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Démocratie et droits humains en République démocratique du Congo

Témoignage devant la Commission Tom Lantos des droits de l’homme (Congrès des États-Unis)

Monsieur le Coprésident McGovern, monsieur le Coprésident Pitts, membres de la Commission, merci pour de m’avoir invitée à témoigner. Cette audition survient à un moment critique en République démocratique du Congo. Moins de trois semaines avant le 19 décembre, date butoir marquant la fin du second et dernier mandat du Président Joseph Kabila autorisé par la constitution, celui-ci n’a toujours pas pris d’engagement clair sur son retrait du pouvoir. Parallèlement, la répression du gouvernement contre les activistes pro-démocratie, l’opposition politique, les manifestants et les médias s’est intensifiée à une vitesse alarmante. Le soi-disant « dialogue national », qui a reporté les élections au moins jusqu’en avril 2018, a été rejeté par la plupart des dirigeants principaux de l’opposition et de la société civile et n’a pas permis d’apaiser les tensions. L’Église catholique poursuit ses efforts de médiation pour atteindre un accord politique plus inclusif, mais le temps commence à manquer et le Président Kabila semble de plus en plus récalcitrant.
 

Les dirigeants d’opposition et les activistes pro-démocratie ont appelé les Congolais à descendre dans les rues si Joseph Kabila restait à son poste au-delà de son mandat. Les manifestations passées laissent penser que les forces de sécurité seront présentes, promptes à faire un usage excessif de la force, y compris létale. Il y a des risques que les dirigeants politiques mobilisent les dizaines de groupes armés actifs dans l’est de la RD Congo à des fins politiques ou que les forces de sécurité nerveuses du pays se brisent si Joseph Kabila s’appuyait sur la force pour rester au pouvoir. Le pays pourrait s’enfoncer dans une violence généralisée et dans le chaos, avec de possibles répercussions volatiles dans toute la région. C’est pour cette raison que je suis ici aujourd’hui. Je souhaite exposer devant le Congrès la gravité de la situation et le rôle important que le gouvernement des États-Unis peut jouer pour aider à éloigner la RD Congo du bord du précipice.

Depuis janvier 2015, les autorités congolaises ont arrêté arbitrairement des dizaines d’activistes et de dirigeants d’opposition, dont certains ont été détenus au secret par les services de renseignements pendant des semaines ou des mois, subissant de mauvais traitements ou de la torture, tandis que d’autres étaient assignés en justice sur la base de chefs d’accusation fallacieux. Des activistes de la jeunesse pro-démocratie, tels que Fred Bauma qui est présent aujourd’hui, ont été accusés de complots terroristes et détenus au secret pendant près d’un an et demi, en dépit de l’indignation publique générale. Le gouvernement a fermé des médias congolais proches de l’opposition. À ce jour, au moins six d’entre eux sont toujours fermés. Le signal de Radio France Internationale (RFI), le média international le plus important en RD Congo, est coupé depuis le 5 novembre, à Kinshasa.

À travers le pays, des représentants du gouvernement et des forces de sécurité ont interdit à plusieurs reprises des manifestations de l’opposition et ont tiré du gaz lacrymogène et à balles réelles sur des manifestants pacifiques. En septembre, lors de l’une des répressions les plus meurtrières, les forces de sécurité ont tué au moins 66 manifestants, et probablement bien plus, à Kinshasa, la capitale. Certaines de ces victimes ont péri carbonisées lorsque la Garde républicaine chargée de la sécurité du Président a attaqué les sièges de partis d’opposition. Les corps de nombreuses victimes ont été emportés par les forces de sécurité ; certains ont été jetés dans le Congo et retrouvés plus tard échoués sur les rives du fleuve.

Participants à une séance d’auditions tenue par la Commission des droits de l'homme Tom Lantos au Congrès des États-Unis le 29 novembre 2016 sur la crise en RD Congo. En haut (de g, à d.) : Fred Bauma, Mvemba Phezo Dizolele, Ida Sawyer. En bas (de g, à d.) : Sasha Lezhnev, Tom Malinowski, Tom Perriello. © 2016 Timo Mueller/Human Rights Watch

Le gouvernement des États-Unis, y compris le Congrès, a joué un rôle moteur dans les actions menées auprès du Président Kabila pour l’inciter à respecter la Constitution et dans le soutien apporté aux activistes congolais et autres ciblés par la répression du gouvernement. Le travail de l’envoyé spécial Thomas Perriello et d’autres personnes de l’administration Obama, ainsi que l’attention apportée à la crise par le Sénat et la Chambre des représentants, notamment par de multiples résolutions, des auditions et des lettres, ont été cruciaux. Bien qu’il reste peu de temps, il y a encore beaucoup à faire au cours des trois semaines à venir afin d’éviter que la situation devienne complètement incontrôlable.

La résolution bipartite adoptée par le Congrès le 15 novembre a appelé l’administration Obama à annoncer immédiatement une nouvelle série de sanctions ciblées, y compris contre des responsables de plus haut niveau du gouvernement et des renseignements impliqués dans des abus. L’administration devrait écouter attentivement cet appel et sanctionner le directeur de l’agence de renseignements Kalev Mutond ; le vice-Premier ministre Évariste Boshab et le commandant de la Garde républicaine, le général Ilunga Kampete.

Je me trouvais à Kinshasa lorsque les États-Unis ont imposé leur première série de sanctions ciblées contre la RD Congo et je peux vous assurer qu’elles ont eu un effet dissuasif notable et ont ébranlé les personnes impliquées dans des abus. Il semblait que quiconque faisant partie de la classe politique et des hauts représentants des forces de sécurité parlait de « la liste » : qui était dessus, qui serait sanctionné ensuite et ce qu’ils pouvaient faire pour être retirés de la liste. Lorsqu’un demi-million de personnes, selon les estimations, se sont rendues dans les rues de Kinshasa quelques semaines plus tard pour accueillir une figure importante de l’opposition et pour exhorter le Président Kabila à quitter ses fonctions à la fin de son mandat, pour une fois les forces de sécurité se sont comportées correctement : pas un seul incident de sécurité n’a été signalé. Plus tard, des représentants du gouvernement m’ont dit qu’ils avaient fait des efforts délibérés pour freiner les forces de sécurité afin de ne pas être ajoutés à la liste des sanctions. L’effet dissuasif n’a toutefois pas duré éternellement et l’impact serait plus important si le gouvernement des États-Unis montrait maintenant qu’il a l’intention de monter plus haut dans la chaîne de commandement.

Nous comprenons qu’il puisse y avoir un intérêt à attendre l’Union européenne avant d’annoncer la prochaine série de sanctions. Bien entendu, une action conjointe serait idéale. Mais retarder ces mesures parce que les Européens ne seraient pas prêts à aller plus loin constitue une mauvaise raison pour ne pas avancer, d’autant que la future administration américaine n’a pas indiqué comment elle procédera.

Le Congrès devrait continuer ses déclarations publiques, que ce soit par des membres individuels ou par comité, tout en encourageant l’administration à adresser des messages publics forts pour dénoncer la répression politique et d’autres violations graves des droits humains. Il est important d’exhorter le gouvernement congolais à libérer immédiatement tous les prisonniers politiques, à mettre fin aux poursuites à motivation politique, à rouvrir les médias fermés arbitrairement et à veiller à ce que le droit au rassemblement pacifique soit respecté.

Le Congrès et l’administration devraient également inciter la Mission de l’ONU pour la stabilisation en RD Congo (MONUSCO) à appliquer de façon plus proactive son mandat de protection des civils pendant les périodes de violence politique ainsi que des individus particulièrement vulnérables, comme les activistes, les leaders de l’opposition et les journalistes. Le Congrès a un rôle particulièrement important à jouer dans le futur en s’assurant que rien ne change dans le soutien de longue date apporté à la MONUSCO par les États-Unis. Il est peut-être trop tard pour cet exercice vu que la loi sur le budget sera probablement adoptée dans les semaines à venir, mais lorsque le budget de l’exercice 2018 sera abordé, il sera crucial de maintenir le soutien actuel et de veiller à ce que la mission ne soit pas entravée par un manque de financement.

Le Congrès devrait aussi travailler avec l’administration pour s’assurer que les fonds nécessaires soient prévus pour les défenseurs des droits humains menacés et qu’une réaction rapide soit prévue en termes de visa pour ceux devant quitter le pays si la répression du gouvernement et les attaques ciblées devaient s’intensifier.

La Maison-Blanche et le Département d’État devraient envisager d’appuyer la « feuille de route » sur les moyens de surmonter la crise politique proposée par une coalition de 173 mouvements citoyens et organisations congolaises de défense des droits humains et de la société civile. Cette coalition appelle le Président Kabila à quitter ses fonctions le 19 décembre et le président du Sénat à assurer l’intérim de la présidence, en vertu des articles 75 et 76 de la constitution congolaise, le temps que des élections présidentielles soient organisées.

Si le Président Kabila ne se retirait pas, il est essentiel que le Congrès et l’administration travaillent ensemble pour veiller à adresser le même message selon lequel il devrait, au minimum, s’engager publiquement à se retirer à une date spécifique avant fin 2017. Il devrait ensuite y avoir des mesures claires et spécifiques visant à veiller au respect de ces engagements, et un dialogue réellement inclusif devrait être tenu pour atteindre un large consensus sur l’organisation de futures élections, pour définir l’autorité de transition, et pour mettre en place des mesures visant à veiller au respect du nouveau calendrier et de la liberté d’expression et de rassemblement pendant la période électorale. Si un accord était trouvé, un leadership diplomatique fort des États-Unis et une aide technique pour le processus électoral seront cruciaux pour veiller au respect des engagements et à ce que le processus débouche réellement sur des élections crédibles. Le Congrès devrait s’assurer que des fonds adéquats et spécifiques soient mis à disposition pour ces tâches. 

Les membres du Congrès des deux partis auront également intérêt à garantir que la prochaine administration Trump commence à réfléchir stratégiquement à la façon de dialoguer avec le Président Kabila s’il restait au pouvoir de force sans engagement public clair sur la date à laquelle il quittera ses fonctions et sans large consensus sur l’organisation d’une période de transition jusqu’aux élections. Un retour au statu quo serait un véritable revers et le Congrès entrant devrait prendre toutes les mesures possibles pour s’assurer que l’administration Trump ne revienne pas à un partenariat « normal ».

Le Congrès devrait promouvoir les mesures à long terme suivantes, si Joseph Kabila se maintenait de force :

  • Ajouter de nouvelles sanctions plus haut dans la chaîne de commandement contre les personnes impliquées dans des abus et entravant le processus démocratique.
  • Suspendre le soutien direct des États-Unis au gouvernement congolais, y compris dans le secteur de la justice et pour les forces de sécurité.
  • Envisager le refus des visas américains pour les représentants du gouvernement congolais et les agents des forces de sécurité.
  • Bloquer l’aide bilatérale au processus électoral et le soutien au gouvernement congolais apporté par des institutions multilatérales telles que la Banque mondiale et le Fonds monétaire international, à moins qu’un calendrier électoral clair soit en place, qu’une volonté politique de l’appliquer soit démontrée et que l’espace politique soit ouvert.
  • Soutenir les efforts visant à enquêter sur les hauts responsables du gouvernement congolais et des forces de sécurité auteurs de graves violations des droits humains ou de corruption à grande échelle et à les poursuivre en justice comme il se doit.

Les membres du Congrès devraient travailler étroitement avec l’administration entrante pour promouvoir des messages clairs et cohérents selon lesquels, en dépit de ce que les personnes proches de Joseph Kabila ont espéré, la politique américaine vis-à-vis de la RD Congo ne changera pas radicalement après le départ du président Obama et le leadership des États-Unis continuera, y compris par la désignation d’un nouvel envoyé spécial pour la région des Grands Lacs d’Afrique. 

Par le même temps, les représentants de la Maison-Blanche et du Département d’État devraient travailler avec les dirigeants de la région et les hauts représentants de l’Église pour montrer au Président Kabila qu’il existe une porte de sortie et que, s’il se retirait à la fin de son mandat, sa sécurité et celle de sa famille seraient assurées.

Le Congrès devrait continuer à user de son influence et à veiller à ce que les États-Unis jouent un rôle clé dans la consolidation de la démocratie, de l’état de droit et dans le transfert pacifique du pouvoir dans ce pays, dont la stabilité est cruciale pour l’ensemble de l’Afrique. Il devrait envoyer un message fort au Président Kabila pour lui indiquer que la violation des droits des Congolais coûte cher, avant qu’il n’y ait d’autres effusions de sang et qu’il ne soit trop tard pour changer le cours des événements.

Je vous remercie.

 

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