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Tunisie : Chirac devrait aborder le cas Farhat

(New York, 27 novembre 2003) Le Président français Jacques Chirac, en visite officielle en Tunisie à partir du 3 décembre, devrait intervenir en faveur du prisonnier politique tunisien Lotfi Farhat, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui dans une lettre adressée au chef de l'État français.


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" M. Farhat a de forts liens avec la France qui, est en étroite relation avec la Tunisie. Votre intervention dans ce cas prouverait donc clairement que la France n'a aucune complaisance pour les violations flagrantes des droits humains dont M. Farhat est victime. "

Lettre au Président Chirac


 
M. Farhat, résident français dont l'épouse et les enfants sont français, purge une peine de prison de sept ans imposée à la suite d'un procès manifestement arbitraire dirigé par un tribunal militaire de Tunis en 2001. M. Farhat a été inculpé pour appartenance à un groupe terroriste exerçant son activité à partir de l'étranger. Sa condamnation reposerait d'après lui uniquement sur une confession extorquée sous la torture.

M. Farhat est l'un des centaines de prisonniers politiques en Tunisie qui ont été condamnés à la suite de procès injustes. Human Rights Watch a vivement conseillé au Président Chirac d'œuvrer à sa libération ou de demander la tenue d'un nouveau procès, celui-ci impartial, devant un tribunal civil.

" M. Farhat a de forts liens avec la France qui, est en étroite relation avec la Tunisie. Votre intervention dans ce cas prouverait donc clairement que la France n'a aucune complaisance pour les violations flagrantes des droits humains dont M. Farhat est victime ", est-il écrit dans cette lettre.

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Washington, le 26 novembre 2003

Monsieur le Président Jacques Chirac
Palais de l'Élysée
Paris, France

Monsieur le Président,

Human Rights Watch vous écrit pour vous prier d'aborder le cas de M. Lotfi Farhat lors de votre visite la semaine prochaine en Tunisie. M. Farhat, résident en France depuis 1989, est injustement incarcéré depuis qu'il s'est rendu en Tunisie en 2000. Sa femme et ses deux jeunes enfants ont la nationalité française.

M. Farhat, un civil, a été arbitrairement arrêté, maltraité et reconnu coupable par un tribunal militaire qui ne respectait pas les normes internationales en matière du droit des prévenus à un procès équitable. Les violations les plus flagrantes de ce droit sont révélées par les faits suivants :

  • Les autorités l'ont arrêté sans mandat d'arrêt à son arrivée sur le sol tunisien le 2 août 2000 en compagnie de sa femme et de sa fille. Il a été détenu au secret au ministère de l'intérieur jusqu'au 15 août, bien au-delà du délai maximum de six jours prévu par la loi pour une garde à vue. Les autorités ont ensuite essayé de couvrir cette prolongation de la garde à vue en falsifiant son dossier. La date réelle de son arrestation est antérieure à celle qui y figure désormais.

  • M. Farhat a affirmé à ses avocats que pendant son interrogatoire, les policiers l'avaient suspendu par les pieds, lui avaient plongé la tête dans un baquet d'eau sale, l'avaient passé à tabac et l'avaient forcé à rester dans des positions très inconfortables. Il n'a pas eu le droit de consulter son avocat pendant cette période. C'est dans ces conditions que M. Farhat a signé une " confession " où il reconnaissait appartenir à un groupe étranger lié à l'organisation tunisienne Nahdha, d'une part, et avoir reçu un entraînement militaire en Afghanistan, d'autre part. Il a alors été inculpé pour " activités terroristes " en vertu de l'article 52 du code pénal et pour appartenance à un groupe terroriste exerçant son activité à partir de l'étranger en vertu de l'article 123 du code de justice militaire.

  • Durant sa détention provisoire, les avocats de M. Farhat n'ont pas eu de droit de visite pendant de longues périodes et ils n'ont eu accès à son dossier qu'au dernier moment.

  • Le 31 janvier 2001, durant un procès expédié par le tribunal militaire de Tunis en une journée, M. Farhat est revenu sur ses aveux, affirmant qu'ils avaient été extorqués sous la torture. Ses avocats ont mis en avant les vices de procédure, notamment l'utilisation vraisemblable de la torture, la garde à vue illégalement prolongée et la falsification de la date de l'arrestation. Ils ont aussi avancé l'argument selon lequel M. Farhat aurait dû être jugé par un tribunal civil. Le juge a rejeté tous ces arguments. Bien que la seule preuve présentée au procès de sa participation aux faits présumés consiste en sa " confession ", le tribunal l'a reconnu coupable en vertu de l'article 123. Lotfi Farhat a par conséquent été condamné à 7 ans d'emprisonnement et cinq ans de contrôle administratif.

  • M. Farhat n'a pas le droit de faire appel car les décisions rendues par les tribunaux militaires tunisiens ne sont pas susceptibles d'appel. Une cour de cassation a confirmé le jugement en première instance.
M. Farhat est actuellement en train de purger sa peine dans la prison civile de Gabès. D'après sa femme, Souad, qui habite à Asnières, près de Paris, on ne lui transmet pas depuis des mois les courriers qu'elle lui écrit et auxquels elle joint des photos de leurs enfants, l'un d'eux étant né après son emprisonnement. Mme Farhat nous a fait savoir que son mari, qui est diabétique, a commencé une grève de la faim le 18 novembre pour revendiquer ses droits en tant que prisonnier.

Nous vous conseillons vivement d'intervenir dans ce cas, même s'il n'est qu'un exemple parmi d'autres de l'inexistence de l'indépendance judiciaire en Tunisie. M. Farhat a de forts liens avec la France, qui est en étroite relation avec la Tunisie. Votre intervention dans ce cas prouverait donc clairement que la France n'a aucune complaisance pour les violations flagrantes des droits humains dont M. Farhat est victime.

Nous vous demandons respectueusement d'intervenir auprès des autorités tunisiennes pour obtenir soit sa libération, soit qu'un nouveau procès ait lieu dans les plus brefs délais devant une cour civile respectueuse de ses droits. Un tel procès doit permettre qu'une enquête soit menée sur ses allégations de torture. S'il est libéré, il devrait être libre de voyager pour pouvoir retrouver son épouse et ses enfants en France. En attendant sa libération, nous vous prions de faire en sorte que ses conditions de détention respectent les règles minima internationales, dont le droit de recevoir le courrier envoyé par sa famille.

En vous remerciant par avance, et avec l'expression de notre très profonde gratitude, nous vous prions de croire, Monsieur le Président, à l'hommage de notre respectueux dévouement.

Joe Stork
Directeur par intérim
Division du Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord