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Rapport Mondial 2002 : RDC FREE    Recevez des Nouvelles 
Une lettre de Human Rights Watch

18 mars 2002

A Son Excellence Kofi Annan
Secrétaire Général
Nations Unies
New York, NY 10017

Monsieur le Secrétaire Général,
Des combats récents entre des milices hema et lendu dans la région d'Ituri, au nord est de la République Démocratique du Congo (RDC) ont causé la mort de centaines de civils et déplacé des milliers d'autres personnes, au cours des dernières semaines. Ce conflit a trouvé un terrain favorable dans les récentes disputes de leadership au sein du Rassemblement Congolais pour la Démocratie-Mouvement de Libération (RCD-ML) et dans les affrontements entre le RCD-ML et la faction rivale du Mouvement pour la Libération du Congo (MLC) qui cherche à étendre son influence dans cette région riche en ressources. Les deux factions continuent à bénéficier du soutien militaire et diplomatique de l'Ouganda qui a récemment renforcé ses troupes en Ituri. Selon des rapports en provenance de la région parvenus à Human Rights Watch, certains éléments de l'armée ougandaise ont attaqué des civils non armés au cours d'opérations lancées pour calmer la violence. Faire cesser cette violence est une priorité, comme vous l'avez vous-même reconnu, non seulement pour sauver des vies mais aussi pour maintenir actif le processus de paix de Lusaka. Selon nous, une pression accrue sur toutes les parties à l'Accord de Cessez-le-feu de Lusaka ainsi qu'un redéploiement de certaines des troupes de la Mission de l'Organisation des Nations Unies au Congo (MONUC) contribueraient à mettre un terme aux très fréquentes violations des droits humains dans la région.

Nous apportons notre plein soutien à votre recommandation selon laquelle le Conseil de Sécurité des Nations Unies devrait augmenter le nombre de troupes de la MONUC mais la violence qui s'intensifie dans des endroits comme Ituri et le Haut Plateau, au sud Kivu, ne permet pas d'attendre que ces troupes soient autorisées et constituées. Nous vous demandons donc ainsi qu'au Conseil de Sécurité d'augmenter la pression politique sur toutes les parties afin qu'elles respectent leurs obligations dans l'Accord de Cessez-le-feu de Lusaka ainsi que celles qui sont les leurs selon le droit international humanitaire et les Conventions de Genève, en particulier en ce qui concerne la protection des civils dans les zones sous leur contrôle. Si une telle pression était efficacement exercée, il est très probable que les acteurs gouvernementaux insisteraient auprès des forces locales sous leur influence pour que ces dernières adoptent également les mesures nécessaires à l'arrêt des abus contre les civils.

Compte tenu de la dégradation rapide de la situation, nous insistons fermement pour que soient données, par vous-même et par le Conseil de Sécurité, des instructions à la MONUC afin qu'elle concentre ses actions d'observation et de dénonciation sur la conduite qu'ont les signataires des accords de Lusaka derrière les lignes de front, là où se produisent la plupart des attaques menées contre des civils. Selon nos informations, la MONUC n'a maintenu que quatre observateurs dans la ville de Bunia, capitale d'Ituri en dépit de l'importante violence qui prévaut là bas contre les civils depuis la mi-1999. Si la MONUC transférait immédiatement des observateurs militaires supplémentaires en provenance d'autres régions du Congo vers les points chauds de la région d'Ituri, ceci ferait percevoir aux acteurs gouvernementaux et locaux la nécessité de mettre un terme aux abus contre les civils et leur signifierait, le cas échéant, qu'ils doivent être prêts à supporter les conséquences d'une attention internationale accrue portée sur leurs violations du droit international.

Nous partageons l'avis de M. Amos Ngongi, Représentant Spécial des Nations Unies en RDC qui déclarait que "la sécurité de la population sur le territoire relève des autorités locales … ou de la force d'occupation, l'Ouganda. Les Ougandais ont des troupes sur le terrain et ils ont la responsabilité d'assurer la sécurité des civils." Nous sommes également conscients que, poussées par les critiques, les Forces de Défense du Peuple Ougandais (UPDF) ont récemment renforcé leurs unités en Ituri afin de contenir la violence.

Cependant, comme l'ont établi les rapports de Human Rights Watch, les troupes ougandaises ont par le passé alimenté le conflit entre les Hema et les Lendu. En juin 1999, le Général James Kazini, alors commandant des opérations UPDF au Congo (et actuellement commandant par intérim de l'armée) a décidé par décret de la création de la province d'Ituri et a nommé une responsable hema comme premier gouverneur. Par ailleurs, certains commandants de secteurs UPDF ont pris parti dans l'affrontement qui s'en est suivi, la plupart du côté des Hema, intensifiant ainsi la violence. De plus, des commandants de l'armée ougandaise postés dans différentes villes de garnison au nord est du Congo en 2000 et 2001, agissant apparemment de façon indépendante les uns des autres, ont formé et armé tant des Hema que des Lendu, au bénéfice des armées de leur allié rebelle préféré. Alors que le RCD-ML continuait de se diviser, nombre de ces éléments ainsi formés ont par la suite déserté et rejoint les leurs dans cette guerre interethnique mortelle. Enfin, des soldats UPDF auraient plus récemment pris part à des attaques menées en représailles contre des Lendu et leurs alliés villageois ngiti, attaques au cours desquelles des douzaines de civils ont été tués.

Compte tenu du passif de l'Ouganda en matière de contribution à l'augmentation des conflits locaux, nous estimons qu'il est impératif qu'un contingent plus important d'observateurs de la MONUC renforcent le monitoring qu'ils exercent sur le comportement des troupes ougandaises dans les opérations qu'elles mènent actuellement en Ituri. Les observateurs de la MONUC devraient enquêter sur tous les récits dignes de foi faisant état d'attaques menées par des éléments de l'armée ougandaise contre des civils, notamment en se rendant sur les lieux où se seraient produites les attaques et en interrogeant les survivants et les membres des familles des victimes. Ces récits incluent notamment la lettre en date du 18 février envoyée par un administrateur local de Walendu-Bindi, un district à prédominance lendu, se plaignant aux autorités locales à Bunia et aux commandants militaires de l'armée ougandaise et de l'armée alliée du RCD-ML de l'implication de soldats ougandais dans des meurtres de douzaines de civils lendu et ngiti, perpétrés en représailles dans les localités de Kagoro, Mukiro, Kagaba et Kinyomubaya. La MONUC qui a reçu une copie de ce courrier, devrait enquêter indépendamment sur cette affaire ainsi que sur d'autres allégations dignes de foi. La MONUC devrait ensuite faire pression sur le gouvernement ougandais pour qu'il traduise en justice les membres de ses forces armées responsables d'avoir conduit à l'aveuglette de telles attaques contre des civils. La présence d'observateurs militaires de la MONUC aux points chauds d'Ituri, tels que les localités de Rhety, Fataki, Nyakunde, Gety et Djugu Centre pourrait se révéler déterminante pour dissuader d'autres actions de représailles conduites par toutes les parties contre des civils, en particulier par l'UPDF et l'armée du RCD-ML.

Nous notons également que des membres de la composante civile de la MONUC ont été largement absents de Bunia. Les visites dans la région des officiers de la mission en charge de la protection de l'enfance et des droits humains ont été peu fréquentes et souvent très brèves. Début 2001, la MONUC a retiré un conseiller aux affaires humanitaires - et ce dernier n'a toujours pas été remplacé - après que des extrémistes de l'un des groupes rivaux eurent exercé des pressions en faveur de son départ, arguant de sa soi-disant sympathie pour l'autre groupe. En dépit de cet environnement hostile, nous encourageons fermement la MONUC à déployer certains de ses observateurs des droits humains, de ses officiers politiques, de ses officiers en charge de la protection de l'enfance et de ses conseillers aux affaires humanitaires à Bunia et dans la région d'Ituri plus généralement et à maintenir leur présence sur place pour des périodes plus longues que celles pratiquées jusqu'à ce jour. La visibilité ainsi plus marquée de la MONUC et son action de collecte de récits complets, mieux informés et de première main signifieraient clairement que la communauté internationale a véritablement l'intention de suivre de près les attaques contre des civils et de tenir leurs auteurs pour responsables de leurs actes.

Une présence accrue d'observateurs militaires de la MONUC et de son personnel civil rassurerait également la communauté humanitaire qui se sent assiégée après le choc de l'assassinat tragique de six employés du Comité International de la Croix Rouge, en avril 2001. Dans la région, ces meurtres ont été perçus comme une tentative de la part de certains acteurs locaux puissants pour intimider la communauté internationale. Une visibilité accrue de la MONUC en matière d'enquête sur les attaques contre des civils signifierait que les extrémistes ont échoué et que la communauté internationale est déterminée à faire cesser l'impunité qui a jusqu'à présent caractérisé l'histoire tragique de cette région. Nous demandons en particulier aux observateurs de la MONUC de vérifier si le RCD-ML honore ses promesses et de faire des rapports à ce sujet. Le nouveau gouverneur d'Ituri, le Capitaine Jean-Pierre Mulondo Lonpondo, a en effet récemment promis de respecter les principes humanitaires, de protéger les travailleurs humanitaires et de combattre l'impunité généralisée dont bénéficie l'armée du RCD-ML.

Nous vous remercions de l'attention que vous voudrez bien porter à ces questions d'importance et nous vous prions de bien vouloir agréer, Monsieur le Secrétaire Général, l'expression de nos sentiments distingués.


Alison DesForges
Conseillère pour la région des Grands Lacs

Joanna Weschler
Représentante aux Nations Unies

CC : Patrick Hayford, Directeur pour les Affaires Régionales et Africaines, EOSG