(New York, 4 octobre 2001) L'élection aujourd'hui de plus de 200 000 juges, au Rwanda, donnent
espoir que les procès consécutifs au génocide de 1994 pourraient s'accélérer, a déclaré aujourd'hui
Human Rights Watch. Mais le système judiciaire novateur mis en place, appelé “gacaca,” pourrait faire
l'objet de pressions politiques. Il manque aussi de clauses élémentaires de protection, internationalement
reconnues telles que le droit de recourir à un avocat.
“Le système a des lacunes mais il offre le seul réel espoir de procès, dans un avenir proche, pour plus de
100 000 personnes actuellement détenues dans des conditions inhumaines.”
Alison Des Forges, conseillère à la Division Afrique de Human Rights Watch.
|
|
“Le système a des lacunes mais il offre le seul réel espoir de procès, dans un avenir proche, pour plus de
100 000 personnes actuellement détenues dans des conditions inhumaines,” a déclaré Alison Des Forges,
conseillère à la Division Afrique de Human Rights Watch.
Human Rights Watch a vivement encouragé le gouvernement rwandais à franchir rapidement les étapes
législative et logistique nécessaires pour que le système “gacaca” devienne opérationnel, avec notamment
une loi sur l'indemnisation des victimes.
Dans la première étape vers la création d'un système complexe à trois étages, les Rwandais vont élire des
groupes de dix-neuf juges pour chacune des 11 000 juridictions. Les juges doivent être unanimement
reconnus comme des “gens integers.” Ils n'ont pas à faire preuve de connaissances juridiques et ils vont
suivre une formation brève mais intensive avant de prendre leurs fonctions, non rémunérées.
“Les nouvelles juridictions vont probablement refléter des dynamiques politiques locales,” affirme Des
Forges. “Parfois, la justice sera bien rendue, parfois, les victimes seront favorisées, parfois ce seront les
accusés.”
En cas d'erreurs judiciaires, aucune partie ne peut faire appel à un avocat. Les autorités rwandaises
affirment que permettre le recours à un avocat introduirait un biais dans une forme de justice “populaire.”
“Gacaca n'est pas la version parfaite d'une justice populaire,” déclare Des Forges. “L'état joue un rôle,
avec les procureurs qui préparent les cas et qui conseillent les juges. C'est pourquoi les accusés aussi
devraient avoir le droit de recourir à un avocat pour assurer leur défense.”
Human Rights Watch a appellé à une surveillance intense et soutenue du nouveau système compte tenu
de la nature, par essence politique, des juridictions et de l'impossibilité, tant pour les victimes que pour les
accusés, d'avoir droit à un avocat.
PRESENTATION GENERALE DU SYSTEME JUDICIAIRE RWANDAIS
Depuis fin 1996, des procès pour génocide ont été tenus, au Rwanda, dans des cours régulières de
justice. Cependant, 5 300 personnes seulement ont été jugées, ce qui représente moins de 5 pour cent
des personnes actuellement détenues. Le fonctionnement de ce système a été limité par le manque de
personnel et de ressources ainsi que par des considérations politiques et par la corruption.
Longtemps soumis aux critiques internationales pour la lenteur de fonctionnement de son système
judiciaire et pour les conditions inhumaines de détention des accusés, le gouvernement rwandais fait
maintenant face à d'autres pressions en faveur d'une accélération des procès. La question de la justice
pourrait occuper une place de choix dans le débat politique alors que le gouvernement se dirige vers des
élections nationales promises pour 2003. Nourrir les détenus représente une dépense considérable
partagée jusqu'à ce jour avec la communauté internationale mais les bailleurs étrangers ont indiqué que le
gouvernement rwandais devra, dans un futur proche, assumer une part plus importante de ce fardeau.
Pour rattraper le retard accumulé dans le traitement des cas, le gouvernement met en place un nouveau
système qui prend son nom, gacaca, et son inspiration d'un système communautaire de résolution des
conflits datant de la période pré-coloniale. Mais à la différence de l'ancien système, ce gacaca moderne
représente une initiative très hiérarchisée et dirigée par l'état.
Gacaca offre l'espoir de procès plus rapides parce que de très nombreuses juridictions opèreront
simultanément, dans tout le pays. Mais il est peu probable que les nouvelles juridictions accélèreront le
processus judiciaire autant qu'il est souhaité. Former les 200 000 juges et plus et équiper les juridictions
avec ne serait-ce que le matériel minimum nécessaire à l'enregistrement des jugements rendus demandera
au moins six mois et ceci doit se faire avant que les juridictions commencent à fonctionner. Les juges
travailleront à partir de résumés des cas préparés par le bureau local du procureur mais le nombre de
procureurs n'a pas suivi la même courbe ascendante que celle du nombre des juridictions. En
conséquence de quoi, la productivité des procureurs sera le facteur limitant pour les procès gacaca
comme elle a souvent limité la vitesse des procès dans les cours régulières.
Le droit rwandais en matière de génocide prévoit des peines réduites pour ceux qui reconnaissent
pleinement leurs crimes et dénoncent tous leurs complices. Environ 16 000 personnes sont passées aux
aveux mais les déclarations faites par nombre d'entre elles n'ont pas encore été revues et approuvées par
le bureau du procureur, ce qui constitue une étape nécessaire pour que les confessions puissent prendre
effet. Si des confessions réduisent le temps nécessaire aux procès, des enquêtes sur l'exactitude des
déclarations exigent encore du temps supplémentaire de la part du personnel des bureaux des procureurs
déjà surchargé.
Localement, la première juridiction, celle de la cellule, doit affecter l'accusé dans l'une des quatre
catégories disponibles, selon la gravité du crime que cette personne est soupçonnée avoir commis. Ceux
placés dans la catégorie une, celle pour les crimes les plus graves, ne bénéficieraient pas du principe des
confessions permettant d'obtenir une réduction des peines. Ils doivent être jugés dans des cours régulières
plutôt qu'avec le système gacaca. S'ils sont reconnus coupables, ce sont les seuls accusés passibles de la
peine de mort. Bien que les accusés puissent faire appel de leur jugement, ils ne peuvent contester leur
affectation dans l'une ou l'autre des catégories.
Un système informel de gacaca est utilisé dans les prisons rwandaises et les centres de détention depuis
1999, sous ordre du Ministre de la Justice. Sans procédure uniforme de régulation, ces sessions ont été
conduites de différentes manières, dans différentes prisons, à des moments différents. Les résultats de ces
sessions ont été enregistrés dans les dossiers des accusés mais il n'est pas clair si un contrôle a, ou non,
été effectué sur les données ainsi recueillies afin d'en vérifier l'exactitude. Dans plusieurs cas rapportés à
Human Rights Watch, des accusés ont avancé que les sessions gacaca menées dans les prisons ont
conduit à des conclusions manifestement complètement fausses, suite à des pressions exercées par des
autorités.
Des Rwandais ont déjà commencé à demander aux personnalités officielles du gouvernement si les
juridictions gacaca allaient aussi traiter les accusations qui pèsent sur des soldats de l'armée
gouvernementale, pour de graves crimes commis en 1994 et ultérieurement. Les autorités ont répondu
que de tels cas ne peuvaient être jugés que par le système de cours régulières. Cette réponse a suscité un
mécontentement parmi ceux qui souhaiteraient voir les personnes accusées de ces crimes elles aussi
jugées par une justice populaire.
|