HRW News
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Lettre au Président Guelleh

Son Excellence Ismaël Omar Guelleh
Président de Djibouti
c/o Embassy of Djibouti
1156 15th St., NW, Suite 515
Washington DC 20005

30 juillet 2003

Monsieur le Président Guelleh:

Human Right Watch vous demande de libérer de la détention, et sans condition, le journaliste Daher Ahmed Farah, un leader de l'opposition politique qui a été condamné pour le crime de diffamation pour avoir critiqué le chef d'Etat-major de l'armée dans un article publié dans son journal, Le Renouveau. Nous demandons également que le gouvernement lève l'interdiction de publication de trois mois dont Le Renouveau s'est vu frappé et l'énorme amende imposée à Farah.

En plus, Human Rights Watch recommande vivement l'abrogation de la loi faisant des déclarations diffamatoires une infraction criminelle.

Farah a été arrêté le 17 avril pour un article alléguant que le chef d'Etat-major de l'armée se servait de façon abusive d'une troupe d'artistes de l'armée et utilisait sa position à des fins politiques. Ceci est une affaire de réputation personnelle pour laquelle une peine criminelle ne devrait pas être appliquée.

En plus de la peine d'emprisonnement, la cour d'appel a ordonné à Farah de payer des dommages et intérêts de 13 millions de francs djiboutiens (autour de 74.000 dollars américains) et lui a imposé une amende criminelle de 1 million de francs djiboutiens (autour de 5.500 dollars américains). Ces sommes sont énormes dans un pays où le revenu moyen par individu est moins de 800 dollars américains. La cour a également interdit la publication de Le Renouveau pour trois mois.

La condamnation de Farah est en violation de la loi internationale de protection de la liberté d'expression. L'article 19 de l'Accord International sur les Droits Civils et Politiques (International Covenant on Civil and Political Rights, ICCPR) stipule : " Tout le monde aura le droit à la liberté d'expression ; ce droit comprendra la liberté de . . . diffuser . . . l'information et les idées de toutes sortes . . . par écrit ou dans la presse. " Djibouti a adhéré au ICCPR le 3 février, 2003.

La presse doit bénéficier de la plus grande protection quand elle couvre des sujets d'intérêt public. Les Principes de Syracuse sur les Limitations et Dérogation aux Dispositions du ICCPR, qui prévoient un guide autorisé de l'accord, précisent que même en période d'état d'urgence national, la clause dans l'article 19 qui permet la restriction de la liberté d'expression en vue de protéger la réputation des autres " ne sera pas utilisée pour protéger l'Etat et ses représentants, de l'opinion publique ou de la critique " (Principe 37).

De même, les Principes de Johannesburg sur la Sécurité Nationale, la Liberté d'Expression et l'Accès à l'Information prévoient que " Personne ne peut être punie pour avoir critiqué ou offensé . . . les autorités publiques . . . sauf si la critique ou l'offense était intentionnelle et de nature à inciter à une haine imminente " (Principe 7).

Les lois sur la diffamation criminelle ont un profond et néfaste impact sur la liberté des média et le débat démocratique. Les peines criminelles sont disproportionnées et non nécessaires, surtout quand elles sont utilisées pour défendre la réputation des grandes autorités du gouvernement. Pour que le système démocratique puisse fonctionner, les critiques à l'endroit des figures publiques doivent être solides et libérées des entraves que sont les menaces d'emprisonnement. Si protection il doit y avoir - dans des circonstances extrêmes - elle doit être assurée par des moyens beaucoup moins répressifs que des sanctions criminelles.

Dans le cas de Farah, il s'avère que la loi sur la diffamation est en train d'être appliquée principalement pour réduire au silence le dissident politique. Farah n'est pas seulement l'éditeur de Le Renouveau, il est aussi un rival politique, en sa qualité de chef du Mouvement Pour le Renouveau Démocratique. Le Renouveau est une des rares publications en dehors du monopole que le gouvernement et ses alliés exercent sur la presse écrite et radiodiffusée au Djibouti.

L'usage abusif de la loi sur la diffamation pour punir les opposants politiques se reflète dans les conditions punitives et vindicatives de détention auxquelles les autorités ont soumis Farah depuis le début du mois d'avril.

Il paraît que Farah est détenu dans une toute petite cellule de 2,5 sur 1,5 mètres (numéro 13) dans la prison de Gabode. Une toilette occupe la moitié de cet espace. Quand un prisonnier est assis contre un mur, ses pieds touchent l'autre mur. La cellule grille tout le temps à cause du soleil réfléchi par un mur à côté. La ration d'eau est inadéquate, et la cellule est infestée de mouches le jour, de moustiques la nuit. Il paraît que Daher Ahmed Farah est coupé de tout contact humain ; la cellule habitée la plus proche se situe à 500 mètres et la présence humaine la plus rapprochée est un garde sur le toit de la prison, à 20 mètres.

Daher Ahmed Farah a été maintenu en détention préventive dans ces conditions abominables pendant les six semaines qu'a durées l'attente du procès, jusqu'à ce qu'un magistrat a ordonné sa libération le 3 juin, 2003. Trois jours après, il a été arrêté de nouveau et remis dans la cellule 13.

Le 23 juin, Farah a été acquitté par la cour pénale de Djibouti et relâché encore. En appel par le gouvernement, la cour d'appel l'a condamné le 9 juillet à six autres mois de prison, dont trois avec sursis. Les autorités carcérales ont immédiatement enfermé Farah dans la cellule 13 encore.

Juillet et août sont les mois les plus chauds à Djibouti et les températures diurnes dans la cellule monteront jusqu'à plus de 40 degrés Celsius.

Les conditions de détention de Farah sont on ne peut plus inhumaines, et violent le ICCPR, article 7, qui stipule : " Personne ne sera soumise aux . . . traitement ou peine cruels, inhumains ou dégradants. " Elles ne se conforment pas non plus aux Règlements de l'ONU sur le Standard Minimal pour le Traitement des Prisonniers.

L'usage du système judiciaire pénal pour emprisonner un journaliste de l'opposition et leader politique pour l'expression pacifique de ses opinions ainsi que l'interdiction de son journal, non seulement violent la loi internationale, mais aussi ne servent qu'à détruire les idéaux démocratiques repris dans la Constitution de Djibouti et à menacer la légitimité des institutions de l'Etat.

Monsieur le Président, vous avez le pouvoir de réparer les dommages causés par l'usage injustifié de la procédure pénale et par l'imposition cruelle, et sans nécessité, d'un jugement. Nous vous demandons d'user, sans tarder, de ce pouvoir pour libérer Daher Ahmed Farah, annuler l'amende encourue, et rapidement rétablir, pour Le Renouveau, le droit de publication.

Nous vous prions d'agréer l'expression de nos sentiments respectueux.

Peter Takirambudde
Directeur exécutif, Division Afrique