« Assurances diplomatiques » contre la torture

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« assurances diplomatiques » contre la torture

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Que sont les « assurances diplomatiques » contre la torture ?

Pourquoi l’utilisation des assurances diplomatiques est-elle de plus en plus répandue ?

Pourquoi les gouvernements recherchent-ils ces assurances ?

Les assurances diplomatiques sont-elles efficaces ?

Des personnes qui ont été renvoyées avec des assurances diplomatiques ont-elles en fait été torturées ?

Comment les gouvernements peuvent-ils savoir si les assurances ont fonctionné ?

Les assurances diplomatiques sont-elles des obligations légales ?

Si une assurance diplomatique est publique, cela ne met-il pas en jeu la réputation du gouvernement du pays d’accueil ?

Si le gouvernement expéditeur contrôle la façon dont une personne est traitée à son retour, cela rend-il l’assurance plus fiable ?

La plupart des pays d’accueil sont arabes ou musulmans. Human Rights Watch dit-il que ces gouvernements sont intrinsèquement indignes de confiance ?

Les assurances diplomatiques peuvent-elles être un moyen d’améliorer le bilan d’un pays en matière de torture ?

Le gouvernement des Etats-Unis déclare qu’il cherche toujours à obtenir des assurances s’il existe un risque de torture. Cela rend-il légaux les transferts effectués par les Etats-Unis ?

Les accords conclus par le gouvernement du Royaume-Uni, appelés « mémorandums of understanding, » sont-ils meilleurs que les assurances diplomatiques ordinaires?

Quel est le bilan du Canada relatif aux assurances diplomatiques contre la torture ?

Certains pays ont-ils suivi la voie tracée par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada?

Que disent les organisations internationales des droits humains au sujet des assurances diplomatiques?

Si les assurances diplomatiques ne protègent pas une personne de la torture, pourquoi les tribunaux ne les proscrivent-ils pas ?

Si les gouvernements ne peuvent pas expulser des personnes suspectées de terrorisme à cause du risque de torture, que sont-ils censés faire avec des étrangers potentiellement dangereux ?

Certains détenus étrangers ne veulent-ils pas retourner dans leur pays d’origine, malgré le risque d’y être torturés ?


Que sont les « assurances diplomatiques » contre la torture ? 

Les « assurances diplomatiques » sont pour les gouvernements une façon de plus en plus répandue de contourner l’interdiction internationale contre la torture. Elles aplanissent le terrain pour que des étrangers indésirables puissent être envoyés dans un autre pays où ils seront exposés au risque de torture et d’autres exactions. Comme il est illégal d’envoyer quelqu’un dans un pays où il ou elle court le risque d’être torturé(e), le pays expéditeur obtient d’abord la promesse du pays destinataire qu’il n’aura pas recours à la torture.

La plupart des cas concernent des étrangers soupçonnés d’implication dans le terrorisme ou qualifiés de menaces pour la sécurité nationale. Les demandeurs d’asile n’ayant pas obtenu satisfaction, les personnes qui sont extradées après une inculpation ou une condamnation pour des délits ordinaires, ainsi que des personnes sous le coup de mandats d’arrêt pour des délits ordinaires ont également été menacées d’être renvoyées sur la base de ces assurances.

Les assurances diplomatiques revêtent diverses formes. Certaines sont de simples promesses orales. D’autres sont des documents écrits, dans certains cas signés par des responsables des deux gouvernements. Le contenu des assurances varie lui aussi, et les assurances contre la torture sont parfois jointes avec d’autres promesses, par exemple d’un procès équitable. Certaines assurances ne font rien de plus que réitérer que le gouvernement d’accueil respectera sa législation nationale ou ses obligations par rapport au droit international des droits humains. Certaines assurances diplomatiques comportent des dispositions prévoyant un contrôle au retour dans le pays d’accueil. 

Pourquoi l’utilisation des assurances diplomatiques est-elle de plus en plus répandue ?

A cause des attaques terroristes du 11 sept embre et d’autres plus récentes, par exemple les attentats de Londres en juillet 2005. Bien que certains gouvernements aient eu recours aux assurances diplomatiques contre la torture avant ces attaques, un nombre croissant de gouvernements veut se débarrasser des étrangers soupçonnés d’avoir pris part à des activités terroristes.  Au lieu de poursuivre ces suspects, de nombreux gouvernements les transfèrent simplement vers leur pays d’origine ou vers un autre pays, et soutiennent que les assurances diplomatiques garantissent qu’ils ne seront pas torturés.   

Certains gouvernements ont utilisé les assurances diplomatiques dans le cadre de la peine de mort. Etant donné que la peine de mort est illégale en Europe, les gouvernements européens ne vont pas extrader une personne vers des pays comme les Etats-Unis ou la Chine, où la peine de mort est légale, sans une assurance que la peine de mort ne sera pas utilisée. Mais les assurances contre la peine de mort diffèrent des assurances contre la torture.  Même si Human Rights Watch est opposé à la peine de mort, son utilisation comme châtiment après une condamnation criminelle n’est pas interdite par le droit international. L’utilisation des assurances contre la peine de mort reconnaît simplement les approches légales différentes de deux Etats. En revanche, les assurances contre la torture se rapportent à une conduite qui est criminelle aussi bien dans le pays expéditeur que dans le pays d’accueil, qui est pratiquée en secret, et qui est en général niée. Il est beaucoup plus facile de contrôler une assurance contre la peine de mort —et de protester contre sa violation éventuelle— avant qu’une exécution ait lieu. Dans les cas où des assurances diplomatiques contre la torture sont émises, cependant, les pays expéditeurs courent le risque inacceptable d’être dans l’incapacité d’identifier une violation de ces assurances, et en tout cas étant donné le secret qui entoure la torture, seulement après que la torture ait déjà eu lieu.

Pourquoi les gouvernements recherchent-ils ces assurances ?

La plupart des gouvernements admettent ouvertement qu’ils recherchent des assurances diplomatiques seulement auprès des Etats où la torture est un problème grave et courant ou bien où des personnes qualifiées de terroristes sont particulièrement visées par ce type d’exaction. Les gouvernements qui recherchent ces assurances soutiennent que ces promesses  réduisent la probabilité que la personne soit torturée à son retour, ce qui rend ainsi ce retour  possible sans enfreindre le droit international.

Les assurances diplomatiques sont-elles efficaces ?

La multiplication des preuves et l’opinion des experts internationaux indiquent que les assurances diplomatiques ne peuvent pas protéger contre ces exactions les personnes risquant d’être torturées à leur retour. Les pays expéditeurs qui comptent sur de telles assurances ou bien prennent leurs désirs pour des réalités, ou bien se servent des assurances comme couverture pour masquer leur propre complicité dans la torture. Quoi qu’il en soit, les gouvernements qui recherchent des assurances diplomatiques contre la torture essaient en réalité de contourner leurs propres obligations de ne pas renvoyer de personnes susceptibles de subir de telles exactions. 

Tous les gouvernements offrant des assurances diplomatiques ont un long passé et des antécédents confirmés de recours à la torture, un fait que reconnaissent la plupart des gouvernements expéditeurs.  Les gouvernements ayant un mauvais bilan en matière de torture nient en général l’utilisation de la torture et se gardent d’ouvrir des enquêtes lorsque des allégations de torture sont faites. Il est hautement improbable que ces gouvernements, qui violent régulièrement l’interdiction internationale de la torture, tiennent leurs promesses de ne pas torturer une personne en particulier.

Une des choses qui rend ces promesses sans valeur c’est la nature de la torture elle-même. La torture est une activité criminelle des plus graves. Elle est pratiquée en secret en employant des techniques qui souvent sont difficilement décelables (par exemple, la noyade simulée, les agressions sexuelles, l’utilisation interne de l’électricité). Dans de nombreux pays, le personnel médical des établissements pénitentiaires surveille ces pratiques de sorte que la torture ne soit pas facilement décelée.  Et les détenus victimes de torture ont souvent peur de se plaindre parce qu’ils craignent des représailles contre eux-mêmes ou des membres de leur famille.

Des personnes qui ont été renvoyées avec des assurances diplomatiques ont-elles en fait été torturées ?

Oui. Ahmed Agiza, demandeur d’asile en Suède, a été expulsé en décembre 2001 sur la base d’assurances du gouvernement égyptien qu’il ne serait pas soumis à la torture. Les autorités suédoises ont remis Agiza à des agents des U.S.A. et il a été transféré au Caire à bord d’un avion affrété par la CIA. Il a par la suite été battu et a reçu des décharges électriques dans une p rison égyptienne, malgré les dispositions prévoyant un contrôle après son retour par des diplomates suédois. En mai 2005, le Comité des Nations Unies contre la torture a jugé que la Suède avait violé son obligation absolue de ne pas renvoyer une personne risquant d’être torturée et a affirmé que « l’obtention d’assurances diplomatiques, qui, en outre, ne prévoyaient aucun mécanisme pour les faire appliquer, n’a pas suffi à protéger contre ce risque manifeste. »

En octobre 2002, le gouvernement des Etats-Unis a transféré Maher Arar, possédant la double nationalité canadienne et syrienne, depuis New York vers la Syrie via la Jordanie en s’appuyant sur des assurances diplomatiques de traitement humain.  Arar a été remis en liberté en octobre 2003. Un enquêteur indépendant nommé par une Commission d’enquête canadienne officielle sur la façon dont avait été traité Arar a conclu en octobre 2005 que Arar avait été torturé alors qu’il était détenu en Syrie, malgré les assurances syriennes du contraire et plusieurs visites des fonctionnaires consulaires canadiens. En septembre 2006, la Commission d’enquête elle-même a conclu que les tortures subies par Arar en Syrie étaient « un exemple concret » que les assurances diplomatiques données par des régimes totalitaires sont « sans valeur » et ne protègent pas de la torture.

Le gouvernement des Etats-Unis a transféré un Russe, Rasul Kudayev, depuis Guantánamo vers la Russie en 2004, sur la base des assurances données par les autorités russes qu’il serait traité humainement en accord avec le droit national de la Russie et avec les obligations internationales  En octobre 2005, Kudayev a été illégalement arrêté et détenu, gravement battu et les soins médicaux dont il avait besoin lui ont été refusés. Son avocate s’est vu retirer son affaire de façon arbitraire quand elle s’est plainte des mauvais traitements subis par son client.  

Ces cas démontrent que les assurances diplomatiques ne protègent pas de façon efficace et ne devraient pas être utilisées dans les cas où il existe un risque reconnu de torture.

Comment les gouvernements peuvent-ils savoir si les assurances ont fonctionné ?

Il n’y a pas de moyen fiable de vérifier si le gouvernement du pays d’accueil a tenu sa promesse de ne pas employer la torture. Le gouvernement expéditeur n’est pas incité à constater qu’il y a eu torture ou mauvais traitements parce que ce faisant il admettrait avoir enfreint son obligation absolue de ne pas renvoyer une personne exposée à un risque de torture. Le gouvernement du pays d’accueil y est encore moins incité. Admettre qu’il y a eu torture signifierait reconnaître avoir violé l’interdiction mondiale de la torture, ainsi que la promesse donnée à l’autre gouvernement.  Human Rights Watch n’a connaissance d’aucun cas dans lequel soit le pays expéditeur soit le pays d’accueil ait reconnu une violation des assurances diplomatiques contre la torture.

Les assurances diplomatiques sont-elles des obligations légales ?

Non. Les assurances diplomatiques sont des accords politiques bilatéraux, conclus au niveau diplomatique. Ce ne sont pas des traités et elles n’ont pas de caractère légal ni force de loi.  Si les assurances sont violées, le gouvernement expéditeur n’a pas de moyen de tenir le gouvernement du pays d’accueil pour légalement responsable. De plus, dans quelques cas à peine, les victimes ayant subi la torture, en dépit des assurances, ont pu obtenir un recours contre les gouvernements directement ou indirectement responsables de la façon dont ils avaient été traités.

Si une assurance diplomatique est publique, cela ne met-il pas en jeu la réputation du gouvernement du pays d’accueil ?

Certains gouvernements, le Royaume-Uni par exemple, soutiennent que la réputation internationale et les relations bilatérales du gouvernement du pays d’accueil souffriront si les assurances diplomatiques sont enfreintes.  Mais beaucoup de gouvernements des pays d’accueil sont bien connus pour employer la torture de façon courante, et pourtant ils subissent peu ou pas de contrecoups pour commettre de telles exactions. En fait, beaucoup des gouvernements qui offrent des assurances diplomatiques (comme l’Egypte, la Jordanie, le Maroc, la Turquie et l’Ouzbékistan) sont considérés comme de loyaux alliés dans l’effort mondial pour combattre le terrorisme, ce qui aboutit souvent à faire taire la critique sur leurs bilans en matière de droits humains. 

Si le gouvernement expéditeur contrôle la façon dont une personne est traitée à son retour, cela rend-il l’assurance plus fiable ? 

Non.  La faiblesse principale du contrôle d’un détenu isolé est le manque de confidentialité. Si les observateurs ont un accès universel à tous les détenus dans un établissement, et ont la possibilité de parler en privé avec les détenus, un détenu peut leur signaler un cas d’abus sans craindre d’être identifié ensuite par les autorités et de faire l’objet de représailles. Le Comité International de la Croix-Rouge fait de cet accès une condition de sa surveillance précisément pour cette raison.

Une telle confidentialité ne peut pas être obtenue quand un seul détenu ou un petit groupe est contrôlé. Certains gouvernements soutiennent que les rencontres avec le détenu devraient se tenir en privé, pour garantir la confidentialité. Le détenu, cependant, serait facilement identifiable par les autorités de l’établissement. Si des allégations de mauvais traitements étaient communiquées, les autorités et le personnel de la prison ou des établissements de détention sauraient directement d’où proviennent les informations.  Une telle facilité d’identification est pour le détenu une forte dissuasion à signaler des abus. Un détenu pourrait à juste titre craindre des représailles contre lui-même ou des membres de sa famille de la part du personnel de la prison ou d’autres agents gouvernementaux.  

 De plus, les organisations de contrôle, aussi bien locales qu’internationales, ont souvent du mal à obtenir le libre accès aux bâtiments.  Le contrôle effectué par le Comité International de la Croix-Rouge (CICR) à la prison d’Abu Ghraib en Irak a été souvent entravé par les actions du personnel de la prison.  En avril 2004, le CICR a suspendu ses visites aux installations de détention jordaniennes pendant trois mois « du fait des problèmes d’accès à certains détenus ».

Les groupes d’observateurs locaux, en particulier, sont vulnérables aux intimidations de la part de leurs gouvernements, qui souvent les contrôlent par le biais des lois d’enregistrement, si ce n’est par le harcèlement pur et simple et même pire.  Dans beaucoup des pays où la torture est employée, comme la Libye, la Syrie, l’Ouzbékistan et le Yémen, les organisations locales ne disposent pas des moyens de réaliser un contrôle de suivi efficace, et les observateurs internationaux indépendants se voient couramment refuser l’accès aux établissements pénitentiaires.

La plupart des pays d’accueil sont arabes ou musulmans. Human Rights Watch dit-il que ces gouvernements sont intrinsèquement indignes de confiance ?

Non. Beaucoup de gouvernements dans le monde emploient la torture, dont certains des gouvernements expéditeurs, par exemple les Etats-Unis et la Russie.  Malgré des dizaines d’années d’efforts internationaux pour éradiquer la torture et les mauvais traitements, ces exactions restent courantes dans de nombreux pays indépendamment de leurs caractéristiques culturelles ou religieuses. Le rapport le plus récent du rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture souligne des allégations de torture dans des dizaines de pays à travers le monde. Il est également important de souligner que si tout gouvernement qui pratique la torture et les mauvais traitements enfreint le droit international, il en est de même pour un gouvernement qui envoie une personne vers un lieu où elle risque d’être torturée.

Les assurances diplomatiques peuvent-elles être un moyen d’améliorer le bilan d’un pays en matière de torture ?

Non. Les gouvernements ne recherchent pas des assurances diplomatiques pour encourager des améliorations de la situation d’un pays au regard de la torture. Ces assurances sont recherchées seulement pour faciliter le renvoi d’étrangers indésirables vers des lieux où ils sont exposés au risque de graves exactions.  

Les pays d’accueil qui fournissent des assurances diplomatiques sont déjà dans l’obligation de ne pas torturer ni d’infliger de mauvais traitements à des détenus, et la plupart ont ratifié des traités qui les lient juridiquement par lesquels ils se sont engagés à ne pas recourir à de tels abus. De ce fait, le Rapporteur spécial sur la torture aux Nations Unies a déclaré en août 2005 que les assurances diplomatiques « n’offrent donc aux personnes déportées aucune protection supplémentaire. » 

Les Etats qui veulent sérieusement éradiquer la torture devraient encourager activement les gouvernements coupables d’abus à respecter leurs obligations existantes afin d’empêcher les mauvais traitements en prenant des mesures efficaces au niveau national et organisationnel pour mettre fin à la torture et autres abus contre toute personne. S’appuyer sur des accords bilatéraux non obligatoires, comme les assurances diplomatiques, met à mal la crédibilité et l’intégrité des normes légales universelles et de leur système de mise en application.  Les Etats en réalité « se désengagent » du système mondial de mise en application en concluant des assurances diplomatiques bilatérales non obligatoires, laissant un vide dommageable dans la surveillance et la responsabilité pour les actes de torture. Recourir aux assurances diplomatiques ne représente pas une avancée dans l’éradication de la torture, mais un pas en arrière préjudiciable.

Le gouvernement des Etats-Unis déclare qu’il cherche toujours à obtenir des assurances s’il existe un risque de torture. Cela rend-il légaux les transferts effectués par les Etats-Unis ?

Non. Les Etats-Unis utilisent les assurances contre la torture dans diverses circonstances. Mais quel que soit le contexte sous-jacent dans lequel les assurances sont recherchées, renvoyer des personnes vers des lieux où elles courent le risque d’être torturées est toujours illégal. De plus, une personne soumise à tout type de transfert par les Etats-Unis s’appuyant sur des assurances diplomatiques n’a pas la possibilité d’attaquer le manque de fiabilité ou l’insuffisance des assurances devant un tribunal.

Parfois les Etats-Unis cherchent à obtenir des assurances inscrites dans un cadre juridique, comme les expulsions dans le cadre de la législation des Etats-Unis sur l’immigration ou les procédures d’extradition. Le gouvernement des Etats-Unis emploie aussi les assurances diplomatiques pour justifier des transferts en dehors de la loi, notamment dans la « reddition extradordinaire » de suspects de terrorisme pour interrogatoire à des gouvernements connus pour pratiquer la torture.  Dans plusieurs cas de « redditions », les personnes transférées par les Etats-Unis sur la base d’assurances ont en fait été torturées, comme Maher Arar (des Etats-Unis vers la Syrie via la Jordanie), Abu Omar (de l’Italie vers l’Egypte), et Ahmed Agiza (de la Suède vers l’Egypte).

Dans leurs tentatives pour transférer des détenus de Guantánamo vers leur pays d’origine ou vers des pays tiers, les autorités des Etats-U nis prétendent qu’elles cherchent toujours à obtenir des assurances de la part du gouvernement d’accueil que les détenus seront bien traités.  Certains des anciens détenus de Guantánamo renvoyés vers leur pays d’origine ont en fait subi des mauvais traitements (voir ci-dessus les détenus russes), et certains détenus yéménites sont détenus pour une période indéterminée depuis leur retour au Yémen. 

Le gouvernement des Etats-Unis déclare que, le cas échéant, il cherche à obtenir des garanties que les personnes seront traitées humainement avant de les transférer, mais reconnaît qu’il n’a pas de contrôle sur ce qu’il advient à un détenu après qu’il ait été transféré.  Michael Scheuer, l’homme qui a lancé et dirige le programme « redditions » du gouvernement des Etats-Unis, a qualifié les assurances diplomatiques de rien de plus qu’ « une subtilité juridique » pour satisfaire aux exigences des avocats gouvernementaux. Les Etats-Unis ont été critiqués par les Nations Unies, le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, et la Commission InterAméricaine des droits de l’homme, entre autres, pour leur politique permettant le recours aux assurances diplomatiques dans des lieux où existe un risque de torture. 

Les accords conclus par le gouvernement du Royaume-Uni, appelés « mémorandums of understanding, » sont-ils meilleurs que les assurances diplomatiques ordinaires?

Non. Un “mémorandum of understanding” est tout simplement un autre nom pour assurances diplomatiques. Le Royaume-Uni a conclu des “mémorandums of understanding” avec la Jordanie, la Libye et le Liban pour permettre l’expulsion de personnes soupçonnées de terrorisme ou de menacer la sécurité nationale en s’appuyant sur des assurances qu’elles seraient traitées humainement à leur retour. Les mémos comportent des dispositions relatives à un contrôle exercé après le retour, dont le gouvernement du Royaume-Uni prétend à tort qu’il constitue une mesure supplémentaire de protection (voir ci-dessus la section sur le contrôle exercé après le retour). Ni la nature globale des accords, ni le fait qu’ils soient signés par des responsables des deux gouvernements, n’a aucun poids sur l’efficacité des promesses qu’ils contiennent. Les accords ne sont pas des traités, ne créent pas d’obligations légales pour les parties, et n’ont pas d’effet juridique. 

Le première contestation juridique d’un « mémorandum of understanding » a eu lieu en mai 2006 dans le cas de Omar Othman (connu également sous le nom de Abu Qatada), un suspect de terrorisme menacé d’être renvoyé en Jordanie. Les avocats d’Othman ont affirmé qu’il serait exposé au risque d’être torturé, d’un éventuel transfert secondaire vers les Etats-Unis, et de procès non équitable s’il était renvoyé, malgré les assurances diplomatiques données par la Jordanie. Une décision devrait être rendue d’ici la fin 2006.

Le Comité parlementaire sur les droits de l’homme du Royaume-Uni a conclu en mai 2006 que les « assurances diplomatiques telles que celles qui doivent être conclues dans le cadre des Memoranda of Understanding avec la Jordanie, la Libye et le Liban présentent un risque substantiel que des individus soient en fait torturés, amenant le Royaume-Uni à contrevenir à ses obligations. »

Quel est le bilan du Canada relatif aux assurances diplomatiques contre la torture ?

En plus de son implication dans l’arrestation de Maher Arar, suivie de son transfert par les Etats-Unis vers la Syrie sur la base d’assurances, le gouvernement canadien a lui-même recherché et garanti des assurances diplomatiques dans plusieurs cas. Par exemple, les autorités ont recherché des assurances diplomatiques lors d’une tentative pour renvoyer cinq hommes arabes considérés comme des menaces pour la sécurité nationale. Ces hommes  sont assujettis à des « certificats de sécurité » qui en pratique permettent qu’ils soient détenus indéfiniment sous le prétexte de preuves secrètes dans l’attente de leur expulsion vers des pays où ils courent le risque d’être torturés et de subir de mauvais traitements.

Le gouvernement canadien reconnaît que dans certains cas les assurances contre les mauvais traitements ne sont pas fiables, mais prétend qu’il peut quand même transférer des personnes à cause d’une décision de janvier 2002 de la Cour Suprême canadienne (le cas Suresh), qui permet des transferts avec risques de torture dans des circonstances exceptionnelles si les intérêts de la sécurité nationale sont supérieurs aux inquiétudes relatives à la sécurité d’un détenu.

Le Canada a été franchement condamné par les Nations Unies et d’autres pour avoir fait une exception à l’interdiction absolue de renvois vers des risques de torture dans des jugements rendus à la Cour Suprême. Aucun des hommes faisant actuellement l’objet de certificats de sécurité n’a été transféré jusqu’ici et certaines des affaires sont en appel devant la Cour Suprême du Canada.

Le Canada a également recherché des assurances dans des cas courants de droit d’asile et d’expulsion.  En mai 2006, la Cour Fédérale du Canada a fait obstacle à l’expulsion de Lai Cheong Sing, accusé par les autorités chinoises de fraude et de corruption. Le gouvernement chinois a proposé des assurances diplomatiques contre sa torture et son exécution, contredisant le fait que des coaccusés dans le procès de Lai avaient déjà été exécutés et que des membres de la famille des coaccusés avaient été maltraités. Prenant en compte la pratique courante de la torture et l’utilisation de la peine de mort en Chine, la Cour a stoppé l’expulsion  imminente de Lai en déclarant : « La question des assurances est au cœur du débat » et qu’il y avait de fortes probabilités que la vie ou la sécurité de Lai soient en péril s’il était renvoyé en Chine. 

Certains pays ont-ils suivi la voie tracée par les Etats-Unis, le Royaume-Uni et le Canada? 

Oui. Une liste croissante de gouvernements en Europe et Asie Centrale ont recherché ou garanti des assurances comme un moyen de renvoyer des individus exposés au risque de torture à leur retour. Quelques-uns au moins ont été encouragés ou enhardis par les actions des Etats-Unis, du Canada et du Royaume-Uni. 

En octobre 2002, par exemple, le gouvernement géorgien a extradé un groupe de Tchétchènes en Russie, sur la base d’assurances données par les autorités russes qu’ils seraient traités humainement , et ce malgré une requête de la Cour européenne des droits de l’homme de ne pas transférer ces hommes jusqu’à ce que leurs cas aient pu être examinés par le tribunal.

Le gouvernement ouzbek a donné des assurances diplomatiques aux autorités kirghiz pour le retour forcé de réfugiés ouzbek accusés d’être impliqués dans les manifestations et le soulèvement de mai 2005 à Andijan, qui ont été réprimées par les forces gouvernementales ouzbek qui ont tué des centaines de manifestants non armés alors qu’il fuyaient une manifestation. La torture est systématique en Ouzbékistan, et les autorités nient régulièrement toute allégation de traitement abusif.

Cette tendance a fait naître des inquiétudes dans le monde entier relatives à l’interdiction de transférer des personnes vers des lieux où elles risquent la torture et au fait que cette interdiction est systématiquement mise à mal par l’utilisation croissante des assurances diplomatiques.

Que disent les organisations internationales des droits humains au sujet des assurances diplomatiques?

Il y a un large consensus entre les organisations internationales des droits humains sur le fait que les assurances diplomatiques ne fournissent pas une protection efficace contre la  torture et les mauvais traitements.

Louise Arbour, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies, a condamné « la pratique contestable » consistant à rechercher des assurances diplomatiques, affirmant en mars 2006 : « Je partage fortement l’opinion que les assurances diplomatiques ne fonctionnent pas car elles ne fournissent pas une protection adéquate contre la torture et les mauvais traitements. » 

Manfred Nowak, Rapporteur spécial sur la torture aux Nations Unies, a aussi condamné cette pratique alléguant en août 2005 qu’elle reflète une tendance de la part des Etats « …à contourner l’obligation internationale de ne pas renvoyer une personne s’il existe un risque important qu’elle puisse être soumise à la torture. »

Thomas Hammarberg, le Commissaire pour les Droits de l’homme au Conseil de l’Europe, a écrit en juin 2006 que les assurances diplomatiques « ne sont pas crédibles et [se sont] aussi avérées inefficaces dans des cas bien documentés. Les gouvernements concernés ont déjà violé des règles internationales obligatoires et il est totalement erroné d’exposer quelqu’un au risque d’être torturé en se basant sur un engagement encore moins solennel pour faire une exception dans un cas individuel. »

Une commission spéciale du Parlement européen créée pour enquêter sur la complicité européenne dans  la pratique de reddition extraordinaire et sur la détention illégale de suspects de terrorisme par le gouvernement des Etats-Unis a appelé en juin 2006 les « Etats membres [de l’UE] à rejeter radicalement toute confiance dans les assurances diplomatiques contre la torture… »

Le Réseau d’experts indépendants en matière de droits fondamentaux de l’Union européenne a aussi affirmé en mai 2006 que la « seule position acceptable selon le droit international » est que « les Etats ne peuvent recourir à des assurances diplomatiques comme à une sécurité contre la torture et les mauvais traitements lorsqu’il existe des raisons substantielles de croire qu’une personne pourrait être en danger d’être soumise à la torture ou à des mauvais traitements à son retour. »

En juin 2006, Dick Marty, un sénateur suisse chargé par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe d’enquêter sur l’implication des Etats européens dans les « redditions extraordinaires » et sur d’éventuels sites secrets de détention, a conclu que « compter sur le principe de la confiance et sur des assurances diplomatiques données par des Etats non démocratiques connus pour ne pas respecter les droits humains est tout simplement lâche et hypocrite. » 

La Commission InterAméricaine sur les droits humains a adopté une résolution en juillet 2006 appelant les Etats-Unis à fermer Guantánamo Bay et à « garantir que des assurances diplomatiques ne sont pas utilisées pour contourner l’obligation de non refoulement  [des Etats-Unis]. »    

Si les assurances diplomatiques ne protègent pas une personne de la torture, pourquoi les tribunaux ne les proscrivent-ils pas ?

Les tribunaux nationaux et régionaux, en plus de certains organismes de surveillance des Nations Unies, ont déterminé, en considérant des cas individuels, que les assurances diplomatiques ne fournissaient pas suffisamment de garanties contre la torture et les mauvais traitements.

Aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et au Canada, par exemple, des tribunaux ont empêché des extraditions et des expulsions basées sur des assurances, jugeant que les assurances ne fournissaient pas assez de protection contre la torture.  En 1996, la Cour européenne des droits humains a jugé dans l’affaire Chahal contre le Royaume-Uni que le renvoi en Inde d’un activiste sikh violerait l’obligation absolue du Royaume-Uni de ne pas renvoyer une personne vers un risque de torture, malgré les assurances diplomatiques données par le gouvernement indien. L’affaire Chahal demeure la norme en Europe, confirmant la nature absolue de l’interdiction de renvoyer une personne vers un pays où elle risque d’être torturée, quel que soit le crime dont cette personne est soupçonnée. (Une affaire de 2005 devant la Cour européenne des droits de l’homme fréquemment citée par des gouvernements comme validant l’utilisation des assurances, Mamatkulov et Askarov contre la Turquie, n’a pas réussi en réalité à traiter la question, laissant ainsi  Chahal comme la norme européenne.)

Malheureusement, les tribunaux des Etats-Unis ont jusqu’ici refusé d’entendre tout cas contestant l’utilisation des assurances diplomatiques, concluant que ces questions relèvent de la branche exécutive du gouvernement.  Maher Arar et Khalid el-Masri font appel de décisions judiciaires inférieures de ce type. Les avocats de certains détenus au titre de certificat de sécurité au Canada (évoqués ci-dessus) prévoient de contester le recours aux assurances diplomatiques dans de prochaines procédures judiciaires. 

Si les gouvernements ne peuvent pas expulser des personnes suspectées de terrorisme à cause du risque de torture, que sont-ils censés faire avec des étrangers potentiellement dangereux ?

Depuis les attaques du 11 septembre à New York et à Washington, des actes de terrorisme ont été commis en Egypte, en Irak, en Israël, en Inde, en Indonésie, en Jordanie, en Russie, en Arabie Saoudite, en Espagne, en Turquie, Au Royaume-Uni et ailleurs. Ces attaques mettent en évidence la gravité de la menace du terrorisme. Les gouvernements ont le devoir de prendre des mesures efficaces pour protéger la population sur leur territoire de la mort ou de graves blessures.  Mais comme l’a souligné le Conseil de sécurité des Nations Unies dans la Résolution 1456, les Etats sont obligés de mener toutes les opérations antiterroristes en accord avec le droit international des droits humains.

Les actes de terrorisme sont des crimes graves, et ceux qui les commettent devraient être poursuivis selon des garanties de procès équitable reconnues internationalement. Beaucoup de gouvernements prétendent qu’ils ne peuvent pas poursuivre certains détenus parce que les preuves sont trop sensibles et pourraient compromettre la sécurité nationale.  Mais il y a beaucoup de domaines juridiques où des preuves sensibles sont examinées de sorte à ne pas compromettre la sécurité nationale, l’application de la loi ou les opérations de renseignement, ou la sécurité des témoins et des jurés (par exemple, dans les affaires de trafic de drogue ou de crime organisé internationaux). Il n’y a pas de raison que ces procédures ne puissent pas être utilisées pour poursuivre les personnes soupçonnées d’activités terroristes. 

Transférer des suspects étrangers vers des endroits où ils risquent d’être torturés ou mal traités est également inacceptable. Ces transferts violent le droit international, même quand des assurances sont obtenues. De plus, transférer vers d’autres Etats des personnes soupçonnées d’être impliquées dans des activités terroristes peut simplement déplacer la menace d’un Etat à un autre. Traduire les responsables en justice est souvent complexe et prend du temps, mais cela permet aux Etats de répondre à la menace sans mettre à mal l’état de droit et l’interdiction mondiale de la torture.

Certains détenus étrangers ne veulent-ils pas retourner dans leur pays d’origine, malgré le risque d’y être torturés ? 

Certains détenus au Royaume-Uni et à Guantánamo Bay ont décidé soit d’abandonner leurs affirmations qu’ils seront torturés à leur retour, soit de ne pas soulever ce problème, et d’accepter plutôt l’expulsion ou le transfert vers leur pays d’origine, malgré le risque de subir de mauvais traitements à leur retour.

Au Royaume-Uni, un groupe d’Algériens gardés en détention depuis quatre ans pour certains a écrit au journal The Guardian en avril 2006 en déclarant qu’ils préféreraient rentrer chez eux plutôt que de supporter une détention prolongée au Royaume-Uni sans en voir la fin : « Nous savons que nous risquons d’être torturés dans notre pays d’origine mais certains d’entre nous en sont arrivés à la conclusion qu’une mort rapide est préférable à la sensation de mort lente que nous éprouvons ici. » [Hyperlien vers : UK MoUs case update]. Pareillement, beaucoup des détenus à Guantánamo Bay ont déclaré qu’ils préféreraient souffrir dans les prisons de leur propre pays que de rester indéfiniment détenus aux Etats-Unis.

Etant donné le « choix » entre une détention illimitée d’un côté —souvent accompagnée de conditions de détention très restrictives ou comportant des abus— et un transfert pour être exposé au risque d’être torturé de l’autre, la décision de revenir au pays d’origine ne peut pas être considérée comme réellement volontaire.

Novembre 2006