Skip to main content

Mesdames et Messieurs les membres du Comité,

Nous vous écrivons à l'approche de l'examen de la France par le Comité contre la torture prévu en avril 2016, afin de souligner certaines inquiétudes concernant la manière dont la France se conforme aux dispositions de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (désignée ci-après « la Convention »), d’après les résultats de recherches effectuées récemment par Human Rights Watch.

© 2012 Human Rights Watch

Les conditions de détention des prisonniers souffrant de troubles psychiatriques dans les quartiers disciplinaires

Dans notre rapport d'avril 2016 intitulé « Double Peine : Conditions de détention inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France », nous avons documenté les conditions de détention inadaptées pour les détenus atteints de troubles psychiatriques et le manque de soins appropriés en matière de santé mentale qui occasionnent à ces détenus des souffrances inutiles. Un aspect particulièrement préoccupant est que les personnes souffrant de troubles psychiatriques peuvent être détenues dans des quartiers disciplinaires où leur santé mentale peut se détériorer davantage et où ils risquent de s’automutiler. Aucun professionnel médical ne siège dans les commissions disciplinaires des prisons qui déterminent si une personne doit être sanctionnée et de quelle manière.

Dans les prisons visitées par Human Rights Watch, les réactions des personnels pénitentiaires et des professionnels de santé aux infractions disciplinaires commises par des détenus atteints de troubles psychiatriques varient selon les cas. Human Rights Watch a constaté l'existence de conflits entre la mise en application du règlement de la prison et l'apport d'une réponse appropriée (comprenant notamment un accès à des soins psychiatriques) aux problèmes posés par les détenus atteints de troubles mentaux, dont certains peuvent commettre des infractions disciplinaires en conséquence directe de leur handicap. Ce genre de conflit est particulièrement manifeste lorsque l'infraction consiste en l'agression physique d'un gardien de prison.

Un détenu sanctionné par une mise à l'isolement dans une cellule disciplinaire y est enfermé seul et est empêché de participer à des activités ou de travailler. Il a le droit de sortir pendant une heure par jour pour faire de l'exercice dans une cour spéciale, où il est seul avec un gardien. Dans de telles circonstances, les détenus atteints de troubles psychiatriques peuvent vivre cette punition comme étant particulièrement dure par rapport aux détenus ne souffrant pas des mêmes troubles.

 Nous prions instamment le Comité d'appeler le gouvernement français à donner aux détenus la possibilité de bénéficier du témoignage devant la commission disciplinaire d'un professionnel de santé, y compris dans le domaine de la psychiatrie, qui puisse apporter un avis d'expert sur l'impact que peut avoir la détention en cellule disciplinaire sur un prisonnier, en particulier à la lumière des troubles mentaux ou psychiatriques dont il peut être atteint.

 Nous prions instamment le Comité d'appeler le gouvernement français à commissionner une étude indépendante de l'état de santé mentale des détenus comme première mesure visant à rectifier les conditions de détention inapropriées et à combler les lacunes existantes en matière de fourniture de soins psychiatriques, qui font courir aux prisonniers le risque de subir des mauvais traitements interdits par le droit international.

 

Pratiques abusives dans les hôpitaux psychiatriques

Dans son rapport Double peine, Human Rights Watch a également constaté que des détenus considérés comme nécessitant des soins psychiatriques intensifs et qui sont placés en hôpital psychiatrique, sont traités d'une manière qui peut constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant, en violation de l'article 16 de la Convention.

Des prisonniers qui ont été placés dans des hôpitaux psychiatriques sans leur accord, ainsi que des membres du personnel médical et l'ancien inspecteur des lieux de privation de liberté, ont décrit à Human Rights Watch les dures conditions subies par les prisonniers dans les hôpitaux psychiatriques. D'une manière systématique, ils sont mis en isolement à cause de leur statut de prisonnier, et non pas parce que leur état de santé mentale l'exige.

Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants a estimé que l'isolement de longue durée, y compris comme moyen de « gérer » des prisonniers considérés comme nécessitant des soins psychiatriques, peut être une

forme de traitement cruel, inhumain ou dégradant. Il a affirmé que l'isolement « devrait se limiter au minimum, n'être utilisé que dans des cas très exceptionnels, pour des durées les plus courtes possible, et seulement en dernier ressort. » 1

« Sarah », une détenue, a ainsi décrit à Human Rights Watch ce dont elle se souvenait de deux séjours passés dans des hôpitaux psychiatriques: « Dans les deux (hôpitaux), il y avait beaucoup de mauvais traitements », a-t-elle déclaré. « Parfois, les infirmières […] me traînaient par les pieds vers une pièce d'isolement et m'attachaient sur le lit, alors que je n'avais rien fait de mal. Je préfère 1 000 fois être en cellule qu'en chambre d'isolement à l'hôpital. A me faire attacher les bras et les pieds comme si j'étais un animal, après avoir reçu une piqûre dans les fesses », a-t-elle dit.

Nous prions instamment le Comité de recommander à la France de prendre des mesures pour s'assurer que lorsque des prisonniers sont admis dans un hôpital psychiatrique, ils ne soient pas isolés ou confinés si ce n'est pas indispensable d'un point de vue thérapeutique. Les hôpitaux devraient respecter le droit des patients à un traitement qui soit fondé sur leur consentement libre et informé et les traiter d'une manière non discriminatoire, sans considération de leur casier judiciaire.

Pour de plus amples informations, veuillez consulter notre rapport d'avril 2016 Double peine : Conditions de détention inappropriées pour les personnes présentant des troubles psychiatriques dans les prisons en France, https://www.hrw.org/fr/report/2016/04/05/double-peine/conditions-de-detention-inappropriees-pour-les-personnes-presentant#e8ed99

Exactions policières à l'encontre de demandeurs d'asile et de migrants à Calais

En novembre et décembre 2014, Human Rights Watch a documenté des abus commis par la police française contre des migrants et des demandeurs d'asile dans la ville portuaire de Calais, en violation des dispositions de la Convention interdisant la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. Les abus décrits à Human Rights Watch incluaient des passages à tabac et des attaques au gaz poivré alors que les migrants et les demandeurs d'asile marchaient dans les rues ou se cachaient dans des camions dans l'espoir de se rendre au Royaume-Uni.

Human Rights Watch est au courant de la déclaration du gouvernement français dans sa réponse à la liste de questions du Comité, selon laquelle huit enquêtes concernant des plaintes relatives à des actes de violence commis par des agents de police contre des migrants et des demandeurs d'asile à Calais ont été ouvertes, et que dans une de ces affaires, un policier a été condamné à trois mois de prison avec sursis et 1 000 euros d'amende pour violence aggravée.2 Nous estimons qu'une enquête indépendante est nécessaire d'urgence afin d'assurer que les responsabilités pour les abus commis puissent être établies, conformément à l'article 12 de la Convention.

 Nous prions instamment le Comité d'appeler la France à ouvrir une enquête indépendante sur ces allégations d'abus à Calais. Le gouvernement français devrait également émettre des instructions claires à l'intention des fonctionnaires de police travaillant à Calais, selon lesquelles ils ne devraient recourir à la force, y compris aux pulvérisations de gaz poivré, qu'en dernier ressort, et seulement lorsque c'est absolument nécessaire et de manière proportionnée compte tenu du but légitime à atteindre, comme par exemple d'assurer leur propre sécurité ou celle d'autres personnes.

Pour de plus amples informations, veuillez consulter notre rapport de janvier 2015 intitulé France: Les migrants et demandeurs d'asile victimes de violence et démunis https://www.hrw.org/fr/news/2015/01/20/france-les-migrants-et-les-demandeurs-dasile-victimes-de-violence-et-demunis

1 Rapport d'étape du Rapporteur spécial sur la torture et les autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, juillet 2008,

A/63/175, paragraphes 77, 79 et 83, http://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=48db9a052

2 Réponse du gouvernement français à la liste de questions du Comité, paragraphe 135, février 2016.

 

Your tax deductible gift can help stop human rights violations and save lives around the world.

Région/Pays