La situation des droits humains au Burkina Faso s’est sérieusement détériorée en 2024. En effet, les attaques meurtrières perpétrées par des groupes armés islamistes à l’encontre des civils se sont intensifiées, et les forces militaires ainsi que des milices progouvernementales ont commis des abus dans le cadre d’opérations de lutte contre le terrorisme.
Le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations Unies s’est déclaré préoccupé par l’augmentation du nombre de civils tués par des groupes armés et des acteurs étatiques.
D’après les estimations, 6 000 civils sont morts lors de violences en lien avec le conflit sur la seule période allant de janvier à août 2024. Au mois d’août, le conflit, qui a démarré en 2016, avait contraint plus de 2,3 millions de personnes à quitter leur domicile. 2,1 millions de personnes étaient déplacées à l’interne et plus de 200 000 sont déplacées dans des pays voisins.
La junte militaire burkinabè, arrivée au pouvoir à l’issue d’un coup d’État en 2022, a réprimé les médias, l’opposition politique et la dissidence, contribuant au rétrécissement de l’espace civique.
En mai 2023, le Premier ministre Apollinaire Kyélem de Tambèla a annoncé le report des élections prévues pour juillet 2024. Le 25 mai 2024, à l’issue de pourparlers menés à l’échelle nationale et en grande partie boycottés par l’opposition, la junte a annoncé qu’elle resterait au pouvoir pour une durée supplémentaire de cinq années.
Les autorités militaires ont restreint les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres. En juillet, la junte a approuvé un nouveau code de la famille criminalisant l’homosexualité. Le code ne précise pas quelles peines seraient appliquées.
Le 9 novembre, une source gouvernementale a déclaré aux médias que la junte burkinabè prévoyait de rétablir la peine de mort, pourtant abolie par le code pénal de 2018. Les dernières exécutions connues au Burkina Faso remontent à 1988.
Le 28 janvier, la junte a annoncé son retrait de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), aux côtés du Mali et du Niger, ce qui restreint la possibilité pour les citoyens burkinabè de demander justice devant la Cour de justice de la CEDEAO.
Le 7 juillet, les chefs militaires du Burkina Faso, du Mali et du Niger ont signé un traité établissant la Confédération Alliance des États du Sahel (Confédération AES), qui va plus loin qu’un pacte de défense mutuelle signé en septembre 2023.
Exactions perpétrées par des groupes armés islamistes
Des groupes armés islamistes ont tué 1 004 civils lors de 259 attaques perpétrées entre janvier et août 2024, contre 1 185 civils tués dans 413 attaques commises sur la même période en 2023, d’après les données du Armed Conflict Location & Event Data (ACLED). Plusieurs attaques ont visé des communautés qui avaient rejoint les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP), des auxiliaires civils des forces armées burkinabè. Des groupes armés islamistes ont continué d’assiéger des dizaines de localités, privant les habitants d’accès à la nourriture et à l’aide humanitaire.
Le 24 août, des combattants du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM) ont attaqué des centaines de civils qui construisaient une tranchée de défense aux abords de la ville de Barsalogho, dans la région du Centre-Nord, ou se trouvaient à proximité, tuant au moins 133 personnes, dont des dizaines de femmes et d’enfants, et en blessant au moins 200 autres.
Le 11 juin, des combattants présumés du GSIM ont attaqué la ville de Sindo, dans la région des Hauts-Bassins, tuant au moins 20 hommes civils. Cette attaque a manifestement été perpétrée en représailles contre la communauté locale que le GSIM accusait d’avoir rejoint les rangs des VDP.
Le 16 juin, le GSIM a revendiqué la responsabilité d’une attaque lancée le 11 juin contre une base militaire à Mansila, dans la région du Sahel, lors de laquelle au moins 20 civils ont été tués et leurs habitations incendiées.
Le 22 mai, des combattants présumés du GSIM ont attaqué une base des VDP et un camp de personnes déplacées à Goubré, dans la région du Nord, tuant au moins 72 civils. Cette attaque a manifestement été perpétrée en représailles contre des villageois qui refusaient de rejoindre les rangs du GSIM.
Le 29 mars, 15 femmes ont été portées disparues après s’être aventurées hors de la ville de Djibo, dans la région du Sahel, pour aller chercher du bois de chauffage. Selon des proches des femmes disparues, le GSIM les aurait tuées ou enlevées.
Des groupes armés islamistes ont également tué des chrétiens qui n’avaient pas abandonné leur religion malgré leurs avertissements.
Le 25 février, l’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) a tué au moins 12 civils lors d’une attaque contre une église catholique dans le village d’Essakane, dans la région du Sahel. Le 25 août, des combattants islamistes ont tué au moins 26 civils dans le village de Sanaba, dans l’ouest du Burkina Faso.
Exactions perpétrées par les forces de sécurité étatiques et des milices progrouvernementales
L’armée burkinabè et les VDP ont tué au moins un millier de civils entre janvier et juillet 2024, selon ACLED, et fait disparaitre de force des dizaines d’autres lors d’opérations de lutte contre le terrorisme en 2024.
Le 25 février, l’armée a sommairement exécuté au moins 223 civils, dont 56 enfants, dans les villages de Nondin et de Soro, dans la région du Nord. Ces tueries auraient été perpétrées en représailles d’une attaque menée par des combattants islamistes contre un camp militaire burkinabè situé à l’extérieur de la ville de Ouahigouya. Ces massacres, qui s’inscrivent dans une campagne généralisée de l’armée contre des civils accusés de collaborer avec des groupes armés islamistes, pourraient constituer des crimes contre l’humanité.
Des médias ont signalé qu’entre le 27 avril et le 4 mai, des militaires ont tué jusqu’à 400 civils lors d’opérations de lutte contre le terrorisme dans 15 villages situés sur leur passage.
En juillet, une vidéo diffusée sur les réseaux sociaux et vérifiée par Human Rights Watch montre 18 hommes portant des uniformes de l’armée burkinabè, dont deux éventrant un corps démembré à l’aide de couteaux.
Répression des médias et de la dissidence
La junte militaire a recouru à une loi d’urgence de vaste portée contre des journalistes, des détracteurs du gouvernement et des magistrats.
Entre le 9 et le 12 août, les forces de sécurité ont notifié sept magistrats et procureurs de leur conscription, les informant qu’ils avaient été enrôlés pour participer à des opérations militaires contre des groupes armés islamistes, du 14 août au 13 novembre. Le 14 août, six d’entre eux se sont présentés à une base militaire à Ouagadougou, la capitale du pays. Ils n’ont pas donné de nouvelles depuis lors. Les sept magistrats avaient entamé des procédures judiciaires à l’encontre de partisans de la junte.
En février, des hommes armés en tenue civile ont enlevé Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo, deux membres du Balai citoyen, un groupe de la société civile, à Ouagadougou.
En juin et juillet, Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo sont apparus dans deux vidéos publiées sur la chaîne YouTube de la télévision d’État burkinabè, en tenue militaire, en train de participer à des exercices militaires, probablement dans une zone de conflit. Début novembre 2023, les forces de sécurité burkinabè avaient notifié une dizaine de journalistes, d’activistes et d’opposants politiques, dont Rasmané Zinaba et Bassirou Badjo, qu’ils seraient réquisitionnés pour participer à des opérations de sécurité. Le 6 décembre 2023, un tribunal de Ouagadougou a jugé illégales les réquisitions militaires de Rasmané Zinaba et de Bassirou Badjo.
La junte militaire a également enlevé des activistes de la société civile et des opposants politiques.
En janvier, des hommes non identifiés, se présentant comme des membres des services nationaux de renseignement, ont enlevé Guy-Hervé Kam, avocat et coordinateur du groupe politique Servir et non se servir (SENS), à l’aéroport international de Ouagadougou. Guy-Hervé Kam a été relâché le 29 mai après que la cour d’appel de Ouagadougou se soit prononcée contre son arrestation, mais il a été de nouveau arrêté le lendemain pour « complot » puis placé en détention dans une prison militaire. Le 9 juillet, un tribunal militaire a ordonné la remise en liberté sous caution de Guy-Hervé Kam. Le 31 juillet, un procureur militaire a convoqué Guy-Hervé Kam, redemandé son arrestation pour « tentative de déstabilisation » du pays et l’a écroué.
En juin, Serge Oulon, directeur de publication du journal L’Événement, Kalifara Séré, commentateur sur la chaîne de télévision privée BF1 et Adama Bayala, également commentateur sur la même chaîne de télévision, tous trois des détracteurs de la junte, ont été enlevés par des hommes non identifiés et sont toujours portés disparus. En octobre, un membre du ministère de la Justice a déclaré que les trois hommes avaient été réquisitionnés par l’armée.
Obligation de rendre des comptes pour les exactions commises
Les gouvernements burkinabè qui se sont succédé n’ont que peu progressé dans les enquêtes sur les auteurs d’atrocités commises dans le cadre du conflit depuis 2016.
Le 26 juillet, Human Rights Watch a adressé un courrier au ministre de la Justice burkinabè pour lui faire part des conclusions de ses recherches sur les exactions qu’auraient commises des groupes armés islamistes, en demandant des réponses à des questions spécifiques. Dans sa réponse, le ministre de la Justice a affirmé que « toutes les allégations […] d’abus des droits humains commis par les terroristes font l’objet d’enquêtes destinées à […] sanctionner les auteurs » et que « plusieurs informations judiciaires sont ouvertes par les parquets militaires ou des tribunaux de droit commun ».
En 2024, peu de progrès ont été réalisés dans les enquêtes sur plusieurs tueries commises en 2023. Le 20 avril 2023, des militaires ont tué 83 hommes, 28 femmes et 45 enfants, et incendié des habitations dans et aux alentours du village de Karma, dans la province du Yatenga. Les autorités ont annoncé l’ouverture d’une enquête mais n’ont pas donné de suite à cette annonce. Le 12 novembre 2023, l’Union européenne a demandé l’ouverture d’une enquête sur un massacre perpétré dans la région du Centre-Nord lors duquel une centaine de personnes auraient été tuées. Le gouvernement a déclaré que le 5 novembre 2023, des hommes armés ont tué au moins 70 personnes dans le village de Zaongo et que l’incident faisait l’objet d’une enquête.