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V.        Faible soutien matériel aux magistrats

Compte tenu du fait que le programme était destiné à pallier la quasi-absence de l’Etat en Ituri dans le domaine judiciaire, le peu de soutien dont bénéficient les juges et le parquet est pour le moins paradoxal.  Les juges et magistrats se plaignent du manque des moyens, de la modicité de leur salaire et du caractère inadéquat du système de gestion mis en place par la Commission européenne.

Les moyens affectés à la justice à Bunia sont insuffisants et leur gestion ne paraît pas satisfaisante.  Ni le président du tribunal ni le procureur ne disposent du budget pour le fonctionnement du tribunal et du parquet.  Ce budget est géré par RCN au nom de la Commission européenne et selon un ordre de priorité qui échappe aux magistrats.  Ces derniers citent, par exemple, le fait que plus de trois mois après le début du programme, le parquet ne fonctionnait encore qu’avec une seule machine à écrire.  L’achat d’ordinateurs, présenté par les magistrats comme essentiel à leur travail, a été rejeté comme un luxe.  Ils citent également le fait que leurs besoins sont totalement pris en charge par RCN jusque dans les moindres détails comme leur repas quotidien et le mobilier pour leur résidence.35

Les sessions de recyclage des magistrats sont un autre domaine dans lequel les priorités du programme pourraient être ré-orientées au mieux.  En vertu du Protocole d’accord, l’organisation non gouvernementale RCN (Réseau Citoyens Network, voir note 23 ci-dessus) organise des sessions régulières de formation et recyclage des magistrats et juges et du personnel judiciaire.  Mais les magistrats s’interrogent sur l’utilité de ces sessions compte tenu de leur contenu et de leur coût.  Plusieurs magistrats se disent d’avis que ces sessions ne leur apprennent rien de particulièrement nouveau.  « Ce sont des choses que nous connaissons ou que nous pouvons apprendre à un moindre coût, » a déclaré un magistrat, citant le cas d’un expert français qui a récemment été payé 5000 euros pour animer deux semaines de formation du personnel pénitentiaire.36  Cet argent, a poursuivi le magistrat, aurait pu être mieux dépensé, par exemple à équiper le parquet et le tribunal.37

Le salaire des magistrats, des juges et du personnel de greffe et du parquet devrait également être amélioré et pris en charge par le gouvernement de la RDC.  Le ministre de la Justice a récemment réaffirmé que la restauration de l’autorité de l’Etat en Ituri demeure au plus haut des priorités du gouvernement.38  Le gouvernement doit en faire la démonstration en payant régulièrement un salaire décent aux magistrats.  Actuellement, le programme ne permet pas de payer le salaire du personnel du greffe et du parquet.  Les juges et magistrats sont gratifiés d’une prime mensuelle de $233.  Cette somme, d’après les magistrats, est « plus qu’insignifiante car ne pouvant répondre ne fut-ce qu’à 30% de nos besoins mensuels. »39  Dans le même document ils ont également déploré « les intempestives ruptures de stocks alimentaires. »40  A l’occasion du renouvellement du programme tous les partenaires impliqués devraient réaffirmer le principe que la charge du paiement du salaire du personnel judiciaire revient au gouvernement.

Il est également important pour les bailleurs de fonds de s’assurer que les fonds de ce programme sont gérés de manière efficiente.  L’intérêt de la justice doit guider toute planification future à long terme.  A ce sujet, les préoccupations exprimées par les magistrats, les juges et les autres experts de la justice sur la gestion du programme devraient être prises en compte par les bailleurs de fonds.  Ce programme doit aller au-delà d’une assistance ponctuelle à court terme et constituer la fondation sur laquelle sera érigée la reconstruction d’un système de justice indépendante et effective en Ituri et au-delà de l’Ituri.



[35] D’après un juge, « Ils nous gèrent comme des petits enfants ; ils nous achètent même notre savon de toilette. » Entretien conduit par Human Rights Watch, 8 avril 2004. Ceci a été formellement contesté par RCN qui, dans une lettre à Human Rights Watch, a récemment déclaré: « Il est rigoureusement faux qu’un savon ait jamais été fourni, et il n’y a eu de repas dispensés que dans le cadre des formations, comme d’usage, et jamais autrement. »

[36] Entretien téléphonique conduit par Human Rights Watch, 16 juin 2004.

[37] Ibid.

[38] Entretien téléphonique conduit par Human Rights Watch, 2 juillet 2004.

[39] Mémorandum des magistrats, note 24 ci-dessus.

[40] Ibid.


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