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Syrie : Des frappes aériennes menées par la coalition ont tué de nombreux civils près de Raqqa

Le caractère inadéquat des précautions prises par la coalition dirigée par les États-Unis suscite des inquiétudes

Les décombres d'un marché et d'une boulangerie à Tabqa, dans le nord de la Syrie, suite à une frappe aérienne probablement menée par les forces de la coalition dirigées par les États-Unis, le 22 mars 2017. © 2017 Ole Solvang/Human Rights Watch

(Washington) – Deux attaques aériennes effectuées en mars près de Raqqa, en Syrie, ont causé la mort d'au moins 84 civils, dont 30 enfants, et suscitent des inquiétudes quant au fait que les forces de la coalition dirigée par les États-Unis qui lutte contre le groupe extrémiste armé État islamique (EI) n'avaient pas pris de précautions adéquates pour minimiser les victimes civiles, a déclaré Human Rights Watch dans un rapport publié aujourd'hui. Les conclusions de ce rapport sont basées sur les résultats d'une enquête effectuée sur le terrain sur ces attaques.

Ce rapport de 42 pages, intitulé « All Feasible Precautions? Civilian Casualties in Anti-ISIS Coalition Airstrikes in Syria » (« Toutes les précautions possibles ?: Les frappes aériennes de la coalition contre l'EI en Syrie font des victimes parmi les civils »), documente des attaques menées par la coalition en mars contre une école abritant des familles déplacées à Mansourah et contre un marché et une boulangerie à Tabqa, deux bourgades situées à l'ouest de la ville de Raqqa. Human Rights Watch a constaté que des combattants de l'EI se trouvaient effectivement sur place mais que des dizaines, peut-être même des centaines, de civils s'y trouvaient aussi. La coalition devrait effectuer sans tarder des enquêtes exhaustives et impartiales sur ces attaques, faire tout son possible pour éviter de lancer de nouvelles attaques dans les mêmes conditions et fournir des indemnités ou des versements de compensation aux personnes qui ont subi des pertes à cause des opérations de la coalition, a affirmé Human Rights Watch.

« Ces attaques ont causé la mort de dizaines de civils, dont des enfants, qui avaient trouvé refuge dans une école ou qui faisaient la queue pour acheter du pain dans une boulangerie », a déclaré Ole Solvang, directeur adjoint de la division Urgences à Human Rights Watch. « Si les forces de la coalition ne savaient pas que des civils se trouvaient sur ces sites, elles devraient réexaminer très soigneusement les renseignements qu'elles utilisent pour identifier leurs cibles car il est clair qu'en l'occurrence ils étaient défectueux. »

Human Rights Watch a également enquêté sur trois autres attaques menées dans la même zone et qui ont fait un nombre significatif de victimes civiles.

Toutes ces attaques ont eu lieu alors que les forces de la coalition et leurs alliés sur le terrain menaient une offensive militaire de grande ampleur pour conquérir Raqqa, la capitale de facto de l'EI. Human Rights Watch a visité les sites visés du 1er au 4 juillet, s'entretenant avec 16 habitants, dont des survivants, des témoins, des premiers secouristes et des membres du personnel médical.

Toutes les personnes interrogées ont affirmé que, si des membres de l’EI se trouvaient effectivement sur les lieux, des dizaines de civils y étaient aussi. Elles ont ajouté que l'école de Mansourah abritait un grand nombre de civils, dont beaucoup n'étaient absolument pas affiliés à l’EI, et que le marché de Tabqa, qui comprenait une boulangerie, servait essentiellement des civils, dont un grand nombre faisaient la queue devant la boulangerie au moment de l'attaque.

La Force opérationnelle combinée de la coalition anti-EI a reconnu avoir attaqué l'école de Mansourah, affirmant avoir visé ce qu'elle pensait être un quartier général et entrepôt d'armes de l’EI et qu'aucun civil ne s'y trouvait. Bien que la force opérationnelle affirme qu'elle poursuit son évaluation des allégations selon lesquelles les avions de la coalition ont tué des dizaines de civils dans l'attaque du marché de Tabqa, les circonstances de cette attaque ne permettent guère de penser que la coalition n'en soit pas l'auteur.

Le droit international stipule que les parties à un conflit sont tenues à tout moment de prendre toutes les précautions pour éviter dans toute la mesure du possible, et en tout cas pour minimiser, les victimes civiles. En cas de doute sur le point de savoir si une personne est un civil, elle doit être considérée comme civile. Quand des civils sont présents sur le site d'un objectif militaire, les forces de la coalition devraient déterminer que les dommages qui seront causés aux civils ou aux biens civils par une attaque en préparation seront proportionnels et non excessifs par rapport aux avantages militaires concrets et directs espérés de cette attaque.

Si les forces de la coalition n'ont pas été en mesure de détecter la présence de dizaines, voire de centaines, de civils sur ces deux sites, cela suscite de graves inquiétudes quant à la manière dont elles vérifient si des civils se trouvent à proximité d'une de leurs cibles et pose la question de savoir si elles ont pris toutes les précautions possibles pour minimiser les dommages subis par les civils. Cela soulève également des questions sur la manière dont la coalition détermine si une personne est un civil ou un combattant, et si les forces de la coalition se sont conformées ou non à l'obligation de considérer une personne comme civile s'il existe un doute sur son statut et à leur obligation de faire une distinction entre civils et combattants.

Si les forces de la coalition savaient que des civils étaient présents mais ont décidé de lancer l'attaque quand même, elles ont peut-être violé le principe de proportionnalité.

Ces attaques ne sont pas isolées. Par exemple, le 16 mars 2017, des avions américains ont bombardé une mosquée près d'al-Jinah, à l'ouest d'Alep, tuant des dizaines de personnes que les habitants ont par la suite identifiées comme étant des civils. L'autorité qui a approuvé les frappes ignorait que la cible était une mosquée, selon l'enquête militaire menée après l'incident. Cependant, les auteurs de cette enquête ont démenti la présence de grands nombres de civils et ont uniquement reconnu la mort probable d'un seul civil.

Dans une correspondance avec Human Rights Watch, les forces de la coalition ont affirmé qu'il n'y avait eu aucun changement dans les règles d'engagement de la coalition ni dans son respect des lois de la guerre. Mais le secrétaire à la Défense américain, James Mattis, a déclaré que le président Donald Trump avait ordonné à ses forces armées d'accélérer la campagne contre l’EI et de déléguer l'autorité d'approuver les frappes aériennes à un niveau hiérarchique inférieur; James Mattis a affirmé que ceci permettrait à ses forces « d'intervenir agressivement et en temps voulu contre les vulnérabilités de l'ennemi. » La précédente administration américaine avait effectué des changements similaires en décembre 2016.

En l'absence de plus amples détails au sujet de ces changements, il est difficile d'évaluer leurs effets avec précision. Toutefois, la coalition doit s'assurer de manière constante que déléguer l'autorité d'ordonner les frappes à un niveau hiérarchique inférieur afin d'attaquer l'ennemi « plus agressivement » ne réduit pas l'étendue ou l'efficacité des précautions prises par les forces de la coalition pour minimiser les dommages subis par les civils.

Les cas qui ont été documentés par Human Rights Watch illustrent les limites de la méthodologie utilisée par les forces de la coalition pour évaluer si leurs frappes aériennes ont fait des blessés ou des morts parmi la population civile. Dans les deux cas sur lesquels la coalition avait effectué des évaluations au moment de la publication de ce rapport – l'attaque du 20 mars contre l'école de Mansourah et une attaque menée antérieurement contre le marché de Tabqa en décembre – la coalition a affirmé que les allégations concernant des victimes civiles n'étaient pas crédibles. Les informations fournies par les forces de la coalition laissent penser que celles-ci n'ont pas visité les lieux après les frappes ni interrogé des habitants et des témoins, alors même que la zone était sous le contrôle de forces alliées depuis des semaines.

« Si la coalition avait visité les sites des frappes et avait interrogé des témoins, elle aurait recueilli de nombreuses preuves que des civils avaient été tués dans ces attaques », a affirmé Ole Solvang. « La coalition devrait faire comme nous, effectuer des enquêtes approfondies et trouver les moyens de donner davantage d'exactitude à leurs évaluations des victimes civiles. »

 

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