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République démocratique du Congo

Événements de 2018

Un responsable de la commission électorale compte des bulletins de vote dans une école de Kinshasa, en République démocratique du Congo, à l’issue des élections générales du 30 décembre 2018.

© 2018 Luis Tato/AFP/Getty Images

Tout au long de 2018, les agents du gouvernement et les forces de sécurité ont fait preuve d’une répression généralisée et commis de graves atteintes aux droits humains à l’encontre de dirigeants et de partisans de l’opposition politique, d’activistes pro-démocratie et de défenseurs des droits humains, de journalistes et de manifestants pacifiques. Les élections du 30 décembre ont été lourdement entachées d’irrégularités généralisées, de manœuvres visant à éliminer des électeurs et de violences. Plus d’un million de Congolais ont été empêchés de voter dans trois zones du pays dominées par l’opposition, où les scrutins ont été reportés au mois de mars 2019.

Dans le centre et l’est de la RD Congo, de nombreux groupes armés et, dans certains cas, les forces de sécurité gouvernementales, s’en sont pris à des civils, faisant parmi eux un grand nombre de morts et de blessés. Cette violence semble en grande partie avoir été liée à la crise politique générale dans le pays. La situation humanitaire est restée alarmante, avec 4,5 millions de déplacés, et plus de 130 000 réfugiés qui ont fui vers un pays voisin. En avril, des responsables du gouvernement ont rejeté l’idée même d’une crise humanitaire et refusé d’assister à une conférence des bailleurs de fonds internationaux qui visait à collecter 1,7 milliard de dollars US pour porter assistance en urgence aux plus de 13 millions de personnes dans le besoin en RD Congo.

Libertés d’expression et de réunion pacifique

Tout au long de 2018, les agents du gouvernement et les forces de sécurité ont interdit des manifestations pacifiques, fait usage de gaz lacrymogène et, dans certains cas, tiré à balles réelles pour disperser les manifestants, restreint la liberté de déplacement des dirigeants de l’opposition et détenu arbitrairement des centaines d’activistes pro-démocratie et défenseurs des droits humains, de journalistes, de manifestants pacifiques et d’autres individus, la plupart ayant fini par être libérés.

Lors de trois manifestations distinctes organisées par le Comité laïc de coordination (CLC) de l’Église catholique en décembre 2017 ainsi qu’en janvier et février 2018, les forces de sécurité ont recouru à une force excessive, y compris au gaz lacrymogène et aux balles réelles, à l’encontre de manifestants pacifiques qui se trouvaient à l’intérieur ou autour d’églises catholiques à Kinshasa, la capitale, et dans d’autres villes. Les forces de sécurité ont tué au moins 18 personnes, dont Rossy Mukendi, un activiste pro-démocratie bien connu. Plus de 80 personnes ont été blessées, dont un grand nombre par balles.

Les dirigeants laïcs de l’Église catholique avaient appelé à la tenue de manifestations pacifiques pour exhorter les dirigeants congolais à respecter l’« accord de la Saint-Sylvestre » signé fin 2016 sous l’égide de l’Église. Cet accord appelait à la tenue d’une élection présidentielle avant la fin 2017 et à la mise en œuvre de « mesures de décrispation », et notamment de la libération des prisonniers politiques, pour apaiser les tensions politiques. Ces engagements ont toutefois été en grande partie ignorés, alors que le président Joseph Kabila s’accrochait au pouvoir en recourant à la répression et à la violence.

Le 25 avril, les forces de sécurité ont brutalement réprimé une manifestation menée par le mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA) à Beni, dans l’est de la RD Congo, arrêtant 42 personnes et en blessant quatre autres. Le 1er mai, les forces de sécurité ont arrêté 27 activistes pendant une manifestation organisée par la LUCHA à Goma, dans l’est de la RD Congo. Le 9 juin, l’un des principaux activistes pro-démocratie, Luc Nkulula, est mort dans l’incendie suspect de son domicile à Goma. Des activistes et d’autres individus estiment qu’il a été victime d’une attaque ciblée.

En juillet, deux journalistes et deux activistes des droits humains sont passés dans la clandestinité après avoir reçu des menaces à la suite de la diffusion d’un documentaire sur des expulsions massives de populations de terres revendiquées par la famille du président dans l’est de la RD Congo.

Début août, les forces de sécurité congolaises ont utilisé du gaz lacrymogène et des tirs à balles réelles pour disperser des partisans de l’opposition politique, tuant au moins deux personnes—dont un enfant—et infligeant des blessures par balles à au moins sept autres, pendant la période de dépôt des candidatures pour l’élection présidentielle. Les autorités ont également restreint les déplacements de personnalités de l’opposition, arrêté des dizaines de leurs partisans et empêché un aspirant candidat à la présidence, Moïse Katumbi, d’entrer dans le pays pour déposer sa candidature.

La police congolaise a procédé à l’arrestation arbitraire de près de 90 activistes pro-démocratie et blessé une vingtaine d’autres au cours de manifestations pacifiques organisées le 3 septembre. Les manifestants avaient appelé la Commission électorale nationale indépendante (CENI) à purger les listes électorales à l’issue d’un audit de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui avait établi que plus de 16 % des électeurs inscrits l’avaient été en l’absence d’empreintes digitales, soulevant des inquiétudes quant à la présence sur ces listes d’électeurs potentiellement « fictifs ». Ils avaient également appelé la CENI à renoncer à l’utilisation controversée de machines à voter qui n’avaient jamais été testées en RD Congo et qui risquaient de servir à manipuler les résultats.

En septembre, un tribunal congolais a condamné quatre membres du mouvement de citoyens Filimbi (« sifflet » en swahili) à un an de prison. Carbone Beni, Grâce Tshunza, Cédric Kalonji, Palmer Kabeya et Mino Bompomi avaient été arbitrairement arrêtés ou enlevés en décembre 2017 alors qu’ils mobilisaient les résidents de Kinshasa en vue de manifestations à l’échelle nationale prévues pour le 31 décembre 2017. Kabeya a été libéré en septembre. Les quatre autres ont fini de purger leur peine le 25 décembre.

En novembre, les autorités ont arrêté et détenu pendant quelques jours 17 activistes pro-démocratie à Kinshasa. Elles ont également enlevé et torturé un activiste de la LUCHA à Goma, avant de le libérer trois jours plus tard.

Les forces de sécurité gouvernementales à travers le pays ont dispersé de force des rassemblements de campagne de l’opposition avant les élections nationales. Du 9 au 13 décembre, les forces de sécurité ont tué au moins 7 partisans de l’opposition, blessé plus de 50 personnes et détenu arbitrairement des dizaines d’autres.

Attaques menées contre des civils par les groupes armés et les forces gouvernementales

Plus de 140 groupes armés étaient actifs dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu, situées dans l’est de la RD Congo, et beaucoup ont continué de s’en prendre aux civils, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), composées essentiellement de Rwandais, et des groupes alliés congolais Nyatura, les Forces démocratiques alliées (Allied Democratic Forces, ADF) ougandaises, le groupe armé Nduma Défense of Congo-Rénové (NDC-R), les groupes Maï Maï Mazembe et Yakutumba et plusieurs groupes armés burundais. Bon nombre de leurs commandants ont été impliqués dans des crimes de guerre, y compris des massacres ethniques, des viols, le recrutement forcé d’enfants et des pillages.

D’après le Baromètre sécuritaire du Kivu, qui documente la violence dans l’est de la RD Congo, des agresseurs, dont les forces de sécurité de l’État, ont tué plus de 883 civils et enlevé ou kidnappé pour obtenir une rançon près de 1 400 autres dans les provinces du Nord-Kivu et du Sud-Kivu en 2018.

Sur le territoire de Beni, au Nord-Kivu, environ 300 civils ont été tués lors de près d’une centaine d’attaques lancées par différents groupes armés, dont les ADF.

En mai, des combattants non identifiés ont tué une garde de parc et enlevé deux touristes britanniques et leur chauffeur congolais dans le parc national des Virunga, dans l’est de la RD Congo. Depuis, le parc est fermé au tourisme. Les touristes et leur chauffeur ont ensuite été libérés.

De décembre 2017 à mars 2018, les violences se sont intensifiées dans certaines zones de la province de l’Ituri, dans le nord-est de la RD Congo, où des groupes armés ont lancé des attaques meurtrières contre des villages, tuant des dizaines de civils, violant ou mutilant de nombreux autres, incendiant des centaines de foyers et provoquant le déplacement, d’après les estimations, de 350 000 personnes.

Également dans le nord-est du pays, l’Armée de résistance du Seigneur (Lord’s Resistance Army) ougandaise a continué d’enlever un grand nombre de personnes et de commettre d’autres exactions graves.

En décembre, des violences ethniques de grande ampleur ont éclaté à Yumbi, dans la province occidentale du Mai-Ndombe. Elles auraient fait des centaines de morts dans cette région précédemment paisible. 

Pendant les élections de décembre, des membres des forces de sécurité de l’État et des groupes armés dans la province du Nord Kivu, dans l’est de la RD Congo, ont intimidé des électeurs pour qu’ils votent pour des candidats spécifiques.

Justice et obligation de rendre des comptes

Le procès de Bosco Ntaganda, inculpé de 13 chefs de crimes de guerre et de cinq chefs de crimes contre l’humanité qu’il aurait commis en 2002 et 2003 en Ituri, province du nord-est de la RD Congo, s’est poursuivi devant la Cour pénale internationale (CPI) à La Haye.

En juin, la Chambre d’appel de la CPI a acquitté l’ancien vice-président congolais Jean-Pierre Bemba des charges de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en République centrafricaine, pays voisin de la RD Congo. En septembre, la Cour a condamné Bemba en appel à 12 mois de prison pour subornation de témoins, délit connexe. Interprétant la subornation de témoins comme une forme de corruption interdite par la loi électorale congolaise pour les candidats à la présidence, la commission électorale congolaise a ensuite invalidé la candidature à la présidence de Bemba, décision qui semble avoir été motivée par des considérations politiques.

Sylvestre Mudacumura, commandant militaire du groupe armé des FDLR, n’a toujours pas été appréhendé. La CPI a lancé un mandat d’arrêt à son encontre en 2012 pour neuf chefs de crimes de guerre.

Le procès congolais relatif aux meurtres des enquêteurs de l’ONU Michael Sharp et Zaida Catalán et à la disparition des quatre Congolais qui les accompagnaient en 2017 dans la région du Kasaï, au centre du pays, se poursuivait au moment de la rédaction des présentes. Une équipe d’experts chargée par le Secrétaire général des Nations Unies d’appuyer l’enquête congolaise ne s’est pas vu attribuer l’accès ou la coopération nécessaire pour pouvoir réellement soutenir une enquête crédible et indépendante. Les recherches de Human Rights Watch ont mis en évidence l’implication d’agents du gouvernement dans ces meurtres.

Une enquête mandatée par le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU sur les violences plus globales et de grande ampleur perpétrées dans la région du Kasaï depuis 2016 a révélé que les forces de sécurité et les milices congolaises avaient commis des atrocités constituant des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En juillet, le Conseil a demandé au Haut-Commissariat de l’ONU aux droits de l’Homme d’envoyer sur place une équipe de deux experts en droits humains internationaux afin d’observer et de rendre compte de la mise en œuvre par les autorités congolaises des recommandations formulées dans le cadre de l’enquête au Kasaï.

Le procès des membres des forces de sécurité congolaises arrêtés au motif qu’ils auraient recouru à une force excessive pour réprimer une manifestation à Kamanyola, dans l’est de la RD Congo, en septembre 2017, lors de laquelle une quarantaine de réfugiés burundais ont été tués, et plus d’une centaine d’autres blessés, n’avait toujours pas démarré au moment de la rédaction des présentes.

Le procès du chef de milice Ntabo Ntaberi Sheka, qui s’est rendu à la Mission de l’ONU pour le maintien de la paix en RD Congo (MONUSCO), s’est ouvert le 27 novembre. Sheka, impliqué dans de nombreuses atrocités commises dans l’est du pays, était l’objet d’un mandat d’arrêt de la justice congolaise depuis 2011 pour crimes contre l’humanité pour viols massifs.

En juillet, Kabila a promu deux généraux, Gabriel Amisi et John Numbi, malgré leur implication de longue date dans de graves atteintes aux droits humains. Ces deux généraux ont également fait l’objet de sanctions de la part des États-Unis et de l’Union européenne.

Principaux acteurs internationaux

En 2018, le Conseil de sécurité de l’ONU, qui s’est rendu à Kinshasa en octobre, le Secrétaire général de l’ONU, l’Union africaine, la Communauté de développement d’Afrique australe (Southern African Development Community, SADC), les États-Unis, l’UE et de nombreux États individuels ont réclamé le respect du calendrier électoral. Ces acteurs ont souligné qu’il fallait que l’accord de la Saint-Sylvestre soit pleinement respecté, notamment les mesures de décrispation, et que l’élection soit crédible et inclusive.

La Belgique a annoncé en janvier 2018 qu’elle suspendait l’intégralité de son aide bilatérale directe au gouvernement congolais et qu’elle apportait dorénavant son soutien à des organisations humanitaires et de la société civile.

Le ministre angolais des Affaires étrangères Manuel Domingos Augusto a déclaré en août que la décision de Kabila de ne pas se porter candidat à un troisième mandat, qui aurait été contraire à la Constitution, était « un grand pas », mais que d’autres mesures devaient être prises « pour que le processus électoral puisse aboutir et atteindre les objectifs qui ont été fixés par les Congolais ». Lors d’un sommet de la SADC en Namibie en août, le président namibien et nouveau président de la SADC, Hage Geingob, a déclaré que la crise en RD Congo pourrait entraîner un nouvel exode de réfugiés vers les pays voisins si elle n’était pas résolue.

En décembre 2017, les États-Unis ont pris des sanctions à l’encontre du milliardaire israélien Dan Gertler, un proche ami et associé financier de Kabila qui « a amassé sa fortune grâce à des accords miniers et pétroliers opaques et teintés de corruption représentant des centaines de millions de dollars » en RD Congo, ainsi qu’à l’encontre d’un certain nombre d’individus et d’entreprises associés à Gertler. En juin 2018, les États-Unis ont annoncé leur décision de refuser, ou de révoquer, les visas de plusieurs responsables congolais en raison de leur implication dans des atteintes aux droits humains et d’une corruption significative en lien avec le processus électoral congolais.

Le 28 décembre, le gouvernement a expulsé l’ambassadeur de l’UE, Bart Ouvry, avec un préavis de 48 heures. Ceci a fait suite à la décision de l’UE le 10 décembre de proroger les sanctions prises à l’encontre de 14 responsables congolais de haut rang, dont le candidat de la coalition au pouvoir à la présidence, Emmanuel Ramazani Shadary.

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