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Rapport Mondial 2001: Tunisie FREE    Join the HRW Mailing List 
Dégradation de la situation des droits humains en tunisie
Document Public
(29 mars 2001)

Une lettre à l'UE (29 mars 2001)
Une lettre à l'UE
Amnesty International
Avocats Sans Frontières
Euro-Med Human Rights Network
International Federation for the Leagues of Human Rights (FIDH)
Human Rights Watch
International Service For Human Rights
Observatory for the Protection of Human Rights Defenders
Reporters Without Borders
World Organization Against Torture (Omct)


Attaques de plus en plus ciblées contre les défenseurs des droits de l'Homme

Les autorités tunisiennes consacrent des ressources et une énergie considérables afin de donner de la Tunisie l'image d'un pays où la protection et la promotion des droits de l'Homme constituent une des premières priorités. A cette fin, les autorités, qui se font souvent assister par d'obscures associations soi-disant non-gouvernementales dont l'indépendance est sujette à caution, mènent d'importantes campagnes de relations publiques à l'extérieur, et ont créé une armada d'institutions officielles en charge des droits de l'Homme au sein de l'administration. Celles-ci vont du Ministre des droits de l'Homme au départements des droits de l'Homme au sein d'au moins quatre ministères (affaires sociales, affaires étrangères, justice et intérieur) en passant par le très étatique Haut Comité pour les droits de l'Homme et les libertés fondamentales, des conseillers présidentiels aux droits de l'Homme et un ombudsman.

Paradoxalement, alors que la bureaucratie officielle des droits de l'Homme est florissante, les membres des associations indépendantes qui oeuvrent en faveur des droits de l'Homme et leur famille se voient de plus en plus visés et réprimés. Ces pratiques visent à réduire au silence et à punir ceux qui défendent les droits de l'Homme, et à priver les victimes de violations des droits de l'Homme de toute possibilité de défense. A cet égard, le comportement des autorités tunisiennes est en violation avec les conventions internationales des droits de l'Homme auxquelles la Tunisie est partie, tels que le Pacte International relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), et la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (Convention des Nations Unies contre la torture), et également avec la Déclaration sur les Défenseurs des droits de l'Homme adoptée par consensus - et donc avec l'assentiment de la Tunisie - par l'Assemblée Générale des Nations Unies le 9 décembre 1998.

Si le fait, pour les autorités tunisiennes, de cibler spécialement les défenseurs des droits de l'Homme est un schéma devenu classique depuis déjà un certain nombre d'années, le phénomène s'est accentué au cours des derniers mois. Fin novembre 2000, un tribunal a suspendu les activités de la nouvelle direction de la Ligue des droits de l'Homme (LTDH) , et les locaux de la LTDH ont été mis sous scellés. Le prétexte avancé pour cette attaque menée contre la LTDH est celui d'une plainte déposée par quatre membres de la LTDH connus comme étant proches des autorités, qui mettaient en cause la régularité de l'assemblée générale de la LTDH et de l'élection d'une nouvelle direction qui avaient eu lieu un mois plus tôt. Cette plainte succédait aux violentes critiques émises publiquement par le responsable du parti au pouvoir du Président Ben Ali, relayées par une presse contrôlée par le gouvernement, à l'égard de la nouvelle direction de la LTDH, qui comprenait nombre de défenseurs des droits de l'Homme célèbres et connus pour leur franc-parler, qui avaient clairement fait savoir que la LTDH relèverait le défi de s'attaquer à la détérioration de la situation des droits de l'Homme dans le pays. Le 12 février 2001, le Tribunal annulait les résultats de l'assemblée générale de la LTDH d'octobre 2000, y compris l'élection d'une nouvelle direction. Depuis la suspension des activités de la LTDH en novembre dernier, sa direction et ses membres ont été empêchés à plusieurs reprises de se réunir dans des habitations privées, dans des bureaux ou dans des cafés ou restaurants, ou tout autre lieu public, que ce soit dans la capitale ou d'autres villes. A chaque occasion, des agents de sécurité ont encerclé les lieux où devaient se tenir les réunions, empêchant ainsi les participants d'accéder non seulement au bâtiment où la réunion devait avoir lieu, mais également aux rues où se trouvent ces bâtiments. En outre, les autorités ont engagé des poursuites judiciaires à l'encontre du Président de la LTDH, Mokhtar Trifi, et à l'encontre de son premier vice-président, Slaheddine Jourchi, pour avoir signé au nom de la LTDH des communiqués dans lesquels étaient dénoncées des violations des droits de l'Homme. Tous deux ont été inculpés, en mars et en janvier 2001 respectivement, de diffusion de fausses nouvelles et de refus de se conformer à une décision de justice. Ils attendent actuellement leur procès.
Le Dr. Moncef Marzouki, ancien Président de la LTDH et porte-parole du Conseil National des Libertés en Tunisie (CNLT) a été condamné en décembre 2000 à un an d'emprisonnement du chef de diffusion de fausses information et de maintien d'une association non autorisée, à savoir, le CNLT (qui s'est vu refuser la reconnaissance légale par les autorités). En juillet 2000, le Dr Marzouki avait été licencié arbitrairement de son poste public de professeur de médecine à l'Université de Sousse. Il ne s'agit là que des attaques les plus récentes subies par le Dr Marzouki, qui a derrière lui une longue histoire de harcèlement. Il avait été emprisonné pendant quatre mois au cours de l'été 1994 suite à une interview qu'il avait donnée à un journal espagnol à propos de la situation des droits de l'Homme en Tunisie. Après avoir récupéré son passeport, en mai 2000, après en avoir été privé pendant six ans, le Dr Marzouki se vit à nouveau empêché de quitter la Tunisie en décembre 2000, puis encore en mars 2001. D'autres membres dirigeants du CNLT et notamment son secrétaire général, Omar Mestiri, ont également été poursuivis ou menacés de poursuites, pour le même type d'inculpations, et font l'objet d'intimidations, de harcèlement et de surveillance constants. A plusieurs reprises, des agents de sécurité ont battu ou brutalisé des membres dirigeants du CNLT ou des militants. Ainsi, récemment, le 1er mars 2001, alors que le CNLT organisait une réception en l'honneur de sa nouvelle direction, les forces de sécurité ont empêché la tenue de la réunion en empêchant physiquement les participants d'accéder à la maison où elle devait avoir lieu, allant jusqu'à insulter et brutaliser certains d'entre eux. Des agents de sécurité ont battu et brutalisé Khadija Cherif, membre dirigeante de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD), Abdelkader Ben Khemis, membre du comité de liaison du CNLT, Sihem Ben Sedrine, la porte-parole nouvellement élue du CNLT, et d'autres personnes. Le 13 mars 2001 Khadija Cherif était à nouveau attaquée par des agents de sécurité, qui s'emparèrent par la force de documents qu'elle transportait. Des agressions similaires ont été menées à plusieurs reprises à l'encontre de membres du CNLT au cours des deux dernières années. En avril 2000, des membres dirigeants du CNLT, ainsi que des avocats, des défenseurs des droits de l'Homme et des journalistes étrangers ont été battus par la police. Parmi eux figuraient Sihem Ben Sedrine et Ali Ben Salem, âgé de 70 ans, lui aussi membre du CNLT. En décembre 2000, la voiture de Sihem Ben Sedrine fut fracturée, et elle retrouva un couteau de grande taille ainsi qu'un message de menaces à l'arrière de la voiture, alors que celle-ci était garée à l'extérieur de chez elle, sous les yeux des agents de police qui surveillent étroitement le bâtiment 24 heures sur 24. Au cours des derniers mois, des agents de police ont systématiquement empêché la tenue des réunions du CNLT en encerclant les maisons où elles devaient avoir lieu, et les victimes de violations des droits de l'Homme se voient régulièrement empêchées d'accéder au bâtiment où se situe le siège du CNLT.

Un autre cas exemplaire de répression et de harcèlement constants est celui de l'avocat défenseur des droits de l'Homme et membre dirigeant du CNLT Nejib Hosni. Après avoir bénéficié d'une libération anticipée il y a quatre ans à la suite d'une peine de prison qu'il n'aurait jamais dû purger, Hosni a été à nouveau emprisonné en décembre 2000. Après avoir été arrêté une première fois en 1994, il avait été condamné à un emprisonnement de huit ans pour une affaire montée de toute pièce de falsification d'un contrat foncier. Il fut libéré fin 1996, à la suite de protestations importantes émanant de l'étranger . Cependant, sa condamnation était assortie d'une interdiction arbitraire d'exercer la profession d'avocat, pendant une durée de cinq ans, et à sa libération, son passeport fut confisqué (il ne lui a toujours pas été restitué) et ses lignes de téléphone et de fax, tant professionnelles que privées, furent coupées, et n'ont jamais été rétablies depuis lors. Au printemps 2000, Nejib Hosni reprit l'exercice de la profession d'avocat, ayant reçu confirmation écrite de ce qu'il n'avait jamais été suspendu ou radié de la part du Conseil de l'Ordre des Avocats, la seule institution habilitée à suspendre ou à radier un avocat. Peu après, le Ministre de la Justice diffusa des instructions auprès des juridictions de tout le pays, afin qu'elles ne permettent pas à Nejib Hosni de traiter des affaires devant elles, et que l'accès aux dossiers de ses clients ne lui soit pas accordé. En septembre 2000, les autorités entamèrent des poursuites judiciaires à son encontre, du chef de refus de se conformer à une décision de justice, pour avoir défendu des victimes de violations des droits de l'Homme devant différentes juridictions du pays. Il fut condamné le 18 décembre 2000 à un emprisonnement de 15 jours. Le 5 janvier, jour où il devait être libéré à l'issue de la peine de quinze jours accomplie, le Ministre de l'Intérieur révoqua la mesure de libération conditionnelle en vertu de laquelle Nejib Hosni avait été libéré en novembre 1996, exigeant qu'il purge le reliquat des cinq ans et demi restant à purger de la condamnation à huit ans d'emprisonnement qui avait été prononcée en 1996 à la suite de l'affaire de faux montée de toutes pièces.


Radhia Nasraoui, membre du Conseil National de l'Ordre des Avocats tunisiens, subit depuis des années un véritable harcèlement et toutes sortes d'intimidation en raison de ses activités en faveur des droits de l'Homme. En mars 1998, après qu'elle se soit jointe à l'équipe des défenseurs d'un groupe de jeunes étudiants et de militants politiques accusés d'entretenir des liens avec le Parti Communiste des Ouvriers Tunisiens (PCOT), non autorisé, Nasraoui fut inculpée dans la même affaire et de ce fait empêchée de les assister en justice. Pendant un an et demi, il lui fut interdit de quitter la capitale, ce qui l'empêcha de rendre visite à des clients ou d'assister à des audiences ailleurs dans le pays. En janvier 1999, elle fut condamnée à un emprisonnement de quinze jours avec sursis pour avoir quitté la capitale pour assister aux funérailles de sa belle-mère. En juillet 1999, elle fut condamnée à six mois d'emprisonnement avec sursis, dans le procès du PCOT dont il est question plus haut. En outre, elle, ses enfants et d'autres membres de sa famille continuent d'être soumis à des mesures de harcèlement et d'intimidation. Ses enfants furent privés de passeports jusqu'en juillet 2000. Le bureau et la maison de Me Nasraoui continuent d'être sous surveillance policière étroite, ses lignes téléphoniques sont souvent coupées, et on l'empêche régulièrement de rendre visite à ses clients en prison, en violation de la loi tunisienne.

Des dirigeants et des membres d'autres ONGs et associations sont eux aussi ciblés. En juin 2000, Fathi Chamkhi, Président du Rassemblement pour une Alternative Internationale de Développement (RAID) et Mohamed Chourabi, membre du RAID, ont été condamnés à un mois d'emprisonnement pour les liens qu'ils entretiennent avec des associations non autorisés. Ils avaient été arrêtés en avril, en possession de rapports du RAID et du CNLT, organisations dont l'autorisation a été refusée par les autorités.

En octobre 2000, des dirigeantes et des membres de l'Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATDF) ont été brutalisées par la police alors qu'elles s'étaient rassemblée dans le centre de la capitale pour manifester leur solidarité au peuple palestinien. Le 29 janvier 2001, une réunion organisée par l'ATDF en signe de solidarité avec la LTDH ne pu se tenir, des agents de sécurité empêchant toute personne d'accéder au siège de l'ATDF à Tunis.

Il ne s'agit là que de quelques exemples de la stratégie utilisée par les autorités tunisiennes pour empêcher et décourager les Tunisiens de défendre les droits des autres. Par ailleurs, et en plus des cas précités, de nombreux avocats et défenseurs des droits de l'Homme sont victimes de manière persistante d'actes de harcèlement et d'intimidations qui affectent leur vie sociale, professionnelle et familiale. Leurs clients, amis et parents sont intimidés par des agents de la sécurité en civil qui les suivent ou les abordent pour leur poser des questions ou vérifier leur identité. Leur vie professionnelle et familiale est également entravée par les coupures de lignes téléphoniques et la confiscation du courrier, ce qui accroît par ailleurs leur vulnérabilité, en particulier dans les situations d'urgence.

Les autorités continuent d'utiliser la confiscation des passeports pour empêcher les défenseurs des droits de l'Homme de participer à des activités qui se déroulent à l'étranger. Si au printemps et en automne 2000 plusieurs défenseurs des droits de l'Homme qui en étaient privés depuis plusieurs années se sont vus restituer leur passeport, un nombre important de défenseurs en sont toujours privés, ou se sont vu confisquer leur passeport depuis lors. Parmi eux figurent Nejib Hosni, Sadri Khiari, Ali Ben Salem, Mohamed Chourabi, Jalel Zoghlami et Ali Ben Romdhane, membres de RAID ou du CNLT.

En ligne avec leur politique d'entrave aux activités des défenseurs des droits de l'Homme en Tunisie et à l'étranger, les autorités tunisiennes ont également expulsé ou refusé l'entrée dans le pays à un certain nombre de représentants d'organisations internationales de défense des droits de l'Homme et à des journalistes étrangers. En juillet 2000, le Président de la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l'Homme (FIDH) et une chercheuse d'Amnesty International, qui sont interdits de séjour en Tunisie depuis 1995 et 1994 respectivement, se sont vu refouler à leur arrivée à l'aéroport de Tunis. En janvier 2001, l'avocat français Eric Plouvier, mandaté par le Réseau Euro-méditerranéen des droits de l'Homme (REMDH) et l'Observatoire pour la Protection des Défenseurs des Droits de l'Homme afin d'assister au procès de la Ligue Tunisienne des Droits de l'Homme, a été refoulé à son arrivée à l'aéroport de Tunis. En février 2001, le Secrétaire général de RSF, Robert Ménard, et Jean-François Julliard, un membre de l'organisation, ont été expulsés de Tunisie (cf. détails infra). D'autres défenseurs des droits de l'Homme et journalistes qui ont été interdits de séjour ou expulsés de Tunisie les années précédentes n'ont pas été autorisés à revenir en Tunisie.


Restrictions imposées aux media et à la société civile

La situation qui a amené la World Association of Newspapers, dont le siège est à Paris, à expulser son affiliée tunisienne en 1997, n'a pas changé. La télévision, la radio et la presse quotidienne tunisiennes ne critiquent pas la politique répressive menée par les autorités et ignorent les informations des organisations non-gouvernementales tunisiennes et internationales relatives à la situation des droits de l'Homme et des libertés publiques, ou qui pourraient être perçues comme une critique de la politique ou des actions des autorités. Les journaux tunisiens privés utilisent le même ton que la presse officielle. Des périodiques plus petits qui dévient parfois prudemment de la ligne officielle ont été saisis quand ils ont publiés des articles plus osés. Une de ces publications, al-Mawqif, a été interdite pour cette raison au cours des derniers mois. Deux nouvelles publications, Kalima, publié par Sihem Ben Sedrine, et Kaws el Karama, publié par Jalel Zoghlami, n'ont pas été autorisées par les autorités.

En février 2001, Jalel Zoghlami a été attaqué et frappé en plein jour et au centre de la capitale par des hommes suspectés d'être des agents de sécurité. Trois jours plus tard, les forces de sécurité l'ont assailli devant sa demeure, ainsi que des amis à lui parmi lesquels des défenseurs des droits de l'Homme. Ils ont été battus avec des barres de fer et des bâtons et au moins sept d'entre eux ont été gravement blessés. Les forces de sécurité sont restées postées en grand nombre devant la maison de Jalel Zoghlami pendant toute la nuit et le jour suivant, et ont empêché les avocats et d'autres personnes d'entrer dans la maison. 22 personnes, parmi lesquelles les blessés, s'y trouvaient. Au printemps 2000, le frère de Jalel Zoghlami, Taoufik Ben Brik, journaliste et correspondant de plusieurs organes de presse étrangers, a entrepris une longue grève de la faim pour protester contre la confiscation de son passeport et le harcèlement policier dont lui et sa famille étaient victimes. C'est également au printemps 2000 que les autorités ont fermé pendant trois mois la maison d'édition de Sihem Ben Sedrine, Aloès, après la tenue d'une réunion publique sur la liberté de la presse en Tunisie dans les locaux.

Le 21 février, alors que Robert Ménard, le Secrétaire général de RSF, Virginie Locussol, responsable de l'Afrique du Nord dans l'organisation, et Hervé Deguine distribuaient le journal interdit Kaws el-Karama dans la capitale, des policiers en civil ont saisi les exemplaires du journal. Un quatrième membre de l'organistion, Jean-François Julliard, qui filmait les événements, a été assailli par trois policiers qui ont saisi sa caméra. Robert Ménard et Jean-François Julliard ont alors été emmenés à l'aéroport et expulsés vers la France par les policiers, qui les ont déclarés personae non gratae.

En mai 2000, quelques jours après avoir publié un article critiquant la politique du Président Ben Ali dans le quotidien français Le Monde, Riadh Ben Fadhel, journaliste et ancien éditeur de la version arabe du Monde Diplomatique, a été frappé et gravement blessé à la poitrine par des hommes armés non identifiés. Cette attaque, faisant penser à une tentative d'exécution extrajudiciaire, s'est déroulée devant la maison de Ben Fadel, proche du palais présidentiel et des résidences des membres de la famille du Président, un quartier extrêmement bien gardé.

Des ONG renommées, comme l'ATFD ou l' Association Tunisienne des Jeunes Avocats (ATJA), et leurs membres continuent de rencontrer des obstacles dans leurs efforts de prendre des positions indépendantes sur les questions d'actualité. Leurs activités aux niveaux régional et international sont entravées par une surveillance policière et par le fait que nombreux sont leurs membres qui ont été privés de passeport à un moment ou à un autre. Le gouvernement tunisien a également exprimé son désaccord et bloque l'octroi d'un financement que la Commission européenne avait approuvé au profit de la LTDH.

Le gouvernement a refusé d'autoriser la création de nouvelles organisations de défense des droits civils, étouffant les tentatives en ce sens. Le Ministère de l'Intérieur a ainsi refusé d'autoriser le CNLT, créé le 10 décembre 1998 à l'occasion du 50ème anniversaire de la Déclaration Universelle des droits de l'Homme, ainsi que RAID, et leurs membres sont continuellement harcelés pour maintenir une organisation non autorisée (voir supra).

Les syndicalistes qui ont exprimé leurs préoccupations concernant le contrôle par les autorités de l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT), ont également été la cible d'une répression. En mai 1999, au moins dix syndicalistes qui avaient signé des pétitions et prononcé des déclarations dénonçant l'interférence du gouvernement dans les affaires de l'UGTT, ont été arrêtés et détenus pendant quelques jours.

Il est difficile pour les ONG et militants tunisiens de communiquer régulièrement et librement - entre eux en Tunisie et avec l'étranger - en raison de la surveillance et l'interception des communications par courrier, téléphone, fax et l'Internet. Une loi sur les télécommunications, publiée le 2 juin 1998, stipule que "...tout matériel postal portant atteinte à l'ordre public et la sécurité nationale est interdit. ...Si un tel courrier est découvert, ... il sera confisqué conformément à la loi en vigueur."

Les sites Internet des organisation internationales de défense des droits de l'Homme, des médias et des organes des Nations Unies relatifs aux droits de l'Homme sont la plupart du temps inaccessibles, tandis que d'autres sites sont bloqués ponctuellement. Les sites de certains journaux et stations de radio et de télévision français sont régulièrement bloqués lorsqu' ils critiquent les autorités tunisiennes.


Répression de toutes les voix divergentesRépression de toutes les voix divergentes

La période de réformes initiée après la prise de pouvoir par le Président Zine al-Abidine Ben Ali en novembre 1987 a été extrêmement brève, la situation des droits de l'Homme ayant commencé à se dégrader à la fin de l'année 1990. Au milieu des années 1990, la répression, qui visait principalement les Islamistes, s'est étendue aux militants de gauche et à toutes les autres tendances de l'opposition politique, y compris ceux qui avaient soutenu les répression de l'opposition islamiste, les leaders estudiantins, les syndicalistes, les associations professionnelles, les médias, etc.

Aujourd'hui, les opposants et détracteurs présumés ou avérés du gouvernement, à travers l'ensemble du spectre politique, risquent la détention pour avoir simplement exercé leur liberté d'expression, d'opinion et d'association. Des milliers d'opposants politiques réels ou supposés ont été torturés et emprisonnés à l'issue de procès inéquitable au cours de la dernière décennie. En dépit de la libération de plus de 500 prisonniers de conscience en novembre 1999, environ mille d'entre eux sont toujours en prison dans des conditions qui constituent un traitement cruel, inhumain et dégradant. Leurs proches sont harcelés, intimidés, privés de leurs passeports et détenus.

Les anciens prisonniers de conscience sont régulièrement empêchés de travailler et de reprendre une vie normale et sont appelés à se présenter à la police, de plusieurs fois par jour à plusieurs fois par semaine, selon les cas. Cette pratique, dénommée contrôle administratif, est selon les cas imposée arbitrairement ou par les juridictions comme élément d'une condamnation ; dans ce cas, le contrôle administratif est imposé pour une période de cinq ans à compter de la libération, mais les anciens prisonniers continuent de devoir se présenter à la police longtemps après l'expiration des cinq ans. Le cas de Ali Sghaier, père de sept enfants, est un exemple de cette pratique : des années après avoir purgé la sentence de trois ans à laquelle il a été condamné pour ses opinions politiques, il doit toujours se présenter quotidiennement à la police et est empêché de travailler ; il ne peut par conséquent pas subvenir aux besoins de sa famille. En juin 2000, désespéré, il a emmené son enfant cadet au marché hebdomadaire de Douz (Sud du pays) et a brandi un panneau sur lequel était écrit : " on m'empêche de travailler et de nourrir mes enfants, quelqu'un souhaite-t-il les acheter ? ". Il a été arrêté et condamné à six mois d'emprisonnement en septembre 2000.

Les proches des prisonniers politiques sont victimes de harcèlement et d'entraves et ceux qui continuent de soutenir financièrement ces personnes ainsi que les opposants en exil, même dans une modeste mesure, sont eux mêmes poursuivis pour soutenir des " associations non autorisées ".

La privation arbitraire des passeports est une des mesures la plus souvent utilisée contre les défenseurs des droits de l'Homme et les opposants politiques réels ou supposés, mais aussi contre leurs proches. Cette politique fait grandement souffrir les familles des réfugiés politiques qui vivent en Europe. Les femmes de ces opposants sont souvent empêchées de quitter le pays avec leurs enfants pour bénéficier de la réunification familiale. Ceux qui, désespérés, ont tenté de quitter le pays sans passeport ont été emprisonnés pendant de longues périodes. Bien que de nombreux cas aient été résolus au cours des dernières années, en raison de la pression internationale, y compris des démarches entreprises par les Etats membres de l'UE, de nombreuses familles restent divisées en raison de cette politique vindicative.

Les Tunisiens ordinaires qui travaillent ou étudient à l'étranger sont souvent arrêtés lorsqu'ils rentrent en Tunisie pour voir leur famille et sont emprisonnés pour avoir eu des contacts avec les opposants politiques à l'étranger, même si dans certains cas, ils n'ont eu que des rapports strictement sociaux avec eux, sans être au courant de leurs activités politiques. La législation tunisienne a été amendée en 1993 (Article 305 du Code de Procédure Pénale) pour inclure une disposition permettant que tout Tunisien soit poursuivi en Tunisie pour des activités menées à l'étranger, même si ces activités ne constituent pas un délit dans le pays où elles ont été accomplies. Au cours des derniers mois, au moins cinq personnes ont été arrêtées à leur retour en Tunisie sur la base de ces accusations et ont été condamnées à de longues peines de prison.


Procès inéquitables : un pouvoir judiciaire qui manque d'indépendance

Les juridictions tunisiennes ne garantissent aucunement les droits élémentaires de la défense à un procès équitable quand il s'agit de procès impliquant des accusations de nature politique. Les examens médicaux sont systématiquement refusés aux défendeurs, bien qu'ils aient le droit en vertu de la législation tunisienne de demander de tels examens, et ce même quand des séquelles de la torture sont encore apparentes - des mois après que ces personnes aient été torturées. Les défendeurs se voient également souvent interdire d'appeler des témoins en leur faveur. Les juges ignorent généralement leurs allégations selon lesquelles ils ont été contraints par la force de signer des " confessions ", sans même les avoir lues. Tout au contraire, ils utilisent ces " confessions " comme principale preuve pour les condamner.

Les défendeurs sont très souvent accusés "d'appartenance à une bande de malfaiteurs", "participation à un projet ayant pour but de porter atteint aux personnes ou aux biens", et autres accusations du même type, bien que les délits poursuivis soient strictement politiques et non violents, notamment : avoir des liens avec des groupes d'opposition islamistes ou de gauche. Il s'agit là d'une tentative des autorités de présenter des individus réellement ou prétendument impliqués dans des activités d'opposition politique non violentes comme des criminels dangereux ou des "terroristes". Au cours des derniers mois, un grand nombre de prisonniers politiques ont entrepris de longues grèves de la faim pour protester contre leur emprisonnement, leurs conditions de détention, l'absence d'investigations en liaison avec la torture qu'ils prétendent avoir subie, et dans certains cas contre leur détention prolongée sans avoir été jugés. Pour les punir et les forcer à arrêter leur grève de la faim, les détenus en grève de la faim sont souvent battus ou maltraités ; ils se voient refuser les soins médicaux dont ils ont besoin, voire même de l'eau sucrée, et régulièrement, leur famille et leurs avocats ne peuvent leur rendre visite.

Ainsi, en novembre 2000, Abdellatif Bouhajila, Yassine Benzerti et plusieurs jeunes hommes accusés d'avoir entretenu des liens avec un groupe islamiste on été jugés pendant qu'ils menaient une longue grève de la faim - l'un d'entre eux avait été en grève de la faim pendant 89 jours et d'autre pendant plus de 70 jours. Ils ont été amenés au tribunal sur des brancards et ont été posés sur des bancs, car ils étaient dans l'impossibilité de s'asseoir ou de parler et étaient à peine conscients. Leurs avocats ont demandé le report du procès compte tenu de l'incapacité des défendeurs de participer au procès, mais le tribunal a refusé et les avocats de la défense sont sortis en signe de protestation. Les défendeurs ont été jugés et condamnés jusqu'à 17 ans de prison, sans avoir bénéficié d'aucune défense. De nombreux avocats tunisiens et défenseurs des droits de l'Homme ainsi qu'un député européen ont assisté à ce procès. Les représentants des ambassades européennes en Tunisie ont également assisté à plusieurs procès de défenseurs des droits de l'Homme et personnes jugées pour leurs opinions politiques.


Les droits de la femme en Tunisie

Depuis l'indépendance, la condition de la femme en Tunisie a connu de véritables progrès. Le Code du statut personnel, adopté sous le président Habib Bourguiba, a accordé aux femmes de nombreux droits dont elles ne bénéficiaient pas auparavant. Le taux d'analphabétisme féminin a chuté, leur présence dans l'éducation supérieure et dans la population active n'a cessé d'augmenter.

Cependant, les femmes subissent autant que les hommes des restrictions concernant l'exercice de leurs droits civils et politiques. Les tentatives de l'ATFD pour mobiliser l'opinion publique en faveur de certains domaines dans lesquels la situation de la femme pourrait être améliorée, à travers communiqués, campagnes, manifestations ou réunions, sont systématiquement étouffées. Les manifestations publiques sont souvent interdites par les autorités. Certains membres, telles que l'avocate Najat Yacoubi, sont soumises à une surveillance constante. Les médias pro-gouvernementaux ignorent leurs activités, sauf pour colporter des rumeurs sur une association de "libertines", de "lesbiennes" et en donner une fausse image.

Par ailleurs, les autorités harcèlent de manière systématique les épouses de militants islamistes présumés qui sont en prison ou en exil. Celles-ci sont soumises à des détentions arbitraires, une surveillance constante, des perquisitions sans mandat, des interrogatoires de la police ou la privation de passeports. Certaines femmes ont subi des pressions de la part de la police pour divorcer de leur mari emprisonné ou exilé. Ces violations du droit ont été dénoncées dans le rapport du Rapporteur spécial des Nations unies sur la violence à l'encontre des femmes (E/CN.4/1999/68/Add.1).

Dans un autre domaine de la condition féminine, celui de la violence domestique, des progrès sont encore nécessaires. Selon l'ATFD, qui dirige le seul centre d'accueil du pays pour les femmes victimes d'abus, les violences faites aux femmes dans le cadre familial sont courantes. Pourtant, les représentants du gouvernement ne reconnaissent pas ce fait et, selon des militantes du droit des femmes, l'impunité prévaut, en raison du manque d'investigations de la part de la police et de l'indifférence de juges qui considèrent la violence familiale comme une affaire strictement privée. Là aussi, les restrictions sur les libertés politiques contribuent à ce problème : l'ATFD a demandé en vain à plusieurs reprises au gouvernement d'accorder aux organisations indépendantes le droit de combattre, en toute liberté, les violences dont sont victimes les femmes.

Le traitement de la situation des droits de l'Homme en Tunisie par les organes internationaux

L'Union européenne
Les Etats membres de l'Union européenne sont conscients des violations des droits de l'Homme et des restrictions faites aux libertés démocratiques et aux libertés d'expression et d'association en Tunisie. Le Parlement européen a adopté deux résolutions, en juin et en décembre 2000 (cf. supra), par lesquelles il exprime sa préoccupation face à la dégradation constante de la situation des droits de l'Homme en Tunisie et appelle l'UE à prendre des mesures concrètes pour traiter de cette question.

Le rapport d'évaluation du programme Meda-Démocratie pour 1996-1998, préparé pour la Commission européenne et publié en mars 1999, cite la Tunisie, dans la Section 2.9, comme l'un des pays euro-méditerranéens connaissant de graves problèmes dans la mise en oeuvre des activités de promotion des droits de l'Homme et des libertés démocratiques :

La Syrie et la Tunisie ont reçu la plus faible part des financements non seulement en terme de subventions par pays et per capita. Cela résulte des obstacles politiques importants posés au soutien direct des ONG dans ces pays sans l'accord du gouvernement, ainsi que de la nature totalitaire des systèmes politiques en place en Syrie et en Tunisie.


Les Nations Unies
Les mécanismes de protection des droits de l'Homme des Nations Unies présentent une sombre image de la situation en Tunisie. En décembre 2000, la Représentante spéciale du Secrétaire général des Nations Unies pour les défenseurs des droits de l'Homme a exprimé sa préoccupation concernant la suspension des activités de la LTDH et les intimidations dont sont victimes ses membres et a appelé le gouvernement tunisien à mettre fin au harcèlement des défenseurs des droits de l'Homme dans le pays.

En février 2000, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la liberté d'expression et d'opinion a publié un rapport (E/CN.4/2000/63/Add.4)à la suite de sa visite en Tunisie en décembre 1999, rapport dans lequel il exprime ses nombreuses préoccupations s'agissant des entraves imposées par les autorités à ces libertés et appelle fermement le gouvernement à adopter des mesures concrètes pour remédier à ces préoccupations.

En novembre 1998, le Comité des Nations Unies contre la torture a examiné le rapport de la Tunisie (soumis avec quatre ans de retard par le gouvernement), et s'est déclaré " troublé par les rapports faisant état d'une pratique répandue de la torture " et " préoccupé par les pressions et les intimidations auxquelles les autorités ont recours pour empêcher les victimes de déposer des plaintes ". Le comité a renchéri en affirmant qu'en rejetant ces allégations, les autorités tunisiennes " permettaient en fait aux auteurs d'actes de torture de jouir de l'impunité, et encourageaient ainsi la poursuite de ces pratiques odieuses ". Il a appelé le gouvernement à garantir la stricte mise en œuvre des dispositions de la loi et des procédures lors des arrestations et des gardes à vue (Cf. Conclusions finales du Comité contre la torture, CAT/C/TUN, 19 novembre 1998). Le Rapporteur spécial des Nations Unies contre la torture, a quant à lui demandé à effectuer une visite en Tunisie en octobre 1998 mais n'a reçu aucune réponse des autorités.

Lors de ses sessions de 1998 et de 1999, la Sous-Commission des droits de l'Homme des Nations Unies a exprimé sa préoccupation sur les cas de Khémaïs Ksila (qui a bénéficié d'une libération conditionelle en 1999) et de Radhia Nasraoui, deux défenseurs des droits de l'Homme cités précédemment. En mai 1999, le groupe de travail sur la détention arbitraire a conclu l'examen du cas de Khémaïs Ksila par un avis affirmant le caractère arbitraire de sa détention.

Le gouvernement tunisien devait présenter son cinquième rapport périodique au Comité des droits de l'Homme des Nations Unies en février 1998 mais, à ce jour, il ne s'est pas acquitté de cette obligation. En octobre 1994, après avoir examiné le quatrième rapport périodique de la Tunisie, le Comité des droits de l'Homme des Nations Unies s'est déclaré préoccupé par la situation des droits de l'Homme en Tunisie et a appelé le gouvernement tunisien à mettre en œuvre une série de recommandations tendant à ce que la Tunisie se conforme à ses obligations en vertu du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ( Cf. Conclusions du Comité des droits de l'Homme adoptées le 2 novembre 1994, CCPR/C/79/Add.43). A ce jour, aucune des principales recommandations n'a été mise en œuvre dans la pratique.


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