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Afghanistan : La Procureure de la CPI demande l’ouverture d’une enquête

Cette enquête pourrait conduire les victimes vers une justice longtemps attendue

(Bruxelles) – La demande d’une enquête en Afghanistan par la Procureure de la Cour pénale internationale le 20 novembre 2017pourrait déboucher sur une voie de justice longuement attendue pour les victimes de crimes internationaux graves, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui, publiant un document de questions et réponses sur la situation. Un groupe de trois juges de la Cour pénale internationale (CPI) décidera maintenant si la CPI peut intervenir en tant que tribunal de dernier recours pour traiter les pires exactions commises en Afghanistan.

Le conflit armé en cours en Afghanistan a entraîné de nombreuses violations des lois de la guerre par les parties belligérantes. Des attaques ciblées contre des civils par les talibans et d'autres insurgés ont causé des milliers de victimes civiles. Le gouvernement afghan n'a pas poursuivi les actes de torture, les viols, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires commises par la police et les forces de sécurité afghanes. Des forces étrangères, notamment l’armée des États-Unis et l'Agence centrale de renseignement (CIA), ont également commis de graves exactions en Afghanistan.

« La demande de la Procureure de la CPI est une sonnette d’alarme pour ceux qui ont cru pouvoir échapper à la justice pour les crimes graves commis en Afghanistan », a déclaré Richard Dicker, directeur du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Enquêter sur les abus commis par toutes les parties, notamment ceux qui impliquent des membres du personnel étatsunien, renforce le message selon lequel, nul n'est au-dessus de la loi quelle que soit la puissance du gouvernement qu’il sert. »

La requête de la Procureure vise à obtenir l'autorisation d'enquêter sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre commis par les talibans et les forces affiliées, les forces de sécurité nationales afghanes, ainsi que par les forces armées étatsuniennes et la CIA. La CPI a compétence sur les crimes internationaux graves commis par quiconque en Afghanistan depuis le 1er mai 2003, date à laquelle l'Afghanistan a adhéré au Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI.

Outre les crimes présumés commis en Afghanistan, un nombre limité de crimes auraient été commis dans des centres de détention clandestins de la CIA en Pologne, en Roumanie et en Lituanie, tous pays membres de la CPI. La Procureure a déclaré que ces crimes présumés « sont suffisamment liés et relèvent des paramètres de la situation actuelle. »

Au cours de la dernière décennie, les talibans ont mené de nombreuses attaques suicide et d'autres attaques délibérées contre des milliers de civils. Les victimes d'assassinats ont compris des juges, des législateurs, des aînés de la communauté et des journalistes, soit par des attaques suicides, soit par des engins explosifs ciblant des véhicules ou des bâtiments utilisés par ces civils. Parce qu'ils refusent de reconnaître la définition internationalement reconnue du terme « civil », les talibans revendiquent et justifient même ces attaques. Certains groupes insurgés, notamment ceux qui se sont affiliés à l'État islamique, également connu sous le nom d'ISIS, ont mené des attaques contre des écoles.

Human Rights Watch a documenté de graves violations des droits humains, notamment des exécutions sommaires, des disparitions forcées, ainsi que des actes de torture systématiques commis par les forces gouvernementales afghanes, en particulier la Direction nationale de la sécurité (NDS), la Police nationale afghane et la Police locale afghane. Les actes de torture ont compris des chocs électriques, des passages à tabac sévères, des trous percés dans la tête des détenus, des suspensions pendant des périodes prolongées ainsi que l’immersion forcée dans l'eau. Les Nations Unies ont documenté une tendance continue et systématique de torture dans les centres de détention du gouvernement afghan. Les milices financées et soutenues par le gouvernement ont également attaqué des civils.

L'impunité pour ces crimes présumés reste la norme. En 2017, le gouvernement afghan a engagé des poursuites contre un membre important du gouvernemental pour avoir enlevé et agressé un rival politique, et a sanctionné un certain nombre d'autres membres et officiers de la sécurité. Mais aucun haut responsable de l'Armée nationale afghane, de la Police nationale afghane ou de la NDS, y compris ceux qui ont été désignés dans les rapports d’organisations de droits humains, n'a fait l’objet de poursuites.

La demande de la Procureure fait une évaluation similaire, constatant qu'aucune enquête ou poursuite nationale n'a été menée ou n’est en cours contre ceux qui semblent les plus responsables des crimes présumés commis par les talibans ou les forces de sécurité nationales afghanes.

La demande de la Procureure comprend également des crimes présumés commis par les forces armées des États-Unis et par la CIA. Depuis l'invasion menée par les États-Unis contre l'Afghanistan à la fin de 2001, Human Rights Watch et d’autres ont documenté des actes de torture ainsi que d'autres abus graves de la part de la CIA et de l'armée étatsunienne, notamment des passages à tabac sévères, des jours de privation de sommeil prolongée associée à des positions stressantes douloureuses, le confinement dans de petites boîtes, la nudité forcée, la privation de nourriture et d'eau, le simulacre de noyade ainsi que l'exposition à des températures extrêmement froides qui, dans au moins un cas, ont entraîné la mort. Les États-Unis n'ont pas enquêté sur ces exactions de manière approfondie ou crédible, ce qui a permis aux personnes portant la plus grande responsabilité d'échapper à la justice.

Dans sa requête, la Procureure a déclaré avoir « été incapable d'obtenir des informations ou des preuves spécifiques avec un degré suffisant de spécificité et de valeur probante qui démontre que des poursuites ont été engagées sur des cas présumés d’abus à l’encontre de détenus qui auraient été commis par des membres des forces armées des États-Unis en Afghanistan. » En outre, la Procureure estime qu'aucune enquête ou poursuite nationale n'a été menée ou n’est en cours contre ceux qui semblent les plus responsables des crimes présumés commis par la CIA.

Des enquêtes sont en cours en Pologne, en Roumanie et en Lituanie et la Procureure a indiqué que si une enquête était ouverte, elle continuerait de suivre l'évolution des procédures, de vérifier si elles concernent les mêmes personnes et les mêmes actes que ceux intéressant la CPI, et si ces efforts sont véritables.

« Très peu des responsables de crimes horribles commis en Afghanistan n’ont eu jusqu’ici à en subir les conséquences», a déclaré Richard Dicker. « Si elle est approuvée, une enquête de la CPI pourrait changer cette triste réalité et accorder aux victimes une certaine justice. »

En novembre 2016, la Procureure a déclaré dans un rapport que son bureau prendrait la décision finale de demander ou pas l'autorisation d'ouvrir une enquête « de façon imminente ». Depuis lors, cependant, les autorités de Kaboul ont envoyé de nouvelles informations « substantielles » au Bureau du procureur, qui devaient être examinées avant que ne soit prise une décision finale. Dans sa requête, la Procureure souligne que le calendrier de sa demande a été affecté par « des contestations dans la vérification des allégations relatives au champ de compétences » et « des questions liées à l'existence et/ou à l'authenticité de procédures nationales pertinentes. »

Selon les règles de la CPI, les victimes de crimes doivent être informées de la requête de la Procureure d’ouvrir une enquête. Les juges ont fixé la date limite du 31 janvier 2018 pour que les victimes soumettent leurs opinions à la Cour.

Si elle est autorisée par la Cour, une enquête en Afghanistan sera la deuxième situation de pays en dehors de l'Afrique. En 2016, les juges de la CPI ont ouvert une enquête en Géorgie concernant le conflit de 2008 avec la Russie sur l'Ossétie du Sud. D'autres situations en cours d'enquête sont le Burundi, la Côte d'Ivoire, le Darfour, le Kenya, la Libye, le Mali, l'Ouganda,  la République centrafricaine et la République démocratique du Congo.

Depuis 2009, la CPI a fait face à une réaction de la part d'une minorité vocale de dirigeants africains affirmant que la CPI cible injustement l'Afrique. Contrairement à cette critique, la plupart des enquêtes ont été initiées à la demande des gouvernements africains. En octobre et en novembre 2016, l'Afrique du Sud, le Burundi et la Gambie ont pris des mesures sans précédent pour se retirer de la CPI, bien que la Gambie ait fait marche arrière et que le retrait de l'Afrique du Sud soit au point mort depuis que les tribunaux sud-africains ont jugé que le gouvernement n'a pas suivi les étapes nécessaires. D'autres États africains se sont également prononcés pour réaffirmer leur engagement envers la Cour.

Parallèlement, un grand nombre de pays puissants et leurs alliés ont réussi à rester hors de portée de la CPI, notamment en ne rejoignant pas la Cour, a déclaré Human Rights Watch.

« Les juges de la CPI sont tenus d'évaluer la demande de la Procureure sur le fond », a déclaré Richard Dicker. « Dans le même temps, une enquête en Afghanistan est un rappel important de la portée mondiale de la Cour et que la nationalité d'un individu ne devrait pas être utilisée comme un bouclier contre la justice. »

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Avril 2019

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