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Libye : Crimes de guerre à l’encontre d’habitants de Benghazi fuyant les combats

Les forces de l’ANL auraient commis des exécutions sommaires, attaqué des civils et profané des cadavres

(Tunis) – Les forces de l’Armée nationale libyenne (ANL) pourraient avoir commis des crimes de guerre, y compris des meurtres et des violences à l’encontre de civils, des exécutions sommaires et la profanation de corps de combattants de l’opposition dans la ville de Benghazi, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les forces armées auraient intercepté des civils – pour certains accompagnés de combattants de l’opposition – qui essayaient de fuir un quartier assiégé, et plusieurs d’entre eux restent portés disparus à ce jour.

Un membre de l'Armée nationale libyenne, le bras armé du gouvernement provisoire basé à al-Bayda dans l’est du pays, parmi les décombres d’un immeuble à Benghazi, suite à des affrontements avec le Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi, une coalition de milices islamistes. © 2015 Reuters /Esam Omran Al-Fetori

Khalifa Hiftar, le commandant des forces de l’ANL dans l’est de la Libye, devrait ordonner une enquête complète et transparente sur les crimes présumés récemment commis par des forces placées sous son commandement, notamment les attaques contre des civils, les exécutions sommaires présumées et la mutilation et la profanation de cadavres, afin que les responsables de ces actes rendent compte de leurs crimes.

« Les dirigeants de l’ANL devraient d’urgence répondre à ces allégations extrêmement inquiétantes, en enquêtant sur leurs auteurs présumés, y compris au niveau des hauts commandants militaires susceptibles de porter une responsabilité individuelle à cet égard », a déclaré Joe Stork, directeur adjoint de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord à Human Rights Watch.

Des proches des victimes, des activistes et des journalistes locaux ont indiqué par téléphone à Human Rights Watch que des dizaines de civils avaient, de manière inattendue, fui le quartier assiégé de Ganfouda, dans la ville de Benghazi située dans l’est de la Libye, le 18 mars 2017, après environ deux ans d’affrontements entre les forces de l’ANL et les combattants du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi, une coalition de groupes armés opposés à l’ANL. La moitié de ces civils, pour certains accompagnés de combattants de cette coalition, ont fui vers les quartiers d’al-Sabri et de Souq Elhout dans le centre-ville de Benghazi, qui restent sous le contrôle de cette coalition. Les combattants de l’ANL ont intercepté environ sept familles après que l’une de leurs voitures est tombée en panne. Ils ont attaqué et tué plusieurs membres de ces familles et en ont arrêté d’autres, selon leurs proches.

Human Rights Watch a examiné des vidéos et des photos remises par des membres des familles des victimes, des journalistes locaux et des activistes, qui semblent montrer les corps de combattants du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi, profanés et mutilés par les combattants de l’ANL pendant ou après l’évacuation des habitants de Ganfouda le 18 mars.

Dans une lettre envoyée à Hiftar le 8 mars 2017, Human Rights Watch a fait part de ses inquiétudes quant à la sécurité des habitants de Ganfouda pris au piège des combats et a demandé aux dirigeants de l’ANL de garantir le passage des civils dans de bonnes conditions de sécurité et l’acheminement sans entrave de l’aide. L’ANL devrait aussi fournir des informations détaillées sur les procédures mises en place pour le contrôle des civils et des combattants qui ont évacué le quartier assiégé, et sur l’arrestation de certains d’entre eux, a souligné Human Rights Watch dans la même lettre, à laquelle l’ANL n’a pas encore répondu.

Le 18 mars, l’ANL a annoncé que ses forces avaient évacué sept familles qui étaient restées dans le Complexe n0 12 à Ganfouda, dernier bastion du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi dans le quartier. L’ANL n’a cependant pas fourni d’informations sur le sort de ces civils, ni de détails sur les contrôles effectués sur eux, ou sur la question de savoir si certains d’entre eux avaient été détenus ou accusés d’un crime.

Le 20 mars 2017, la direction de l’ANL a publié une déclaration décrivant des incidents au cours desquels des membres de l’ANL avaient été filmés et photographiés alors qu’ils commettaient des violations graves, y compris des profanations, incinérations et mutilations de cadavres. Cette déclaration affirme que l’ANL arrêtera les suspects de ces violations et les fera comparaître devant une commission d’enquête. Le 21 mars, le porte-parole des Forces spéciales de l’armée, Saiqa, qui fait partie de l’ANL, a publié une déclaration semblant défendre certaines de ces violations. Mais plus tard dans la journée, le commandant des forces spéciales s’est engagé a ce que les responsables des profanations commises sur des combattants du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi rendent compte de leurs actes.

Des journalistes locaux ont affirmé qu’une vidéo transmise à Human Rights Watch semblait montrer le corps exhumé du commandant du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi, Jalal Makhzoum. Dans la vidéo, des combattants de l’ANL applaudissent en défilant dans les rues de Benghazi avec un corps attaché sur le capot d’une voiture. Le Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi a publié une déclaration annonçant le décès de Makhzoum le 18 mars 2017.

Une autre vidéo semble montrer le corps d’un combattant du Conseil de la Choura des révolutionnaires de Benghazi suspendu à un mur de béton à l’entrée d’un camp de l’armée tandis que des combattants de l’ANL applaudissent et posent pour des photos avec le cadavre. Dans une autre photo, un homme non identifié coupe les oreilles et les mains du corps d’un combattant mort attaché sur le dos derrière un camion. Dans une autre photo encore, un combattant non identifié en tenue militaire pose à côté d’un cadavre en train de brûler.

Des activistes et des journalistes locaux ont déclaré que ces photos avaient été prises pendant ou après l’opération menée par l’ANL pour reprendre le quartier de Ganfouda le 18 mars 2017. Les enquêteurs de Human Rights Watch n’ont pu vérifier ni la date, ni l’emplacement de ces incidents.

La profanation des corps de combattants est interdite par le droit libyen et le droit international. Les articles 292 et 293 du Code pénal libyen interdisent la profanation des cadavres. Le droit international humanitaire oblige toutes les parties aux conflits à prendre toutes les mesures possibles pour empêcher que les corps des morts ne soient dépouillés.

Dans une vidéo non datée, largement partagée sur les médias sociaux, Mahmoud al-Warfalli, un capitaine des Forces spéciales de l’ANL, est filmé pendant qu’il tire avec une mitrailleuse dans la nuque de trois hommes agenouillés face à un mur, leurs mains liées dans le dos. Des journalistes locaux ont déclaré à Human Rights Watch que ces exécutions avaient eu lieu à Benghazi lors de la bataille finale pour Ganfouda, autour du 18 mars 2017.

Le 21 mars, le porte-parole des Forces spéciales de l’ANL a publié une déclaration défendant les actes d’al-Warfalli qui auraient eu lieu, selon lui, « sur le champ de bataille ». Des activistes ont indiqué à Human Rights Watch que les trois victimes étaient des combattants touareg d’Ubari qui, quand ils étaient encore vivants, avaient été photographiés alors qu’ils étaient détenus par les forces de l’ANL.

Une autre vidéo non datée montre un homme en treillis pourchassé hors d’un bâtiment par plus d’une douzaine de combattants, pour la plupart vêtus en tenue militaire. Ils le frappent, l’insultent et le projettent au sol, puis se mettent en rang devant lui. Plusieurs d’entre eux l’exécutent ensuite sommairement avec des fusils mitrailleurs. Des activistes de Benghazi affirment que cet incident s’est produit dans le district de Qwarsha à Benghazi. Human Rights Watch n’a pas pu confirmer les circonstances exactes de cet incident.

Les proches des familles qui ont résisté à Benghazi ont également partagé une vidéo de deux sœurs, des enfants, faites prisonnières par des soldats de l’ANL alors qu’elles tentaient de fuir le siège de Ganfouda le 18 mars 2017. Dans la vidéo, un combattant de l’ANL interroge les deux filles qui affirment qu’un combattant de l’ANL les a battues, elles et leur mère, au moment de l’évacuation. Des proches des habitants de Ganfouda affirment que les deux filles ont entre 14 et 15 ans. On ignore désormais où elles se trouvent.

D’autres proches de victimes ont partagé avec Human Rights Watch des informations et des photos de membres de leur famille qui, selon eux, ont été tués en tentant de fuir Ganfouda le 18 mars 2017. Parmi les victimes se trouvaient une fille non identifiée, une femme de 75 ans et un homme de 47 ans. Selon ces proches, les forces de l’ANL ont tué ces trois personnes pendant que les habitants du quartier tentaient de fuir. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier indépendamment ces allégations ou les circonstances exactes de leur décès.

En publiant des déclarations justifiant ces actes barbares, le commandement de l’ANL s’expose aux accusations de crimes de guerre, a averti Human Rights Watch.

« Depuis un certain temps déjà, les forces qui répondent aux ordres de l’Armée nationale libyenne commettent de graves violations des droits humains – et ce sans aucun contrôle et en toute impunité », a affirmé Joe Stork. « Les principaux commandants militaires doivent savoir qu’ils peuvent eux aussi être tenus responsables s’ils n’agissent pas activement pour mettre un terme à ces violations. »

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Le Parisien / AFP    BFMTV.com    AfricaNews

 

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