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Burundi : Des viols collectifs commis par des jeunes du parti au pouvoir

Des attaques visant des proches d’opposants présumés ont été perpétrées par des membres de la ligue des jeunes et par des policiers

(Nairobi) – Des membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir au Burundi, les Imbonerakure, ont à maintes reprises violé collectivement des femmes depuis qu’une vague de manifestations politiques a commencé en 2015, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Nombre de ces viols semblent avoir pris pour cible des membres de familles d’opposants présumés au gouvernement. Des policiers ou des hommes vêtus d’uniformes de police ont également commis des viols.

Des réfugiés burundais se rassemblent sur les rives du Lac Tanganyika à la lisière du village de Kagunga, à Kigoma, dans l'ouest de la Tanzanie, le 17 mai 2015.   © 2015 Reuters


De manière comparable dans de nombreux endroits et dans plusieurs provinces, des hommes munis d’armes à feu, de bâtons ou de couteaux ont violé des femmes lors d’attaques menées à leurs domiciles, le plus souvent de nuit. Des hommes des familles de ces femmes, dont certains étaient membres de partis d’opposition, ont également été pris pour cible et certains ont été tués ou enlevés. Des survivantes ont fait état non seulement de blessures immédiates mais aussi de séquelles à plus long terme, y compris des maladies sexuellement transmissibles, des grossesses non désirées, ainsi que des symptômes d’anxiété et de dépression. Les femmes n’ont pas non plus été à l’abri du viol dans les camps de réfugiés, et les services pour leur venir en aide sont insuffisants et doivent être mieux financés. La police tanzanienne travaillant dans les camps devrait veiller à ce que tous les cas de viol fassent l’objet d’enquêtes approfondies.

« Des agresseurs de la ligue des jeunes du parti au pouvoir au Burundi ont ligoté, sauvagement battu, et violé collectivement des femmes, souvent alors même que leurs enfants se trouvaient à proximité », a déclaré Skye Wheeler, chercheuse sur les situations d'urgence auprès de la division Droits des femmes de Human Rights Watch. « De nombreuses femmes subissent des séquelles physiques et psychologiques à long terme. »

Human Rights Watch a mené des entretiens avec plus de 70 victimes de viol en mai 2016 dans le camp de réfugiés de Nduta dans l’ouest de la Tanzanie. Nduta est l’un des trois camps tanzaniens, qui abritent 140 000 réfugiés burundais. 

Des dizaines de femmes ont dit avoir été violées chez elles ou à proximité de leur maison. Quatorze d’entre elles ont affirmé avoir reconnu au moins l’un de leurs agresseurs comme étant un Imbonerakure. Dans certains autres cas, elles ont indiqué que les violeurs étaient vêtus d’uniformes de police. Dans d’autres cas, elles n’ont pu déterminer qui étaient leurs agresseurs.

Une femme âgée de 36 ans a expliqué qu’elle avait été violée dans le quartier de Mutakura à Bujumbura, la capitale, en octobre 2015 : « J’étais maintenue par les bras et les jambes. [Un agresseur] a dit : ‘On va la tuer, c’est la femme d’un FNL (Forces nationales de libération, parti d’opposition) tandis qu’ils me violaient. »



Trois Imbonerakure l’ont violée, a-t-elle déclaré, dont un homme qu’elle dit avoir reconnu comme ayant patrouillé dans le quartier. Les Imbonerakure avaient harcelé verbalement son mari, membre des FNL, au cours de plusieurs visites à leur domicile ayant précédé l’attaque durant laquelle les hommes l’ont emmené. Le corps de son mari a été retrouvé le lendemain dans un fossé loin de la maison. Comme nombre d’autres personnes interrogées par Human Rights Watch, la victime a dit qu’elle avait encore du mal à dormir et qu’elle avait des flashbacks de l’agression.

Certains viols semblent avoir été commis afin de dissuader des personnes de fuir le Burundi. Six femmes ont indiqué avoir été violées du côté burundais de la frontière tanzanienne par des individus dont elles pensaient qu’ils étaient des Imbonerakure ou dont elles savaient qu’ils étaient des policiers burundais, entre mi-2015 et début 2016. Les agresseurs ont ordonné aux victimes de rentrer chez elles, ou les ont harcelées verbalement pour avoir tenté de s’enfuir. Seize autres personnes ayant tenté de fuir ont fait état d’extorsion, de passages à tabac, de harcèlement verbal ou de détention par des Imbonerakure ou par des policiers. D’autres viols ont peut-être été commis de manière opportuniste.

Human Rights Watch a écrit au président du parti au pouvoir, Pascal Nyabenda, le 12 juillet 2016, sollicitant sa réponse aux allégations de viol commis par des Imbonerakure, mais ce courrier est resté sans réponse.

De nombreuses femmes ont fui le Burundi immédiatement après avoir été violées, avant d’avoir pu recevoir des services médicaux d’urgence. Human Rights Watch a constaté que dans de nombreux cas ces femmes n’avaient pas été identifiées comme victimes de viol à leur arrivée dans les camps de transit humanitaires du côté tanzanien de la frontière. De ce fait, elles n’ont pas reçu de soins d’urgence pour exposition au VIH ni de contraception d’urgence, qui font partie des normes minimales de l’Organisation mondiale de la Santé pour la gestion clinique des victimes de viol.

L’une des femmes n’ayant pas reçu ces soins d’urgence s’est retrouvée enceinte à la suite du viol subi. Une autre a découvert ultérieurement qu’elle était séropositive. Toutes deux ont indiqué qu’il n’y avait pas de moyen évident de signaler les viols dans les camps de transit. Des travailleurs humanitaires ont expliqué à Human Rights Watch qu’ils poursuivaient la formation du personnel aux postes frontières, qu’ils avaient stocké des médicaments à la frontière et qu’ils essayaient d’augmenter le nombre du personnel féminin s’y trouvant, afin d’encourager les femmes à signaler les violences sexuelles.

Les personnes ayant fui vers la Tanzanie ne sont pas à l’abri de la violence sexuelle dans les camps de réfugiés, où le nombre élevé de viols est alarmant, notamment les viols d’enfants. Des femmes et des filles ont été violées aussi bien à l’intérieur des camps que dans les endroits à l’extérieur où elles vont chercher du bois pour le feu ou bien des marchandises destinées au marché. Ces viols représentent souvent jusqu’à trois ou quatre cas par semaine. Les femmes ont indiqué que les agresseurs comprenaient d’autres réfugiés burundais ainsi que des Tanzaniens. Des travailleurs humanitaires ont confié à Human Rights Watch qu’ils étaient préoccupés par le nombre élevé de viols d’enfants.

Les victimes ont déclaré que les organisations d’aide assurant des services dans les camps ne fournissent pas de services d’assistance psychologique ni de soins post-traumatiques suffisants. Le Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) a indiqué que les pays bailleurs de fonds ont fourni moins de 40 % des fonds nécessaires à l’aide aux réfugiés du Burundi en Tanzanie.

Selon le HCR, de mai à septembre 2015, 323 personnes (264 femmes et 59 filles) ont signalé au personnel humanitaire de Nyaragusu des cas de viol ou d’agression sexuelle s’étant produits au Burundi, notamment alors qu’elles tentaient de fuir. Nyaragusu est le premier et le plus vaste camp tanzanien de réfugiés accueillant des Burundais. Le HCR a indiqué que sur la totalité des incidents signalés entre juin et octobre 2015, selon les femmes, 16 auraient été le fait de membres de la police et 177 auraient été perpétrés par d’autres membres des forces de sécurité ou par des Imbonerakure.

Plus de 170 personnes ont signalé des viols au Burundi ou au cours de leur fuite aux travailleurs humanitaires dans les deux camps tanzaniens les plus récents, Nduta et Mtendeli, depuis leur ouverture à la fin de l’année dernière, selon le HCR. Il est possible que certaines femmes aient pu signaler des viols deux fois si elles sont allées de Nyaragusu aux nouveaux camps. Les cas de viol signalés pourraient ne représenter qu’une partie du véritable total. Des membres du personnel médical d’organisations humanitaires ont indiqué à Human Rights Watch que selon eux de nombreuses femmes ne signalent pas les viols, sauf si elles ont besoin de soins pour des problèmes médicaux durables.

Certaines des femmes interrogées ont mentionné des relations tendues entre Tutsis et Hutus dans le camp, et souvent entre des familles ou même au sein de celles-ci. Certaines ont dit craindre d’éventuelles attaques de la part d’Imbonerakure qui selon elles se trouvaient à Nduta pour cibler et harceler les gens. Human Rights Watch n’a pas été en mesure de vérifier ces affirmations.

Le HCR finance la police tanzanienne dans les camps de réfugiés. Le poste de police du camp de Nduta compte parmi son personnel au moins trois femmes travaillant à un « bureau du genre » qui encourage les femmes à signaler les abus. Plusieurs personnes interrogées ont indiqué qu’elles appréciaient les efforts de la police tanzanienne, notamment le placement en détention des criminels présumés, même s’il ne s’agissait parfois que de courtes périodes.

Dans d’autres cas, toutefois, des femmes ont affirmé que la police tanzanienne ne semblait pas s’intéresser à trouver les coupables si les femmes avaient été agressées à l’extérieur du camp de Nduta, ou bien qu’elle n’avait pas tenté sérieusement d’arrêter les agresseurs dans le camp. Une organisation d’assistance juridique, le Women’s Legal Aid Center (WILAC), qui travaille à Nduta, a indiqué que cinq individus avaient été officiellement mis en accusation pour viol depuis l’ouverture de Nduta en octobre. Quatre d’entre eux ont été déclarés non coupables, et une affaire était en cours à la fin mai. Il y a eu deux inculpations pour violence domestique.

Les services d’avortement ne sont légalement accessibles en Tanzanie que pour sauver la vie d’une femme. Cette loi très restrictive signifie que les femmes enceintes comme conséquence d’un viol sont contraintes d’avoir les enfants. Les prestataires de soins médicaux devraient recourir à l’exception de l’interdiction dans la plus grande mesure du possible et ils devraient considérer le fait qu’une femme choisisse un avortement dangereux, ou le suicide, comme une conséquence mettant sa vie en péril. Le gouvernement tanzanien devrait modifier ses lois pour rendre l’avortement accessible à toutes les femmes, ou tout au moins aux victimes de viol.

En 2015 et 2016, Human Rights Watch a documenté la façon dont des membres de la police et des services de renseignement du Burundi, ainsi que des Imbonerakure, s’en sont pris aux opposants présumés, ayant recours aux meurtres, aux disparitions, à la torture et aux arrestations arbitraires. Le Président Pierre Nkurunziza devrait dénoncer publiquement les abus commis par les forces de sécurité et par les Imbonerakure et faire en sorte que les violeurs et autres agresseurs soient traduits en justice.

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait autoriser la mise en place d’une force de police internationale robuste au Burundi, comprenant des femmes policières, afin d’empêcher les abus, notamment le viol. L’ONU et les pays qui fournissent des policiers devraient s’assurer qu’ils détiennent la formation et l’expertise nécessaires pour enquêter sur ces crimes, et que la sécurité et le soutien aux personnes survivantes de violence sexuelle font partie de leurs priorités.

Le Conseil de sécurité de l’ONU devrait aussi mettre en place d’urgence une commission d’enquête internationale indépendante dotée d’une expertise judiciaire et médico-légale, ainsi que d’une expertise en matière d’enquêtes sur la torture et la violence sexuelle. Cette commission devrait rédiger et rendre public dans de brefs délais un rapport comprenant des recommandations en matière de lutte contre l’impunité, d’éventuelles réparations financières pour les victimes et d’un meilleur accès aux services de santé. La commission s’appuierait sur le travail du Haut-Commissariat aux droits de l'homme et sur d’autres initiatives de l’ONU et de l’Union africaine au Burundi, et pourrait contribuer à l’examen préliminaire de la situation au Burundi par la Cour pénale internationale.

L’identification dans les camps de transit tanzaniens des victimes de violence sexuelle devrait être améliorée, notamment en augmentant le nombre de femmes dans le personnel, et en s’assurant que les victimes disposent d’un lieu sûr et confidentiel pour signaler le viol. Les victimes de viol devraient avoir accès à des soins spécifiques post-viol respectant les normes de l’Organisation mondiale de la santé notamment, si besoin, une prophylaxie anti-VIH et une contraception d’urgence.

« De plus en plus de personnes au niveau mondial vivent en situation de déplacement, ou comme réfugiées, pendant des périodes de plus en plus longues », a conclu Skye Wheeler. « En Tanzanie, comme ailleurs, les organisations humanitaires, le gouvernement du pays d’accueil ainsi que les pays bailleurs de fonds disposant de moyens financiers devraient renforcer la prestation de services afin de remplir leurs obligations de protéger la santé et la sécurité des victimes de viol et pour garantir le respect de leurs droits fondamentaux. »
 
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Informations complémentaires


La crise au Burundi
En avril 2015, le Président Pierre Nkurunziza du Burundi a annoncé qu’il briguerait un troisième mandat, déclenchant une crise politique et des droits humains. La police a violemment réprimé les manifestations, et le gouvernement a exercé sa répression contre ses opposants présumés et ses détracteurs. Les meurtres ciblés et les attaques par les forces gouvernementales et les groupes d’opposition armés se sont intensifiés. Au début du mois de décembre, plusieurs centaines de personnes avaient déjà été tuées. De graves abus se sont poursuivis au Burundi, notamment des actes de torture et des disparitions forcées, tout au long des six premiers mois de 2016.

Des centaines de milliers de Burundais ont fui vers les pays voisins, vers la Tanzanie pour la plupart, où trois camps de réfugiés ont été établis, mais également en Ouganda, au Rwanda et en République démocratique du Congo. Human Rights Watch n’a pas mené de recherches sur les viols de réfugiées burundaises dans ces autres pays.

Viols commis par des Imbonerakure
Le Burundi présente de longs antécédents de viol, commis notamment lors de périodes de conflit ou de crise politique. Selon certaines indications, il y a aurait un nombre élevé de ces crimes même en période de relative stabilité. En juin 2015, le Centre Seruka, une organisation burundaise qui aide les victimes de violence sexuelle, a indiqué que de 120 à 130 victimes de violence sexuelle avaient demandé de l’aide auprès de leurs services chaque mois. La majorité de ces personnes étaient des enfants.

Les survivantes interrogées ont déclaré que dans certains cas, elles avaient été violées par des hommes qu’elles savaient être des Imbonerakure, et qui parfois travaillaient avec la police. De nombreuses survivantes n’ont pas été en mesure d’identifier leurs violeurs par leurs noms, mais pensaient qu’elles avaient été violées en raison du lien d’un membre de leur famille avec un parti d’opposition ou bien à cause d’un grief contre leur mari. Les membres de la ligue des jeunes du parti au pouvoir, le Conseil National pour la Défense de la Démocratie – Forces pour la Défense de la Démocratie (CNDD-FDD), connus sous le nom d’Imbonerakure, sont organisés à l’échelle de tout le pays, jusqu’au niveau local, et sont depuis longtemps utilisés pour cibler des opposants au gouvernement. Leur rôle dans la répression s’est intensifié depuis avril 2015.

Plus de dix femmes interrogées ont affirmé que des Imbonerakure les avaient harcelées avant même avril 2015, mais que cela s’était aggravé après l’annonce du Président Nzurunziza qu’il briguerait un nouveau mandat. Plusieurs femmes ont expliqué que les Imbonerakure avaient commencé à porter des armes et qu’ils avaient endossé un rôle plus important pour la sécurité dans leurs villages ou leurs villes.

Des Imbonerakure connus de leurs victimes, des hommes vêtus d’uniformes de police, et des hommes armés non identifiés, dont certains ont accusé les victimes de soutenir un parti d’opposition ou d’avoir pour conjoint un partisan de l’opposition, faisaient partie des individus responsables de viols, certains collectifs, commis contre 38 femmes interrogées par Human Rights Watch. Dans deux cas, des filles ont subi des viols collectifs au cours d’attaques contre leurs maisons ou à proximité. Ces attaques, presque toujours de nuit, ont été perpétrées par des groupes d’hommes armés de fusils, de bâtons, de grenades ou de couteaux. Dans la majorité des cas, la victime a été violée par plus d’un homme.

Dans 23 cas, les victimes n’ont pas reconnu les individus qui les ont agressées, mais elles ont déclaré que certains de ces hommes étaient vêtus de T-shirts du parti au pouvoir ou d’uniformes de la police, que portent parfois les Imbonerakure. Les victimes ont indiqué soit que des Imbonerakure avaient antérieurement menacé des membres de leurs familles, soit que les agresseurs avaient attaqué des hommes de la famille, ou avaient posé des questions à leur sujet et dénigré leurs opinions politiques.

Certaines femmes ont également indiqué qu’elles pensaient que leurs agresseurs étaient des Imbonerakure parce que cette organisation contrôlait les quartiers des victimes et qu’il n’y avait aucun autre groupe armé dans leur secteur. Dans un cas les agresseurs ont pris un téléphone portable, et dans deux autres cas ils ont extorqué de l’argent aux femmes, mais le vol ne semble pas avoir été leur principale motivation.

Dans plusieurs attaques décrites par les femmes, les agresseurs ont soit tué un homme de la famille soit l’ont enlevé. Dans trois cas, les agresseurs ont battu un conjoint ou un autre homme de la famille. Dans quatre incidents l’homme faisant partie de la famille de la victime a pris la fuite au début de l’attaque.

Un groupe d’Imbonerakure a violé la fille d’O.P. âgée de huit ans, après avoir attaqué leur maison familiale, dans la province de Karusi, fin avril 2015. O.P. a vu un chef local des Imbonerakure entrer dans la maison avec d’autres hommes avant qu’elle ne prenne la fuite, laissant sa fille derrière elle. Quand elle est revenue, elle a trouvé sa fille assise dans des draps ensanglantés. Celle-ci a dit à sa mère que quatre hommes l’avaient violée. Le mari d'O.P. a quitté le pays le lendemain, craignant que l’attaque n’ait été dirigée contre lui. Il avait déjà été arrêté deux fois et détenu pendant de courtes périodes par des Imbonerakure des environs, parce qu’il n’adhérait pas au parti au pouvoir, selon O.P.

Plusieurs viols signalés à Human Rights Watch ont eu lieu à la fin de 2015, lorsque les violations des droits humains se sont multipliées au Burundi, en particulier à Bujumbura.

Le mari de N.B., policier et membre du FNL, a été tué par balle alors qu’il était en service. Le 13 décembre 2015, a déclaré N.B., âgée de 22 ans, un groupe d’Imbonerakure ont pénétré de force dans sa maison, l’ont frappée à coups de bâton, puis deux d’entre eux l’ont violée. Elle a indiqué que des hommes, qui lui avaient dit être des Imbonerakure, s’étaient à plusieurs reprises introduits de force à son domicile au cours des trois mois ayant précédé l’attaque, à la recherche de son mari, la harcelant verbalement et l’accusant de le cacher. Dans cinq cas, les femmes interrogées ont déclaré que les cadavres des hommes enlevés avaient été découverts abandonnés près du lieu de l’attaque.

D’autres ignoraient depuis de nombreuses semaines où se trouvaient les membres de leur famille. S.W., 17 ans, ne savait toujours pas où se trouvait son père plusieurs mois après que sa famille avait été attaquée en août 2015 dans le quartier de Kinama à Bujumbura. Quatre Imbonerakure, vêtus de T-shirts du parti au pouvoir, l’ont traînée jusqu’à une bananeraie près de chez elle et l’ont violée après que d’autres hommes de leur groupe aient emmené son père, membre du parti d’opposition Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD). Un voisin qui était un Imbonerakure a fini par dire à la famille que son père avait été tué.

Des femmes ont expliqué que si l’homme recherché par les agresseurs n’était pas là, ils voulaient savoir où il se trouvait et ils disaient parfois à la victime qu’ils la violaient parce qu’ils n’avaient pas pu trouver l’homme. Dans neuf cas, les femmes ont indiqué que les hommes s’étaient enfuis avant que le viol n’ait lieu, ou avaient commencé à dormir ailleurs de façon habituelle, à cause des menaces. 

Le mari de M.N., a-t-elle expliqué, avait fait l’objet de harcèlement en raison de son appartenance à un parti d’opposition depuis que sa famille était revenue dans la province de Muyinga au Burundi en 2012 après s’être exilée en Tanzanie, et il avait commencé à dormir chez des amis pour sa sécurité. En décembre 2015, un groupe d’Imbonerakure a ordonné à ses voisins de ne pas sortir de chez eux et a pénétré de force dans sa maison. Deux d’entre eux ont contraint M.N. à sortir de son lit, l’ont jetée par terre et l’ont violée, a-t-elle déclaré. Elle a reconnu l’un d’eux comme étant un Imbonerakure.

Dans trois autres cas, le viol a eu lieu des semaines ou des mois après qu’un mari ou un autre homme de la famille ait été tué ou ait disparu lors d’une attaque précédente.

Dans de nombreux cas, des personnes connues comme étant des Imbonerakure avaient menacé ou agressé l’homme faisant partie de la famille de la victime avant l’attaque, souvent lors de visites au domicile pendant la journée. Des femmes ont souvent continué à recevoir des menaces après une attaque contre un homme de la famille, et même parfois après avoir été violées.

Onze des cas de viols et d’autres abus signalés ont eu lieu à Bujumbura, en particulier dans les quartiers de Mutakura, Cibitoke et Musaga, où il y avait eu des affrontements violents entre la police et les manifestants suite à la décision du Président Nkurunziza de briguer un troisième mandat. Toutefois, des attaques similaires ont été signalées dans d’autres endroits. De nombreuses femmes se trouvant dans les camps de réfugiés étaient originaires de régions frontalières comme les provinces de Makamba, Ruyigi et Muyinga.

Dans certains cas, les commentaires des agresseurs au cours des attaques, ainsi que le harcèlement avant et après, semblaient indiquer que la principale motivation des abus était politique, liée au fait que des proches de la victime étaient membres de partis d’opposition. Toutefois, il se peut qu’il y ait eu d’autres motivations. Nombre de femmes qui avaient été agressées étaient revenues au Burundi entre 2010 et 2012 après avoir vécu en Tanzanie pendant de nombreuses années. Bon nombre d’entre elles s’étaient retrouvées à leur retour mêlées à des conflits fonciers, avec des voisins ou d’autres membres de la famille occupant leurs maisons. Dans plusieurs cas, des femmes ont affirmé que les attaques commises par les Imbonerakure semblaient être liées à des conflits fonciers de longue date dans leurs communautés.

Certaines femmes pensaient que l’appartenance ethnique pouvait avoir joué un rôle. Deux femmes tutsies ont indiqué que les agresseurs ont proféré à leur encontre des injures à caractère ethnique au cours de l’attaque. D’autres estimaient que la dimension ethnique constituait un facteur plus important dans les communautés comptant peu de familles tutsies. Human Rights Watch n’a pas interrogé les personnes à propos de leur appartenance ethnique.

Certaines attaques ont peut-être été liées également à des querelles ou à des griefs personnels. En juillet 2015, deux hommes ont violé J.N., 33 ans, dans la province de Muyinga, a-t-elle déclaré, tandis que trois Imbonerakure regardaient, dont un dirigeant local qu’elle a reconnu. Les hommes ont battu son mari puis l’ont emmené hors de la maison pendant l’attaque. Elle a ajouté qu’elle pensait avoir été violée parce qu’elle et son mari étaient membres des FNL, mais aussi parce que son mari, une autorité locale dans son quartier, avait signalé à la police une beuverie chez une prostituée à laquelle participaient des hommes du quartier, et certains des hommes avaient été arrêtés. J.N., a indiqué que les hommes qui l’ont agressée disaient : « Il nous a empêchés d’utiliser la prostituée, alors nous allons [avoir des relations sexuelles avec] toi à la place. »

Viols commis par des membres des forces de sécurité
Dans plusieurs cas, les groupes qui ont attaqué des maisons comptaient un ou plusieurs hommes vêtus d’uniformes de la police ou de l’armée. Il s’agissait peut-être de membres des forces de sécurité ou d’Imbonerakure, qui sont souvent vêtus d’uniformes de la police ou de l’armée. Des membres de la police ou de l’armée ont également agressé et violé des femmes. Human Rights Watch a documenté plusieurs cas dans lesquels des membres de la police ont violé des femmes.

Un groupe de policiers, tous vêtus d’uniformes de la police de couleur bleue, se sont rendus chez F.P, 28 ans, et l’ont harcelée, a-t-elle dit, à son domicile dans la ville de Nyanza Lac à trois reprises – en avril, juillet et septembre 2015, quand deux d’entre eux l’ont violée. En avril, les policiers ont emporté certains de ses biens et en juillet ils ont volé des documents relatifs à un compte bancaire ayant appartenu à son mari, qui avait été militaire et membre des forces de maintien de la paix en Somalie avant d’y trouver la mort en 2014. Des Imbonerakure de la localité l’ont aussi fréquemment harcelée, disant que son mari n’avait réussi à s’enrichir qu’en recourant à la corruption pour obtenir des postes dans les forces de maintien de la paix.

Deux femmes ont dit avoir été violées alors qu’elles étaient détenues par la police. Une dirigeante locale d’un parti d’opposition âgée de 26 ans, a été détenue pendant une nuit dans un poste de police fin février 2016 après avoir été accusée d’organiser des réunions politiques et avoir refusé d’adhérer au CNDD-FDD. Un officier de police travaillant au centre de détention l’a violée, a-t-elle déclaré.

Peu de femmes ont le sentiment de pouvoir signaler en toute sécurité à la police des viols ou d’autres exactions, en raison notamment des relations étroites entre certains Imbonerakure et la police. Nombre des personnes interrogées ont dit avoir craint d’être tuées si elles l’avaient fait. La peur de nouvelles agressions ainsi que le désir de quitter le pays rapidement a également empêché les femmes de chercher à obtenir des soins médicaux d’urgence au Burundi, notamment de la contraception et des soins de prophylaxie d’urgence post-exposition pour prévenir l’infection par le VIH.

Quatre militaires ont enlevé M.D., âgée de 27 ans, de sa maison à Kamenge, à Bujumbura, après avoir échoué à trouver son mari, un membre du MSD qui avait été détenu plusieurs fois, à la mi-décembre 2015. Ils l’ont détenue pendant une journée dans la caserne de Kamenge, où deux des militaires l’ont violée et battue.

Viols et harcèlement subis lors de tentatives de fuir le pays
Des femmes ont été violées des deux côtés de la frontière en tentant de se réfugier en Tanzanie, dans le cadre d’un ensemble plus large de harcèlement et d’extorsion de personnes tentant de fuir le Burundi.

Certains des viols commis du côté burundais de la frontière semblent avoir été des tentatives de la part de membres des forces de sécurité et d’Imbonerakure visant à empêcher les personnes de quitter le Burundi. Des policiers burundais ont violé H.S., 24 ans, à la mi-mai 2015 alors qu’elle tentait de franchir un poste frontalier officiel à Kabonga, dans la province de Makamba. Elle a déclaré que les hommes l’avaient traité de chienne et lui avaient dit qu’elle était folle d’essayer de quitter le pays alors qu’il n’y avait pas de guerre. Ils l’ont frappée et traînée dans des buissons, où deux des hommes l’ont violée avant qu’un groupe de militaires n’intervienne.

Dans un autre cas, trois hommes vêtus d’uniformes de police ont violé R.N. en octobre 2015 dans la province de Makamba sur un chemin traversant la brousse alors qu’elle s’apprêtait à atteindre la rivière Muragarazi à la frontière.

Dans d’autres cas, les femmes ont indiqué avoir été violées par des hommes non identifiés. Un groupe d’hommes aux environs du village de Murama dans la province de Muyinga ont intercepté un groupe de femmes qui tentaient de franchir la frontière en août 2015 et ont exigé de savoir pourquoi elles essayaient de quitter le pays. Trois des hommes ont ligoté B.K., 45 ans, ainsi que sa fille adulte et les ont violées. Les hommes les ont laissé partir, a-t-elle dit, après qu’elles aient promis de n’en parler à personne. G.O., 27 ans, a déclaré qu’un groupe d’hommes vêtus de T-shirts du CNDD-FDD l’ont violée pendant la nuit dans la région de Gatwe de la province de Makamba fin octobre 2015. 

Dans certains cas, les viols semblent avoir été opportunistes. Quatre femmes ont indiqué avoir été violées du côté tanzanien de la frontière par des hommes non identifiés parlant le kiha, une langue locale de la région de Kigoma en Tanzanie, ou le kiswahili.

Manque d’assistance dans les camps de transit de Tanzanie
La frontière entre le Burundi est la Tanzanie est poreuse, avec de nombreux points de passage. Des organisations humanitaires ont mis en place un certain nombre de points de transit et de centres de transit en Tanzanie où les réfugiés peuvent s’enregistrer et recevoir de la nourriture et un abri avant d’être conduits dans des camps de réfugiés.

Human Rights Watch a constaté que dans la majorité des cas, les femmes interrogées qui avaient été violées quelques jours avant de parvenir aux camps de transit n’avaient pas été identifiées comme victimes par le personnel de ces camps. Les femmes ont déclaré qu’elles se sentaient parfois trop intimidées pour dire qu’elles avaient été violées, en particulier si seul du personnel masculin était présent. D’autres ont dit que le personnel semblait trop occupé ou bien qu’elles n’avaient pas signalé le viol parce qu’on ne le leur avait pas demandé.

En conséquence, sauf si les femmes étaient rapidement transportées dans un camp de réfugiés, elles rataient l’occasion d’accéder à la prophylaxie d’urgence post-exposition au VIH, qui doit être prise dans les 72 heures suivant l’exposition, ou à la contraception d’urgence, qui doit être administrée dans les 120 heures. Sur les vingt victimes interrogées arrivées dans des camps de transit dans le créneau de cinq jours, les travailleurs humanitaires n’en ont identifié que deux comme victimes de viol et les ont dirigées vers une assistance d’urgence. Cinq d’entre elles ont eu la chance de prendre rapidement un bus vers un camp, mais treize ont complètement raté le créneau, certaines d’entre elles laissées dans les camps de transit pendant plus d’une semaine.

L’une des femmes s’est retrouvée enceinte après un viol ayant eu lieu moins de 24 heures avant son arrivée dans un centre de transit. Une autre, qui avait été violée pour la seconde fois depuis 2015 en franchissant la frontière n’a pas été identifiée comme victime de viol dans un camp de transit. De même que deux autres personnes interrogées, elle a découvert ultérieurement qu’elle était séropositive. Elle ignorait si elle avait contracté le virus pendant le premier ou le second viol.

Les travailleurs humanitaires se sont efforcés de mettre en place un système permettant d’identifier les victimes de viol aux points frontaliers et de les aider à obtenir des soins. Les raisons pour lesquelles les procédures ne fonctionnent pas toujours ne sont pas claires. Le HCR a écrit à Human Rights Watch que les travailleurs humanitaires aux points frontières avaient été formés pour filtrer les nouveaux arrivants afin d’essayer de découvrir si des personnes avaient été exposées à des violences sexuelles et dans ce cas, d’accélérer leur acheminement vers des soins de santé d’urgence. Le HCR a indiqué également que le personnel aux points frontaliers se coordonnait avec les travailleurs humanitaires dans les camps afin d’aider à garantir que les victimes recevaient des soins dans les camps. Le HCR a ajouté qu’en mai et juin 2016 il avait fourni au personnel d’organisations non gouvernementales présent aux points d’entrée frontaliers des soins d’urgence pour le VIH et la contraception.  

L’International Rescue Committee (IRC), qui fournit des services à 10 postes frontières, a indiqué dans une lettre que leur organisation avait fait des efforts spécifiques pour augmenter le nombre de femmes dans son personnel en accord avec les meilleures pratiques, de sorte que les femmes victimes de viol se sentent plus à l’aise pour le signaler. Toutefois, l’organisation a précisé qu’en raison de préoccupations sécuritaires dans ces endroits isolés, ils avaient eu du mal à conserver leur personnel féminin. D’après les entretiens, il semble que les femmes ont rencontré moins d’obstacles à signaler les viols à Nduta qu’aux postes frontières.

Si la principale responsabilité de la prestation de services incombe au gouvernement, dans les pays où le gouvernement n’est pas désireux ou capable de répondre à ces besoins et où les agences de l’ONU sont actives, ces dernières ont une obligation claire au regard des droits humains de garantir que les besoins urgents sont satisfaits afin de respecter les droits fondamentaux à la santé et à la vie.

Viols dans le camp de Nduta
Il y a eu de nombreux signalements de viols tant dans le camp de Nduta que dans le camp de réfugiés plus ancien de Nyaragusu, plus au sud, dans la région de Kigoma en Tanzanie. Des femmes, des hommes et des enfants ont été violés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur des camps. Les autorités tanzaniennes des camps ainsi que le HCR ont adopté des mesures importantes pour prévenir le viol mais devraient faire davantage pour garantir la protection, notamment en faisant mieux appliquer la loi contre les agresseurs. Pour pouvoir remplir pleinement leurs obligations, les organisations humanitaires devront être mieux financées.

Human Rights Watch a été particulièrement préoccupé de constater qu’un nombre important d’enfants avaient été violés à Nduta. Human Rights Watch a interrogé trois filles de moins de 18 ans et les parents proches de cinq autres enfants, tous de moins de 12 ans, dont trois de moins de 5 ans, qui avaient été violés depuis l’ouverture du camp en octobre 2015.

Huit femmes ou filles interrogées avaient été violées à l’extérieur du camp, en ramassant du bois pour le feu ou en achetant des produits à vendre sur le marché de Nduta. Il n’y a pas eu d’arrestation et les agresseurs n’ont pas été identifiés. Deux filles de 11 ans ont été violées lors du même incident en février 2016 par des hommes dont elles pensaient qu’ils étaient des Tanzaniens et qui pourchassaient un groupe d’enfants ramassant du bois pour le feu derrière le poste de police, à environ dix minutes de marche du camp. Il n’y a pas eu d’arrestation, et un parent de l’une des filles a dit que la police ne s’était pas rendue au village le plus proche pour enquêter.

Les viols de femmes à l’extérieur des camps de réfugiés se produisent dans de nombreux sites de déplacement de la région. Toutefois, à Nduta il semble que ce n’est qu’une partie du problème. Human Rights Watch a interrogé un plus grand nombre de femmes et de filles qui avaient été violées à l’intérieur du camp plutôt qu’à l’extérieur.

En avril 2016 deux jeunes hommes ont violé F.N., 15 ans, dans une tente dans le camp. F.N. a déclaré que suite au viol elle souffrait de douleurs aux hanches et au dos, ainsi que de traumatisme et de dépression. Sa mère a affirmé qu’elle avait peur de signaler le viol ou de chercher à obtenir justice, même si elles connaissaient l’un des violeurs, parce qu’elle craignait des représailles de la part de la famille de l’individu.

Des craintes similaires ont incité les parents d’une fillette de 4 ans, S.A., à ne pas signaler le viol de leur fille par un garçon de 16 ans, même si dans ce cas les parents de la fillette craignaient également que la police ne batte le garçon, ou son père. Un garçon de 14 ans a violé une autre fillette de 4 ans, D.C., qui vivait dans une tente voisine, début mai 2016. La mère a décidé de ne pas porter plainte car le père serait probablement envoyé en prison à la place de son fils, ce qu’elle trouvait injuste.

La nécessité d’une protection accrue et de services d’aide psychologique à Nduta
Les policiers à Nduta n’ont pas toujours fait d’efforts sérieux pour arrêter les violeurs. Par exemple, un chef religieux a violé H.N., 27 ans, en janvier 2016 après être entré dans sa tente pour, selon lui, prier pour elle. H.N. a informé la police mais l’homme n’a pas été arrêté. Les chefs de zone du camp qui travaillent en étroite collaboration avec la police, ont dit à H.N. que son violeur semblait avoir des pouvoirs magiques de disparition quand ils essayaient de le trouver. L’homme a également menacé H.N. après le viol. S.K., 15 ans, s’est rendue plusieurs fois à la police pour signaler son viol en janvier 2016, et a indiqué à la police où vivait le violeur, mais au mois de mai il n’avait toujours pas été arrêté.

La police tanzanienne, notamment son personnel basé à Nduta et ses environs, devrait enquêter sérieusement sur les viols commis aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du camp. Les policiers devraient encourager activement les femmes à signaler les viols, et travailler avec les groupes de femmes pour enquêter même si la victime ne peut identifier l’agresseur.

Human Rights Watch a écrit une lettre au ministère tanzanien de l’Intérieur le 1er juillet 2016, mais n’a pas reçu de réponse.

La Tanzanie a fourni historiquement une résidence légale à des dizaines de milliers de réfugiés, dont 162 000 personnes entre 2008 et 2010, et a permis à des centaines de milliers d’autres de venir s’installer dans des camps sur son territoire. Toutefois, les autorités tanzaniennes ont renvoyé des dizaines de milliers d’autres réfugiés au Burundi en 2011 et 2012. La politique actuelle de la Tanzanie en matière de camps restreint les mouvements des réfugiés à un rayon de 6 kms autour du camp. Du fait que les autorités punissent parfois les réfugiés qui enfreignent cette règle, des femmes violées à une plus grande distance ont peur de signaler les viols.

Des efforts mieux concertés de la police tanzanienne pour identifier, enquêter et poursuivre les auteurs présumés pourraient contribuer à réduire les viols à Nduta. Les organisations humanitaires devraient également continuer à soutenir les survivantes par des services médicaux, y compris psychosociologiques, et juridiques, et faire un travail de monitoring pour protéger les victimes et leurs familles contre des représailles. Le HCR et l’IRC devraient poursuivre la formation pour la police ainsi que les réunions communautaires et le travail de plaidoyer par des leaders de la communauté afin d’encourager le signalement des viols. Le HCR a fourni à la police du camp des véhicules et des motos pour pouvoir patrouiller à l’intérieur et à l’extérieur du camp.

Conjointement avec le gouvernement tanzanien, le HCR supervise des actions de protection dans tous les camps de réfugiés. Cependant, Human Rights Watch a constaté que les victimes étaient souvent dans l’incapacité d’accéder au personnel du HCR ou bien devaient attendre longtemps pour obtenir un rendez-vous. Dans quatre cas, les femmes ont indiqué s’être rendues à plusieurs reprises au bureau du HCR à Nduta pour demander un rendez-vous, mais qu’elles n’avaient pu l’obtenir ou qu’on leur avait dit de partir. L’une d’elles cherchait de l’aide après que sa fillette de 4 ans ait été violée dans le camp. Une autre femme, qui s’est rendue au bureau du HCR en avril, a dit qu’on lui avait donné un rendez-vous pour juin. Le HCR a indiqué dans sa lettre à Human Rights Watch qu’il est en train d’améliorer ses services d’accompagnement en matière de protection et qu’il espère les étendre encore, mais que le manque de personnel signifie que ce type de services est plus limité à Nduta que par exemple à Nyaragusu.

Les autorités responsables de la gestion du camp devraient continuer à appliquer des mesures concrètes pour réduire les agressions contre les femmes, comme par exemple améliorer l’éclairage dans le camp et s’assurer que toutes les latrines peuvent être fermées à clef. Plusieurs femmes ont expliqué qu’elles urinaient dans des bouteilles en plastique coupées en deux pour ne pas avoir à utiliser des latrines non éclairées la nuit. Quelques-unes avaient reçu des lampes solaires mais plusieurs avaient été volées. De nombreuses femmes ont indiqué que leurs affaires personnelles avaient été volées dans leurs tentes, y compris de la documentation médicale sur les viols qui serait importante dans les efforts pour obtenir justice.

Le HCR travaille avec le ministère tanzanien de l’Intérieur sur un projet pilote pour produire des briquettes de biomasse comme alternative au bois pour le feu. L’utilisation de réchauds améliorés fonctionnant avec de la boue a été encouragée dans les camps. Le HCR a indiqué à Human Rights Watch que des temps de collecte de bois pour le feu en groupe ont également été mis en place et que des messages de sécurité quotidiens sont diffusés dans le camp par des équipes de sensibilisation de la communauté. L’IRC mène des campagnes hebdomadaires dans la communauté pour sensibiliser aux dangers et à la façon dont les femmes et les filles peuvent réduire le risque.

Quelques efforts spécifiques ont été réalisés par des organisations humanitaires pour protéger les enfants contre le viol, notamment la création de groupes de protection des enfants, des centres de garderie pour les enfants et des campagnes de sensibilisation aux dangers de laisser les enfants sans surveillance.

Cinq femmes ont affirmé avoir vu les Imbonerakure qui les auraient violées, ou d’autres Imbonerakure, dans le camp de réfugiés. Deux d’entre elles ont indiqué que ces hommes les avaient menacées. Plusieurs femmes tutsies ont également dit ne pas se sentir en sécurité du fait de leur appartenance ethnique et que d’autres réfugiés les harcelaient et les insultaient. Une femme a déclaré que des hommes l’avaient traitée de « cafard » – un terme utilisé pour insulter les Tutsis pendant le génocide rwandais de 1994 – et lui avaient dit qu’elle aurait dû fuir plutôt au Rwanda. Cette femme a signalé le cas à la police, qui est intervenue. Les hommes leur ont demandé de les pardonner et ont promis de ne plus l’insulter. 

Il n’est pas clair comment le HCR prévoit de s’attaquer aux menaces à la sécurité dans le camp, mais de plus en plus d’efforts sont faits, selon l’agence, pour soutenir les efforts des réfugiés visant à améliorer leur sécurité. Une approche davantage communautaire de la prévention et de la réponse au viol pourrait être efficace, comme par exemple une initiative communautaire menée dans les années 1990 qui utilisait des « équipes d’intervention d’urgence » de réfugiés, qui identifiaient les victimes de viol, les aidaient à accéder aux services et œuvraient au sein de leurs communautés pour traiter les risques.

L’IRC a recours à des chefs religieux et à d’autres pour promouvoir la non-violence et a lancé un vaste programme avec environ 400 hommes et femmes pour examiner et changer les attitudes et les pratiques.

Les conséquences à long terme du viol sont souvent dévastatrices. Deux femmes seulement sur les plus de 70 que Human Rights Watch a interrogées ont déclaré se sentir largement inchangées émotionnellement ou physiquement depuis les viols. Les autres ont décrit des problèmes chroniques dont elles disaient qu’ils étaient une conséquence du viol, par exemple une santé physique médiocre, des infections, et des problèmes persistants avec le VIH et autres maladies sexuellement transmissibles. Des femmes séropositives ont dit avoir du mal à trouver suffisamment de nourriture assez riche pour rester en bonne santé, et deux d’entre elles ont affirmé ne pas être en mesure de maintenir un régime de médicaments prophylactiques pour le VIH parce qu’elles ne pouvaient pas se procurer assez de nourriture.

Une large proportion des femmes ont indiqué avoir toujours des douleurs dans les hanches, le dos ou le ventre, et plusieurs femmes ont expliqué avoir du mal à porter de l’eau ou à réaliser d’autres activités. Elles ont signalé des problèmes persistants de sommeil, se réveillant soudainement la nuit en criant, et des cauchemars. Les douleurs émotionnelles, un sentiment de déconnection par rapport aux autres y compris leurs enfants, un dégoût de soi et de la honte étaient courants. Deux femmes ont dit craindre que le viol n’ait fait d’elles de mauvaises mères. Des femmes ont également mentionné le fait de penser constamment aux viols, d’avoir des flashbacks récurrents du viol ou des meurtres, un état dépressif, ou de ne pas ressentir de paix ni de joie. Il y avait une sensation généralisée, et justifiée du point de vue de Human Rights Watch, que les efforts n’étaient pas suffisants pour aider les victimes de viol, même si de nombreuses femmes ne savaient pas que des soins psychosociaux – de santé mentale – devraient être des éléments clés des réponses au viol apportées par le gouvernement ou par les organismes d’aide, et qu’ils font partie de toutes normes mondiales.

Human Rights Watch s’est entretenu avec cinq femmes qui étaient tombées enceintes ou avaient eu des enfants à la suite d’un viol. Dans tous les cas, la grossesse avait entraîné la discorde. Des femmes ont mentionné des sentiments ambivalents envers les enfants et des problèmes familiaux. Dans certains cas, le conjoint avait refusé d’accepter la grossesse ou l’enfant. Dans d’autres cas, le mari avait interdit à la femme de recourir à un avortement. Dans deux cas, les femmes ont indiqué que le personnel humanitaire leur avait dit avoir un devoir religieux et moral de garder l’enfant. Dans tous les cas, les femmes n’étaient pas en mesure de choisir ce qui était le mieux pour elles et leurs familles après avoir fait l’objet d’une violation flagrante des droits humains, sans parler des lois sur l’avortement très restrictives de la Tanzanie.

Davantage de services fournis par les organismes humanitaires ou par le gouvernement sont nécessaires pour assurer une gestion permanente des cas pour les victimes, en particulier un soutien psychosocial et psychologique. Les femmes interrogées étaient reconnaissantes pour le soutien psychologique, juridique et autre fourni par l’IRC, mais elles ont noté qu’il était à court-terme et insuffisant.

Quelques femmes interrogées avaient été invitées par l’IRC à rejoindre un groupe de femmes faisant de la vannerie, ce qu’elles ont décrit comme bénéfique. Un grand nombre d’entre elles ont affirmé qu’elles aimeraient beaucoup participer à des activités de groupe. Le HCR et l’IRC ont indiqué à Human Rights Watch que des thérapies de groupe avaient commencé en mai et que trois groupes se réunissaient maintenant. Cela peut contribuer à répondre à un grand besoin de guérison.

La moitié environ des femmes interrogées avaient bénéficié d’une ou deux séances de thérapie au centre de l’IRC dans le camp. Certaines femmes ont dit avoir tiré partie d’un dialogue confidentiel et auraient souhaité d’autres séances, mais n’ont pas reçu d’autres rendez-vous. Au lieu de cela, on a dit aux femmes qu’elles pourraient revenir si elles avaient des problèmes, ce qui était perturbant pour des victimes confrontées à la dépression, à une honte chronique ou à une faible estime de soi. Même si certaines femmes ont bénéficié d’autres séances, cela n’a généralement pas été le cas même pour les enfants ou les survivantes qui sont tombées enceintes à la suite du viol, ont contracté le VIH, ou bien ont été exposées à la discorde domestique ou à des abus à cause des viols.

Un manque de financement a limité la capacité d’assistance de l’IRC. L’IRC a indiqué à Human Rights Watch avoir été confronté à 90 nouveaux cas signalés par mois, en partie du fait que son travail de sensibilisation visant à informer les femmes de ses services et à les encourager à signaler les viols avait créé une forte demande pour les services fournis par les seules trois personnes prodiguant des soins. Certains cas d’urgence particuliers exigent beaucoup de temps. L’IRC sollicite continuellement davantage de fonds pour développer ses services et a amélioré son système pour établir des priorités aux cas. Il a engagé des réfugiés afin d’apporter de l’aide dans les cas les moins compliqués. De nombreuses femmes ont profité d’autres services proposés par l’IRC, notamment l’accompagnement à l’hôpital et à la police pour signaler les crimes, et elles ont trouvé ces services extrêmement utiles.

Tous les parents des enfants survivantes ont confié que leurs enfants étaient toujours affectées par le viol, ayant tendance à se replier sur soi-même et subissant des sautes d’humeur. L’IRC dispose d’une salle réservée aux consultations des enfants et dans deux cas avait prodigué aux enfants survivantes un soutien psychologique à long terme et de l’espace dans leur refuge. Le HCR a indiqué qu’une formation ciblée et globale sur le travail avec les enfants survivantes avait été programmée pour le personnel de l’IRC ayant déjà reçu une formation générale, et avait équipé la pièce de l’IRC destinée aux enfants en vue d’une thérapie ludique.  Les organisations humanitaires devraient s’assurer que des services sont également accessibles aux victimes de sexe masculin.

Trois des femmes interrogées, dont deux enfants, étaient restées dans un petit refuge de l’IRC dans le camp. Mais celui-ci n’a de place que pour cinq femmes en même temps, et elles ne sont censées y rester que quelques jours. L’amélioration de ce service pourrait présenter une option importante pour les femmes confrontées à la violence domestique ou à d’autres abus dans le camp. 
 
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DANS LES MÉDIAS :
 

BFMTV.com 27.07.16

Romandie.com / AFP 27.07.16

Figaro 27.07.16

Jeune Afrique 27.07.16

BBC Afrique 27.07.16

VOA Afrique 28.07.16

 

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