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Des marchandises détruites, photographiées en 2016 parmi les décombres d’un entrepôt endommagé lors d’une attaque survenue au port de Hodeida, au Yémen. © November 2016 Kristine Beckerle / Human Rights Watch

BEYROUTH — La voix d'un père de famille yéménite, qui nous parlait avec fierté de son fils, était tout de même emplie de tristesse: Ahmed avait une douzaine d'années et était intelligent. Il vivait avec son père, sa mère et ses huit frères et sœurs quand « la guerre est arrivée. »

La coalition dirigée par l'Arabie saoudite a bombardé leur maison il y a environ un an. Le groupe armé Houthi qui terrorisait la famille n'a pas été touché mais Ahmed, lui, a été grièvement blessé. Pendant 10 jours, il n'a pas pu parler; des fragments de projectile avaient pénétré son cerveau. Son père l'a emmené de ville en ville pour essayer de trouver de l'aide. Le reste de la famille a été déplacé le long de la côte occidentale du Yémen, jusqu'à ce que les combats les atteignent de nouveau en février dernier. Le père devait rester près de son fils. La famille ne pouvait pas retourner au domicile familial, à l'est de la ville de Khawka; des amis leur avaient dit que la zone avait été minée.

Des médecins yéménites ont pu prodiguer certains soins à Ahmed, mais il avait besoin d'une opération chirurgicale qui n'était pas pratiquée dans son pays. Et son père ne pouvait pas en assurer les frais. Des amis ont dit à la famille que la coalition dirigée par les Saoudiens ne finançait des soins à l'étranger que pour des combattants blessés. Et même s'ils lui payaient son billet d'avion, a-t-il dit, il craignait de ne pas pouvoir voyager: depuis le bombardement, il est devenu claustrophobe. Ahmed nous a montré sa cicatrice sur la tête. Il avait toujours mal.

Telle est l'histoire d'une famille yéménite aujourd'hui et depuis quatre ans: un père dont l'enfant a été blessé alors que cela n'aurait pas dû arriver. Un père qui cherchait désespérément à protéger sa famille mais ne savait pas comment. Un père qui voulait aider son fils à guérir mais n'en avait pas les moyens. Un père qui avait frappé à toutes les portes possibles mais qui les avait toutes trouvées fermées.

Or ces portes restent verrouillées parce que ceux qui ont du pouvoir choisissent de ne pas s'en servir pour faire pression sur les responsables pour qu'ils mettent fin à ces abus: le Conseil de sécurité des Nations Unies a fait beaucoup trop peu d'efforts pour faire cesser l'interminable tragédie qui se déroule au Yémen. Les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France se sont exprimés à maintes reprises au Conseil sur la guerre en Syrie, mettant l'accent sur le processus politique, les lignes de fracture humanitaires et le recours aux armes chimiques mais, s'agissant du Yémen, ils sont demeurés essentiellement silencieux.

Pendant ce temps, des milliers de civils ont été tués ou blessés par les parties au conflit au Yémen. Des millions de personnes n'ont aucun accès à des soins médicaux dont elles ont désespérément besoin. Quatorze millions de personnes — soit la moitié de la population — pourraient mourir de faim si la situation ne change pas, car les enfants sont les premiers à mourir.

Les décisions du Conseil de sécurité pour faire face à cette crise ont été jusqu'à présent tristement inadéquates. (Les États-Unis ont appelé le 30 octobre à une cessation des hostilités dans les 30 jours et Martin Griffiths, l'Envoyé spécial de l'ONU pour le Yémen, doit s'exprimer devant le Conseil le 16 novembre.) Des sanctions ciblées ont été infligées à quelques individus du côté des Houthis (ainsi qu'à leur ancien allié, l'ex-président, aujourd'hui décédé, Ali Abdullah Saleh et à son fils), mais pas encore — pas une seule fois — à des individus responsables des violations commises par la coalition.

Le Conseil de sécurité a produit des déclarations, la plus récente en mars, appelant les parties au conflit à respecter les lois de la guerre et à faire en sorte que l'aide humanitaire et les biens commerciaux puissent entrer dans le pays et y circuler. Mais il n'a rien dit depuis des mois, alors que les avertissements sur les risques de famine se multiplient.

Essentiellement, cet organe de l'ONU, qui est chargé depuis 1945 d'assurer la paix et la sécurité internationales, est en train de faillir à sa tâche au Yémen. Une grande part de la responsabilité pour cet échec est à mettre au compte du membre du Conseil de sécurité auquel incombe principalement la tâche de rédiger des projets de résolution concernant le Yémen: la Grande-Bretagne, qui continue à vendre des armes à l'Arabie saoudite, ce qui favorise les forces militaires qui commettent des crimes de guerre. Les États-Unis et la France, qui ont également pris le risque de se rendre complices de crimes de guerre en vendant des armes aux forces saoudiennes commettant des abus, partagent la responsabilité de l'inaction du Conseil de sécurité.

Le Conseil devrait adopter une nouvelle résolution. Dans un épisode positif, le secrétaire au Foreign office britannique, Jeremy Hunt, a indiqué le 5 novembre que son pays était déterminé à agir au sein du Conseil de sécurité, alors que des rumeurs circulaient selon lesquelles la Grande-Bretagne travaillait à la rédaction d'un projet de résolution.

Pour avoir un véritable impact, une résolution devrait exiger la fin des attaques illégales, souligner que des comptes devront obligatoirement être rendus devant la justice, rappeler aux parties étatiques au conflit leur obligation de fournir réparation aux victimes civiles et créer un système de supervision et de signalement qui permette de vérifier le respect des demandes du Conseil de sécurité.

Toute résolution qui ne mentionnerait pas nommément la coalition dirigée par l'Arabie saoudite et se contenterait des habituels appels vagues à « toutes les parties » n'aurait pas l'effet désiré à Riyadh.

Deuxièmement, le Conseil devrait prendre des sanctions à l'encontre des individus les plus responsables de ces atrocités. N'importe quel pays peut proposer des noms au comité des sanctions de l'ONU pour le Yémen, déclenchant ainsi une délibération immédiate en son sein sur l'opportunité d'une action de la part du Conseil de sécurité. Il est grand temps de procéder ainsi. Trois suggestions concrètes mais certainement pas exhaustives:

• Imposer des sanctions aux individus qui ont les plus larges parts de responsabilité pour les nombreuses violations des lois de la guerre commises pendant la campagne d'attaques aériennes de la coalition, notamment le prince héritier saoudien, Mohammed ben Salmane, et les commandants les plus haut gradés, jusqu'à ce que la coalition cesse ses attaques illégales, ouvre des enquêtes crédibles sur celles qui ont eu lieu et fournisse réparation aux victimes civiles.

• Imposer des sanctions aux membres de la hiérarchie houthie qui portent la plus lourde responsabilité dans les disparitions forcées, les actes de torture et les prises d'otages, y compris selon le concept de la responsabilité de commandement, jusqu'à ce que ce groupe armé remette en liberté les personnes qu'il détient arbitrairement, mette fin à ces abus et punisse de manière appropriée les individus responsables de ces violations.

• Imposer des sanctions aux individus qui font obstacle à l'acheminement de l'aide humanitaire.

Au Yémen, la mort et le désespoir se sont répandus dans presque tous les districts, un crime de guerre a suivi un précèdent crime de guerre et la crise humanitaire a pris une telle ampleur qu'il est devenu difficile, même pour les professionnels de l'assistance, d'en mesurer toute la gravité. Le Conseil de sécurité est resté trop longtemps inactif devant le carnage commis contre le peuple yéménite.

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