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Rapport mondial 2016 : Cambodge

Événements de 2015

Des ouvrières du textile dans une usine de confection à Phnom Penh, la capitale du Cambodge. Les femmes représentent près de 90 % de la main-d'œuvre dans l'industrie de l’habillement, dans ce pays.

© 2014 Samer Muscati/ Human Rights Watch

Le gouvernement du Premier ministre Hun Sen a engagé une nouvelle offensive contre les droits humains au Cambodge, en particulier au cours du second semestre de 2015, arrêtant et emprisonnant des membres de l’opposition politique et des militants, et adoptant une nouvelle loi draconienne sur les organisations non gouvernementales (ONG) qu’il s’est hâté de faire passer à l’Assemblée nationale le 13 juillet. D’autres textes de loi répressifs ont également été promulgués ou proposés, notamment des lois ou des réglementations relatives à Internet, Hun Sen, qui dirige le pays depuis 1985, portant chaque jour davantage atteinte aux droits humains fondamentaux.

Le dirigeant de l’opposition Sam Rainsy a tenté d’instaurer une « culture du dialogue » avec Hun Sen et le Parti du peuple cambodgien (CPP), parti au pouvoir, mais son initiative n’est pas parvenue à endiguer les arrestations ni les attaques visant l’opposition, et, le 13 novembre 2015, un mandat d’arrêt à caractère politique a été émis à son encontre pour une condamnation pour expression pacifique de ses opinions remontant à 2011.

Les confiscations de terres se sont également poursuivies en 2015 et la corruption est demeurée endémique. Le Cambodge est un État partie à la Convention des Nations Unies sur les réfugiés, mais les autorités ont refusé d’enregistrer la demande d’asile de plus de 300 Montagnards vietnamiens en vue de déterminer leur statut de réfugié, et elles ont sommairement expulsé au moins 54 d’entre eux au Vietnam.

Poursuites judiciaires et agressions à caractère politique

Le 13 juillet, un tribunal de Phnom Penh a ouvert une enquête visant à de possibles poursuites pour diffamation et entrave à la justice à l’encontre de Ny Chakriya, figure marquante d’une ONG, qui avait soulevé des questions à propos de l’indépendance de l’appareil judiciaire dans une affaire d’accaparement de terres.

Le 21 juillet, 11 organisateurs de campagne d’un parti d’opposition, le Parti du sauvetage national du Cambodge (CNRP), en procès depuis 2014 sur la base d’accusations forgées de toutes pièces les incriminant d’avoir dirigé ou participé à une « insurrection » antigouvernementale, ont soudain été reconnus coupables et condamnés par un tribunal de Phnom Penh à des peines allant de 7 à 20 ans d’emprisonnement. En dépit de l’absence de preuves les reliant à un quelconque acte criminel, ils ont été jugés responsables des émeutes qui ont éclaté lorsque les forces de sécurité gouvernementales ont dispersé une manifestation pacifique conduite par le CNRP et appelant à la réouverture du « parc de la Liberté » de Phnom Penh le 15 juillet 2014. Ces condamnations ont été accompagnées de mises en garde officielles avertissant que sept membres du CNRP députés à l’Assemblée nationale, également accusés d’insurrection en rapport avec le même incident, pourraient être reconnus coupables et incarcérés en dépit de leur immunité parlementaire. Dans la foulée, Hun Sen a convoqué une réunion à huis-clos de près de 5 000 hauts responsables des forces de sécurité du CPP, au cours de laquelle il a intimé aux forces de sécurité « l’ordre absolu » de « veiller à ce qu’il n’y ait pas de révolution de couleur » au Cambodge en « éliminant les actes de tout groupe ou parti » jugés « illégaux ».

Les 4 et 5 août, à la suite d’un appel lancé publiquement par Hun Sen pour de nouvelles arrestations de présumés responsables des violences de juillet 2014 liées au parc de la Liberté, la police a arrêté trois militants du CNRP qui ont ensuite été inculpés de participation à la prétendue insurrection, et des mandats d’arrêt ont été émis à l’encontre de plusieurs autres.

Le 13 août, Hun Sen a ordonné l’arrestation de Hong Sok Hour, un sénateur d’un parti de l’opposition qui, la veille, avait posté un clip vidéo sur Facebook avec notamment une séquence montrant la frontière vietnamo-cambodgienne et un extrait mal traduit du traité d’amitié conclu en 1979 entre le Cambodge et le Vietnam. Un contingent des forces de sécurité « antiterroristes » agissant sous l’autorité du beau-fils de Hun Sen l’a arrêté au mépris de son immunité parlementaire de sénateur. D’autres arrestations ont suivi entre fin août et début octobre 2015, dont celle d’un étudiant qui avait posté un message sur Facebook prônant une « révolution de couleur ».

Les 26 et 27 octobre, suite aux encouragements publics de Hun Sen à organiser des manifestations anti-CNRP, des éléments de l’unité des gardes du corps du premier ministre et d’autres individus en civil ont brutalement agressé deux parlementaires CNRP à l’extérieur de l’Assemblée nationale. Trois individus ont été arrêtés et inculpés pour cette agression, mais d’autres personnes impliquées qui avaient été prises en photo n’ont pas été placées en détention. Le CNRP a par la suite cessé d’assister aux séances de l’Assemblée nationale, invoquant des problèmes de sécurité.

Le 13 novembre, à la suite de mises en garde répétées de Hun Sen avertissant que Sam Rainsy était passible de poursuites judiciaires, le tribunal de Phnom Penh a délivré un mandat d’arrêt aux fins d’exécution tardive d’une décision judiciaire de mars 2013 confirmant une peine de deux ans de prison liée à des accusations de Rainsy selon lesquelles le ministre cambodgien des Affaires étrangères, Hor Namhong, était impliqué dans les crimes perpétrés sous le régime des Khmers rouges au Cambodge. La Cour suprême française, invoquant les normes internationales de droits humains, avait antérieurement jugé que les commentaires de Rainsy constituaient un exercice légitime de la liberté d’expression. Le 19 novembre et le 1er décembre, le Tribunal de Phnom Penh l’a incriminé d’autres actions criminelles fabriquées de toutes pièces.

Législation restreignant l’action de la société civile

La nouvelle loi sur les ONG habilite les autorités à refuser arbitrairement l’enregistrement d’ONG et à les dissoudre. Cette loi vise les voix critiques qui s’élèvent de la société civile et risque de nuire sérieusement à la capacité de beaucoup d’associations et d’ONG nationales et internationales, ainsi que des mouvements de défense des droits basés dans les communautés, de travailler avec efficacité au Cambodge.

Ses restrictions au droit à la liberté d’association dépassent largement les limitations acceptables autorisées par le droit international des droits humains. La loi confère aux ministères de l’Intérieur, des Affaires étrangères et à d’autres ministères de vastes pouvoirs arbitraires les habilitant à dissoudre des groupements et organisations nationaux et étrangers sans être soumis à un quelconque contrôle judiciaire, et elle les autorise à interdire la création de nouvelles ONG. Elle oblige les associations enregistrées à opérer en fonction d’une obligation vaguement définie de « neutralité politique », sous peine de dissolution, et criminalise les activités des associations non enregistrées.

Après l’adoption de la loi, Hun Sen et d’autres responsables gouvernementaux ont lancé une campagne contre les ONG axées sur les droits humains, notamment celles spécialisées dans les différends fonciers et les droits des femmes. Les autorités ont commencé à insister sur le fait que les activités locales de la société civile ne pouvaient dorénavant être organisées que si les associations impliquées avaient été enregistrées auprès du gouvernement conformément aux nouvelles dispositions, conférant au gouvernement le vaste pouvoir de décider quelles activités peuvent ou ne peuvent pas avoir lieu.

Le 19 août, le gouvernement a émis un sous-décret renforçant le statut d’une unité de lutte contre la cybercriminalité, l’habilitant à « enquêter et à prendre des mesures conformes à la loi à propos d’actes posés via Internet d’instigation, d’insultes, de discrimination raciale et d’engendrement de mouvements sociaux », en particulier ceux susceptibles de mener à une « révolution de couleur ».

Le 30 novembre, le gouvernement a déposé un projet de loi sur les télécommunications devant l’Assemblée nationale, alors que cela n’était pas inscrit à l’agenda de la législature. Le projet de loi n’avait jamais été mis à la disposition des organisations concernées de la société civile en vue de discussions. Le CPP l’a adopté sans débat parlementaire. La loi confère aux autorités gouvernementales le pouvoir arbitraire d’émettre des ordres à l’intention des opérateurs de télécommunications, de contrôler et d’enregistrer secrètement les télécommunications, et d’emprisonner les personnes qui utilisent les télécommunications d’une manière jugée dangereuse pour la « sécurité nationale ».

Détentions arbitraires, tortures et autres mauvais traitements

Les autorités, en particulier à Phnom Penh, ont opéré des rafles répétées dans les rues au cours desquelles elles ont arrêté des centaines de présumés toxicomanes, sans-abri, mendiants, enfants des rues, travailleurs du sexe et personnes souffrant d’un handicap, qu’elles ont placés en détention dans des centres dits de désintoxication ou de réhabilitation sociale. Les détenus n’ont jamais vu aucun avocat ni tribunal et n’ont pas davantage eu l’occasion de contester la légalité de leur détention. Les personnes détenues n’ont reçu aucune formation ni soins de santé dignes de ce nom, et elles ont été soumises à des actes de torture, des mauvais traitements et autres violences et notamment, dans certains centres, au travail forcé. Au cours de l’année 2015, au moins trois sont décédées dans des circonstances suspectes.

Tribunal chargé de juger les Khmers rouges

De nombreuses déclarations publiques de responsables cambodgiens et le début, en juin, de la publication de documents du tribunal jusqu’alors confidentiels ont révélé une multitude de cas de non-coopération du gouvernement avec les Chambres extraordinaires au sein des tribunaux cambodgiens (CETC), instance appuyée par les Nations Unies et mise en place pour poursuivre les individus portant la plus lourde responsabilité dans les crimes perpétrés par les Khmers rouges de 1975 à 1979.

Alors que le gouvernement a autorisé le procès de deux anciens dirigeants du gouvernement khmer rouge, Nuon Chea et Khieu Samphan, pour crimes contre l’humanité, génocide et crimes de guerre, il a refusé d’exécuter les ordres du juge d’instruction désigné par le Secrétaire général de l’ONU d’arrêter deux autres anciens responsables khmers rouges, Meas Muth et Im Chem.

Ce refus viole l’accord conclu en 2003 entre l’ONU et le Cambodge établissant les CETC et traduit la tendance continue de Hun Sen à s’opposer à de nouvelles poursuites. La non-coopération du gouvernement réduit sérieusement les possibilités d’ouvrir une enquête sur des suspects que Hun Sen, lui-même ex-commandant des Khmers rouges, ne veut pas voir traduits en justice.

Demandeurs d’asile et réfugiés

Depuis fin 2014, une vague de demandeurs d’asile du Vietnam appartenant à la minorité ethnique des Montagnards est arrivée au Cambodge. La plupart pratiquent des formes de christianisme que les autorités vietnamiennes qualifient de « voie du mal ». Début 2015, le Cambodge a accordé le statut de réfugié à 13 d’entre eux mais a refusé à plus de 300 autres Montagnards de s’enregistrer en tant que demandeurs d’asile. Au moins 54 ont été expulsés sommairement au Vietnam en violation de la Convention sur les réfugiés. Ceux qui étaient restés au Cambodge étant également menacés d’expulsion, certains ont décidé que la meilleure solution pour eux était de rentrer « volontairement » au Vietnam.

En juin 2015, le gouvernement a mis en œuvre un accord conclu avec l’Australie prévoyant de réinstaller certains réfugiés détenus sur l’île de Nauru, mais les conditions pour les réfugiés au Cambodge laissaient tellement à désirer que seuls quatre réfugiés ont accepté leur réinstallation. En septembre, l’un des quatre a décidé de quitter le Cambodge.

Principaux acteurs internationaux

La Chine, le Vietnam, le Japon et la Corée du Sud ont été les principaux investisseurs étrangers au Cambodge en 2015, tandis que le Japon, l’Union européenne et les États-Unis ont été les principaux bailleurs de fonds étrangers du pays. Le Vietnam a été de loin le partenaire le plus important du Cambodge pour les questions de sécurité, suivi par la Chine. Les États-Unis ont fourni une formation militaire limitée et ont exprimé davantage de critiques que les autres à propos des violations des droits humains au Cambodge. L’UE n’a fait que de rares commentaires publics sur les droits humains et presque tous les autres ont gardé le silence.

La Banque mondiale, qui a suspendu tout nouveau prêt au Cambodge en 2011 parce que le gouvernement avait expulsé des personnes par la force, en violation de la politique de la banque, a envisagé de reprendre le financement des projets fonciers du gouvernement en 2015 mais à l’heure où ont été écrites ces lignes, elle ne l’avait pas encore fait. Elle ne s’est pas exprimée publiquement au sujet de la répression menée par le gouvernement à l’encontre des défenseurs du droit à la terre.