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En Tunisie, une victime se retrouve derrière les barreaux

Il faut mettre fin aux poursuites judiciaires pour « sodomie » et aux examens anaux forcés

© 2018 Human Rights Watch

Correction/clarification : Contrairement à ce qu’a signalé Human Rights Watch dans un premier temps, les autorités tunisiennes ont arrêté et poursuivi en justice les assaillants présumés ainsi que le plaignant, A.F. Le 11 février, un tribunal a condamné les trois hommes à six mois de prison pour « sodomie », en vertu de l’article 230 du Code pénal. Le tribunal a également condamné les agresseurs présumés à deux mois supplémentaires pour vol et violences. Selon l’un des avocats de la défense, A.F. a retiré ses accusations de viol, à la fois pendant son interrogatoire au poste de police puis lors de sa comparution devant le juge. Selon l’avocat de la défense interrogé par Human Rights Watch, AF a déclaré que les procureurs l’avaient forcé à subir un examen anal pour déterminer s’il avait été victime d’un viol. A.F. fait appel de sa condamnation. Cette tribune a été mise à jour pour refléter ces changements.

Imaginez qu’après avoir subi une agression, vous demandiez l’aide de la police et finissiez par vous retrouver vous-même derrière les barreaux. C’est ce qui est arrivé à A.F., âgé de 22 ans, qui a été arrêté pour comportement homosexuel après s’être rendu en janvier dernier à un poste de police tunisien pour signaler l’agression de deux hommes qu’il avait rencontrés via les réseaux sociaux.

Dans un premier temps, A.F. a déclaré à la police de la ville de Sfax, dans le sud du pays, avoir été victime d’agression, de viol et de vol. Il a ensuite été lui-même arrêté, ainsi que ses assaillants présumés. Selon des informations de source policière, A.F. a ensuite retiré l’allégation de viol et reconnu qu’il avait eu des relations sexuelles consenties avec ces hommes. Il a expliqué qu’il les avait accusés de viol parce qu’il était en colère contre eux pour l’avoir attaqué et volé, et suite à leur refus de le payer pour les rapports sexuels qu’ils avaient eu avec lui.

Le lendemain, la police a soumis A.F. à un examen anal forcé. Le 11 février, le Tribunal de première instance de Sfax a déclaré A.F. coupable de « sodomie », ainsi que ses agresseurs, en vertu de l’article 230 du Code pénal tunisien. A.F. a également été reconnu coupable d’avoir déposé une plainte mensongère pour viol, et ses agresseurs ont été reconnus coupables de vol et d’actes de violence.

L’article 230 du Code pénal tunisien punit la « sodomie » jusqu’à trois ans de prison. L’existence même de cet article est une violation des obligations internationales de la Tunisie en matière de droits humains. Human Rights Watch a documenté la manière dont l’article 230 est également une source d’autres abus. Les recherches menées sur les arrestations pour comportement homosexuel présumé en Tunisie ont montré que la police perquisitionne des domiciles en l’absence de mandat, fouille des téléphones et extorque des aveux. La police place en détention des hommes victimes de viol, les traite comme des criminels et ordonne des examens anaux forcés, en dépit de l’engagement pris par la Tunisie, devant le Conseil des droits de l’homme de l’ONU, de renoncer à cette pratique. Les autorités prétendent parfois que les victimes « consentent » à de tels examens. Mais le consentement d’un détenu à un examen aussi abusif, lorsque son refus peut être interprété comme l’indication d’une culpabilité, n’a qu’une valeur très limitée.

L’affaire à Sfax est complexe, mais la police aurait dû donner la priorité aux torts causés à la victime plutôt qu’aux relations sexuelles consenties, le cas échéant. Une inculpation pour « sodomie » à la fois pour A.F. et ses agresseurs adresse un message effrayant à d’autres victimes, à savoir que si elles sont suspectées d’homosexualité, le signalement d’un crime peut les conduire derrière les barreaux.

La Commission tunisienne chargée des libertés individuelles et de l’égalité a appelé à l’abrogation de l’article 230 et à l’interdiction des examens anaux forcés. Le président Béji Caïd Essebsi, qui a gardé jusqu’à présent le silence sur cette question, devrait défendre les victimes comme A.F. et le droit à la vie privée de tous les Tunisiens.

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