi les étudiants adhèrent à la FESCI aujourd’hui

Les étudiants interrogés par Human Rights Watch citent un éventail de raisons pour expliquer l’affiliation à la FESCI. Les anciens membres évoquent le plus fréquemment les incitations financières, notamment l’accès gratuit à un logement universitaire, la gratuité des repas et la gratuité des transports que garantit souvent l’affiliation à la FESCI, autant d’aspects essentiels à la survie et pour l’obtention desquels les autres étudiants doivent se donner beaucoup de peine.75 Dans une société déjà paupérisée et ravagée par les conflits, où un diplôme universitaire ne garantit plus des moyens d’existence privilégiés ou un emploi de fonctionnaire, un professeur a relevé que :

Lorsque j’ai étudié dans cette université il y a quelques dizaines d’années, il y avait du travail. Donc vous vouliez terminer l’école le plus vite possible pour avoir un emploi rémunéré. Mais aujourd’hui, il n’y a pas d’emplois, donc rien ne presse de finir. En fait, les étudiants peuvent se faire plus d’argent en restant ici. Ou ils peuvent se faire de l’argent ici pendant un petit temps et puis peut-être penser à un emploi dans le futur. S’il y avait un espoir économique pour les jeunes, cela affaiblirait la FESCI.76

Outre les incitations économiques, d’autres anciens membres de la FESCI ont évoqué le respect et le pouvoir accordés aux membres : « Lorsque je me suis affilié en 1998, la FESCI était un moyen de m’exprimer. Venant d’une famille pauvre de cultivateurs, cela m’a donné un moyen de m’organiser, d’être respecté et d’essayer de résoudre les problèmes. »77 Comme il a été dit dans le contexte d’un autre groupe pro-gouvernemental, les Jeunes Patriotes, pour beaucoup d’étudiants, la FESCI constitue une sorte de « contre-société où des étudiants en échec scolaire pourront être appelés ‘professeurs’, où des jeunes chômeurs, voire des petits voyous, deviendront ‘député’ ou ‘général’ – et seront reconnus comme tels par leurs

pairs ».78

Quelques étudiants interrogés par Human Rights Watch ont déclaré franchement qu’ils avaient adhéré à la FESCI parce qu’ils la percevaient comme un tremplin vers la politique : « Je me suis affilié à la FESCI parce qu’elle convenait à mes ambitions politiques. On dit que les groupements étudiants sont l’antichambre de la politique. Et le temps que j’ai passé à la FESCI m’a fait mûrir politiquement, mais j’en suis venu à déplorer la barbarie et la violence qui ont fini par faire partie de la FESCI. »79




64 Chaque section a, à son tour, son propre bureau exécutif.

65 Les élections ont lieu en théorie tous les deux ans. Dans la pratique, pour diverses raisons, plusieurs dirigeants ont eu un mandat de plus de deux ans.

66 Dans ce contexte, le mot « antichambriste » se réfère aux « soldats » de la FESCI qui se trouvent à l’extérieur du cercle du pouvoir et attendent d’être appelés pour entrer en action. Le statut d’antichambriste d’un membre n’est pas nécessairement fonction de son âge ou de son niveau scolaire mais il donne souvent à penser que la personne n’a pas eu suffisamment d’intérêt ou de poids politique pour obtenir un poste de membre du bureau d’une section. Entretiens de Human Rights Watch avec d’anciens membres de la FESCI, Abidjan, 24 et 26 août et 28 septembre 2007.

67 Ibid.

68 « Bon petit » prend donc ici le sens de « protégé ».

69 Entretiens de Human Rights Watch avec d’anciens membres de la FESCI, Abidjan, 23 août et 2 octobre 2007.

70 Selon d’anciens membres de la FESCI interrogés par Human Rights Watch, KB assurerait la liaison avec Damana Pickas, ancien leader de la JFPI, qui travaille actuellement comme conseiller pour Pascal Affi N’Guessan, le dirigeant du FPI au pouvoir. Pickas a été membre du Bureau national de la FESCI sous Guillaume Soro.

71 Fin décembre 2006, des heurts intra-FESCI sur les campus ont conduit à une série d’attaques à la machette et à un mort. Serge Koffi, alors secrétaire général de la FESCI, a accusé des anciens dirigeants de l’association, Charles Blé Goudé et Jean-Yves Dibopieu, d’avoir soutenu les « dissidents ». « Crise au sein de la Fesci: Serge Koffi, secrétaire général: ‘ Le mal c’est Blé Goudé’ », L’inter (Abidjan), 17 janvier 2007.

72 Des membres de la FESCI interrogés par Human Rights Watch ont toutefois souligné que tout « putsch » réussi pour s’assurer le contrôle d’une section requiert l’approbation d’un doyen comme KB. Entretiens de Human Rights Watch avec d’anciens membres de la FESCI, Abidjan, 30 septembre et 4 octobre 2007.

73 Les élections de décembre 2007 qui ont amené au pouvoir Augustin Mian en tant que nouveau secrétaire général de la FESCI constituent une exception notable. Certains articles de la presse locale ont attribué ce fait à la maturité croissante de la FESCI en tant qu’organisation. « Fédération estudiantine et scolaire de Côte d'Ivoire (FESCI) - La paix retrouvée », Notre Voie (Abidjan), 27 décembre 2007. Il convient toutefois de noter que Mian s’est présenté sans opposition et que les rivalités claniques et autres problèmes de succession avaient peut-être été réglés antérieurement lors d’une vague de violences sur les campus en décembre 2006. Voir note de bas de page 71, infra.

74 Entretiens de Human Rights Watch avec d’anciens membres de la FESCI, Abidjan, 20 et 23 octobre 2007.

75 Voir Contrôle criminel de la FESCI sur les principaux services et infrastructures universitaires, infra.

76 Entretien de Human Rights Watch avec un professeur, Abidjan, 4 octobre 2007.

77 Entretien de Human Rights Watch avec un ancien membre de la FESCI, Abidjan, 23 août 2007.

78 Richard Banégas, « Côte d'Ivoire : les jeunes ‘se lèvent en hommes’: anticolonialisme et ultranationalisme chez les Jeunes patriotes d'Abidjan », Les études du CERI-Sciences Po, 2007.

79 Entretien de Human Rights Watch avec un ancien membre de la FESCI, Abidjan, 20 octobre 2007.