16 mars 2006
— vu le traité instituant le Tribunal pénal international,
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— vu ses précédentes résolutions sur le Tchad et le Libéria, notamment celle du 24 février 2005 sur l'extradition de Charles Taylor(1) ,
— vu la 38ème session ordinaire, qui s'est tenue du 21 novembre au 5 décembre 2005 à Banjul, en Gambie, de la Commission Africaine pour les droits de l'homme et des peuples,
— vu l'article 115, paragraphe 5, de son règlement,
A. rappelant le statut de Rome du Tribunal pénal international, et soulignant que 50 années se sont écoulées depuis que les Nations unies ont reconnu, pour la première fois, la nécessité d'instaurer un Tribunal pénal international pour poursuivre des crimes tels que le génocide,
B. considérant que M. Kofi Annan, Secrétaire général des Nations unies, a déclaré que l'amnistie demeurait inacceptable pour l'ONU en cas de violation grave des droits de l'homme et que l'ONU ne saurait en aucun cas la reconnaître, à moins d'exclure de son champ d'application le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre,
C. prenant acte, avec inquiétude, des nombreuses violations des droits de l'homme dans certaines régions du continent africain, et constatant que les auteurs de ces crimes ne sont que rarement traduits devant la justice tandis que leurs victimes se voient souvent privées de tout recours efficace,
D. considérant que le droit international dispose clairement que les criminels de guerre doivent être jugés à tout moment et que les États ont obligation d'extrader les personnes soupçonnées de crimes de guerre,
E. observant que l'Acte Constitutif de l'Union Africaine, en son article 4 (o), condamne et rejette expressément l'impunité,
F. se félicitant des déclarations de l'Union Africaine contre l'impunité et estimant qu'elle gagnera en crédibilité en prouvant sa détermination à lutter concrètement contre l'impunité en matière de droits humains,
G. considérant les nombreux crimes, y compris crimes contre l'humanité commis par les dictateurs africains et leurs complices, qui restent dans l'impunité, causant ainsi un tort supplémentaire aux proches des victimes et encourageant la perpétration de nouveaux crimes,
H. notant par ailleurs que 27 États africains ont ratifié le statut de Rome et que certains d'entre eux se sont efforcés de donner un effet juridique à la mise en œuvre de ce statut au plan national,
I. considérant que plusieurs anciens dictateurs africains, notamment M. Jacques Taylor, M. Mengistu Haïlé Mariam et M. Hissène Habré, ainsi que leurs complices, ayant commis des crimes graves, coulent aujourd'hui des jours paisibles en toute impunité,
J. considérant qu'un mandat d'arrêt international a été émis contre M. Hissène Habré, ancien président du Tchad en exil, accusé de violations des droits de l'homme sous son gouvernement de 1982 à 1990,
K. considérant que les victimes de ces actes ont utilisé l'affaire Hissène Habré pour réclamer une justice plus large et ont ouvert de nouveaux horizons à la justice, au Tchad et ailleurs,
L. considérant que l'Union africaine a décidé, le 24 janvier 2006, de créer un groupe d'experts juridiques pour qu'ils fassent une recommandation quant au lieu où Hissène Habré devrait être jugé, et de quelle façon, mais qu'elle a donné, cet égard, la préférence à un "mécanisme africain",
M. considérant qu'il est attendu, du Président Obasanjo du Nigéria, qu'il annonce dans un futur proche qu'il livrera M. Charles Taylor pour qu'il réponde en justice des crimes qui lui sont imputés, ce qui fournira au Président Obasanjo l'occasion de prouver l'engagement du Nigéria en faveur de l'État de droit en Afrique de l'Ouest,
N. considérant que le Tribunal Spécial pour le Sierra Leone a été institué en 2002 pour juger les principaux responsables de crimes de guerre commis pendant le conflit armé en Sierra Leone, et que Charles Taylor est inculpé de 17 chefs d'inculpation pour crimes de guerres et crimes contre l'humanité par ce Tribunal Spécial,
O. considérant enfin que le colonel Mengistu, l'ancien brutal dictateur de l'Éthiopie, jouit toujours de l'asile politique au Zimbabwe,
- rappelle qu'en l'absence d'un Tribunal pénal international, instrument d'application de la loi chargé d'établir les responsabilités individuelles, les cas de génocide et les violations caractérisées des droits de l'homme demeureraient souvent impunis;
- souligne qu'il est devenu de pratique courante, en droit international, de n'accorder, ni amnistie ni immunité, aux auteurs, quel que soit leur statut, de violations des droits de l'homme, et se déclare fermement partisan de ce que ces responsables de crimes et d'atrocités soient déférés devant la justice;
- réaffirme que la lutte contre l'impunité est l'une des pierres angulaires de la politique de l'Union européenne en matière de droits de l'homme et invite la Commission, le Conseil et les États membres de l'Union Africaine à continuer d'accorder à cette question toute l'attention nécessaire;
- estime qu'une paix durable n'est pas possible si des marchés sont conclus pour protéger ceux qui se sont rendus responsables de violations systématiques des droits de l'homme;
- demande instamment aux États membres de l'Union Africaine qui ne l'auraient pas encore fait, de ratifier le statut de Rome et d'adopter un plan d'action national pour mettre en œuvre concrètement ce statut au niveau national;
- engage l'Assemblée des chefs d'État et de gouvernement de l'Union Africaine à inviter ses États membres à condamner et à rejeter l'impunité;
- invite l'Union Africaine à engager des actions concrètes contribuant, au niveau régional, à lutter contre l'impunité;
- encourage l'Union Africaine à développer ses institutions pénales et à organiser une meilleure coopération judiciaire pénale entre ses membres et avec les autorités d'autres continents pour réduire l'impunité des crimes contre l'humanité commis par des autorités africaines ainsi que par des ressortissants d'autres continents, ou avec leur complicité;
- rappelle que la communauté internationale a institué un mécanisme de responsabilité au moyen de tribunaux ad hoc pour les auteurs de crimes et d'atrocités, par exemple au Rwanda et en Sierra Leone, et souligne que la communauté internationale doit parler d'une seule voix pour favoriser la promotion d'une réelle responsabilité;
- rappelle les travaux du Tribunal pénal international pour le Rwanda, siégeant à Arusha, et les difficultés extrêmes rencontrées par les enquêteurs extérieurs pour déférer en justice les responsables du génocide rwandais survenu en 1994;
- est particulièrement choqué par le fait qu'après les massacres de civils en République Démocratique du Congo (où, en six années de conflit, au moins trois millions de personnes ont péri), ainsi que dans la région des Grands Lacs, les auteurs de violations des droits de l'homme continuent de jouir de l'impunité;
- invite le Sénégal à garantir à Hissène Habré un procès équitable, conformément à la Convention des Nations unies contre la torture et autres traitements ou punitions cruels, inhumains ou dégradants, en l'extradant vers la Belgique s'il ne devait pas y avoir d'alternative africaine;
- invite l'Union Africaine à veiller, dans le cas d'Hissène Habré, à ce que le Sénégal honore ses engagements internationaux en tant qu'État signataire de la Convention précitée contre la torture;
- aperçoit dans l'initiative des chefs d'États africains dans l'affaire Hissène Habré un pas important dans la mesure où les dirigeants africains ont clairement fait savoir que la lutte contre l'impunité était une chose nécessaire;
- invite le gouvernement du Nigéria à agir en permanence dans l'intérêt du processus de paix au Nigéria et du soutien à l'État de droit en déférant sans tarder M. Charles Ghankay Taylor devant le Tribunal Spécial pour le Sierra Leone;
- se félicite de ce que Mme Johnson-Sirleaf, présidente nouvellement élue du Libéria, ait récemment demandé au Nigéria de livrer Charles Taylor, et tient à lui rendre hommage pour avoir donné suite à son engagement de placer sa présidence sous le signe de la responsabilité et de l'État de droit;
- demande aux États membres de tout mettre en œuvre pour que soient également poursuivis les ressortissants de pays européens ayant commis des crimes en Afrique et dans d'autres pays en développement (ou s'en étant rendus complices) et pour que les victimes de ces crimes se voient accorder réparation;
- charge son Président de transmettre la présente résolution au Conseil, à la Commission, au Conseil des ministres ACP-UE, aux gouvernements du Tchad, du Libéria, du Nigéria et du Sénégal, ainsi qu'à l'Union Africaine et au Secrétaire général des Nations unies.
(1) JO C 304 E du 1.12.2005, p. 408.