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RD Congo : Le procès du massacre de Kamanyola place la justice sous les projecteurs

Des survivants doivent témoigner sur le meurtre de 38 demandeurs d’asile burundais

Les 39 demandeurs d’asile burundais tués à Kamanyola, en République démocratique du Congo, en septembre 2017. Rangée du haut, de gauche à droite : Stanislas Majambere, Stany Nzohabonimana, Sylvane Ntunzwenimana, Vianney Ndayisenga, Albert Bakanibona, Alexis Gahimbare, François-Xavier Habarugira, Alice Irankunda, Aline Iranzi, Clairia Manirakiza. Deuxième rangée : Melchiade Ndayisaba, Joselyne Nizigiyimana, Leopold Ngendanzi, Emeline Uwamariya, Eric Ndayikeza, Jean de Dieu Nsengiyumva, Pacifique Nyabenda, Pascal Bukuru, Alodie Nduwayo, Menard Sinzobatohana. Troisième rangée : Béatrice Nizigama, Audace Nyamibara, Jean-Pierre Girukwishaka, Donatien Ndayizeye, Jeanine Nindorera, Nicos Franklin Sokoroza, Odette Twagirayezu, Olivier Muganyirwaniyezu, Claude Nkurunziza. Rangée du bas : Désiré Musabirema, Janvière Munezero, Jacqueline Ndayisenga, Isaac Rwasa, Innocent Niyonkuru, François-Xavier Ngarukiyimana, Gaudence Marte Nyabenda, Gertrude Barutwanayo, Gisèle Hatungimana, Nadège Mugisha. © 2019 Human Rights Watch

(Goma) – Le procès de six membres des forces de sécurité congolaises pour le meurtre de 38 Burundais dans l’est de la République démocratique du Congo en 2017 met le système judiciaire congolais sur le devant de la scène. Cinq militaires et un officier de police sont poursuivis pour « meurtre et tentative de meurtre » sur des demandeurs d’asile dans la ville de Kamanyola devant un tribunal militaire à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu.

Le procès s’est ouvert le 28 juin 2019, sans la participation des survivants du massacre. Depuis, près de 40 survivants burundais, témoins et membres des familles vivant en RD Congo ont indiqué à un avocat qu’ils étaient prêts à témoigner au tribunal, mais il se peut que le nombre de ceux qui témoignent effectivement soit moins élevé. Les audiences devraient reprendre ce 29 juillet.

« Un procès équitable pour le massacre de Kamanyola est capital pour la justice et pour les victimes », a expliqué Lewis Mudge, directeur pour l’Afrique centrale à Human Rights Watch. « Les responsables de ce carnage devraient être dûment punis et les victimes devraient recevoir des réparations adéquates. »

Le 15 septembre 2017, les forces de sécurité congolaises ont tiré à plusieurs reprises sur près de 2 000 demandeurs d’asile qui manifestaient à Kamanyola, dans la province du Sud-Kivu. On dénombre parmi les personnes tuées 15 femmes, 22 hommes et une jeune fille de 12 ans. Plus de 100 personnes ont été blessées. La MONUSCO, la mission de maintien de la paix des Nations Unies en RD Congo, avait une base à quelques centaines de mètres, mais elle n’est pas intervenue avant la fin de la fusillade.

Une femme burundaise de 56 ans a raconté à Human Rights Watch : « Personne n’est venu nous protéger. Ils nous ont tués comme des animaux – sans pitié ni cœur. »

Pendant l’affrontement, un demandeur d’asile burundais a abattu un officier de l’armée congolaise. Plus tard ce jour-là, des habitants locaux ont lapidé à mort un demandeur d’asile.

En septembre 2017, des militaires et des policiers congolais ont tué 38 demandeurs d’asile burundais dans la ville de Kamanyola, dans la province du Sud-Kivu, en République démocratique du Congo. Un demandeur d’asile a également été lapidé à mort par des habitants. © 2017 Privé

Peu après les meurtres, le procureur militaire a arrêté et mis en examen cinq membres du personnel militaire, dont le colonel assurant le commandement des forces armées à Kamanyola, et un officier de police, qui s’est enfui après avoir obtenu une libération conditionnelle.

Human Rights Watch a enquêté sur l’incident et a observé les procédures judiciaires, interrogeant plus de 50 personnes, dont des témoins, des activistes, des journalistes, des membres des forces de sécurité et des fonctionnaires du gouvernement congolais et de l’ONU.

Les demandeurs d’asile faisaient partie d’un mouvement spirituel informel, communément appelé les « adeptes d’Eusébie » et sont arrivés en RD Congo après avoir fui les meurtres et la persécution au Burundi voisin. Ils ont choisi de ne pas vivre dans les camps de réfugiés officiels et, à la place, ils se sont installés à Kamanyola, où beaucoup ont été reconnus comme demandeurs d’asile. Malgré des années de cohabitation pacifique, en septembre 2017, les autorités congolaises locales ont lancé une campagne de haine contre les demandeurs d’asile dans des discours retransmis à la radio, faisant monter les tensions locales. L’arrestation par les militaires de quatre demandeurs d’asile a déclenché les manifestations du 15 septembre.

Depuis les meurtres de Kamanyola, la plupart des adeptes d’Eusébie ont fui au Rwanda avant de rentrer au Burundi, où ils disent vivre dans la peur. Certains sont retournés en RD Congo. Un avocat burundais, lui-même adepte d’Eusébie, a raconté à Human Rights Watch que les survivants de la fusillade voulaient assister au procès à Bukavu, mais craignaient d’être identifiés par les autorités burundaises. « C’est trop dangereux, et nous n’avons pas de garanties pour notre sécurité », a-t-il indiqué au début du mois de juillet. Mais les survivants ont exprimé leur souhait de participer aux futures audiences si leur protection pouvait être assurée.

Les autorités congolaises, avec le soutien de la MONUSCO, devraient prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la sécurité des victimes et des témoins qui décident de témoigner, a déclaré Human Rights Watch. Le gouvernement devrait aussi enquêter sur le rôle des autorités congolaises locales dans la propagation du discours de haine avant le massacre et traduire en justice les responsables de manière appropriée.

Pendant l’incident, les forces de sécurité congolaises ont tiré à plusieurs reprises sur les manifestants, dont certains lançaient des pierres et se livraient à d’autres violences. Les Principes de base de l’ONU sur le recours à la force et l’utilisation des armes à feu par les responsables de l’application des lois stipulent que les forces de sécurité doivent autant que possible employer des moyens non violents avant de faire usage de la force. Lorsque l’usage légal de la force est inévitable, les autorités doivent faire preuve de retenue et agir proportionnellement à la gravité de l’infraction. La force létale peut uniquement être utilisée lorsqu’elle est strictement inévitable pour protéger des vies.

Les tribunaux militaires en RD Congo ont un bilan contrasté en matière d’affaires impliquant du personnel militaire accusé de crimes graves. Par exemple, des problèmes ont surgi lors du procès en 2014 contre des militaires congolais impliqués dans le viol de masse dans la ville de Minova et ses alentours, dans l’est de la RD Congo en 2012, notamment l’absence d’une stratégie solide en matière d’enquêtes et de poursuites, une ingérence politique dans la protection des officiers supérieurs et des hauts responsables, et le non-respect du droit de l’accusé à un procès équitable et impartial.

« Les autorités congolaises devraient prendre les mesures nécessaires pour faire en sorte que le procès de Kamanyola soit crédible et impartial », a conclu Lewis Mudge. « Le traitement de cette affaire est important, non seulement pour les victimes, mais aussi pour mettre fin aux atrocités de masse commises par les forces de sécurité congolaises dans tout le pays. »

Persécution des « adeptes d’Eusébie » au Burundi

À partir du début des années 2000, des centaines de Burundais et d’autres Africains avaient l’habitude de faire un pèlerinage le 12e jour de chaque mois pour prier à Businde, une colline dans la province de Kayanza, dans le nord du Burundi. Les fidèles étaient convaincus que la Vierge Marie leur transmettait des messages à Businde par l’intermédiaire d’Eusébie Ngendakumana, une femme éminente de ce mouvement, et d’autres voyants.

Le mouvement spirituel connu sous le nom des « adeptes d’Eusébie » est informel et diversifié, sans structure ou hiérarchie claire. Il inclut de nombreux hommes et femmes éduqués, comme des enseignants, des avocats, des fonctionnaires et des étudiants, ainsi que des fermiers. Beaucoup sont des femmes.

En 2012, un décret du gouvernement burundais a interdit aux adeptes d’Eusébie de pratiquer leur culte à Businde. À plusieurs reprises en 2012 et 2013, la police a tenté de les empêcher de se rassembler, ce qui a conduit à des heurts. Le 12 mars 2013, la police a tiré à balles réelles sur une vaste foule d’adeptes d’Eusébie près du site de prière, tuant au moins neuf personnes.

Pendant plusieurs années, les autorités ont arrêté arbitrairement des centaines d’adeptes d’Eusébie parce qu’ils participaient à des activités de prière pacifiques.

En avril 2015, le président burundais Pierre Nkurunziza a annoncé qu’il briguerait un troisième mandat controversé, ce qui a déclenché une crise politique, humanitaire et des droits humains dans le pays. S’en sont suivies une tentative de coup d’État en mai 2015 et une répression généralisée contre les opposants suspectés du gouvernement, y compris les adeptes d’Eusébie.

Plus de 300 000 Burundais ont fui le pays depuis avril 2015, et parmi eux, des milliers d’adeptes d’Eusébie. Un membre du mouvement a confié à Human Rights Watch :

En mai 2015… le parti au pouvoir a demandé à tout le monde de rejoindre la cause de l’État, sinon nous serions considérés comme des complices des rebelles qui ont tenté le coup d’État. Conformément à notre croyance, nous ne pouvons pas faire de politique. C’est pourquoi nous ne pouvions pas rejoindre leur groupe ou tout autre groupe politique. Nous ne pouvions pas non plus apporter de contribution [financière] à un quelconque groupe, nous avons donc été considérés comme des rebelles et nous devions soit être tués, soit être jetés en prison. C’est ainsi que j’ai réalisé que je n’avais pas d’autre choix que de quitter le pays pour ne pas être tuée. Ils avaient un slogan qui disait que tous les rebelles devaient être « lessivés » [un euphémisme pour « tués »].

Un autre adepte d’Eusébie a expliqué qu’il a quitté le Burundi après que les Imbonerakure, la ligue violente des jeunes du parti au pouvoir, ont commencé à le rechercher : « Je savais qu’à tout moment, je pouvais être tué... Je suis allé au Congo pour sauver ma vie. »

Refuge et tensions croissantes à Kamanyola

De nombreux adeptes d’Eusébie qui ont cherché refuge en RD Congo se sont installés dans des villes de la province du Sud-Kivu, notamment Uvira, Bukavu et Kamanyola. Ils ont choisi des villes plutôt que des camps de réfugiés, en partie pour des raisons de sécurité, parce que des camps dans d’autres pays voisins du Burundi auraient été infiltrés par les services de renseignements burundais. « Nous pensions que, dans un camp, vous pouvez facilement être repéré et tué », a raconté un adepte d’Eusébie congolais qui a aidé des demandeurs d’asile à s’installer. « Kamanyola était [un] [lieu] stratégique pour eux, parce que c’est facile de traverser la frontière pour aller au Rwanda en cas de problème. »

Des milliers d’adeptes d’Eusébie se sont installés à Kamanyola et bon nombre d’entre eux ont obtenu des papiers de la commission pour les réfugiés en RD Congo, les reconnaissant temporairement comme des demandeurs d’asile. Certains séjournaient dans des familles d’accueil, y compris chez des membres du mouvement congolais, alors que d’autres louaient un logement ou construisaient des abris. Beaucoup travaillaient comme journaliers dans les champs.

« Lorsque nous sommes arrivés à Kamanyola, nous avons été accueillis par la population locale, avec laquelle nous vivions sans difficulté », a raconté un Burundais. Ils ont d’abord prié à l’église avec les habitants catholiques, et plus tard, ils ont commencé à prier en groupes chez eux « afin de ne pas offenser » les autres avec leurs pratiques religieuses, a-t-il poursuivi.

La cohabitation pacifique entre les habitants de Kamanyola et les adeptes d’Eusébie burundais a brutalement cessé en septembre 2017. Une délégation du Burundi se serait rendue en RD Congo quelques semaines plus tôt pour discuter, entre autres choses, du retour des réfugiés. Un habitant qui a assisté à une réunion sur la sécurité à Kamanyola en septembre 2017 a expliqué :

J’ai entendu de mes propres oreilles l’administrateur du territoire de Walungu, M. [Dominique] Bofondo, dire : « J’ai reçu une délégation du Burundi venue pour m’informer que les réfugiés burundais n’ont plus de raison de rester sur le sol congolais sous le prétexte qu’ils fuient la guerre. Le Burundi est déjà apaisé et tout le monde doit rentrer au pays. » C’est pourquoi nous devons faire tout ce que nous pouvons pour les ramener dans leur pays.

Les autorités burundaises ont transmis des messages similaires aux réfugiés en Ouganda et en Tanzanie, leur demandant instamment de rentrer chez eux.

Un adepte d’Eusébie congolais a indiqué que Dominique Bofondo l’avait averti le 6 septembre qu’il rencontrerait de « graves problèmes » s’il continuait à agir pour le compte des demandeurs d’asile burundais. Il a ajouté que Dominique Bofondo lui a dit : « Nous voulons que ces personnes retournent dans leur pays, parce qu’il n’y a plus de problème là-bas ».

La MONUSCO a déclaré avoir contacté les autorités locales le 6 septembre « dans le but d’éviter les affrontements entre les demandeurs d’asile et la population locale ».

Le 7 septembre, Dominique Bofondo s’est adressé aux adeptes d’Eusébie burundais à Kamanyola. Il leur a annoncé qu’ils n’avaient pas le droit d’acheter des maisons ou de la terre. Il leur a aussi interdit de prier dans leurs maisons et a menacé d’incendier les maisons s’ils continuaient, ont raconté plusieurs témoins. Lors d’une autre réunion ce jour-là, Dominique Bofondo a fait passer un message similaire aux habitants congolais, en présence de Bertin Zagabe, l’administrateur local de Kamanyola, selon des personnes présentes à la réunion.

Les habitants de la ville ont raconté que les stations de radio locales ont diffusé le discours de Dominique Bofondo. Après le massacre du 15 septembre, cependant, aucun enregistrement n’a pu être trouvé dans aucune des stations de radio. « Je sais qu’il y avait des pressions pour faire disparaître l’enregistrement », a expliqué un journaliste de radio local. Un autre journaliste a indiqué que les services de renseignements « ont infiltré toutes les stations locales pour effacer tous les reportages qui ont été réalisés » en lien avec le massacre.

Suite à la visite de Dominique Bofondo le 7 septembre, les habitants de Kamanyola sont devenus ouvertement hostiles envers les Burundais, proférant des menaces telles que « Nous allons vous brûler ! ». Un demandeur d’asile burundais de 67 ans a raconté : « Nous avons commencé à entendre de jeunes enfants nous dire : “Les Burundais, rentrez chez vous ! Ces champs-là, vous ne les récolterez pas !” J’ai compris que quelque chose n’allait pas, parce qu’un enfant ne peut pas dire des choses pareilles s’il ne les a pas entendues quelque part. » Une femme burundaise a expliqué que le jour où l’administrateur est venu, il « a tout bouleversé ; le climat paisible – c’était terminé ». Un autre Burundais a raconté qu’après les discours, un voisin congolais lui a dit : « Nous avons l’autorisation de faire ce que nous voulons de vous ! »

Human Rights Watch a contacté Dominique Bofondo à plusieurs reprises par téléphone, mais il n’était pas disponible pour faire des commentaires.

Le massacre de Kamanyola

Le récit de Human Rights Watch s’appuie essentiellement sur des entretiens avec des témoins à Kamanyola en novembre 2017 et, après cette date, sur des entretiens par téléphone et en personne à Goma.

La nuit du 12 au 13 septembre 2017, des soldats de Kamanyola ont arrêté quatre hommes burundais qu’ils ont accusés de patrouiller sans autorisation et de stocker des armes blanches. Le 15 septembre, les épouses des hommes se sont présentées au bureau de l’Agence nationale de renseignements (ANR) – où ils étaient détenus – mais tout accès leur a été refusé. Elles ont ensuite vu des agents conduire les hommes en direction du Burundi et ont alerté d’autres personnes. Comme presque tous les demandeurs d’asile étaient en train de prier ensemble dans les maisons à ce moment-là, la nouvelle s’est répandue très vite.

Les adeptes d’Eusébie se sont alors rassemblés devant l’Agence nationale de renseignements et on leur a demandé de choisir cinq représentants. « Le choix n’a pas été rapide », a raconté un homme burundais. « Il y avait des craintes que les personnes choisies soient elles aussi arrêtées. » Un membre des forces de sécurité, qui a été témoin de la scène, a expliqué que le commissaire de police local, Mwambonga Kalimbe Arija, est alors parti à moto. Les discussions avec les adeptes d’Eusébie ont continué. Le groupe a grossi, pour atteindre près de 2 000 membres du mouvement. Des habitants congolais sont aussi venus pour voir ce qu’il se passait. Des témoins ont indiqué que Bertin Zagabe, administrateur de Kamanyola à l’époque, était également présent.

Mwambonga Kalimbe Arija est revenu rapidement avec un autre agent de police. « [Arija] est descendu de la moto et s’est mis à frapper les réfugiés avec un bâton », a raconté le témoin des forces de sécurité. « Je pense que c’est lui qui est à l’origine de tout ce qui a suivi ! » Une femme a décrit la scène : « Le policier avec sa matraque a commencé à nous frapper en disant : “Partez d’ici !” Sortez !” » Des demandeurs d’asile se sont alors mis à jeter des pierres sur les forces de sécurité.

Le témoin des forces de sécurité a expliqué qu’un agent de l’Agence nationale de renseignements a été touché à la tête par une pierre. « Un policier a alors tiré des coups de sommation pour faire peur aux réfugiés, qui n’ont pas bougé d’un pouce », a-t-il raconté. « Les pierres ont continué à pleuvoir. Le policier a abaissé son arme et a tiré dans la foule. Une jeune femme est tombée immédiatement, touchée à la tête [par une balle]. » D’autres adeptes d’Eusébie l’ont identifiée comme Clairia Manirakiza, une Burundaise de 26 ans.

Après cela, un officier de l’armée congolaise, le capitaine Mbuza, est arrivé à moto avec une escorte, venant de la direction du Rwanda. « D’autres agents de police sont aussi arrivés de cette direction », a poursuivi le témoin des forces de sécurité. « Ils ont tiré des coups de sommation pour disperser la foule en colère. »

Le témoin a raconté que Mbuza a été tué peu après par un jeune homme burundais :

Les personnes avançaient vers [les forces de sécurité] et celles-ci reculaient. Alors le capitaine Mbuza a trébuché sur une pierre et est tombé en arrière. Un jeune homme s’est précipité sur lui et lui a pris son arme, a tiré directement sur lui puis sur un policier – je pense qu’il a été touché à la jambe. C’est à ce moment que la police a tiré à nouveau sur les réfugiés à courte portée, deux autres personnes ont été abattues et les tirs ont continué... Les réfugiés avaient reculé pour s’enfuir, mais ils se sont retrouvés devant des soldats qui étaient venus en masse pour aider leurs collègues. Ils ont tiré sur les personnes sans distinction et ont ensuite apporté une mitrailleuse avec laquelle ils ont tiré sans restriction.

Un activiste congolais a aussi affirmé qu’un demandeur d’asile avait tué Mbuza. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier les circonstances exactes de la mort de Mbuza ou de confirmer la blessure du policier.

De nombreux survivants ont décrit la fusillade. L’un d’eux a confié :

Les balles ont continué, continué et les personnes tombaient, blessées ou mortes. Tout cela est arrivé alors que nous tentions de rentrer chez nous, mais sur le chemin, nous nous sommes retrouvés face à un mur de soldats qui nous tiraient dessus. Ils avaient une mitrailleuse au milieu de la route et il y avait d’autres soldats des deux côtés, donc nous ne pouvions pas nous échapper. Il semble que la population [locale] encourageait les soldats qui nous tuaient. Nous jetions des pierres et la population nous lançait des pierres.

Un autre survivant a décrit la mitrailleuse : « Elle avait une grosse chaîne remplie de balles... Sa longue chaîne s’étendait le long de la route. »

« Un réfugié [à côté de moi] tenait sa bible à la main. Une balle a traversé sa bible et l’a touché à la main... le sang a jailli », s’est souvenu un demandeur d’asile. « Une deuxième balle m’a touché au bras et une autre a atteint ma cuisse gauche. Je suis immédiatement tombé au sol. J’avais l’impression que ma jambe avait été coupée. » Un autre survivant a expliqué que « la plupart des réfugiés levaient les mains en l’air et chantaient des psaumes demandant à Dieu de les sauver ».

Certains survivants ont jeté des pierres pour protéger les corps et les blessés, afin que les soldats ne puissent pas les emporter. Ils ont tenté de transporter les morts et les blessés vers la base de la MONUSCO. Un survivant a indiqué que la plupart des personnes tuées avaient reçu des balles « à la tête ou dans le dos parce qu’elles ont été touchées alors qu’elles tentaient de récupérer les corps des morts et les blessés ». Selon les récits, la durée de la fusillade variait de quelques minutes à une heure.

En novembre 2017, Human Rights Watch a interrogé le lieutenant-colonel Mavita Sasu Debaba, le commandant de l’armée à Kamanyola à l’époque du massacre. Mavita Sasu Debaba avait été arrêté et était emprisonné à Bukavu. Il a affirmé être arrivé uniquement vers la fin de la fusillade. Il a déclaré avoir alors ordonné aux soldats – ils étaient 23, lui compris – de cesser le feu et avoir demandé aux jeunes habitants d’arrêter de lancer des pierres. Il a ajouté que les soldats sont ensuite retournés à leur base.

Ce soir-là, de jeunes hommes ont arrêté et passé à tabac deux demandeurs d’asile burundais, alors qu’ils tentaient de rejoindre la base de la MONUSCO, tuant Donatien Nayizeye. Le demandeur d’asile survivant a expliqué : « J’ai pu voir de loin que [Nayizeye] a été frappé [à mort] avec des pierres. »

Procès

Le procureur militaire congolais a arrêté cinq membres du personnel militaire pour des chefs d’inculpation de meurtre et tentative de meurtre : le lieutenant-colonel Mavita Sasu Debaba, le sous-lieutenant Jean Kabange Kalumba, le sergent-major Eli Numbi, le sergent Maisha Ngangu et l’adjudant Munguiko Barigira. Mavita Sasu Debaba est aussi accusé d’« incitation de militaires à commettre des actes contraires à la loi ». Mwambonga Kalimbe Arija, l’ancien chef de la police de Kamanyola, est également cité parmi les prévenus. Il s’est vu accorder une libération provisoire, mais le tribunal le considère comme étant en fuite parce qu’il n’a pas pu contacter Arija et que celui-ci ne s’est présenté à aucune des audiences.

Les enquêtes judiciaires ont identifié 12 autres suspects – dont des soldats qui avaient été envoyés au front sur le territoire de Fizi peu après le massacre. Il semble que le bureau du procureur n’ait pas émis de mandats d’arrêt à leur encontre.

La décision de renvoi du procureur militaire cite uniquement les noms de 22 morts et 91 blessés. On ignore pourquoi la liste n’était pas complète.

Dominique Bofondo et Bertin Zagabe sont considérés comme des informateurs dans le procès. Bertin Zagabe est actuellement administrateur territorial de Mwenga, situé aussi dans la province du Sud-Kivu. On ignore si Dominique Bofondo détient toujours un poste dans l’administration.

La MONUSCO a fourni un soutien technique, logistique et financier aux préparatifs de l’enquête judiciaire et du procès.

Le procès s’est ouvert le 28 juin 2019 et une seconde audience a eu lieu le 1er juillet. Comme les demandeurs d’asile qui ont été témoins de la fusillade n’étaient pas représentés dans les audiences initiales, le tribunal leur a donné une autre chance de participer. En juillet, des organisations non gouvernementales et des avocats ont œuvré pour sensibiliser les survivants à leur participation au procès. Un avocat a indiqué à Human Rights Watch qu’environ 40 demandeurs d’asile étaient prêts à témoigner au tribunal.

Les quatre hommes burundais qui ont été arrêtés à Kamanyola peu avant le massacre ont tous été reconnus coupables en avril 2019 d’« association de malfaiteurs » et ont été condamnés à 10 ans de prison, selon un responsable pénitentiaire. Ils sont toujours incarcérés à la prison d’Uvira, en attente d’un procès en appel.

Absence de réponse des Casques bleus de l’ONU

La MONUSCO, la mission de maintien de la paix des Nations Unies, avait une base à quelques centaines de mètres du lieu du massacre à Kamanyola, et n’a cependant pas protégé les civils. La résolution 2348 du Conseil de sécurité de l’ONU (2017) prévoyait que la MONUSCO devait en priorité « [a]ssurer une protection efficace et dynamique des civils se trouvant sous la menace de violences physiques ».

Le 16 janvier 2018, le Secrétaire général adjoint aux opérations de paix de l’ONU, Jean-Pierre Lacroix, a ouvert une enquête spéciale sur la réponse de la MONUSCO au massacre de Kamanyola. Les conclusions n’ont pas été rendues publiques.

Dans un courrier du 16 octobre 2018, la MONUSCO a répondu aux questions de Human Rights Watch sur l’incident. La mission a écrit que sa base à Kamanyola :

a eu connaissance vers 16 h 00 [le 15 septembre 2017] que quelque chose se passait à Kamanyola et n’a pas répondu avant la fin de toute la fusillade. Sur la base de comptes rendus ultérieurs, la mission pense que la COB [base opérationnelle de compagnie] a répondu au mieux 2 heures après avoir été informée de l’incident – et peut-être plus tard.

La MONUSCO a écrit que le commandant de la base n’était pas présent à ce moment-là et que le commandant par intérim de la base « a entrepris de nombreuses consultations avec sa hiérarchie et des individus à la base avant d’envoyer des forces pour enquêter sur l’incident, plutôt que de prendre la responsabilité de dépêcher une patrouille lui-même ». De plus, « certaines preuves [ont montré] que des membres de la COB ont pu considérer que le mandat de protection des civils était moins applicable dans les situations où les autorités nationales congolaises intervenaient. De plus, certains membres de la Force étaient de toute évidence incertains quant au rôle qu’ils devaient jouer en réponse à des manifestations de civils. »

La MONUSCO a déclaré que ses forces sont « censées répondre aux incidents dans les 15 minutes suivant leur survenue » et a reconnu que « cette directive n’a visiblement pas été respectée ».

La MONUSCO a indiqué que les forces de l’ONU ont conduit des demandeurs d’asile à leur base plus tard ce jour-là :

Deux patrouilles de la MONUSCO ont été envoyées en réponse aux bruits des coups de feu... Elles ont rencontré des individus qui leur ont signalé que les FARDC [armée congolaise] tiraient toujours dans les quartiers voisins, et elles ont continué vers Rubumba/Mulira (à 2 km de la base). Les patrouilles n’ont vu aucun membre des FARDC. Elles ont évacué 18 demandeurs d’asile de la zone de Rubumba et les ont conduits à la COB.

La MONUSCO a aidé et évacué les blessés et a aussi établi un périmètre sécurisé à l’extérieur de la base pour accueillir 500 à 1 000 demandeurs d’asile. La MONUSCO a également participé à l’inhumation des corps et « a continué à assurer la sécurité des groupes de demandeurs d’asile jusqu’à ce qu’ils soient escortés [par la MONUSCO] vers le Rwanda » en mars 2018, après que les Burundais « ont perçu que des menaces graves avaient été proférées à leur encontre par d’autres habitants ».

La MONUSCO a informé Human Rights Watch qu’elle n’était pas en mesure de dire si des mesures disciplinaires avaient été prises à l’encontre des casques bleus impliqués.

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