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I. Résumé

Le gouvernement du Burundi et son principal rival, le groupe rebelle FDD, les Forces pour la Défense de la Démocratie, ont signé les Protocoles de Pretoria des 8 octobre et 2 novembre 2003, dans le but renouvelé de mettre un terme à une guerre qui a dépassé ses dix années d’existence. Depuis octobre, les combattants des deux forces ont, en règle générale, observé un cessez-le-feu à travers le pays, et même, à certains endroits, partagé de la bière ou de la nourriture ensemble, en gage de leur nouvelle entente. Néanmoins, au début du mois de novembre, et, en partie, parce que d’importantes questions restaient non finalisées, telles la composition de la nouvelle armée, la paix ne restait encore qu’un espoir.

Par ailleurs, un second groupe rebelle, les Forces Nationales de Libération (FNL), rejetait avec véhémence toute négociation avec le gouvernement et, depuis le début du mois de septembre, se trouvait aux prises avec les FDD. En plus des combats qui les ont opposés dans la province de Bujumbura rural, et dans certaines parties des provinces voisines de Bubanza et Muramvya, les deux groupes rebelles ont déplacé leurs affrontements en plein cœur de certaines zones de la capitale de Bujumbura, chacun se livrant à une chasse à l’homme envers les partisans supposés du groupe adverse.

Une fois que les FDD auront intégré le gouvernement, comme stipulé dans les Protocoles de Pretoria, le gouvernement inclura le parti majoritaire tutsi Uprona et deux partis à dominance hutu, le Frodebu et celui des FDD. L’image multiethnique qu’offre ce gouvernement ne convainc pas les FNL qui persistent à définir la guerre en termes ethniques, considérant les Tutsi comme le véritable ennemi et les membres du gouvernement, comme des valets à leur solde.

Au cours des récentes opérations militaires qui ont opposé les rebelles et les soldats de l’armée gouvernementale, aussi bien que dans les affrontements entre groupes rebelles rivaux, les civils ont été délibérément tués, blessés, violés, volés, enlevés, et forcés de fuir, tous ces actes commis en violation du droit international humanitaire. Pour reprendre les termes d’une victime : « C’est chaque jour que nous sommes victimes. Nous sommes réellement les grands oubliés. »

L’oubli, c’est le même sort que le Protocole de Pretoria du 2 novembre a manifestement choisi de réserver à la question de la justice pour ces victimes. Dans le meilleur des cas, cette justice sera reportée à plus tard. En effet, le Protocole accorde l’immunité provisoire à tous les combattants des FDD ainsi qu’à tous les soldats de l’armée gouvernementale, une mesure qui les protège, de façon illimitée, contre toutes poursuites.

Ce rapport documente une opération militaire qui a eu lieu à Kabezi en avril, lorsque les combattants des FNL et les militaires de l’armée burundaise ont ouvert le feu, sans égard pour les civils qui fuyaient la zone des combats en masse. Les soldats burundais ont par la suite délibérément tué d’autres civils dans la zone, apparemment en représailles à une embuscade que leur avaient tendue les rebelles.

Dans deux autres cas, à Ruziba et Muyira, en septembre, les militaires de l’armée burundaise ont massacré des civils, apparemment en représailles à l’assassinat de plusieurs d’entre eux par des membres des FNL dans le voisinage.

Depuis la fin du mois d’avril, les combattants des FDD ont délibérément tué des représentants de l’administration et d’autres civils. Ils en ont aussi enlevé d’autres, en ce compris quatre parlementaires et des représentants d’agences humanitaires. Ils ont recruté des civils par force, pour servir dans leurs rangs.

Des femmes ont été violées à Ruyigi, Bubanza, Kayanza, Bujumbura rural, et dans d’autres parties du pays, par des combattants des mouvements rebelles ainsi que par des soldats du gouvernement.

A travers tout le pays, les rebelles et les militaires ont pillé des biens à caractère civil, parfois en chassant les civils de chez eux pour mieux opérer. Les rebelles et les militaires ont soumis les civils à des corvées, sans les payer, les utilisant comme porteurs ou guides, parfois même dans des régions où l’insécurité les exposait au danger.

Les agences humanitaires ont rencontré des difficultés pour obtenir accès aux régions où les populations civiles étaient dans le besoin, soit, pour cause d’insécurité à cause des combats, soit, parce que les autorités militaires leur en avaient interdit l’accès, alors même que la région semblait plus sûre. Des travailleurs humanitaires ont aussi été attaqués, et ont fait l’objet d’enlèvement ou d’embuscade.

La Mission Africaine (African Mission in Burundi, AMIB), première expérience de force de maintien de la paix déployée par l’Union Africaine, compte quelques 2.800 hommes depuis la mi-octobre, mais ces soldats ont pour mission de superviser la mise en oeuvre des accords de paix et ne protègent pas les civils.

Le gouvernement a mis en détention des dirigeants politiques à trois reprises dans les cinq derniers mois. Tous furent finalement relâchés sans avoir bénéficié d’un procès. Le ministre de la communication a interdit aux journalistes d’interviewer ou de paraphraser les représentants de la rébellion et en septembre, a ordonné la suspension de deux radios privées, pour avoir diffusé des propos de ce type.

Dans le domaine crucial de la justice, le gouvernement multiplie les initiatives contradictoires. L’Assemblée Nationale de Transition a adopté la loi portant ratification du Statut de Rome portant création de la Cour Pénale Internationale, mais le président n’a toujours pas promulgué la loi ni dévoilé le sort qu’il lui réserve. En mai, la loi de répression du crime de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, longtemps revendiquée par les Tutsi fut adoptée et promulguée, mais en août, l’Assemblée Nationale de Transition votait la loi portant immunité provisoire, censée exonérer de toutes poursuites judiciaires un certain nombre de leaders hutu rentrés d’exil. Arrangements mutuels poursuivant des fins politiques, ces ententes apparaissent davantage vouloir satisfaire les revendications propres à chaque communauté tutsi et hutu, que de faciliter l’œuvre de justice. Le Protocole du 2 novembre a étendu la notion d’immunité à tous les membres des forces armées nationales et à tous les combattants des FDD, sans assortir cette protection d’une limite dans le temps. Le ministre de la justice a travaillé sur d’ambitieuses réformes du système judiciaire, mais a fait peu de progrès dans le traitement des dossiers en cours, en partie à cause de la grève des magistrats qui a paralysé le fonctionnement des cours et tribunaux pendant près de deux mois. Récemment néanmoins, les autorités judiciaires ont procédé à l’arrestation de quelques personnalités dans le dossier, pendant depuis longtemps, de l’assassinat du représentant de l’Organisation Mondiale de la Santé au Burundi.

Les juridictions militaires ont failli à poursuivre et mettre en jugement les militaires impliqués dans les crimes décrits dans le présent rapport, et dans les précédents rapports de Human Rights Watch.

Les parties au premier accord de paix du pays, l’Accord d’Arusha de 2000, ont demandé au Conseil de Sécurité des Nations Unies l’établissement d’une commission internationale d’enquête pour investiguer le génocide et autres crimes contre l’humanité commis au Burundi, mais malgré une nouvelle requête officielle du gouvernement burundais en ce sens, les Nations Unies n’ont pas même envoyé une mission préliminaire exploratoire pour étudier la faisabilité d’une telle commission.

Le Burundi n’attire l’attention de la communauté internationale que de façon intermittente, laquelle réagit plus sévèrement lorsque les avancées rebelles menacent directement la capitale. Soucieux de parvenir à une stabilité, certains acteurs internationaux n’ont pas hésité à soutenir des initiatives qui étaient censées manifester un avancement dans le processus, comme celle du cantonnement de Muyange, même lorsque celles-ci s’inscrivaient dans un contexte défaillant, qui les vouait à l’échec. Bien que théoriquement ils aient soutenu l’effort africain de maintien de la paix, les bailleurs n’ont pas procuré à l’AMIB les financements nécessaires à l’efficacité de son mandat.

Ce rapport couvre la période qui s’étale de la mi-avril à la mi-novembre 2003, et est le résultat d’investigations menées au Burundi pendant les mois de juin, août, septembre et octobre 2003. Human Rights Watch tient à remercier et saluer ses collègues burundais et tous les témoins qui ont contribué à ce rapport, et dont les noms ne sont pas publiés, par souci de sécurité.


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decembre 2003