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Syrie : Les membres présumés de l’EI ont droit à un procès équitable

L’arrestation de combattants étrangers soulève la question de leur droit à un procès régulier et de celui de leurs victimes à y assister

Un combattant des Forces démocratiques syriennes s'apprête à retirer un drapeau noir de l'État islamique dans la ville de Tabqa, à l'ouest de Raqqa en Syrie, le 30 avril 2017. © 2017 Getty Images

(Beyrouth) – La capture de deux Britanniques suspectés d’être impliqués dans la torture et l’exécution d’otages occidentaux par l’organisation État islamique (EI, également connu sous le nom de Daech) souligne la nécessité d’assurer, pour tous les membres supposés de l’EI, des procès en bonne et due forme et permettant une véritable participation des victimes, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui.

Les Forces démocratiques syriennes (FDS) ont récemment placé en détention Alexanda Kotey et El Shafee el-Sheikh, les deux derniers membres d’un groupe de quatre combattants britanniques de l’État islamique impliqué dans la torture et la décapitation de plusieurs étrangers, notamment de journalistes connus et de travailleurs humanitaires. Mohammed Emwazi, un autre membre de ce groupe, a été tué en 2015 lors d’une frappe aérienne en Syrie, tandis qu’Aine Davis, le quatrième, a été emprisonné en Turquie où il est inculpé de terrorisme. Depuis la capture de Kotey et d’el-Sheikh, les parents des victimes et les anciens otages ont publiquement appelé à ce qu’ils soient jugés lors de procès auxquels ils puissent assister.

« La capture de ces deux suspects de l’État islamique devrait raviver le débat à l’échelle internationale sur la justice qui doit être rendue pour les crimes atroces de ce groupe », a déclaré Nadim Houry, directeur du programme Terrorisme et lutte antiterroriste à Human Rights Watch. « Cela nécessitera la tenue de procès garantissant une procédure régulière et favorisant la participation des victimes, dans des pays juridiquement compétents pour juger les suspects. »

Les deux suspects de l’État islamique devraient être poursuivis dans les pays étrangers qui sont dotés de la compétence juridictionnelle et capables d’assurer des procès équitables, a déclaré Human Rights Watch. Même si Human Rights Watch, sur le principe, ne s’oppose pas à des procès locaux, les tribunaux mis en place localement dans le nord de la Syrie ne sont pas actuellement en mesure d’assurer des procès en bonne et due forme. Mais aucun pays, pas même le Royaume-Uni, ne s’est déclaré disposé à juger les deux hommes. Leur sort, ainsi que celui des autres membres de l’EI étrangers détenus dans le nord de la Syrie, est inscrit à l’ordre du jour de la réunion des principaux ministres de la Défense de la Coalition mondiale pour vaincre l’EI, le 13 février 2018 à Rome, où le secrétaire à la Défense américain, Jim Mattis, devrait aborder la question, selon médias.

Le ministre de la Défense britannique a déclaré le 10 février que les deux hommes « ne devraient jamais être autorisés à retourner au Royaume-Uni ». Les médias ont même rapporté que le pays leur avait peut-être déjà retiré la nationalité britannique. En France, patrie d’au moins deux journalistes torturés par le groupe de combattants de l’EI, le ministre des Affaires étrangères a indiqué le 7 février que les membres étrangers de l’EI devraient être jugés dans le nord de la Syrie.

De son côté, le gouvernement américain a appelé le Royaume-Uni et d’autres membres de la coalition contre l’EI à aider à gérer le nombre croissant de combattants étrangers détenus par les FDS. Kathryn Wheelbarger, première sous-secrétaire d'État adjointe aux Affaires de sécurité internationale, a déclaré : « Nous travaillons avec la coalition sur la question des combattants étrangers détenus et nous espérons que de façon générale, ces détenus retourneront dans leur pays d’origine, à disposition de la justice. »

Un haut responsable américain, parlant sous couvert d’anonymat, a confié à Reuters que les États-Unis étaient en pourparlers avec le Royaume-Uni au sujet des membres de l’EI détenus, mais qu’il n’était pas prévu de les envoyer aux États-Unis, ni dans le centre de détention américain de Guantanamo. Si les États-Unis devaient se charger de ces deux membres présumés de l’EI, alors ils devraient être poursuivis devant les tribunaux fédéraux américains et non pas envoyés à Guantanamo, où ils seraient soumis à des commissions militaires qui ne respectent pas les normes internationales en matière de procédure judiciaire, a déclaré Human Rights Watch.

Les FDS ont placé en détention, dans le nord de la Syrie, des milliers de membres de l’EI, dont des centaines d’étrangers. L’administration autonome organisée par le Parti de l’union démocratique (PYD) dans le nord de la Syrie a mis en place des tribunaux antiterroristes locaux, dites « Cour de défense du peuple », mais ils n’ont jugé pour l’instant que des ressortissants syriens et irakiens.

Ces tribunaux appliquent une loi antiterroriste qui a été adoptée localement en 2014 et qui écarte le recours à la peine de mort. Human Rights Watch a rendu visite à ces tribunaux antiterroristes locaux en juillet 2017 puis en janvier 2018. En raison de plusieurs failles de procédure importantes, les procès ayant lieu devant ces tribunaux ne respectent pas les normes internationales fondamentales, a constaté Human Rights Watch.

Parmi les principaux problèmes relevés, il faut noter l’absence de rôle joué par l’avocat de la défense et le manque de procédure formelle d’appel. Des voix critiques se sont aussi élevées localement pour noter que les tribunaux ne sont pas pleinement indépendants par rapport aux autorités locales et qu’ils manquent de procureurs et de juges formés de façon adéquate. Certains juges n’ont pas fait d’études officielles d’avocat ou de magistrat, même si les autorités locales ont déclaré qu’ils avaient bénéficié d’un programme de formation de quatre mois.

Les responsables locaux de ce système judiciaire du nord de la Syrie ont déclaré à Human Rights Watch qu’ils espéraient que les pays étrangers rapatrieraient leurs ressortissants et allègeraient ainsi leur tâche. Si ce n’est pas possible, ont-ils dit, ils envisageront d’en juger certains, tout en reconnaissant que cela nécessiterait d’améliorer leur système judiciaire et leur législation, alors même que l’administration locale affronte des difficultés croissantes.

Les familles des victimes se sont dites favorables à des procès équitables des membres de l’EI auxquels elles puissent assister. Diane Foley, la mère du journaliste américain James Foley qui a été exécuté par ce groupe de combattants de l’EI, a déclaré qu’elle espérait que Kotey et el-Sheikh auraient droit à un procès équitable et transparent et qu’ils seraient condamnés à la prison à vie. Elle a déclaré aux médias qu’elle ne voulait pas que les hommes soient envoyés à Guantanamo : « Cela ne ferait que perpétuer la haine. [Les victimes] ont été exécutées en combinaisons orange, comme celles que doivent porter les détenus de Guantanamo. Nous devons être au-dessus de tout cela. Nous devons leur montrer à quoi ressemble la vraie justice. »

Nicolas Hénin, un journaliste français qui a survécu à sa détention brutale aux mains du groupe de l’EI, a déclaré aux médias qu’il voulait que ses anciens geôliers soient traduits en justice pour leurs crimes lors d’un procès équitable. « Ce que je souhaite, c’est un procès, et un procès auquel je puisse potentiellement assister, donc plutôt un procès à Londres qu’à Kobané dans le nord de la Syrie », a-t-il déclaré aux médias. « Guantanamo ne serait pas non plus une solution, puisque c’est un déni de justice» Il a ajouté :

Ce que je veux, c’est un procès que personne ne puisse contester, aussi juste que possible, où mes ravisseurs auraient toutes les chances de se défendre... Nous devons absolument les empêcher de renverser la situation en posant comme victimes. C’était nous les victimes, pas eux. Si on ne leur fait pas justice, ils utiliseront cela pour alimenter leur propagande.

« La réunion ministérielle de Rome devrait dégager des pistes pour amener des procès équitables qui garantissent une procédure régulière et offrent aux victimes et à leurs familles – qu’elles soient syriennes, irakiennes ou de pays tiers – l’occasion de se rendre au tribunal », a conclu Nadim Houry. « Il est important que les membres de la coalition internationale conviennent de respecter ces principes fondamentaux. »

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