Rapports de Human Rights Watch

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L’aide aux victimes

L’impact dévastateur de la violence sexuelle sur les personnes et sur l’ensemble de la société est affligeant. Au cours des dernières années, les organisations locales ont attiré l’attention sur l’ampleur de la crise dans l’Est du Congo et elles ont été les premières à offrir une assistance aux victimes. La société civile congolaise est dynamique et constitue depuis longtemps un important pilier de l’aide aux populations affectées de l’Est du Congo. Avec la guerre et l’érosion des services publics, ces groupes offrent souvent la seule aide disponible aux personnes qui sont dans le besoin, notamment celles qui ont subi des crimes de violence sexuelle.

L’urgence médicale

Les femmes et les filles qui ont été victimes de crimes de violence sexuelle ont des besoins médicaux et psychologiques auxquels il faut répondre, à la fois pour soulager la détresse dans laquelle elles se trouvent dans l’immédiat et pour leur donner la force d’aller en justice pour réclamer réparation. Une personne qui souffre, qui est incontinente ou déprimée est peu susceptible de porter une affaire devant un tribunal. 

Les femmes et les filles qui ont subi des violences sexuelles souffrent de fistules et autres lésions ainsi que d’infections et de maladies sexuellement transmissibles, notamment le VIH/SIDA. Certaines tombent enceintes et souffrent de complications liées au viol pendant leur grossesse ou l’accouchement. L’avortement est illégal au Congo.163 Certaines victimes ont essayé de se faire avorter et ont eu des complications en raison des conditions peu sûres dans lesquelles sont pratiqués les avortements.

La prévalence du VIH/SIDA au Congo n’est pas connue mais il est probable que beaucoup de femmes et de filles violées par des soldats et des combattants ont contracté le VIH/SIDA. La prévalence de l’infection parmi les combattants est généralement supérieure au taux moyen d’infection de la population congolaise et la violence des agressions accroît le risque d’infection en raison des déchirures et des lésions des tissus génitaux. ONUSIDA estime que le taux de prévalence au niveau national est d’environ 4,2 pour cent mais le Programme national de lutte contre le SIDA estime pour sa part que la prévalence dans l’Est du Congo est beaucoup plus élevée, entre 20 et 22 pour cent.164

La plupart des victimes de violences sexuelles ne passent pas d’examen médical et ne suivent pas de traitement médical après leur agression. Elles vivent dans des zones rurales où il n’y a pas de service médical disponible, elles n’ont pas assez d’argent pour suivre un traitement ni même pour payer le transport jusqu’à une clinique ou bien elles craignent qu’une visite médicale ne révèle publiquement qu’elles ont été violées. Déjà avant la guerre, le système de soins de santé congolais était dans un état de délabrement et pendant la guerre, bon nombre de centres médicaux et d’hôpitaux ont été pillés et détruits. Là où les bâtiments tiennent encore debout, il n’y a pas suffisamment de personnel pour dispenser les services ou distribuer les médicaments et le matériel nécessaires ou il n’y a carrément plus de personnel du tout. Les centres de dépistage et de traitement du VIH/SIDA sont tout particulièrement nécessaires mais il n’en existe que quelques-uns, situés pour la plupart dans les centres urbains. Dans l’Est du Congo, un seul programme, basé à Bukavu, fournit des antirétroviraux aux personnes infectées par le VIH/SIDA et en octobre 2004, il n’avait traité que 127 patients.165 Les traitements prophylactiques post-exposition – médicaments qui peuvent prévenir l’infection par le VIH s’ils sont pris dans les 72 heures qui suivent le viol – et les médicaments empêchant la transmission de la mère à l’enfant ne sont pas disponibles à grande échelle. Les agences de santé liées à l’Eglise offrent une assistance médicale limitée en milieu rural et certaines ONG locales, telles que Solidarité pour la Promotion Sociale et la Paix (SOPROP), PAIF, et le Centre Mater Misericordiae offrent les premiers soins à Goma, Kitshanga, Butembo, Katana et Bukavu.

Etant donné les cas de violences sexuelles généralisées qui ont été rapportés et les conséquences désastreuses de l’infection par le VIH/SIDA suite à des violences sexuelles, les centres médicaux devraient faire subir des tests de dépistage après ce type de violences et fournir de façon routinière à tous les patients des informations sur la transmission, le dépistage volontaire et le traitement du VIH/SIDA ainsi que sur l’assistance psychologique en cas d’infection.

Réadaptation psychologique et sociale

Outre les conséquences physiques des crimes, les femmes, les filles et leurs communautés doivent gérer les effets psychologiques et sociaux. Bon nombre de victimes de violences sexuelles sont déprimées, souffrent de maladies psychosomatiques, voire se suicident. Si le viol entraîne une grossesse, la plupart des femmes et des filles donnent naissance à l’enfant, en partie parce que l’avortement est illégal mais aussi parce qu’il est considéré par beaucoup comme immoral. Ces mères se débattent pour trouver des moyens de vivre avec ces enfants nés d’un viol et elles et leurs enfants sont souvent rejetés par leurs familles. Les conséquences de ce rejet sont graves car au Congo, les familles sont souvent le seul filet de sécurité pour assurer la protection et la survie des personnes vulnérables.

A la mi-2004, dans l’Est du Congo, toute une série d’organisations offraient une prise en charge psychologique, une assistance pratique telle que des programmes de formation professionnelle ou de micro-crédits ainsi qu’un soutien général pour surmonter la stigmatisation et l’isolement liés au fait d’avoir été victime de violences sexuelles. Mais le viol généralisé a déchiré la vie des personnes et des communautés et l’aide offerte est nettement insuffisante pour répondre aux besoins.

Assistance juridique

Plusieurs ONG locales cherchent à offrir une aide juridique aux victimes qui réclament justice. Il s’agit d’une situation relativement récente et il se pourrait que la fourniture de ces services se développe étant donné l’augmentation du nombre de victimes qui demandent réparation. Au Sud Kivu, l’AED et l’Initiative Congolaise pour la Justice et la Paix (ICJP) fournissent des conseils et une assistance juridiques à des femmes et des filles qui sont victimes de violences sexuelles tandis qu’au Nord Kivu, ce sont le SAJ à Goma et le CEJA à Butembo qui apportent une assistance juridique à ces victimes.

Depuis l’entrée en fonction du gouvernement de transition, ce dernier n’a pris que des mesures très limitées pour gérer le problème de la violence sexuelle. Il a délégué des représentants pour participer à une mission conduite par l’ONU pour évaluer le problème de la violence sexuelle dans l’Est du Congo et il a annoncé que le Fonds Social national paierait l’assistance médicale urgente aux victimes de violences sexuelles.166 Les efforts entrepris pour que les systèmes judiciaires militaire et civil fonctionnent de manière efficace faciliteront, bien entendu, la poursuite des auteurs de crimes de violence sexuelle.



[163] Au Congo, l’avortement est interdit par la loi sauf si un médecin considère que la grossesse pourrait être fatale pour la mère. Human Rights Watch estime que les décisions en matière d’avortement appartiennent à la femme enceinte sans ingérence de l’Etat ou d’autres personnes. Le refus d’accorder à une femme enceinte le droit de prendre cette décision viole et menace toute une gamme de droits humains. Les gouvernements devraient prendre toutes les mesures nécessaires, à la fois immédiates et progressives, pour veiller à ce que les femmes soient informées et aient libre accès à des services d’avortement légaux et sûrs afin qu’elles puissent exercer leurs droits de reproduction et autres droits humains. Les responsabilités du gouvernement en matière d’accès des femmes à l’avortement sont fondées sur les droits économiques, sociaux et culturels et elles doivent être assumées en fonction du principe de réalisation progressive, en utilisant le maximum des moyens disponibles. Les services d’avortement devraient se conformer aux normes internationales relatives aux droits humains, notamment celles concernant l’adéquation des services de santé.

[164] Programme national de lutte contre le SIDA, Plan stratégique de lutte contre le VIH/SIDA/MST (1999-2008). Septembre 2003; ONUSIDA/OMS, Epidemiological fact sheets on HIV/AIDS and sexually transmitted diseases – Democratic Republic of Congo (www.unaids.org/EN/Geographical+Area/by+country/democratic+republic+of+congo.asp, (consulté le 17 janvier 2005).

[165] Médecins Sans Frontières, Kinshasa and war-torn Bukavu region, DRC, celebrate first year of ARV treatment, http://www.msf.org/countries/page.cfm?articleid=6142E492-A180-4608-87CCBF0F0A0B812B (consulté le 17 janvier 2005).

[166] Discours du Président Joseph Kabila, 8 mars 2004, consulté le 6 mai 2004 sur http://www.digitalcongo.net/fullstory.php?id=34987.


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