Rapports de Human Rights Watch

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IX. Initiatives Internationales pour Aborder le Problème de l’Exploitation des Ressources en RDC

Les combats continus dans l’Est de la RDC tout au long de l’année 2004 et au début de 2005 ont rappelé, de façon aiguë, la fragilité du processus de paix. Pendant les deux premières années du gouvernement de transition, la communauté internationale s’est centrée sur la gestion de la crise à court terme et n’est pas parvenue à fournir une aide diplomatique cohérente pour que soit mis en œuvre le processus de paix. Si les interventions réalisées au bon moment par les gouvernements du Royaume Uni, des Etats Unis et d’Afrique du Sud ont à deux reprises empêché le Rwanda de se lancer dans de nouvelles opérations militaires au Congo, de tels efforts étaient sporadiques et pour finir, en novembre 2004, le Rwanda a temporairement renvoyé ses troupes de l’autre côté de la frontière. Les acteurs internationaux clefs ont prêté peu d’attention au traitement des causes sous-jacentes au conflit. Alors que la plupart des gouvernements internationaux reconnaissaient que l’exploitation des ressources jouait un rôle central dans l’exacerbation et la prolongation du conflit en RDC, suite aux rapports du panel d’experts des Nations unies, peu d’efforts ont été entrepris pour régler le problème. L’exemple du conflit et des ressources en RDC a soulevé des questions plus larges sur la responsabilité des entreprises en pays en développement, en particulier dans les zones de conflit où l’exploitation des ressources naturelles peut contribuer au financement d’opérations militaires et alimenter la guerre.

Rapports du Panel d’experts des Nations unies sur l’exploitation illégale des ressources en RDC

Le Conseil de sécurité des Nations unies a été le premier, en juin 2000, à exprimer ses préoccupations quant au lien entre conflit et ressources naturelles en RDC lorsqu’il a nommé un panel indépendant d’experts pour effectuer recherches et analyses sur cette question.432 Le panel d’experts des Nations unies a produit une série de rapports, le dernier en octobre 2003, qui détaillaient comment l’exploitation des ressources naturelles avait financé nombre des différents groupes armés (locaux et étrangers) se livrant combat dans l’Est de la RDC, enrichissant des officiers des armées rwandaise, ougandaise et zimbabwéenne qui intervenaient dans le conflit ainsi que certains membres de l’élite congolaise.433

Le panel d’experts des Nations unies a non seulement rassemblé des informations sur le lien entre exploitation des ressources et conflit dans la région mais a également envisagé la relation entre l’exploitation des ressources et les affaires commerciales internationales. Les minerais et les autres ressources du Congo étaient majoritairement destinés aux entreprises multinationales basées en Europe et en Amérique du Nord. Dans une démarche sans précédent, le panel d’experts des Nations unies, dans son rapport d’octobre 2002, a établi une liste de vingt-neuf entreprises et cinquante-quatre individus contre lesquels il recommandait au Conseil de sécurité l’imposition de restrictions financières et d’interdictions de déplacement. Le rapport listait également quatre-vingt-cinq autres entreprises qu’il déclarait être en violation des Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales.434

En nommant des compagnies, le panel d’experts des Nations unies a déclenché une polémique considérable. Certains gouvernements ont critiqué le panel parce qu’il faisait reposer ses allégations sur des preuves pas toujours solides ou suffisamment expliquées. Le panel a considéré de la même façon des entreprises contre lesquelles il disposait de preuves fortes et d’autres pour lesquelles il n’avait rien de la sorte, discréditant ainsi l’effort d’ensemble. Des entreprises et des groupes issus de la société civile ont critiqué le panel pour son échec à fournir des informations plus détaillées sur les activités de certaines entreprises. De nombreuses entreprises ont répondu au rapport par des démentis rapides et ont fait pression sur leurs gouvernements afin que leurs noms soient supprimés de la liste du panel, un procédé manquant de transparence et susceptible d’avoir été soumis à des abus.435 Le Conseil de sécurité a requis du panel qu’il ouvre un dialogue avec les compagnies citées dans ses travaux.

Dans son rapport final publié en octobre 2003, le panel d’experts des Nations unies a placé en annexe une liste de compagnies classées selon la façon satisfaisante ou non, aux yeux du panel, dont les allégations pesant contre elles avaient été résolues. Dans ce rapport final, le panel affirmait que les cas de quarante et une compagnies étaient maintenant « réglés » bien qu’il n’ait fourni aucune information sur la façon dont il était arrivé à une telle conclusion. Pour compliquer encore davantage la situation, le panel a ajouté une mise en garde importante insistant sur le fait que la catégorie « réglé » ne devait pas être perçue comme une négation des affirmations précédentes.436 Ceci a donc laissé entière la question de la violation ou non par les compagnies des principes directeurs de l’OCDE. S’exprimant devant un groupe parlementaire britannique, certaines compagnies ont fait entendre leurs préoccupations quant au procédé de catégorisation affirmant que les compagnies ayant violé les principes « s’en étaient tiré malgré tout » alors que d’autres qui n’avaient pas commis de telles violations se retrouvaient incapables de blanchir leur nom avec certitude.437 Le comité parlementaire a recommandé que le processus de catégorisation par le panel ne serve pas de base pour déterminer si un cas avait ou non été réglé.438

L’expérience du panel d’experts des Nations unies sur la RDC illustre la nécessité de disposer de principes directeurs plus stricts pour les panels des Nations unies afin qu’un niveau suffisant de preuves soit obtenu, que de telles investigations soient complètes et que la transparence soit garantie. Mais comme l’a montré ce rapport, des entreprises telles que AngloGold Ashanti ont violé les normes internationales relatives à la conduite des affaires et ont bafoué les principes directeurs de l’OCDE. Le manque d’investigations complètes peut en effet disculper ceux dont le comportement devrait être remis en question.

En dépit de la controverse sur le fait d’avoir nommé des compagnies, les rapports du panel d’experts des Nations unies ont contribué à l’émergence d’un consensus de plus en plus vaste parmi les membres du Conseil de sécurité et d’autres acteurs internationaux sur le fait que l’exploitation des ressources était un facteur clef dans la guerre en RDC. Le conseil a adopté quatre déclarations présidentielles et deux résolutions attirant l’attention sur l’exploitation des ressources naturelles en RDC et sur le lien avec le conflit.439 Dans la résolution 1457, le Conseil a fermement condamné l’exploitation illégale des ressources naturelles en RDC, exprimé sa préoccupation sur le fait que ce pillage alimentait le conflit et exigé que tous les états agissent immédiatement pour mettre un terme à ces activités illégales. Il a exhorté tous les états « à conduire leurs propres investigations le cas échéant par des moyens judiciaires, afin de clarifier de façon crédible les conclusions du panel » ajoutant que l’exploitation devait se faire de façon transparente, légale et sur une base commerciale juste afin de bénéficier au pays et à ses habitants.440

Les rapports du panel ont suscité l’espoir de voir les états membres des Nations unies tenir les compagnies coupables de comportements répréhensibles responsables de leurs actes mais ces espoirs sont restés vains. Après la publication du rapport final en 2003, le mandat de panel d’experts des Nations unies a pris fin et les informations mises à jour par le panel ont été archivées pour une durée de 25 ans. L’incapacité des Nations unies à donner suite aux recommandations du panel a porté un coup majeur à de futurs progrès sur la question critique du lien entre conflit et ressources naturelles en RDC et ailleurs.

Enquêtes sur les violations des principes directeurs de l’OCDE

Les rapports du panel d’experts des Nations unies ont significativement accru la pertinence des principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales en matière de suivi du comportement des entreprises dans les zones de conflit. Les principes directeurs de l’OCDE, adoptés par les gouvernements dans les trente pays membres de l’OCDE et dans huit pays non-membres, sont des recommandations adressées directement aux compagnies consignant « des attentes communes pour la conduite des affaires. » Ces principes sont le premier instrument international relatif à la responsabilité sociale des entreprises afin de fournir un mécanisme, soutenu par l’Etat (mais volontaire) pour suivre et influencer le comportement des entreprises. Les principes directeurs offrent des normes de conduite dans tous les aspects clefs des opérations de la compagnie comme le respect des droits humains et le développement durable entre autres. Ces principes doivent être respectés quel que soit l’endroit où opère la compagnie.441 Les principes directeurs ne lient pas directement les compagnies. Les gouvernements qui ont signé ces principes ont cependant pour obligation de définir une procédure de mise en œuvre. Ces gouvernements doivent établir des « points de contact nationaux » (PCN) pour promouvoir les principes directeurs et examiner des exemples spécifiques de comportements répréhensibles dans une entreprise.442

Le panel d’experts des Nations unies a recommandé que les PCN conduisent des enquêtes supplémentaires sur les compagnies dont les problèmes avaient été listés comme « non résolus » par le panel. A l’exception de la Belgique et du Royaume Uni, aucun autre état membre de l’OCDE n’a lancé d’enquête sur aucune des compagnies mentionnées. Les gouvernements et leurs PCN ont à plusieurs reprises reproché au panel de ne pas leur avoir transmis les preuves pertinentes pour leurs enquêtes. Ils ont également affirmé qu’ils ne pouvaient mener aucune enquête d’eux-mêmes malgré les dispositions prises en ce sens dans les règles de mise en œuvre des principes directeurs. Des consortiums d’ONG au Royaume Uni, en Belgique, aux Pays Bas, en Autriche, aux Etats Unis et au Canada ont porté plainte auprès des PCN adéquats sur les violations spécifiques des principes directeurs par des compagnies listées par le panel. Dans des pays comme le Royaume Uni où le PCN a effectivement tenté de faire avancer certains cas, un comité parlementaire a découvert que les progrès accomplis par le gouvernement britannique « étaient lents ». Le comité a ajouté qu’il était préoccupé par l’exclusion de groupes de la société civile de la procédure de dépôt de plainte en dépit de pratiques différentes dans d’autres PCN et de directives claires sur leur droit à être inclus comme le précisent les procédures de mise en œuvre.443

La procédure mise en œuvre par les PCN pour traiter ces plaintes a été lente et inefficace dans tous les pays concernés. La plupart des représentants des gouvernements ont choisi d’utiliser les interprétations les plus étroites et parfois les moins justifiées des principes directeurs. Dans une plainte déposée par la société civile aux Pays Bas, le PCN a décidé que les principes directeurs ne couvraient pas les relations commerciales, mais uniquement les compagnies qui investissent, rendant les principes directeurs inapplicables dans ce type très courant d’activités d’affaires.444 Suite à ces interprétations étroites, les groupes issus de la société civile et les syndicats ont questionné la volonté politique des états membres d’utiliser ces principes comme un instrument d’amélioration de la responsabilité sociale des entreprises.445 Le comité parlementaire britannique recommande dans son rapport davantage de ressources et la nomination d’un fonctionnaire de rang plus élevé pour traiter des cas britanniques en suspens, une recommandation qui pourrait être reprise par d’autres gouvernements.446 Le comité parlementaire a ajouté qu’il devrait y avoir « une attention internationale accrue portée à la façon de faire avancer [l’ensemble] du processus. »447 L’exemple de la RDC a illustré le fait que des gouvernements ont fait preuve d’un engagement minimal pour s’attaquer totalement aux causes des conflits.


Réponse des gouvernements régionaux

Commission Porter en Ouganda

Suite au premier rapport du panel d’experts des Nations unies, le gouvernement ougandais a établi la Commission Porter pour examiner les allégations sur l’implication de l’Ouganda dans l’exploitation illégale des ressources de la RDC. La Commission a produit son rapport final en novembre 2002. Le mandat de la Commission Porter était étroit et elle n’était autorisée à enquêter que sur les allégations avancées par le panel d’experts des Nations unies. Dès le début de ses travaux, la Commission a été gênée par un manque de fonds pour les enquêtes. Le Général James Kazini, responsable des forces ougandaises en RDC, a empêché la Commission de se rendre en Ituri pour rencontrer des témoins selon M. le Juge Porter et a affirmé qu’il n’y avait pas de moyens de transport disponibles pour les membres de la Commission.448 Sur la base des audiences conduites, le rapport de la Commission Porter a exonéré le gouvernement ougandais et son armée de toute implication officielle dans l’exploitation des ressources mais a confirmé les conclusions du panel d’experts des Nations unies relatives aux officiers de haut rang dans l’armée ougandaise, qui, selon la Commission, « ont menti pour se protéger. »449 La Commission a tout particulièrement mis en avant le Général Kazini pour avoir « déshonoré le nom de l’Ouganda »450 et a recommandé des actions disciplinaires à son encontre. La Commission a également recommandé des enquêtes criminelles supplémentaires sur Salim Saleh, frère du Président Museveni qui a violé l’Acte sur les compagnies ougandaises.451

A ce jour, aucune action judiciaire n’a été entreprise contre l’un ou l’autre de ces officiers supérieurs mentionnés plus haut. La documentation incriminante envoyée deux fois, à deux occasions différentes, par la Commission au Ministre ougandais des Affaires étrangères a été « perdue ».452 En 2003, le Général Kazini a été envoyé en formation au Nigéria et en 2004, Salim Saleh a repris des études.

Bien que l’armée ougandaise ait retiré ses forces du Nord-Est de la RDC en mai 2003, elle a continué à soutenir des groupes armés en RDC. Un supplément confidentiel du panel d’experts des Nations unies au Conseil de sécurité des Nations unies en 2003 a constaté que des transferts directs de fonds avaient été réalisés par la présidence ougandaise pour soutenir des groupes armés en Ituri et a ensuite affirmé que des armes et des fournitures militaires avaient été mises à disposition de ces groupes, sur une base coordonnée et institutionnelle.453 Dans un geste visant à continuer à protéger ses alliés, le Président Museveni a écrit, le 26 août 2004, au Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan, demandant une immunité provisoire contre les poursuites en justice pour les responsables des groupes armés en Ituri et la suspension des enquêtes conduites par la Cour pénale internationale.454

Enquêtes rwandaises

Le Rwanda a répondu aux deux rapports d’octobre 2002 et octobre 2003 du panel d’experts des Nations unies qui l’accusaient de pillage organisé sur une vaste échelle par l’intermédiaire d’un appareil centralisé dans les forces armées connu sous le nom de « bureau du Congo. »455 Dans sa réponse au rapport d’octobre 2002, le gouvernement rwandais a déclaré que le rapport du panel manquait de crédibilité et était « partial, subjectif et non fondé sur des preuves crédibles. »456 En réponse au rapport final un an plus tard, le gouvernement rwandais a récusé la méthodologie du panel, suggérant que le pays était injustement pris pour cible, appelant le rapport « un effort délibéré pour ternir l’image du Rwanda, tout en lui refusant la possibilité de se défendre. »457 En octobre 2003, le ministre rwandais des Affaires étrangères, Charles Murigande a promis que son gouvernement allait établir une commission d’enquête sous la responsabilité du bureau du procureur général afin d’enquêter sur deux cas présumés d’exploitation illégale des ressources de la RDC par des entreprises rwandaises et des individus.458 A ce jour, aucun résultat de cette enquête n’a été publié.

Dans le même temps, de nombreux témoins et un supplément confidentiel du panel d’experts des Nations unies ont affirmé que le Rwanda continuait d’aider l’UPC de Lubanga, en Ituri, en fournissant conseils, formation militaire et livraisons d’armes.459 Comme nous l’avons décrit plus haut, les combattants de l’UPC ont contrôlé les régions riches en mines d’or de novembre 2002 à mars 2003. Les Nations unies ont également rapporté que des éléments de l’UPC étaient allés en formation au Rwanda entre septembre et décembre 2002, que des officiers supérieurs de l’UPC rendaient directement compte de leurs activités à Kigali et que les forces rwandaises avaient évacué Lubanga d’Ituri en mars 2003 lorsque les troupes UPC perdaient du terrain face aux troupes alliées de l’Ouganda et du FNI, dans les régions riches en or et dans leurs environs.460 Un ancien porte-parole de l’UPC a informé un chercheur de Human Rights Watch en février 2004 : « Ce n’est pas un secret que nous sommes soutenus par les Rwandais, » ajoutant « Tout le monde est intéressé par notre or. »461

Réponse du gouvernement de la RDC

En réponse aux allégations du panel d’experts des Nations unies, le gouvernement Kabila a initialement suspendu un certain nombre de ministres et conseillers du gouvernement nommés pour avoir été impliqués dans l’exploitation illégale des ressources. En 2003, Kabila a ordonné un examen interne des allégations portant contre des individus. Cet examen réalisé par le Professeur Akele après les conclusions du panel d’experts des Nations unies a recommandé des poursuites en justice mais Human Rights Watch n’a pas connaissance de la mise en œuvre des recommandations de cet examen. Nombre de ministres initialement suspendus sont revenus au gouvernement comme conseillers.

Les accords entre les principaux groupes rebelles congolais et le gouvernement de la RDC signés à Sun City en 2002 admettaient la création d’un comité spécial pour revoir la légalité des contrats commerciaux d’exploitation des mines signés par toutes les parties pendant la guerre afin de s’assurer que ces contrats bénéficiaient à l’État de la RDC.462 Présidé par Christophe Lutundula, le comité a été autorisé à demander des compensations aux compagnies pour pertes pour l’Etat. Lent au départ et initialement bloqué par le propre parti de Kabila à l’assemblée nationale, le comité a assumé un rôle actif dans la révision d’un certain nombre de contrats et dans le retour sur certaines décisions antérieures. Dans un cas, une décision du Président Kabila d’annuler un contrat avec la compagnie minière canadienne Banro passé par la RDC a été inversée.463 Dans un autre cas, une prise de participation obtenue par une compagnie au Katanga auprès du gouvernement post-transition a été réduite464. En septembre 2004, le comité a reçu le soutien financier de la Banque mondiale et l’appui logistique de la MONUC. Son premier rapport est prévu début 2005 mais le Président a exprimé ses craintes que « des forces puissantes et corrompues ne parviennent à le faire taire. »465

MONUC

En octobre 2004, le Conseil de sécurité des Nations unies a renouvelé le mandat de la force de maintien de la paix des Nations unies en RDC, la MONUC, faisant passer ses effectifs de 5 900 hommes à un maximum de 16 700 hommes, total encore inférieur aux 23 000 hommes requis par le Secrétaire général des Nations unies. Le mandat de la MONUC a été renforcé en donnant à la force de maintien de la paix l’autorisation de recourir à la force pour décourager les menaces contre le processus de paix, protéger les civils et le personnel des Nations unies soumis à la menace imminente d’une violence physique, pour soutenir les opérations de désarmement, pour mettre en œuvre l’embargo sur les armes et pour fournir un environnement sûr pour les élections.466 Le nouveau mandat n’a fait que mentionner rapidement la question des ressources naturelles. Le Conseil de sécurité des Nations unies a catégoriquement condamné l’exploitation illégale et a exhorté tous les états, dont la RDC, à mener à bien des enquêtes et à prendre d’autres mesures appropriées pour mettre un terme à ces activités. Mais le Conseil de sécurité n’a pas fait de référence supplémentaire à ce qu’il entreprendrait pour briser le lien entre traffic des armes et exploitation des ressources, un lien sur lequel le panel lui-même a attiré l’attention dans ses rapports publics et dans un supplément confidentiel envoyé aux membres du Conseil de sécurité en novembre 2003.467

Certains membres du personnel de la MONUC ont exprimé leur frustration face au manque de capacité à traiter les questions d’exploitation économique. La mission n’a pas intégré le lien entre ressources et conflit dans son analyse politique, lien perçu comme un minimum absolu par de nombreux observateurs pour comprendre le contexte politique.468 Par conséquent, peu de suites ont été données aux conclusions du panel d’experts des Nations unies au sein de la MONUC et aucune action n’a été entreprise pour suivre ou aborder le lien entre conflit et contrôle des ressources naturelles qui existe toujours en Ituri (voir plus haut) et dans d’autres régions.


Les forces de maintien de la paix de la MONUC patrouillent les rues de Bunia. La MONUC a une présence limitée dans les régions minières aurifères de l'Ituri, scène de nombreux crimes ethniques et d'abus de droits humains. © 2004 Human Rights Watch

Institutions financières internationales

L’Ouganda est souvent cité comme un exemple de succès économique en Afrique mais les institutions financières internationales (IFI) ont été peu regardantes sur le rôle joué, dans le soutien à l’économie, par l’exploitation illégale ougandaise des ressources de la RDC. Le panel d’experts des Nations unies a rapporté en 2001 :

L’exploitation illégale de l’or en République Démocratique du Congo a amené une amélioration significative dans la balance des paiements de l’Ouganda. Ceci a ensuite donné aux bailleurs multilatéraux, en particulier au FMI qui suivait la situation du trésor ougandais, une confiance accrue en l’économie ougandaise.469

Les IFI n’ont pas publiquement reconnu l’existence de ce problème. Thomas Dawson, directeur du département relations extérieures du FMI a écrit en juin 2002 : « Au cours des dernières années, les politiques économiques du gouvernement ougandais se sont révélées efficaces pour contenir l’inflation et promouvoir une forte croissance économique. Le FMI a apporté son plein soutien à ce programme par des conseils et des prêts. » En septembre 2003, dans le cadre d’un examen des performances ougandaises selon le processus d’élaboration du document de stratégie de réduction de la pauvreté (DSRP), le FMI et la Banque mondiale ont vanté le pays pour sa croissance tirée par les exportations. Bien que le rapport ait soulevé des interrogations sur les droits humains et la situation humanitaire dans le Nord de l’Ouganda, il est resté silencieux sur le rôle joué par le pays en RDC.

Le FMI a montré dans d’autres pays qu’il pouvait être un farouche défenseur de la transparence et de la clarté en matière de revenus gouvernementaux mais il n’a pas été cohérent sur la transparence mondialement. Il est resté notablement silencieux sur le rôle de l’Ouganda en RDC en dépit de preuves significatives montrant que les revenus gouvernementaux provenaient de l’exploitation illégale des ressources de l’autre côté de la frontière.

La Banque mondiale s’est également dirigée vers une approche cohérente sur la transparence. Un examen de deux ans conduit par la Banque mondiale pour évaluer son rôle dans les industries extractives a largement conclu que la Banque devrait systématiquement traiter ces questions en exigeant des audits et la révélation publique précise des revenus et des dépenses. En dépit de telles conclusions, la Banque n’a pas fermement promu une telle approche en Ouganda, au Rwanda ou en RDC. Si une telle approche devait être adoptée, le public dans les pays riches en ressources naturelles pourrait avoir l’opportunité d’examiner de près les comptes du gouvernement.

D’autres bailleurs internationaux ont pris peu de mesures pour soutenir les initiatives d’enquêtes supplémentaires sur l’exploitation des ressources. Le Département britannique pour le développement international (DfID) représente une exception avec ses financements de projets centrés sur la gestion des ressources et la corruption. Le Royaume Uni a également assuré la promotion de l’Initiative sur la transparence des industries extractives qui cherche à augmenter la transparence dans les transactions entre les gouvernements et les compagnies au sein du secteur des industries extractives. Toutefois, le gouvernement de la RDC n’y participe pas.

Cour pénale internationale

La justice est un élément essentiel dans la reconstruction de la RDC et la fin de l’impunité. Comme l’a souligné le Secrétaire général des Nations unies, « l’impunité … peut être une recette encore plus dangereuse pour retomber dans le conflit. »470 Le 23 juin 2004, Luis Moreno Ocampo, le procureur de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé le début de la toute première investigation conduite par le bureau du procureur sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis en RDC. Un peu plus tôt dans l’année, le gouvernement de transition a déclenché l’action en requérant du procureur de la CPI qu’il enquête sur les crimes commis au Congo. L’une des régions prioritaires pour la CPI doit être l’Ituri. Le procureur de la CPI a affirmé en septembre 2003 que les crimes commis en Ituri semblaient être directement liés au contrôle des sites d’extraction des ressources naturelles et que « ceux qui dirigent les opérations minières, vendent des diamants ou de l’or extraits dans ces conditions, blanchissent l’argent sale ou fournissent des armes pourraient aussi être les auteurs de crimes, même s’ils sont basés dans d’autres pays. »471 Il a ajouté que ses services vérifieraient indépendamment les liens entre les meurtres et l’exploitation des ressources,472 fournissant ainsi une lueur d’espoir quant à une possible justice pour les crimes commis à Mongbwalu et dans d’autres régions de la RDC riches en ressources naturelles.




[432] Déclaration présidentielle du Conseil de sécurité des Nations unies (S/PRST/2000/20), 2 juin 2000. Le mandat du panel était de (i) assurer le suivi des rapports et recueillir des informations sur toutes les activités d’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse en RDC, notamment la violation de la souveraineté de ce pays ; (ii) réaliser recherches et analyses sur les liens entre l’exploitation des ressources naturelles et d’autres formes de richesse en RDC et la poursuite du conflit et (iii) revenir vers le Conseil avec des recommandations.

[433] Voir les rapports du panel d’experts sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République Démocratique du Congo, 12 avril 2001 (S/2001/357), 22 mai 2002 (S/2002/565), 16 octobre 2002 (S/2002/1146), 23 octobre 2003 (S/2003/1027) plus d’autres addenda.

[434] Voir les Annexes du Rapport final du panel d’experts des Nations unies sur l’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse de la République démocratique du Congo, 16 octobre 2002 (S/2002/1146).

[435] Ibid., RAID, « Questions sans réponses », avril 2004 et Ibid., Groupe britannique interpartis sur la région des Grands Lacs, février 2005.

[436] Ibid., Rapport du Panel du panel d’experts, 23 octobre 2003 (S/2003/1027), para 23.

[437] Ibid., Groupe parlementaire britannique interpartis sur la région des Grands Lacs, février 2005, p. 12.

[438] Ibid. p. 17.

[439] Déclarations présidentielles du Conseil de sécurité des Nations unies, 2 juin 2002, S/PRST/2000/20), 3 mai 2001 (S/PRST/2001/13), 19 décembre 2001 (S/PRST/2001/39), 19 novembre 2003 (S/PRST/2003/21) et résolutions du Conseil de sécurité 1457 et 1499, 24 janvier 2003 et 13 août 2003.

[440] Résolution 1457 du Conseil de sécurité 1457 (S/RES/1457/2003), 24 janvier 2003. 

[441] Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales (Paris, OCDE), 2000.

[442] Ibid., Procédures de mise en œuvre.

[443] Ibid., Groupe parlementaire britannique interpartis sur la région des Grands Lacs, février 2005, p. 4, 16, 17.

[444] Oxfam-Netherlands (NOVIB) et Nederlands Instituut voor Zuidelijk Afrika (NIZA), “Dutch NGOs Disappointed with Outcome of Case Against Traders in Congolese Coltan,” 15 juin 2004.

[445] Ibid., RAID, « Questions sans réponses ».

[446] Ibid., Groupe parlementaire britannique interpartis sur la région des Grands Lacs, février 2005, p. 5.

[447] Ibid., p. 5.

[448] Entretien conduit par Human Rights Watch avec le Juge David Porter, Ouganda, 8 juillet 2004.

[449] Rapport final de la Commisson judiciaire d’enquête sur les allégations d’exploitation illégale des ressources naturelles et autres formes de richesse en République Démocratique du Congo 2001 (mai 2001-novembre 2002), Kampala, novembre 2002, p. 199.

[450] Ibid., p. 203.

[451] Ibid., p. 204.

[452] Entretien conduit par Human Rights Watch avec le Juge David Porter, 8 juillet 2004.

[453] Ibid., Supplément confidentiel au Conseil de sécurité des Nations unies, novembre 2003.

[454] Lettre de Président Yoweri Katuga Museveni à Son excellence Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies au sujet de l’intégration des groupes armés d’Ituri, 3 juillet 2004.

[455] Ibid., Rapport du Panel d’experts des Nations unies (S/2002/1146), 16 octobre 2002.

[456] Ibid., Rapport du Panel d’experts des Nations unies, rapport additionnel (S/2002/1146/Add.1) juin 20, 2003.

[457] “Reaction of Rwanda to the final report of the Panel of Experts on the Illegal Exploitation of the Natural Resources and Other Forms of Wealth of DR Congo”, S/2003/1048, 30 octobre 2003.

[458] “DRC-Rwanda: Kigali to probe allegations of plunder of Congo’s resources”, IRIN News, 23 octobre 2003.

[459]  Entretiens conduits par Human Rights Watch avec différentes sources à Beni, Bunia, Kampala, février 2004. Egalement Ibid., Panel d’experts, Rapport confidentiel au Conseil de sécurité des Nations unies, novembre 2003.

[460] Ibid., Conseil de sécurité des Nations unies, Special Report on the Events in Ituri, p 13.  Egalement, Ibid., Supplément confidentiel au Conseil de sécurité des Nations unies, novembre 2003.

[461] Entretien conduit par Human Rights Watch avec un ancien porte-parole de l’UPC, Bunia, 21 février 2004.

[462] Etabli selon l’Accord global et inclusif sur la transition en RDC.

[463] Francois Misser, “Once the Wild West for business, the DRC is now reviewing all its resource contracts,” Business Report, octobre 2004.

[464] Entretien conduit par Human Rights Watch par téléphone depuis Londres, 8 décembre 2004.

[465] Ibid., Misser, “Once the Wild West for business, the DRC is now reviewing all its resource contracts”.

[466] Résolution du Conseil de sécurité des Nations unies 1565 (2004), S/RES/1565 (2004), 1er octobre 2004.

[467] Ibid., Supplément confidentiel du Panel d’experts des Nations unies.

[468] Entretien conduit par Human Rights Watch avec un analyste diplomatique, Kinshasa, 30 septembre 2004.

[469] Ibid., Rapport du panel d’experts des Nations unies, avril 2001 (S/2001/357).

[470] Rapport du Secrétaire général au Conseil de sécurité des Nations unies sur la protection des civils dans les conflits armés, S/2004/431, 28 mai 2004.

[471] Luis Moreno-Ocampo, « Rapport du Procureur de la Cour pénale internationale à la seconde assemblée des états parties au Statut de Rome », 8 septembre 2003.

[472] Ibid.


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