HUMAN RIGHTS
WATCH Rapport Mondial 2005 PortuguesDeutschRussianEnglish
SpanishChineseArabicOther Languages

Rwanda

En 2005, le Rwanda a étendu à tout le pays son système de tribunaux populaires (juridictions gacaca) qui, jusque là, était en vigueur sur un dixième du territoire. Etablies pour juger les crimes perpétrés depuis la période du génocide de 1994, ces juridictions étaient censées puiser leur légitimité dans la participation populaire mais elles ont suscité la méfiance de nombreux Rwandais qui ont boycotté les audiences de ces tribunaux. Certains juges n'ont pas respecté les règles de la gacaca et ont placé des centaines de personnes en détention préventive ou les ont emprisonnées sur base de témoignages faux ou incomplets. Etant donné le peu de tribunaux d'appel gacaca existant à ce jour, la plupart des détenus ne disposent d'aucun recours. Au moment où les juridictions ont entamé des enquêtes préalables aux procès sur tout le territoire, quelque 10.000 Rwandais ont trouvé refuge dans les pays limitrophes, beaucoup faisant valoir qu'ils redoutaient les fausses accusations et les procès inéquitables.

Aussi disponible en

english 

Sur le même thème


Rapport Mondial

Rwanda
Page du Pays

Télécharger PDF
Rwanda

En 2005, les autorités ont visé un objectif difficilement réalisable, l'unité nationale, poursuivant les campagnes menées précédemment contre le “divisionnisme” et “l'idéologie génocidaire.” Elles ont parfois confondu “idéologie génocidaire” avec divergence d'opinions à propos des politiques gouvernementales ou avec opposition au Front Patriotique Rwandais (FPR), le parti dominant au sein du gouvernement.  
 
En septembre 2005, le gouvernement a adopté une loi sur la propriété foncière, fruit de plusieurs années de débat. Bien que garantissant aux Rwandais (et aux investisseurs étrangers) le droit de posséder des terres, la loi octroie également au gouvernement des pouvoirs étendus en matière d'utilisation des terres, les propriétaires étant susceptibles de perdre leurs avoirs fonciers sans compensation.  
 
Les juridictions gacaca  
Destinées à combiner justice punitive et pratiques coutumières en matière de résolution de conflit, les juridictions gacaca ont fait l'objet d'une expérience pilote en 2002. Nombre d'entre elles ne sont pas parvenues à gagner la confiance de la population et ce, pour diverses raisons: des centaines de juges étaient eux-mêmes accusés de crimes; certains témoins refusaient de parler ou de dire la vérité; et il était interdit aux juridictions de statuer sur les crimes commis par les soldats du FPR, donnant le sentiment qu'elles rendaient une justice partisane. Les autorités ont réformé les juridictions en 2004, simplifiant la structure et réduisant le nombre de juges siégeant dans chaque cour. Mais ces changements venaient à peine d'être mis en œuvre que les responsables ont annoncé un nouveau projet de réformes en septembre 2005. Les juridictions pilotes ont jugé moins de trois mille affaires. Les procès doivent encore commencer dans la plus grande partie du pays et ils seront retardés davantage encore par les réformes proposées. En 2005, les autorités ont déclaré qu'environ 761.000 personnes (soit juste un peu moins de la moitié de la population adulte hutue de sexe masculin recensée au moment du génocide) seraient accusées de crimes. Les responsables veulent en terminer avec les procès d'ici à 2007, objectif irréalisable au rythme actuel des procédures. Les réformes ont placé le système sous un contrôle administratif plus étroit; par exemple, l'assemblée populaire n'est plus chargée de dresser les listes d'accusés mais cette tâche incombe aujourd'hui à des agents administratifs. Les responsables locaux ont l'autorisation de condamner à une amende ou d'appliquer d'autres sanctions à l'encontre des citoyens qui n'assistent pas aux audiences auxquelles ils doivent être présents.  
 
En septembre 2005, le bureau du Procureur national a arrêté Guy Theunis, un prêtre, journaliste et militant des droits humains, et a renvoyé le dossier qu'il avait préparé à son encontre devant une juridiction gacaca. Comme dans beaucoup de cas similaires ailleurs dans le pays, les preuves étaient sans fondement. Les juges ont toutefois décidé que Theunis, un ressortissant belge, devait être jugé pour incitation au génocide et ils l'ont renvoyé en prison. La Belgique a demandé que l'affaire soit transférée devant les tribunaux belges et à la fin du mois de novembre 2005, Theunis a été renvoyé en Belgique où il est passible de poursuites.  
 
En juillet, les autorités ont remis en liberté provisoire près de vingt mille détenus qui avaient avoué avoir participé au génocide, qui étaient âgés ou malades ou qui étaient mineurs en 1994. Près de quarante-cinq mille personnes ont ainsi été libérées depuis 2003 mais toutes ces personnes sont censées passer en jugement. Les survivants du génocide ont protesté contre cette décision, craignant que les personnes libérées ne commettent de nouvelles attaques ou ne tentent d'entraver la justice.  
 
En septembre, quelque 750 personnes reconnues coupables de génocide ont commencé à effectuer des travaux d'intérêt général dans le cadre de la peine qu'elles doivent purger pour leurs crimes. Par souci de commodité pour l'administration, elles ont toutes été amenées à un même endroit pour travailler, contrairement à l'objectif initial du programme de travaux d'intérêt général qui était de réparer les dommages causés là où les crimes avaient été perpétrés.  
 
La plupart des 10.000 Rwandais qui ont fui en 2005 se sont rendus au Burundi, où ils ont été bien accueillis au départ. Mais par la suite, les autorités burundaises ont coopéré avec les responsables rwandais pour les renvoyer au Rwanda contre leur gré. Largement critiquées par les partenaires internationaux pour leur violation des conventions internationales relatives aux réfugiés, les autorités burundaises ont néanmoins décidé en octobre de renvoyer trois mille autres Rwandais encore présents au Burundi.  
 
Autres questions liées à la justice  
Lors d'une décision historique prise en mai 2005, la Haute Cour a pour la première fois émis une ordonnance d'habeas corpus. Lorsque les autorités n'ont pas fait amener la personne citée dans l'ordonnance, la cour a accusé un ministre, le procureur national et le commissaire divisionnaire national d'outrage à la cour mais elle a invalidé sa décision, concluant qu'elle n'était pas compétente pour sanctionner les responsables. Violant la loi rwandaise, les autorités ont continué à maintenir des personnes en détention sans inculpation, notamment le Col. Patrick Karegeya, un officier autrefois proche du Président Paul Kagame, détenu pendant cinq mois. En mars, une cour d'appel a confirmé la condamnation du rédacteur en chef Charles Kabonero pour diffamation à l'égard d'un fonctionnaire de l'Etat et elle a aggravé sa peine, la faisant passer à un an d'emprisonnement avec sursis assortie d'une solide amende. Par contre, elle n'a pas confirmé le jugement prometteur d'une instance inférieure qui limitait le “divisionnisme” à certaines formes d'action publique, perdant par là-même l'occasion de restreindre l'usage futur de ce chef d'accusation flou contre d'autres justiciables. En mai, la Haute Cour a reconnu un homme politique de l'opposition, Léonard Kavutse, coupable d'incitation au “divisionnisme” et elle l'a condamné à une peine de deux ans d'emprisonnement. Elle n'a pas tenu compte du fait que Kavutse affirmait avoir avoué sous la torture et elle a disculpé les autorités qui l'avaient maintenu en détention illégale. A la fin du mois d'octobre, la Cour suprême a entamé l'examen en appel du dossier de l'ex-Président Pasteur Bizimungu et de sept autres personnes, reconnus coupables d'incitation à la violence et d'autres chefs d'accusation lors de procès marqués par un manque de preuves avérées et par de nombreuses violations du droit à des procédures équitables.  
 
Divisionnisme et “idéologie génocidaire”  
Suite à des rapports parlementaires de 2003 et 2004 accusant les opposants politiques du FPR et plusieurs organisations non gouvernementales (ONG) de “divisionnisme” et d' “idéologie génocidaire,” le Sénat a, en 2005, commandé une étude, non encore publiée, visant à identifier si de telles idées circulaient dans les ONG internationales et les milieux intellectuels. Des fonctionnaires de l'Etat ont interrogé et intimidé deux anciens candidats aux présidentielles après leur passage dans des programmes radiodiffusés où ils avaient émis des doutes à propos de la gacaca. Les hauts responsables rwandais se focalisant sur l' “idéologie génocidaire” dans leurs discours et lors de cérémonies, les ONG internationales et rwandaises ont spécialement adapté leurs activités de façon à éviter toute confrontation avec les autorités. Les associations de défense des droits humains, fortement touchées par les attaques lancées en 2004, ont évité de prendre des positions susceptibles de s'attirer les foudres officielles. Les autorités ont refusé de reconnaître la Communauté des Autochtones du Rwanda (CAURWA), laquelle défend les droits de la minorité batwa (quelque 30.000 personnes), prétextant que son fondement ethnique violait la constitution. Les agents de l'Etat ont interrogé et détenu des journalistes qui critiquaient le gouvernement et ont saisi un numéro d'un quotidien, refusant d'autoriser sa distribution.  
 
Nouvelle loi agraire  
La loi agraire longtemps attendue et adoptée en 2005 vise à transformer la multitude de petites parcelles fragmentées et extrêmement peu productives en un système plus prospère de propriétés plus grandes, produisant pour des marchés tant mondiaux que locaux. Les autorités nationales doivent déterminer comment les propriétés foncières seront regroupées, quels produits seront cultivés et quels élevages seront pratiqués. Les paysans qui ne suivent pas le plan national risquent de voir leurs terres “réquisitionnées,” sans aucune compensation, et distribuées à d'autres. Un tel contrôle centralisé de l'usage de la terre, caractéristique de certains régimes coloniaux et post-coloniaux, marque un changement de cap radical pour le Rwanda.  
 
La loi rend légitime le “partage des terres,” lequel requiert que les propriétaires donnent un partie de leurs terres sans compensation à d'autres personnes désignées par les autorités. Certains paysans qui ont résisté à cette politique lorsqu'elle a débuté dans les années 1990 ont été condamnés à des amendes ou à des peines d'emprisonnement; cette politique reste la source de nombreux litiges. La loi consacre également la politique de résidence groupée obligatoire en vertu de laquelle les personnes vivant dans des fermes isolées doivent déménager et s'installer dans des “villages” créés par le gouvernement (imidugudu). Lors de l'application à grande échelle de cette politique à la fin des années 1990, les autorités ont dans certains cas recouru à la force, à des amendes et à des peines de prison pour forcer les Rwandais à se réinstaller ailleurs. Au moins deux imidugudu ont été crées au nord-ouest du Rwanda en 2005, entraînant pour les paysans locaux la perte de leurs terres. La loi affirme reconnaître la validité des droits fonciers coutumiers mais elle rejette l'usage coutumier des terrains marécageux par les pauvres et abolit les importants droits des propriétaires terriens prospères (abakonde) du nord-ouest, la région d'où provenait le régime antérieur.  
 
Les acteurs clés au niveau international  
A la fin de l'année 2004, le Royaume-Uni et la Suède ont suspendu leur aide pour décourager l'ingérence rwandaise en République Démocratique du Congo mais ces deux nations n'ont pas adopté une position aussi sévère par rapport aux problèmes de droits humains. Bien que les Etats-Unis aient critiqué l'étranglement de l'espace politique à la fin 2004, les autres bailleurs de fonds ont rarement déclaré publiquement qu'ils rejoignaient cette évaluation. En 2005, certains bailleurs ont financé des programmes de la société civile visant à promouvoir les droits humains mais ils se sont abstenus de fournir le soutien politique correspondant.  
 
Généralement félicité pour sa croissance économique (en faisant peu de cas du fossé entre riches et pauvres qui ne cesse de croître), le Rwanda a atteint le point d'achèvement des Pays Pauvres Très Endettés, selon les termes utilisés par la Banque Mondiale et le Fonds Monétaire International, et il a bénéficié d'un allègement multilatéral de sa dette d'un montant d'1,4 milliard de dollars, suivi peu de temps après par l'annulation de quelque 90 millions de dollars dus aux nations du Club de Paris.  
 
Le Rwanda, l'un des premiers pays à faire l'objet d'une évaluation du mécanisme de révision par les pairs africains du Nouveau Partenariat pour le Développement de l'Afrique (NEPAD), a bénéficié d'un rapport généralement favorable mais a été critiqué pour avoir refusé de reconnaître la CAURWA, mentionnée plus haut. En réaction, les autorités ont accepté d'entamer des discussions avec la communauté des autochtones mais à la fin de l'année 2005, ces négociations n'avaient débouché sur aucun résultat. Occupant une place de plus en plus importante sur la scène politique africaine, le Rwanda a fourni des troupes à la force de maintien de la paix de l'Union africaine au Soudan.  

HRW Logo

À propos de HRW | Communiqués | Publications | Régions | Campagnes | Faire un Don | Librairie | Festival de Film | Recherche | Plan du Site | Contactez-nous | RSS Newsfeed | Mentions Légales

© Copyright 2005, Human Rights Watch    350 Fifth Avenue, 34th Floor    New York, NY 10118-3299    USA