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Afrique : utiliser la loi sur le commerce en faveur des droits humains
(Washington, 25 octobre 2001) Les Etats Unis ne font pas assez pour mettre en œuvre les critères sur les droits humains contenus dans la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (African Growth and Opportunity Act, AGOA), a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui.


" Le Congrès a créé un outil utile pour promouvoir les droits humains en Afrique, mais le gouvernement américain ne l'utilise pas. "

Janet Fleischman, Directrice de la Division Afrique de Human Rights Watch à Washington


 
" Le Congrès a créé un outil utile pour promouvoir les droits humains en Afrique, mais le gouvernement américain ne l'utilise pas. " Janet Fleischman, Directrice de la Division Afrique de Human Rights Watch à Washington.

Le premier Forum sur le Commerce et la Coopération Economique entre les Etats Unis et l'Afrique, prévu par l'AGOA, loi adoptée par le Congrès en 2000, se tiendra à Washington le 29 et 30 octobre.

Dans des lettres adressées au Secrétaire d'Etat, Colin Powell et au représentant américain au Commerce Extérieur, Robert Zoellick, Human Rights Watch a déclaré que le gouvernement américain n'avait pas utilisé les critères sur les droits humains contenus dans la loi pour améliorer la situation des droits humains, dans les pays bénéficiaires.

" Le Congrès a créé un outil utile pour promouvoir les droits humains en Afrique, mais le gouvernement américain ne l'utilise pas. " Janet Fleischman, Directrice de la Division Afrique de Human Rights Watch à Washington.

Human Rights Watch ne prend pas position sur l'éligibilité de tel ou tel pays à l'AGOA. Mais cette loi comporte des critères en matière de droit du travail et de droits humains et exige des pays bénéficiaires " qu'ils ne se livrent pas à de graves violations des droits humains internationalement reconnus. "

Human Rights Watch a cité plusieurs cas pour lesquels le Département d'Etat américain a lui-même recueilli des informations sur des pratiques non respectueuses des droits humains, de la part de pays bénéficiaires. Cependant, le gouvernement américain n'a pas clairement exprimé comment ces découvertes allaient affecter les relations commerciales avec ces pays, tel que stipulé dans l'AGOA.

Une letter de Human Rights Watch

25 octobre 2001

Colin Powell
Secrétaire d'Etat
Département d'Etat des Etats Unis
Washington DC 20520

Monsieur le Secrétaire d'Etat,

Par cette lettre, Human Rights Watch souhaite vous encourager fermement à tout mettre en œuvre pour que les Etats Unis utilisent les critères d'éligibilité en matière de droits humains, contenus dans la Loi sur la croissance et les possibilités économiques en Afrique (AGOA, African Growth and Opportunity Act) comme un moyen de pression en faveur de l'amélioration des droits humains en Afrique. Comme la loi le stipule, l'accès à l'AGOA comporte des critères sur le droit du travail et les droits humains : les bénéficiaires de l'AGOA ne doivent pas "se livrer à de graves violations des droits humains internationalement reconnus". Cette formulation exige que l'accès aux bénéfices de l'AGOA soit fonction d'un examen annuel minutieux et détaillé du bilan des partenaires de l'AGOA en matière de droits humains, en plus de leurs réformes politiques et économiques. Les conclusions de cet examen devraient ensuite être utilisées par le gouvernement américain comme un outil essentiel pour faire pression en faveur d'un meilleur respect des droits humains, chez les récipiendaires.

Bien que la loi liât les droits humains aux bénéfices accordés par l'AGOA, le gouvernement américain n'a pas utilisé les critères en matière de droits humains pour contribuer efficacement à l'amélioration des performances des pays bénéficiaires, dans ce domaine. Le rapport du Représentant américain au Commerce - Rapport complet au Président des Etats Unis sur la politique commerciale américaine et les investissements avec l'Afrique sub-saharienne et la mise en œuvre de l'AGOA pour l'année 2001 - dresse la liste de nombreuses pratiques portant atteintes aux droits humains dans les pays bénéficiaires. Mais ce rapport ne donne aucune indication sur la façon dont les Etats Unis envisagent de suivre les progrès des pays, dans leur traitement des atteintes aux droits humains, pour établir les critères d'accès à l'AGOA. Dans certaines parties, le rapport échoue tout bonnement à reconnaître les problèmes des droits humains qui sont pourtant largement exposés dans les rapports par pays du Département d'Etat, consacrés aux pratiques en matière de droits humains. Ces points faibles dans le processus d'examen établi par l'AGOA risquent de porter atteinte à l'importance et l'intégrité des critères relatifs au respect des droits humains.

    Pour ne citer que quelques exemples :

  • Dans les chapitres sur le Cameroun et la Guinée, le rapport du Représentant américain au Commerce fait état de graves violations des droits humains et lie l'éligibilité à l'AGOA à des progrès dans ce secteur. Le chapitre du rapport du Représentant américain au Commerce sur le Cameroun évoque "de graves inquiétudes concernant les droits humains," et "des récits dignes de foi" sur la responsabilité des forces de sécurité dans de nombreux meurtres, commis hors de tout cadre légal. Le chapitre poursuit en affirmant que le Cameroun était considéré comme un pays recevable pour l'AGOA, "sur la base d'assurances fournies par le gouvernement qu'une enquête sur ces abus serait lancée et que les responsables seraient punis." De la même façon, le chapitre sur la Guinée rapporte "que les forces de sécurité commettent fréquemment des atteintes aux droits humains et que le système judiciaire est perçu comme incapable d'offrir des garanties aux prisonniers en matière d'équité et de sécurité". Il est ensuite noté que le gouvernement "a exprimé son accord sur le lancement de réformes dans le système judiciaire et le système pénal." Dispose-t-on aujourd'hui d'éléments prouvant que le gouvernement a tenu ses promesses ? Si tel est le cas, quelles sont les démarches entreprises par le Département d'Etat et le Représentant américain au Commerce pour vérifier ces affirmations ? Dans le cas contraire, comment l'administration américaine va-t-elle préserver la crédibilité du processus ?

  • Dans l'évaluation de la situation en Erythrée conduite par le Représentant américain au Commerce, il n'est pas fait mention des inquiétudes graves exprimées dans les Rapports par pays du Département d'Etat. Dans ces documents, le bilan du gouvernement en matière de droits humains est qualifié de "faible" et des inquiétudes sur l'indépendance du pouvoir judiciaire, la pratique de la torture par la police, les restrictions à la liberté de la presse et la liberté religieuse, la violence et la discrimination contre les femmes et les restrictions aux droits des travailleurs sont clairement énoncées. Au cours des dernières semaines, le gouvernement érythréen a intensifié la répression sur ses opposants.

  • Le rapport du Représentant américain au Commerce sur le Kenya souligne que la corruption est "largement répandue" et que les protections en faveur des droits humains "ne sont pas systématiquement respectées en pratique." En fait, une réforme constitutionnelle demeure une nécessité pour résoudre la crise politique au Kenya. Cette nécessité pourrait se faire de plus en plus pressante à l'approche des élections nationales de 2002. Cependant, le gouvernement du Président Daniel arap Moi continue à saboter les efforts en faveur d'un processus véritablement démocratique. De la même façon, le gouvernement a fait peu ou pas de progrès dans sa lutte contre la corruption alors que l'ampleur de ce problème a conduit le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale à suspendre leurs financements.

  • Le rapport reconnaît de graves atteintes commises par les états voisins, dans la guerre en République Démocratique du Congo mais ne progresse pas dans la dénonciation de ces graves abus, condition requise pour bénéficier de l'AGOA. Par exemple, le Représentant américain au Commerce prend bonne note des "récits" selon lesquels les forces de sécurité rwandaises sont responsables de meurtres, commis hors de tout cadre légal, d'arrestations arbitraires, de détentions et passages à tabac de prisonniers au Rwanda. Il évoque aussi "des récits dignes de foi" selon lesquels l'armée rwandaise a commis des massacres et autres abus dans l'est du Congo. Sur l'Ouganda, le rapport affirme que "les atteintes contre les civils ont continué en RDC dans les régions sous contrôle ougandais." Cependant, il n'est exigé ni du Rwanda, ni de l'Ouganda qu'ils mettent un terme à ces atteintes ou traduisent leurs auteurs en justice, pour pouvoir prétendre aux avantages de l'AGOA.

En dressant la liste de ces exemples, nous ne voulons pas prendre position sur l'éligibilité de tel ou tel pays aux bénéfices offerts par l'AGOA. Nous utilisons au contraire ces cas afin d'illustrer comment le gouvernement américain pourrait utiliser l'AGOA, pour exercer des pressions en faveur de la fin des violations des droits humains et l'amélioration de la situation en ce domaine, dans les pays bénéficiaires. Echouer dans l'utilisation de cette dimension de l'AGOA trahit les intentions de ceux qui ont établi l'AGOA et risque de conduire au gaspillage d'un outil utile à la promotion des droits humains en Afrique.

Nous vous remercions de l'attention que vous voulez bien porter à ces questions essentielles.

Nous vous prions de bien vouloir agréer l'expression de notre très haute considération.

Janet Fleischman
Directeur Afrique à Washington

Tom Malinowski
Directeur Relations Extérieures Etats Unis

Copie :
Robert B. Zoellick
Représentant américain au Commerce