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Recommandations pour la réunion de Bonn sur l'avenir de l'Afghanistan
27 novembre 2001

Alors que les délégués se réunissent en Allemagne pour discuter de la composition d'un gouvernement afghan de transition, il est capital d'assurer que les principes des droits humains internationaux et de la responsabilité soient intégrés dans les dispositions relatives à la sécurité et à la gouvernance. Le retour des femmes sur la scène politique afghane ainsi que la réinsertion des réfugiés et des personnes déplacées sont également des éléments essentiels d'un rétablissement durable de la paix et de la stabilité dans ce pays.

Nous reconnaissons qu'il n'est probablement pas possible d'éviter de collaborer avec les chefs militaires actuels, quel que soit leur passé, si l'on veut résoudre les problèmes qui se posent actuellement sur le plan de la sécurité.

Toutefois, il convient d'établir une distinction entre les besoins de sécurité à court terme et les arrangements politiques à long terme. Les accords qui interviendront à Bonn devront éviter de transiger sur la nécessité d'exclure de tout futur gouvernement afghan les responsables des violations les plus graves des droits humains et du droit humanitaire international.

Nous demandons d'intégrer les recommandations suivantes relatives à la responsabilité, aux droits humains et à la protection des réfugiés dans le cadre des efforts visant à mettre en place un futur gouvernement afghan. Si ces garanties ne sont pas mises en place dès maintenant, le risque demeure élevé que les Afghans continuent d'être confrontés à des actes de brutalité et de destruction, quel que soit l'accord réalisé.

1. Responsabilité

La mise en place de mécanismes à court terme et à long terme visant à résoudre le problème de la responsabilité des auteurs de graves violations des droits humains et du droit humanitaire international en Afghanistan pourrait permettre d'éviter le retour de l'instabilité qui a régné dans ce pays pendant plus de vingt ans.

A ce jour, les commissions militaires américaines, récemment autorisées par le Président Bush, sont les seuls mécanismes de responsabilité qui ont été proposés. Or, celles-ci négligent les garanties les plus élémentaires en matière de procédure équitable et ne sont en outre pas initialement conçues pour juger des atrocités commises en Afghanistan.

Bien que les délégués participant à la Conférence de Bonn puissent souhaiter se pencher sur les méthodes permettant de poursuivre en justice leurs ennemis, il est essentiel d'examiner également la responsabilité pour les violations commises par leurs alliés.

Commission d'experts
Nous demandons au Secrétaire général de désigner une commission d'experts qui se réunira pour analyser les témoignages de graves violations du droit humanitaire international, notamment les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité perpétrés en Afghanistan. Il s'agit selon nous d'une première étape de la responsabilité. Les conclusions de cette commission pourraient jeter les bases de poursuites criminelles devant un tribunal impartial, national ou international, et soutenir une certaine forme de "commission de la vérité". Alors que le choix de ce tribunal fait l'objet de discussions, cette commission permettrait à tout du moins de préserver des témoignages et des preuves élémentaires. La présence, en Afghanistan, d'enquêteurs mandatés par cette commission pourrait en outre jouer un rôle dissuasif et éviter ainsi que soient commises de nouvelles violations des droits humains. Une action du Conseil de Sécurité est nécessaire étant donné qu'il est peu probable qu'un accord intervienne entre les différentes factions afghanes quant aux crimes que cette commission devrait examiner.

Mécanismes judiciaires envisageables
L'absence d'une juridiction compétente en Afghanistan est un important obstacle aux poursuites judiciaires contre tout individu accusé d'avoir violé les droits humains ou le droit humanitaire international. Une détention prolongée sans jugement constituerait une violation des garanties fondamentales de procédure équitable. Les trois principaux mécanismes judiciaires envisageables sont décrits ci-dessous:

    Les cours nationales de justice
    Une possibilité serait de rétablir en Afghanistan un système judiciaire national, qui est de toute façon nécessaire dans le cadre du processus de reconstruction. La mise en place d'un tel système judiciaire présuppose toutefois un accord sur l'administration de transition sous le mandat de laquelle les tribunaux afghans seraient rétablis. Même si l'on prévoit un recyclage approfondi des juristes afghans et l'assistance technique des bailleurs de fonds internationaux, le rétablissement d'un système judiciaire national doit être envisagé comme une option à long terme.

    Tribunal international pour les crimes de guerre de l'Afghanistan
    Un tribunal international ad hoc chargé de juger les graves violations du droit international commises en Afghanistan présenterait l'avantage de faire appel plus aisément à l'expérience des juges, des juristes et du personnel juridique spécialisés dans l'application du droit international. La principale difficulté résiderait dans le choix du siège de ce tribunal, qui devrait être à la fois un endroit neutre et facile d'accès. Un autre obstacle serait la difficulté d'assurer le soutien politique des diverses factions afghanes à ce tribunal, celles-ci risquant de s'opposer à toute ingérence étrangère dans les affaires intérieures afghanes.

    Procès dans un pays tiers
    En vertu du principe de la juridiction universelle, tout état est tenu de traduire en justice les auteurs de crimes comme le génocide, les crimes contre l'humanité, la torture et les crimes de guerre, quel que soit l'endroit où ces crimes ont été commis et quelle que soit la nationalité des auteurs ou de leurs victimes. Si les deux premières options se révèlent intenables à court terme, l'on pourrait envisager, à titre de solution provisoire, un jugement dans des pays tiers.

Des questions doivent encore résolues concernant le lieu et les conditions de détention des Talibans qui ont été capturés ou qui se sont rendus. De hauts responsables du ministère américain de la Défense ont déclaré que les combattants talibans non-afghans ne pouvaient pas aller se réfugier dans un pays tiers. Dans ces circonstances, le gouvernement américain devrait garantir que l'Alliance du Nord prenne toutes les mesures nécessaires pour garantir aux Talibans une détention respectueuse des droits humains.

En dépit des obstacles sur le plan de la justice, la question des futures poursuites judiciaires doit être réglée rapidement, au risque de voir des milliers de prisonniers être détenus sans l'espoir d'un procès rapide. L'existence d'options judiciaires réalisables dissuaderait par ailleurs tout acte de justice sommaire. Dans l'immédiat, les mesures décrites ci-dessous peuvent également très bien préparer le terrain en ce qui concerne la responsabilité des auteurs de violations des droits humains.

Pas d'amnistie annulant les poursuites
Les auteurs de graves violations du droit humanitaire international ou de crimes contre l'humanité ne doivent pas être amnistiés. L'amnistie apparaît souvent opportune lorsque le moment est venu de rétablir la paix. Toutefois, il arrive plus souvent qu'elle fasse obstacle au retour de la paix, car elle donne aux victimes l'impression que personne ne se soucie de leurs griefs et aux auteurs des faits l'impression qu'ils pourront continuer à s'adonner en toute impunité à des atrocités. En Sierra Leone par exemple, une large amnistie octroyée dans le cadre des accords de paix de 1999 a contribué à l'effondrement de la paix un an plus tard. Une telle situation doit absolument être évitée en Afghanistan, même si l'on évoque des négociations entre l'Alliance du Nord et les Talibans en vue d'une éventuelle amnistie pour les chefs talibans de Kunduz ayant commis des atrocités.

Exclure les auteurs de crimes internationaux du futur gouvernement
Les individus responsables des pires violations des droits humains et du droit humanitaire international doivent également être tenus à l'écart du nouveau gouvernement. Il convient de discuter de la façon dont cet objectif peut être réalisé dès maintenant, c'est-à-dire dès les premières phases de la reconstruction de l'Afghanistan post-taliban. Même si de nombreux dirigeants afghans potentiels n'ont sans doute pas les mains blanches, il convient au moins d'empêcher les personnes impliquées dans des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre et autres graves violations des droits humains, de détenir un poste au sein du nouveau gouvernement. L'expérience montre en effet que les individus responsables par le passé de ce type de crimes commettent à nouveau leurs atrocités. L'inclusion de tels dirigeants nuirait par ailleurs aux efforts visant à créer un gouvernement bénéficiant d'un large soutien des diverses communautés ethniques d'Afghanistan.

Citons, à ce propos, l'annonce des pays "Six Plus Deux", faite le 12 novembre, déclarant que tout futur gouvernement afghan devrait être "une administration afghane à large base, multiethnique, équilibrée sur le plan politique et librement choisie, représentant les aspirations et en paix avec ses voisins. Cette administration doit pouvoir répondre aux besoins du peuple afghan et respecter les droits de l'homme, la stabilité régionale et les obligations internationales de l'Afghanistan".

Eliminer les auteurs de violations des droits de l'homme des forces militaires et de police afghanes
Tous les efforts doivent être consentis en vue de désarmer les individus impliqués dans de graves violations des droits humains et du droit humanitaire international et pour les exclure des nouvelles forces armées et de police civile afghanes. Cette sélection pourrait être réalisée par des autorités locales, en association avec des vérificateurs internationaux. Une telle procédure a déjà été mise en œuvre dans d'autres contextes, notamment au Salvador où les NU se sont joints aux efforts visant à exclure certains membres du personnel militaire sur la base de leurs antécédents, et en Bosnie et en Herzégovine où les NU ont procédé à une vérification scrupuleuse des candidats à des postes dans la police civile.


2. Droits de la femme et participation des femmes

Il est essentiel que tout nouveau gouvernement mette en place des lois garantissant le droit des femmes à l'éducation, à la libre expression, à la mobilité, à l'emploi et aux soins de santé tout en mettant fin aux sanctions discriminatoires contre les femmes. Les femmes qui sont actuellement en détention pour avoir violé des lois ou des édits discriminatoires doivent être remises immédiatement en liberté. La communauté internationale devrait également aller proactivement à la rencontre des femmes afghanes afin de leur assurer l'accès à l'aide et à l'assistance dont elles ont besoin, notamment dans le domaine de l'éducation et des soins de santé. Il est tout aussi essentiel d'associer les femmes aux négociations sur la formation d'un nouveau gouvernement. Beaucoup de leaders afghanes ont lutté pendant des années contre les brutalités en Afghanistan. Ces dernières années, elles ont joué un rôle majeur en assurant la visibilité de la situation en Afghanistan sur le plan international. Un processus de constitution de gouvernement qui rejette d'emblée leur contribution ne pourrait répondre dans le futur à leurs besoins et ne pourrait prétendre reposer "sur une large base".

Les femmes doivent être également associées à la reconstruction post-conflit en tant que décideurs. Au moment où sont planifiés les efforts d'aide humanitaire et de reconstruction, les femmes disposent d'informations essentielles sur la façon dont cette assistance parvient effectivement aux femmes d'Afghanistan, et notamment aux femmes des zones rurales, aux veuves, aux illettrées, aux handicapées, aux déplacées et aux réfugiées rentrant en Afghanistan. Les femmes clés au niveau local ont également un rôle essentiel à jouer pour assurer la participation des femmes aux programmes de développement: leur participation facilite en effet la diffusion des informations via des réseaux de femmes et d'ONG de défense et de promotion des droits de la femme.

3. Obtenir des engagements en matières de droits humains fondamentaux

Les négociateurs associés aux efforts de mise en place d'un gouvernement à large base en Afghanistan devraient veiller à obtenir des engagements relatifs au maintien des obligations de l'Afghanistan en tant que partie aux traités internationaux des droits humains ainsi qu'au respect des principes fondamentaux des droits humains et du droit humanitaire international. Ces engagements devraient inclure des garanties de non-discrimination à l'encontre des minorités ethniques et religieuses, notamment contre l'ethnie des Hazaras et les musulmans chiites, ainsi qu'à l'encontre de groupes minoritaires dans certaines régions, comme les Pachtounes dans le nord de l'Afghanistan. Il convient également de veiller à développer des mécanismes judiciaires de transition permettant de statuer sur des conflits fonciers ou de propriété et de poursuivre les représentants du gouvernement ou des forces de sécurité s'étant rendus coupables de nouvelles violations du droit humanitaire international. L'assistance internationale dans cette période post- conflit armé inclut un soutien financier et d'autres formes d'aide, comme la formation aux institutions impliquées dans l'administration de la justice, à tous ses niveaux.

4. Le retour et la réinsertion des réfugiés et des déplacés

Le retour et la réinsertion des réfugiés et des personnes déplacées constitue un élément essentiel pour le rétablissement à long terme de la paix et de la sécurité en Afghanistan.

Human Rights Watch demande à tous les délégués présents à Bonn ainsi qu'aux agences des Nations Unies de mettre en place un groupe de travail sur les réfugiés, le déplacement et le rapatriement.

Ce groupe de travail devrait envisager les mesures suivantes:

La création d'un ministère chargé des réfugiés, du déplacement et du rapatriement: Ce groupe de travail devrait envisager de proposer la création d'un ministère, au sein du futur gouvernement afghan, qui coopérerait avec les NU et les responsables d'ONG sur les questions en rapport avec le déplacement et le rapatriement, ce qui faciliterait le retour volontaire des réfugiés et des déplacés ainsi que leur réinsertion.

Accords relatifs au rapatriement: Le groupe de travail devrait envisager de proposer une commission conjointe composée de représentants de l'Afghanistan, du Pakistan et d'Iran, ainsi que du Haut Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies afin d'établir les calendriers du rapatriement, d'élaborer les principes et les critères du rapatriement volontaire permettant d'assurer un degré maximum de protection des rapatriés, d'identifier les besoins de financement à court et à long terme et enfin, de formuler des accords spécifiques de rapatriement entre ces pays.

Protection des femmes et des enfants déplacés: Le groupe de travail devrait accorder une attention particulière aux besoins de protection des femmes et des enfants déplacés. Il s'agirait de leur garantir une protection contre la violence physique, sexuelle et domestique et contre les mauvais traitements. un accès complet et libre à une aide appropriée, et notamment l'accès à la nourriture, à un abri, à l'eau, aux soins de santé et à l'éducation des enfants, ainsi qu'une participation à part entière dans le processus décisionnel et à l'élaboration et à la mise en œuvre des programmes de protection et d'assistance.