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Le nouveau chef d'Etat saoudien commence dimanche sa première visite officielle en France. Le président Macron pourrait être tenté de dérouler le tapis rouge pour Mohammed Ben Salmane, qui accomplit sa première visite officielle en France. Et pas seulement parce que le prince héritier saoudien débarque muni de son chéquier, avec de possibles juteux contrats à la clé. L’affinité est aussi générationnelle.

Décombres d'immeubles résidentiels bombardés le 25 août 2017 à Sanaa, au Yémen, lors d'une attaque menée par la coalition dirigée par l'Arabie saoudite. Cette attaque a tué au moins 16 civils dont sept enfants, et blessé 17 autres dont huit enfants. © 2017 Mohammed al-Mekhlafi

Emmanuel Macron pourrait aisément se reconnaitre dans le jeune prince saoudien, qui comme lui a bousculé la vieille garde et s’est propulsé au sommet en promettant de réformer son pays en profondeur. Tous deux sont jeunes, pressés, ambitieux et entendent incarner l’image de la modernité.

Mais là s’arrête la comparaison. Car derrière l’image de réformateur audacieux, soigneusement cultivée par le prince héritier saoudien, se cache une sombre réalité : celle d’un dirigeant qui d’une main de fer, en dépit de réformes de façade, a plongé son pays dans une répression accrue et qui, depuis trois ans, conduit au Yémen une intervention militaire implacable, entachée de crimes de guerre.

Malheureusement pour le jeune prince, il est des violations que même les meilleures agences de communication du monde ne peuvent occulter. En tant que ministre de la défense de son pays depuis 2015, MBS, comme on le surnomme, joue un rôle central dans cette guerre qui a tué plus de 6100 civils et en a blessé 9683, la plupart dans les frappes aériennes de la coalition saoudienne qui ont semé la mort et la destruction sur des marchés, des hôpitaux, des mosquées et des écoles. Des bombardements ont frappé des bâtiments qui accueillaient des mariages ou des enterrements.

La coalition étrangle aussi le Yémen à travers un blocus sur un pays en proie, selon l’ONU, à la pire crise humanitaire du monde. Les civils endurent le manque de nourriture, les maladies et ont un besoin urgent d’assistance. La coalition affirme qu’elle cherche à stopper les approvisionnements en armes des rebelles Houtis, mais a aussi rendu extrêmement difficile l’entrée des biens commerciaux et humanitaires par le principal port du pays. Ces restrictions ont contribué à faire de la nourriture, du carburant et des médicaments des denrées rares et hors de prix. En bloquant le principal aéroport, la coalition empêche aussi les civils de partir.

Les violations répétées de la coalition n’ont pas empêché la France, troisième exportateur mondial dans le domaine, de vendre des armes au Royaume saoudien. Human Rights Watch et d’autres organisations de défense des droits humains réclament depuis longtemps un embargo sur les armes à l’encontre du Royaume. Selon une étude commandée par Amnesty International France et l’ACAT, ces ventes d’armes sont très probablement illégales au regard du droit international sur le commerce des armes. Ces contrats sapent la crédibilité de la France en tant que défenseur des droits humains dans le monde et font prendre à ses dirigeants le risque d’être tenus complices des attaques illégales de la coalition.

Sur le front intérieur, le bilan du prince héritier n’est guère meilleur. Les agences de communication, que le Royaume rémunère grassement, font la publicité de sa promesse d’autoriser les femmes saoudiennes à conduire à partir du mois de juin -mais les Saoudiennes ne peuvent toujours pas voyager, obtenir un passeport ni se marier sans l’autorisation d’un homme de la famille. Par ailleurs, les militants saoudiens défendant les droits des femmes, y compris le droit de conduire, continuent d’être harcelés et réduits au silence. Sans compter que l’Arabie saoudite détient toujours l’un des records mondiaux d’exécutions capitales.

La répression à l’encontre des défenseurs des droits humains et de toute forme de dissidence n’a fait que s’accroitre sous l’autorité du prince héritier. En septembre dernier, il a fait arrêter de nombreux dirigeants religieux dissidents et, en novembre, a transformé le Ritz Carlton de Riyad en prison dorée, dans laquelle des dizaines de personnalités, y compris des princes comme lui, ont été retenus sans recours juridiques. A en croire une enquête du New York Times, dix-sept d’entre eux ont été hospitalisés après avoir subi torture et mauvais traitements, destinés à leur extraire plusieurs milliards de dollars de paiements. L’opération a opportunément été présentée comme visant à lutter contre la corruption, mais l’absence de procédure judiciaire lui a donné des airs de campagne d’extorsion.

Etant donné le rôle du jeune prince saoudien dans ces abus, la France devrait faire preuve de sobriété lors de cette visite et s’abstenir de le recevoir en grande pompe. Paris ferait mieux de soutenir des sanctions internationales contre MBS, conformément à la résolution 2140 du Conseil de sécurité de l’ONU, qui prévoit un gel des avoirs et une interdiction de voyager pour les personnes responsables de violations graves des droits de l’homme au Yémen.

Le futur monarque saoudien est pour l’instant protégé par ses puissants alliés au Conseil de sécurité, dont la France est un membre permanent, aux côtés des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Mais si Emmanuel Macron était sincère lorsqu’il a assuré que la France serait engagée «sans cesse» à défendre les droits humains et pouvait «réconcilier le réalisme à la défense de (ses) valeurs», il devrait penser aux victimes du carnage yéménite lorsqu’il rencontrera MBS. Il devrait lui dire clairement, les yeux dans les yeux, que la France ne pourra plus continuer à lui vendre des armes tant que la coalition qu’il mène au Yémen continue de violer allègrement le droit international.

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