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Les Nations Unies demandent au Sénégal de retenir Hissène Habré.
Une victoire pour les victimes de l'ancien dictateur tchadien.
(Le 23 avril 2001) Le Comité des Nations Unies contre la Torture a demandé au Sénégal de ne pas laisser Hissène Habré quitter le pays, a révélé l'avocat des victimes de l'ancien dictateur tchadien, vivant en exil à Dakar.


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L'affaire Habré



"Hissène Habré n'est pas seulement un indésirable qu'il faut expulser, il est surtout un présumé responsable de crimes internationaux qu'il faut juger. Le jour où Habré aura à répondre de ses crimes approche à grands pas."

Reed Brody
Advocacy Director of Human Rights Watch


 
Hissène Habré avait été inculpé pour crimes de torture en février 2000, mais le 20 mars dernier, la Cour de Cassation du Sénégal s'est déclarée incompétente pour juger des crimes commis par Hissène Habré au Tchad, du temps où il exerçait le pouvoir (1982-1990). Les victimes d'Habré avaient alors immédiatement annoncé qu'elles chercheraient à obtenir son extradition, notamment vers la Belgique, où une seconde plainte a déjà été déposée, plusieurs mois avant la décision de la Cour de Cassation. Elles ont également porté plainte contre le Sénégal devant le Comité des Nations Unies contre la Torture, dans l'espoir que ce dernier demande au Sénégal de poursuivre ou d'extrader Hissène Habré, ainsi que l'exige la Convention contre la Torture.

Le 7 avril dernier, le Président Abdoulaye Wade a cependant demandé à Hissène Habré de quitter le pays. Les victimes, craignant qu'Hissène Habré ne se réfugie dans un état non-partie à la Convention contre la Torture, qui le laisserait échapper à une demande d'extradition ou à une décision finale des Nations Unies, ont alors demandé au Comité d'annoncer des mesures provisoires, afin de conserver une chance de le voir traduit en justice. Le Comité des Nations Unies a, en réponse, prié le Sénégal de " ne pas expulser Mr. Hissène Habré et de prendre toutes les mesures nécessaires pour empêcher que Mr. Hisséne Habré quitte le territoire du Sénégal autrement qu'en vertu d'une procédure d'extradition ".

" Cette décision est une victoire pour les milliers de victimes d'Hissène Habré ", a déclaré Reed Brody, Directeur adjoint de Human Rights Watch, l'avocat qui représente les victimes devant le Comité des Nations Unies contre la Torture. " Hissène Habré n'est pas seulement un indésirable qu'il faut expulser, il est surtout un présumé responsable de crimes internationaux qu'il faut juger. Le jour où Habré aura à répondre de ses crimes approche à grands pas ".

Le Comité des Nations Unies contre la Torture est composé de 10 experts indépendants élus par les 123 Etats, qui ont ratifié la Convention contre la Torture. Les Etats se plient usuellement à ses décisions et il en est attendu de même de la part du Sénégal. Le Président sénégalais, Abdoulaye Wade, a par le passé affirmé n'avoir aucune objection à l'idée qu'Hissène Habré soit jugé dans un autre pays.

"Cette décision se fonde sur le principe en vertu duquel le Sénégal a l'obligation de poursuivre ou d'extrader les tortionnaires présumés, tels Hissène Habré" a souligné le Sénégalais, Sidiki Kaba, Président de la Fédération Internationale des Ligues de Droits de l'Homme (FIDH).

"Il est impensable que le Sénégal ignore cette décision du Comité et laisse Habré échapper à la justice", a ajouté Alioune Tine, Secrétaire général de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO), dont le siège est à Dakar.

Les victimes d'Habré qui ont saisi le Comité des Nations Unies se félicitent de cette décision. " Les Nations Unies ont entendu nos prières ", a déclaré Souleymane Guengueng, âgé de 49 ans, qui, après avoir failli mourir à plusieurs reprises des mauvais traitements endurés au cours de deux années passées dans les prisons d'Habré, a co-fondé l'Association des Victimes des Crimes et de la Répression Politiques au Tchad (AVCRP). " Si le Sénégal refuse de juger Habré pour les atrocités qu'il a commises, il doit au moins le livrer à un pays qui le fera ".

Les sept victimes, qui ont fait appel au Comité des Nations Unies, sont celles qui avaient porté plainte à Dakar. En janvier 2000, elles avaient fourni à la justice sénégalaise des documents contenant des informations détaillées sur 97 cas d'assassinat politique, 142 cas de torture et 100 cas de "disparition", commis par les forces de sécurité du régime Habré.

En février 2000, Hissène Habré avait été inculpé pour complicité d'actes de torture et placé en résidence surveillée par Demba Kandji, le doyen des juges d'instruction du Tribunal régional hors-classe de Dakar. Les avocats de Habré avaient alors déposé une requête en annulation et le 4 juillet, la Chambre d'accusation ordonna l'abandon des poursuites, affirmant l'incompétence de la justice sénégalaise sur des crimes commis au Tchad, au motif que le législateur n'a pas adopté les lois d'application de la Convention contre la torture. En mars, cette décision a été confirmée par la Cour de Cassation, la plus haute cour du pays.

Habré, aujourd'hui âgé de 58 ans, avait pris le pouvoir au Tchad en 1982, en renversant le gouvernement de Goukouni Wedeye. Son régime de parti unique, largement soutenu par les Etats-Unis et la France, fut marqué par de multiples abus et des campagnes de répression à l'encontre des ethnies Sara (1984), Hadjaraï (en 1987) et Zaghawa (en 1989). Hissène Habré a été renversé le 1er décembre 1990 et vit depuis lors au Sénégal. Une Commission d'Enquête, établie par son successeur, a accusé le gouvernement Habré de 40 000 assassinats politiques et de torture systématique.

Les victimes sont également soutenues par la Ligue Tchadienne des Droits de l'Homme (LTDH), l'Association Tchadienne pour la Promotion et la Défense des Droits de l'Homme (ATPDH), l'Organisation Nationale des Droits de l'Homme (ONDH-Sénégal), Interights, basée à Londres et l'organisation française, Agir Ensemble pour les Droits de l'Homme.

Reed Brody de Human Rights Watch a également annoncé que les organisations de défense des droits de l'homme ont écrit à certains gouvernements pour les informer que les victimes d'Hissène Habré chercheraient à le traduire en justice, où qu'il aille.