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RD Congo : Les autorités doivent contrôler les forces de sécurité

Les tensions s’aggravent à l’approche de l’annonce des résultats des élections

(Kinshasa, le 2 décembre 2011) – Le gouvernement de la République démocratique du Congo devrait contrôler sans délai ses forces de sécurité, en particulier la Garde républicaine, et empêcher que ne soient pris pour cible des opposants politiques et leurs partisans à la suite des élections présidentielles et législatives du 28 novembre 2011, a déclaré Human Rights Watch aujourd’hui. Les violences électorales qui se sont produites entre le 26 et le 28 novembre ont fait au moins 18 morts ainsi que 100 blessés graves parmi les civils, a confirmé Human Rights Watch.

Selon les recherches menées par Human Rights Watch, la majorité des victimes ont été tuées par balles par des soldats de la Garde républicaine à Kinshasa. D’autres civils ont été tués et blessés au cours d’affrontements entre partis politiques rivaux, d’attaques menées par des groupes armés et d’émeutes. L’annonce des résultats prévue le 6 décembre risque de déclencher de nouveaux troubles, a indiqué Human Rights Watch.

« Les tensions sont élevées étant donné les complications logistiques de l’organisation des élections », a déclaré Anneke Van Woudenberg, chercheuse senior pour la division Afrique de Human Rights Watch. « Les forces de sécurité devraient s’attacher à protéger le peuple, au lieu d’alimenter les violences. »

Selon les Principes de base des Nations Unies sur le recours à la force et l'utilisation des armes à feu par les responsables de l'application des lois, les forces de sécurité doivent recourir à des moyens non violents avant de faire usage de la force ou d’armes à feu. Elles ne peuvent recourir à une force meurtrière que si cela est absolument inévitable pour protéger de vies humaines. Les Principes de base disposent que : « Les gouvernements feront en sorte que l'usage arbitraire ou abusif de la force ou des armes à feu par les responsables de l'application des lois soit puni comme une infraction pénale, en application de la législation nationale. »

Les attaques ont été confirmées par sept membres du personnel international et national de Human Rights Watch en RD Congo accrédités en tant qu’observateurs des élections, travaillant avec 17 activistes congolais des droits humains formés comme observateurs des élections et déployés dans tout le pays.

Human Rights Watch a également appelé le gouvernement à prendre de toute urgence des mesures pour mener des enquêtes et exiger des comptes aux individus, notamment aux membres des services de sécurité, qui ont cherché à intimider les électeurs, des témoins de partis politiques et des agents électoraux chargés de la compilation des résultats. Le gouvernement devrait également exiger des comptes aux individus qui ont tenté de commettre des fraudes électorales.

Violences à Kinshasa
Le pire incident s’est déroulé le 26 novembre, dernier jour de la campagne électorale. Des partisans du parti d’opposition Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS) s’étaient regroupés à l’aéroport N’djili à Kinshasa afin d’accompagner leur leader, Etienne Tshisekedi, à une manifestation électorale. Juste en face d’eux, des partisans de Joseph Kabila, le président en exercice, attendaient également l’arrivée de leur candidat. La police a tenté de contrôler les tensions entre les deux groupes en tirant des gaz lacrymogènes sur la foule des partisans de l’UDPS. Lorsque le convoi présidentiel est arrivé avec la Garde républicaine pour escorter Kabila jusqu’en ville, quelques soldats ont tiré en l’air tandis que d’autres tiraient directement sur la foule des partisans de l’opposition.

Au moins 12 personnes – des partisans de l’opposition ainsi que des individus qui se trouvaient sur place – ont été tuées par balles, et 41 autres personnes ont été blessées par balles au cours des violences à l’aéroport et tandis que les véhicules de la Garde républicaine regagnaient le centre ville. Ces événements se sont produits en l’absence de Kabila, qui avait modifié ses plans et atterri dans un autre aéroport. Les soldats ont tiré sans discernement sur des groupes de partisans de l’opposition tout au long du trajet, à proximité d’Arrêt Kingasani, d’Arrêt Pascal, de Marché de Liberté, de Pont Matete et dans la commune de Limeté.

Quelques témoins ont indiqué que les soldats ont pu être provoqués le long du parcours par des partisans de l’UDPS qui ont lancé des pierres contre la Garde républicaine accompagnant le convoi présidentiel.

Ndelela Aminata, une mère de 5 enfants âgée de 27 ans, a été mortellement blessée par une balle qui aurait été tirée par l’un des soldats de la Garde républicaine près de Petro-Congo dans la commune de Masina, alors qu’elle rentrait chez elle à pied depuis le magasin où elle travaillait. Bukasa Tshimpanga, 22 ans, a été tué lorsque des soldats lui auraient tiré à la tête alors qu’il se trouvait devant le grenier de manioc où il travaillait dans la commune de Kimbaseke, près de l’aéroport.

Des soldats de la Garde républicaine ont également tiré sur une femme enceinte âgée de 21 ans, la blessant alors qu’elle rentrait chez elle à pied du marché près d’Arrêt Pascal dans l’après-midi. « Ils [les soldats] se sont mis à tirer sur tout les gens qui se trouvaient au bord de la route », a-t-elle expliqué à Human Rights Watch. « J’ai essayé de courir, mais les soldats m’ont tiré dans le pied. »

Des dizaines d’autres personnes ont été blessées le 26 novembre lorsque des partisans de partis politiques opposés se sont affrontés dans les rues de Kinshasa, s’attaquant à coups de machette, de pierre et de gourdin.

« Les élections ne sont pas une excuse justifiant que les soldats tirent aveuglément sur les gens », a déclaré Anneke Van Woudenberg. « Les autorités devraient suspendre immédiatement ceux d’entre eux qui se rendent responsables d’effusion évitable de sang et faire en sorte qu’ils rendent compte de leurs actes. »

Également le 26 novembre, au petit matin, quatre hommes armés qui n’ont pas été identifiés ont attaqué un candidat parlementaire, Dieudonné Lowa Opombo, à son domicile à Kinshasa. Il se présente au sein de l’Union pour la nation congolaise (UNC), la coalition d’opposition dirigée par Vital Kamerhe. Ses agresseurs l’ont attaqué à coups de couteau et de marteau, lui ont injecté une substance inconnue, puis l’ont trainé de force jusqu’à une jeep qui attendait à proximité. Selon Opombo ainsi que d’autres témoins, du bruit provenant d’une maison voisine a peut-être effrayé les assaillants, qui ont abandonné Opombo inconscient dans un égout à peu de distance de son domicile. Il a été hospitalisé avec de graves blessures à la tête, la poitrine et les bras.

Les violences contre des partisans de l’UDPS ainsi que d’autres personnes se sont poursuivies à Kinshasa le jour du vote, le 28 novembre. Aux environs de 22h, les forces de sécurité ont tiré sur une foule de partisans de l’opposition dans la commune de Matete. Léandre Minga Mikobi, 18 ans, a reçu un tir meurtrier dans la poitrine.

Un garçon de 13 ans a été blessé à l’épaule. L’un des agresseurs est descendu d’une jeep de la police, s’est approché du garçon, a pointé son arme sur sa tête et lui a dit qu’il avait de la chance d’être encore en vie. L’agresseur est ensuite remonté dans la jeep de la police et est parti. Des témoins ont affirmé à Human Rights Watch que les agresseurs étaient des soldats de la Garde républicaine portant des tenues de la police par-dessus leurs uniformes.

Au total, au moins 14 civils ont été tués à Kinshasa au cours de violences liées aux élections les 26 et 28 novembre.

Violences liées à des soupçons de fraudes
Dans tout le pays, des soupçons de fraude électorale ont déclenché une colère qui dans un certain nombre de cas a dégénéré en violences. Des personnes s’en sont prises à des lieux de vote, à des agents électoraux, ou bien à d’autres personnes qu’elles jugeaient responsables de fraude. La confusion relative aux listes électorales, qui avaient été distribuées très tard par les agents électoraux et qui ne sont pas parvenues dans de nombreux lieux de vote ou bien étaient incomplètes, a contribué à ces soupçons. Dans de nombreux endroits, des électeurs et même des agents électoraux n’étaient pas sûrs que les gens puissent voter si leur nom n’apparaissait pas sur la liste électorale. L’arrivée tardive des matériels électoraux dans de nombreux lieux de vote a également nourri ces soupçons.

Les policiers stationnés sur les lieux de vote étaient soit en nombre insuffisant pour faire face à la violence, soit restaient là sans rien faire. Dans certains cas, ils ont tiré des coups de feu en l’air, dispersant la foule.

À Kananga, province du Kasaï Occidental, une observatrice nationale des élections congolaises a été passée à tabac par des individus l’accusant de porter des bulletins frauduleux et elle a dû être hospitalisée. Trois hommes ont été attaqués et hospitalisés par la suite, après des incidents similaires dans d’autres centres de vote à Kananga. Également à Kananga, au moins 15 bureaux de vote avec des matériels électoraux à l’intérieur ont été incendiés parce que des électeurs pensaient que les urnes pouvaient avoir été garnies de bulletins pour Kabila.

À Matadi, province du Bas-Congo, des électeurs ont eu des soupçons et ont attaqué un centre de vote et agressé des agents électoraux après qu’un candidat de parti politique ait forcé des témoins du parti politique de l’UDPS à partir. Des électeurs en colère ont frappé le chef du centre de vote, qui a dû être hospitalisé.

Également au Bas-Congo, à Lukula, des habitants ont intercepté un agent électoral qui transportait des bulletins de vote à l’arrière d’une moto. Estimant que celui-ci avait l’intention de commettre une fraude, les habitants l’ont passé à tabac. La police est intervenue et l’a amené à l’hôpital.

Dans un bureau de vote à Bamanya, province de l’Équateur, des assaillants armés s’en sont pris à des électeurs et à des agents électoraux, dans une tentative manifeste pour détruire les résultats.

Dans certains cas où des agents électoraux ou d’autres personnes ont tenté d’empêcher des fraudes manifestes, elles ont été menacées ou attaquées par les coupables de fraude, dont certains étaient des membres des forces de sécurité.

Human Rights Watch a également reçu des informations fiables faisant état d’autres violences liées aux élections dans les provinces du Kasaï Occidental et du Kasaï Oriental, notamment à Mbuji-Mayi, mais de plus amples vérifications sont nécessaires pour déterminer les circonstances exactes de ces incidents.

« Les suspicions de fraude, justifiées ou non, traduisent les inquiétudes croissantes de nombreux électeurs quant à la crédibilité du processus électoral », a ajouté Anneke Van Woudenberg. « Au moment où le comptage des votes se poursuit, il est crucial que la police prenne des mesures supplémentaires pour protéger les autorités chargées des élections et pour arrêter les fraudes. Les actes violents de justice populaire ne sont en aucune façon une solution aux irrégularités électorales. »

Intimidation des électeurs et des témoins de partis politiques
Dans certains endroits, il y a eu des tentatives d’intimidation des électeurs pour qu’ils choisissent un candidat plutôt qu’un autre. À Mpati et dans des villages voisins dans le territoire de Masisi, province du Nord-Kivu, des observateurs ont signalé qu’un homme fort local, Erasto Ntibaturama, avait contraint des électeurs à voter pour Kabila ainsi que pour son propre fils, Bahati Ibatunganya, candidat aux élections législatives appartenant au Congrès national pour la défense du peuple (CNDP), ancien groupe rebelle désormais inscrit comme parti politique.

Des observateurs locaux ont indiqué que Ntibaturama avait bloqué à Busumba la livraison des matériels électoraux destinés aux centres de vote de Mpati, Nyange et Kivuye, déclarant qu’il ne le rendrait qu’à condition que les gens acceptent de voter selon ses instructions. Le 30 novembre, les matériels électoraux destinés à Mpati et à Kivuye se trouvaient encore à Busumba. Les matériels destinés à Nyange ont été livrés le 29 novembre, après que Ntibaturama ait reçu des assurances que les électeurs voteraient selon ses instructions.

Dans le village de Bweru, près de Mpati, Ntibaturama a également cherché à intimider les électeurs. Il s’est adressé aux gens le 29 novembre alors que le vote était toujours en cours, en utilisant un téléphone relié à un haut-parleur et leur ordonnant de voter pour Kabila et pour son propre fils. Des témoins ont expliqué à Human Rights Watch qu’un membre des autorités locales accompagné par des soldats sous le commandement d’un autre fils de Ntibaturama, le Lieutenant Colonel Justin Gacheri, ancien rebelle du CNDP, sommait les électeurs de suivre les instructions de Ntibaturama.

Dans d’autres parties du territoire de Masisi, au Nord-Kivu, d’anciens rebelles du CNDP devenus désormais des soldats congolais mais portant des vêtements civils étaient présents sur les lieux de vote, faisant acte de témoins de partis politiques ou même assurant la sécurité, selon ce qu’ont rapporté de nombreux témoins à Human Rights Watch. Certains électeurs ont assuré à Human Rights Watch qu’ils s’étaient sentis intimidés par leur présence.

Des témoins de partis politiques, en particulier ceux de partis d’opposition, accrédités pour observer le processus électoral, ont également été intimidés dans un certain nombre d’endroits. Des observateurs dans le territoire de Masisi ont indiqué que certains membres partisans des autorités chargées des élections ainsi que de la police avaient empêché des témoins de l’UNC d’entrer dans des bureaux de vote le jour des élections. Des témoins de partis et des observateurs locaux ont également signalé à Human Rights Watch que des soldats, certains en uniforme et d’autres en vêtements civils, avaient tenté d’intimider ou même menacé directement des témoins des partis d’opposition.

Impact des groupes rebelles sur les élections
Des groupes rebelles armés ont également causé des problèmes aux électeurs le jour des élections. Près de Faradje, province Orientale, l’Armée de résistance du seigneur (Lord’s Resistance Army, LRA), groupe rebelle ougandais, a attaqué un petit groupe d’électeurs qui se rendaient au bureau de vote. Trois hommes ont été tués, et dix femmes ainsi que trois garçons et jeunes hommes ont été enlevés. L’une des femmes, qui était enceinte de six mois, a été violée et relâchée par la suite. Elle a été amenée à l’hôpital mais a perdu son bébé.

À Lubumbashi, province du Katanga, des attaquants armés ayant des liens connus avec un mouvement séparatiste ont attaqué un lieu de vote dans le quartier de Belair. Une électrice a été tuée lors des échanges de coups de feu entre les assaillants d’une part, et la police et les soldats de la Garde républicaine d’autre part. Deux policiers et sept des assaillants ont également été tués. Plus tôt ce jour-là, un groupe d’assaillants a mis le feu à deux véhicules transportant des matériels électoraux destinés à des centres de vote.

Dans les groupements de Waloayungu et de Waloaluanda du territoire de Walikale, province du Nord-Kivu, des milliers de personnes ont fui dans les jours qui ont précédé les élections la menace d’affrontements entre les groupes armés rebelles Maï Maï Sheka et les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR), une milice largement composée de Hutus rwandais. Il est difficile de savoir le nombre d’électeurs de cette zone qui ont pu déposer leur bulletin de vote.

À Mutakato, également dans le territoire de Walikale, l’arrivée le jour des élections d’un haut commandant de Maï Maï Sheka, le Commandant Guidon, aurait déclenché la peur et la panique. Des centaines de personnes ont fui le lieu de vote pour se réfugier dans la forêt. Ntabo Ntaberi Sheka, le leader de Maï Maï Sheka, se présente aux élections législatives. Sheka est sous le coup d’un mandat d’arrêt congolais pour crimes contre l’humanité pour des viols de masse commis en août 2010. Le 29 novembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a ajouté Sheka sur la liste de sanctions de l’ONU, gelant ses avoirs et imposant une interdiction de voyager au niveau mondial.

« Les citoyens congolais qui se sont présentés en grand nombre pour exercer leurs droits démocratiques méritent que leurs votes soient pris en compte », a conclu Anneke Van Woudenberg. « Alors que l’annonce des résultats des élections approche, il est crucial que tous les dirigeants agissent de façon responsable et pacifique, qu’ils soient gagnants ou perdants. » 

 

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