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Le Sénégal Refuse de Poursuivre Hissène Habre
Les victimes de l'ancien dictateur tchadien continueront à se battre pour que justice soit faite.
(Dakar, Sénégal - le 20 mars 2001) La Cour de cassation du Sénégal a décidé aujourd'hui qu'Hissène Habré, ancien Président du Tchad vivant en exil à Dakar, ne serait pas jugé pour crimes de torture, au motif que les faits reprochés n'auraient pas été commis au Sénégal.


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L'affaire Habré



"Ce verdict n'arrêtera pas les victimes dans leur quête de justice. Si le Sénégal refuse de juger Habré pour les atrocités qu'il a commises, nous lui demanderons de le livrer à un pays qui le fera."

Reed Brody
Directeur adjoint de Human Rights Watch


 
Les victimes et les organisations de défense des droits de l'homme qui les soutiennent, regrettent vivement cette décision, qui, selon elles, bafoue le droit international. Elles ont immédiatement annoncé qu'elles continueront à se battre pour qu'Habré soit traduit en justice, au Sénégal ou ailleurs.

"Ce verdict n'arrêtera pas les victimes dans leur quête de justice", a déclaré Reed Brody, Directeur adjoint de Human Rights Watch, l'une des organisations qui a initié les poursuites. "Si le Sénégal refuse de juger Habré pour les atrocités qu'il a commises, nous lui demanderons de le livrer à un pays qui le fera."

"C'est une régression et une immense déception", a ajouté le Sénégalais, Sidiki Kaba, Président de la Fédération Internationale des Ligues de Droits de l'Homme (FIDH).

Le Président du Sénégal, Abdoulaye Wade, avait précédemment affirmé que si Habré devait un jour être jugé, il devrait l'être soit Tchad, soit en France ou aux Etats-Unis, pays qui ont largement soutenu son régime (1982-1990).

Reed Brody a annoncé que les victimes examinaient attentivement les possibilités d'obtenir l'extradition d'Habré vers un pays tiers. Il a également rappelé que le jugement d'Habré au Sénégal pour crimes contre l'humanité était toujours possible. En février 2000, un juge d'instruction avait en effet ordonné l'ouverture d'une instruction judiciaire contre X pour crimes contre l'humanité au Tchad, dossier qui demeure ouvert. Par ailleurs, les victimes ont décidé de porter plainte contre le Sénégal devant le Comité des Nations Unies contre la Torture.

Dans leur verdict, les trois juges de la Cour de cassation ont décidé que le Sénégal n'avait pas compétence sur des crimes perpétrés hors de son territoire.

Les organisations de défense des droits de l'homme ont déclaré que la décision d'aujourd'hui contrevient à l'obligation qui incombe au Sénégal de poursuivre les tortionnaires présumés qui entrent sur son territoire. En effet, le Sénégal a ratifié en 1986 la Convention des Nations Unies de 1984 contre la torture et aux termes de la Constitution sénégalaise, les traités internationaux ont autorité supérieure sur les lois nationales.

Les victimes d'Habré ont également fortement réagi à cette décision. "Après avoir tant souffert et tant espéré, je me sens trahi par la justice sénégalaise", a confié Ismael Hachim, Président de l'Association des Victimes des Crimes et de la Répression Politiques au Tchad (AVCRP), aujourd'hui âgé de 42 ans, qui au cours de ses deux années de détention dans les prisons de Habré, a été soumis à "l'Arbatachar", méthode de torture qui consiste à attacher bras et pieds derrière le dos de manière à provoquer l'arrêt de la circulation et la paralysie des membres. "Mais les faits sont têtus et resteront ce qu'ils sont. Les crimes perpétrés par Habré ont finalement été montrés au monde entier. Qu'Hissène Habré ne pense pas être débarrassé de ses victimes !"

Les défenseurs des droits de l'homme sénégalais partagent la consternation des victimes. "Mon pays n'a pas su saisir la chance qu'il lui était donnée de briser le cycle tragique de l'impunité", a déclaré Alioune Tine, Secrétaire général de la Rencontre Africaine pour la Défense des Droits de l'Homme (RADDHO), dont le siège est à Dakar. "Cette décision est une invitation à tous les tyrans d'Afrique : qu'une fois leurs crimes accomplis, ils n'oublient pas de prendre leur retraite au Sénégal, où jamais personne ne pourra les inquiéter." Alioune Tine a annoncé que son organisation cherchera à obtenir l'amendement des lois sénégalaises.

La partie civile dans cette affaire est constituée de sept victimes tchadiennes et de l'Association des Victimes des Crimes et de la Répression Politiques au Tchad (AVCRP), qui représente 792 victimes des brutalités d'Habré. A la fin janvier 2000, les victimes avaient fourni au tribunal des informations détaillées sur 97 cas d'assassinats politiques, 142 cas de torture et 100 cas de "disparition," commis par les forces d'Habré, au cours de son règne (1982?1990). A la lecture de ces documents et après avoir entendu plusieurs victimes et témoins, le Juge Demba Kandji décida le 3 février 2000, d'inculper Habré pour complicité de crimes de torture et le plaça en résidence surveillée. Le 4 juillet 2000, la Chambre d'accusation abandonna les charges contre Habré, arguant que le Sénégal n'avait pas intégré la Convention contre la torture dans sa législation interne et que de ce fait, il n'avait pas compétence sur des crimes perpétrés hors de son territoire. L'abandon des poursuites avait soulevé les protestations des Nations Unies, de l'Union des Magistrats sénégalais et des défenseurs des droits de l'homme du monde entier.

Habré, aujourd'hui âgé de 58 ans, avait pris le pouvoir au Tchad en 1982, en renversant le gouvernement de Goukouni Wedeye. Son régime de parti unique, largement soutenu par les Etats-Unis et la France, fut marqué par de multiples abus et des campagnes de répression à l'encontre des ethnies Sara (1984), Hadjaraï (en 1987) et Zaghawa (en 1989). Hissène Habré a été renversé le 1er décembre 1990 et vit depuis lors au Sénégal. Une Commission d'Enquête, établie par son successeur, a accusé le gouvernement Habré de 40 000 assassinats politiques et de torture systématique.

L'inculpation d'Habré au Sénégal a également eu un impact important au Tchad. Le 26 octobre 2000, des victimes du régime Habré ont porté plainte, devant les tribunaux tchadiens, pour torture, meurtres et "disparitions", contre des dirigeants de la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), l'organe répressif du régime, dont un grand nombre continuent d'occuper des postes officiels.

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