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Afrique: Grands Lacs

Etablir une Cour Criminelle Internationale Efficace

L'affaire Habré

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Décision de la la Chambre d'accusation de Dakar
Communiqués de presse

République du Sénégal
Cour d'appel de Dakar
Chambre d'accusation

Présents: Cheikh Tidiane DIAKHATE, Président; Alpha OusseyNi DIALLO et Amath DIOUF, Conseillers ; Papa NDIAYE, Greffier.

Arrêt n' 135 du 04-07-2000 / Accusation

Ministère Public et François DIOUF Contre HISSENE Habré (Me Madické Niang, Me Hélène Cissé, Me El Hadji M. Diouf, Me Souleymane Ndéné Ndiaye, Me Abdou Dialy Kâne)

Entre Le Ministère Public, d'une part,

Et HISSEN Habré inculpé de complicité de crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie, d'autre part.

Vu la procédure suivie contre Hissène Habré, né en 1942 à Faya Largeau (République du Tchad), ancien chef d'Etat domicilié à Ouakam, inculpé de complicité de crime contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie;

Vu la requête de Me Madické NIANG, avocat à la Cour, conseil de l'inculpé en date du 18/02/2000 tendant à l'annulation de la procédure pour incompétence des juridictions sénégalaises, défaut de base légale et prescription des faits;

Vu le réquisitoire N' 75 du 12 Avril 2000 de Monsieur le Procureur Général près la Cour d'Appel de Dakar;

Ouï Mr le Conseiller Alpha Ousseyni DIALLO en son rapport et lecture faite par le greffier des pièces du dossier;

Ouï Mes NIANG, Hélène CISSE, Abdou Dialy KANE, El Hadji DIOUF et Souleymane Ndéné NDIAYE, conseils de l'inculpé en leurs demandes, fins, moyens et conclusions;

Ouï Mes Yérim THIAM, Boucounta DIALLO, Sidiké KABA et Jacqueline MOUDEWA, Avocats conseils des parties civiles en leurs observations, moyens et conclus-ions ;

Ouï Monsieur l'Avocat Général François DIOUF en ses réquisitions orales;

Après en avoir délibéré conformément à la loi;

EN LA FORME

l') Sur la recevabilité formelle

Considérant que les parties civiles, pour faire obstacle à la recevabilité de la requête de Hissène Habré, soutiennent que celle-ci ne spécifie pas le cabinet saisi; qu'elles poursuivent que le juge ne peut se fonder sur sa connaissance personnelle d'une affaire pour suppléer à la carence du demandeur;

Considérant cependant qu'au soutien d'un tel argument les avocats de la partie civile ne citent pas de texte et encore moins ne précisent le fait sanctionné ni comment ;

Il convient de préciser qu'aucun obstacle de nature juridique n'empêche la juridiction de second degré qu'est la chambre d'Accusation de réclamer dans les conditions susdécrites une procédure ; au demeurant, si les spécifications n'étaient pas suffisantes, il serait loisible au destinataire du soit transmis de retourner celui-ci pour manque de précision sur la procédure visée ;

Qu'il convient dès lors de rejeter cette exception comme mal fondée ;

2') Sur la saisine de la chambre d'Accusation

Considérant que les parties civiles soutiennent que la requête a été adressée uniquement au Président de la chambre d'Accusation en lieu et place du Président et des conseillers composant la chambre ;

Considérant que les dites parties font abstraction de la requête du 18/02/2000 portant effectivement les mentions «Monsieur le Président, Messieurs les conseillers de la chambre d'Accusation» versée aux débats rectifiant ce que le conseil de l'inculpé a qualifié lors de sa plaidoirie d'omission matérielle, qu'en tout état de cause, tout doute sur le destinataire de la requête est levé puisqu'en visant l'article 169 du Code de Procédure Pénale, le demandeur s'adresse sans équivoque à la chambre d'Accusation (président et conseillers) et non au président en tant que tel dont les pouvoirs propres sont précisés par les articles 210 et suivants du Code de Procédure Pénale; dès lors il échet de dire que la chambre est régulièrement saisie ;

3') Considérant enfin que les dispositions de l'article 169 du Code de Procédure Pénale prévoit la possibilité pour l'inculpé qui estime qu'une nullité a été commise, de saisir la chambre d'Accusation par une requête motivée et dès lors qu'elle a été introduite dans des conditions régulières du point de vue de la procédure, la requête susvisée est donc recevable ;

AU FOND

Considérant que Hissène Habré a été inculpé le 03 février 2000 des chefs de complicité de crimes contre l'humanité, d'actes de torture et de barbarie et mis en résidence surveillée;

Considérant que par requête susvisée son conseil demande l'annulation du procès-verbal d'interrogatoire de première comparution sur le fondement des articles 669, 7 du Code de Procédure Pénale, 6 de la constitution de la République du Sénégal, 4 du Code Pénal et 27 de la Convention contre la torture, pour incompétence des juridiction sénégalaises, défaut de base légale, prescription des faits, violation de la constitution, de la loi 65.60 du 21/07/65 portant Code Pénal, et de la convention contre la torture ;

3') Sur la compétence des juridictions sénégalaises

Considérant que les conseils de l'inculpé soutiennent que la juridiction sénégalaise au regard des règles de droit interne ne sont pas compétentes: qu'il s'agit d'étrangers qui déposent plainte au Sénégal contre un autre étranger alors que précisent-ils, la requête ne satisfait pas aux prescriptions de l'article 669 du Code de Procédure Pénale lequel énumère limitativement les cas pour lesquels des poursuites peuvent être engagées contre des étrangers au Sénégal: crimes et délits attentatoires à la sûreté de l'Etat, contrefaçon du sceau de l'Etat et de monnaies nationales ayant cours légal ;

Considérant que pour s'opposer à ces arguments les conseils des parties civiles font appel à la convention des Nations Unies du 10/12/1984 contre la torture et autres peines ou traitements inhumains, cruels ou dégradants ratifiée par le Sénégal par la Loi 86-26 du 16 Juin 1986 et publiée au JORS du 08/08/1986 ;

Ils poursuivent que l'article 669 du Code de Procédure Pénale doit s'effacer devant la convention dès l'entrée en vigueur de celle-ci au nom du principe de la hiérarchisation des nonnes juridiques ; que par ailleurs précisent- ils, bien avant l'adoption de la convention de New York de 1984, l'article 288 du Code Pénal permettait de poursuivre Hissène Habré pour les faits de torture qui lui sont reprochés ;

Qu'à l'appui de cette argumentation sur la supériorité de la convention sur la loi les conseils des parties civiles citent un arrêt de la Cour Suprême du Sénégal en matière sociale qui avait eu à annuler l'application d'une loi nationale qu'elle avait jugée contraire aux dispositions d'une convention internationale ratifiée et publiée au Sénégal ;

Considérant que dans sa réplique, Hissène Habré réaffirme l'incompétence des juridictions sénégalaises nonobstant les arguments développés par ses poursuivants qu'en effet soutient-il, l'inculpation a été faite sur la base de l'article 288 du Code Pénal pour l'infraction de torture et 46 du Code Pénal sur la complicité écartant ainsi l'article 1er de la convention précitée ;

Que l'article 288 du Code Pénal, fondant l'acte d'inculpation est un texte de droit interne, il s'en suit d'évidence que la logique de l'acte d'inculpation s'inscrit dans la compétence tant juridictionnelle que législative du droit interne sénégalais, distinct des normes de compétence universelle de la convention du 10/12/1984;

Que poursuit Hissène Habré, le juge en respectant les règles de compétence ainsi édictées devait se déclarer incompétent;

Que d'ailleurs la convention de New York de 1984 à l'instar des conventions de Genève sur le Droit International Humanitaire et celle des Nations Unies contre le génocide, a désigné les tribunaux compétents ;

Elle a formellement délégué aux Etats à qui la convention est applicable, le soin de prendre des mesures spéciales pour établir leur compétence juridictionnelle ;

Que les législateurs français et belges à titre d'illustration ont pris des lois de procédure pour établir la compétence de leurs tribunaux ; que cela n'a pas été le cas du Sénégal alors que l'article 9 de la dite convention prévoit que : « tout Etat prend les mesures nécessaires pour établir sa compétence aux fins de connaître des infractions (visées à l'article 4) dans le cas où l'auteur présumé de celles-ci se trouve sur tout territoire sous sa juridiction ... »

Que pour les parties civiles, cet argument est erroné ;

Que l'article 5 vise essentiellement à s'assurer qu'aucun tortionnaire ne puisse se soustraire aux conséquences de son acte en se réfugiant dans un autre pays, cet Etat doit en effet l'extrader ou le poursuivre ;

Que d'ailleurs aux termes de l'article 27 de la convention de Vienne sur le Droit des Traités, convention ratifiée par le Sénégal « qu'une partie ne peut invoquer les dispositions de son droit interne comme justifiant la non exécution d'un traité » ;

Considérant que le Doyen des Juges a inculpé Hissène Habré de complicité de crimes contre l'humanité, d'actes de barbarie et de torture commis à Djaména entre Juillet 1982 et Décembre 1990, période au cours de laquelle il exerçait les fonctions de Président de la République en visant les articles 45-46-294 bis 288 du Code Pénal, 77 et 130 du Code de Procédure Pénale ;

Considérant que le droit positif sénégalais ne renferme à l'heure actuelle aucune incrimination de crimes contre l'humanité, qu'en vertu du principe de la légalité des délits et des peines affirmé à l'article 4 du Code Pénal, les juridictions sénégalaise ne peuvent matériellement connaître de ces faits ;

Considérant par contre que par la loi 96-16 du 28 août 1996 complétant l'article 295-1 du Code Pénal le législateur sénégalais a érigé en infraction autonome les actes de torture qui jusque là n'étaient connus que comme circonstances aggravantes des crimes ou des délits visés par l'article 288 du Code Pénal ;

Considérant que cette nouvelle incrimination est en conformité avec l'article 4 de la convention de New York qui oblige les états - parties à veiller à ce que tous les actes de torture constituent des infractions au regard de leur droit pénal ;

Considérant que l'article 05 de la même convention prescrit que les états parties doivent prendre les mesures nécessaires pour établir leur compétence juridictionnelle ;

Que cette disposition, contrairement à l'accord de Londres du 08 novembre 1945 et de la charte du Tribunal Militaire ancêtre de la convention des Nations Unies du 09 décembre 1948 sur le génocide, ne détermine aucune compétence juridictionnelle ;

Considérant que la matière qui nous intéresse est relative à la justice pénale; qu'elle est bâtie sur deux grandes règles : d'une part les règles de fond qui définissent les infractions et fixent les peines et d'autres part, les règles de forme qui déterminent la compétence, la saisine et le fonctionnement des juridictions ;

Elle a toujours manifesté son autonomie par rapport aux autres normes juridiques ; que cette particularité est due au caractère sanctionnateur du droit pénal qui tend à la protection des intérêts de la société comme ceux des individus en cause et exige un certain formalisme de procédure ;

Considérant de ce fait que toute comparaison avec les autres branches du droit est vouée à l'échec, que l'arrêt cité pour soutenir la compétence universelle ne saurait prospérer en l'espèce, que l'incrimination universelle ne peut se confondre avec la compétence universelle ;

Considérant que la législateur sénégalais devrait parallèlement à la réforme entreprise dans le Code Pénal apporter des modification à l'article 669 du Code de Procédure Pénale en y incluant l'incrimination de torture, qu'en le faisant il se mettrait en harmonie avec les objectifs de la convention et reconnaîtrait par conséquent le principe de la compétence universelle;

Considérant que le législateur français après l'adoption de l'article 222-1 du Code Pénal Français réprimant la torture a voté la loi du 16 décembre 1992 entrée en vigueur le 1er mars 1994 relative au titre Xe se rapportant aux infractions commises hors du territoire français ; qu'en effet l'article 689 (C.P.P. français) dispose « les auteurs ou complices d'infractions commises hors du territoire de la République peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises soit lorsque, conformément aux dispositions du titre ler du Code Pénal ou d'un autre texte législatif, la loi française est applicable soit lorsqu'une convention internationale donne compétence aux juridictions françaises pour connaître de l'infraction » ;

L'article 689 - 1 cite « en application des conventions internationales visées aux articles suivants : peut être poursuivi et jugé par la juridiction française si elle se trouve en France, toute personne qui s'est rendue coupable alors du territoire de la République de l'une des infractions visée par ces articles» ;

Et l'article 689- 2 poursuit: « pour l'application de la convention contre la torture... adoptée à New York le 10 decembre 1984, peut être poursuivie et jugée dans les conditions prévues à l'article 689-1, toute personne coupable de torture au sens de l'article 1er de la convention» ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les juridictions sénégalaises ne peuvent connaître des faits de torture commis par un étranger en dehors du territoire sénégalais quelque soit les nationalités des victimes, que le libellé de l'article 669 du Code de Procédure Pénale exclut cette compétence;

Considérant que les règles de compétence sont d'ordre public, qu'en inculpant Hissène Habré de complicité de crimes contre l'humanité et d'actes de torture et de barbarie, le juge d'instruction a manifestement violé les règles de compétence matérielle et territoriale ;

Considérant que la méconnaissance de cette règle doit être sanctionnée par la nullité, que celle-ci rentre dans la catégorie des nullités substantielles d'ordre public qui peuvent être soulevées en tout état de cause et en tout état de la procédure;

Qu'en conséquence il y a lieu, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres arguments invoqués dans la requête susvisée, d'annuler le procès-verbal d'interrogatoire de 1ère comparution et la procédure subséquente pour incompétence du juge saisi ;

PAR CES MOTIFS :

Statuant en chambre du conseil hors la présence des conseils de l'inculpé et des parties civiles, du Ministère Public et du Greffier ;

EN LA FORME :

Rejette les exceptions soulevées ainsi que la dernière note en cours de délibéré de Maître Madické NIANG ;

Déclare la requête recevable ;

AU FOND:

Annule le procès-verbal d'inculpation et la procédure subséquente pour incompétence du juge saisi;

Met les dépens à la charge du Trésor Public ;

Ordonne l'exécution du présent arrêt à la diligence du Procureur Général Près la Cour d'Appel de Dakar;

Ainsi fait, jugé et prononcé par la chambre d'Accusation de la Cour d'Appel de Dakar les jour, mois et an que dessus.

ET ONT SIGNE LE PRESENT ARRET, LE PRESIDENT ET LE GREFFIER

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tchadien Hissène Habré
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L'ancien Président tchadien Hissène Habré

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