Africa - West

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ENLEVEMENT ET RECRUTEMENT D'ENFANTS

      Lors d'une célébration du cinquante-deuxième anniversaire de la signature de la Déclaration Universelle des Droits Humains, le 10 décembre 2000, une personnalité officielle du RCD-Goma déclara aux groupes nationaux de défense des droits humains et aux représentants officiels des Nations Unies que le RCD-Goma ne recrutait pas d'enfants.37 Lors d'une réunion avec Human Rights Watch le 19 décembre, le chef du Département Affaires Etrangères du RCD-Goma répéta cette dénégation et affirma que des instructions avaient été données à tous les commandants du RCD-Goma afin qu'ils ne recrutent pas d'enfants.38 Cependant, les chercheurs de Human Rights Watch ont découvert que dans le cadre des efforts de recrutement général, les soldats du RCD-Goma, ainsi que ceux de l'APR, avaient recruté et continuent à recruter des enfants, souvent par la force, et à les entraîner au combat.

Recrutement d'enfants par le passé

      Tout en niant que le RCD-Goma recrutait des enfants, le chef de son Département Affaires Etrangères a bien admis qu'ils avaient "hérité" d'enfants soldats recrutés par feu le Président Laurent-Désiré Kabila, pour la campagne qu'il conduisit de concert avec les forces rwandaises contre le gouvernement de Mobutu en 1996 et 1997.39
      Comme chef de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (AFDL), Kabila enrôla des milliers de jeunes kadogos (ou "les petits" en swahili) dans ses forces armées.40 Des soldats de l'armée rwandaise et des officiers aidèrent l'AFDL à entraîner ses recrues, y compris les enfants soldats. Le Colonel James Kabarebe, l'un des plus hauts commandants rwandais au Congo, parle avec fierté des succès de l'APR dans la formation de ces enfants. Selon le journal Le Soft, citant un entretien publié initialement en kinyarwanda dans le journal Ingabo, Kabarebe déclare :

        La jeune armée que nous [l'APR] avons mise en place lorsque nous sommes arrivés au Congo et que nous appelons Kadogo est de loin la meilleure armée du Congo. C'était une armée faite de jeunes, obéissants et disciplinés, mais qui avaient besoin d'être mieux supervisés, mieux formés.41

      En dépit des promesses du gouvernement congolais de démobiliser les enfants, l'armée de Kabila continua à en recruter. Kabila se sépara de ses anciens alliés mi 1998 et demanda aux Rwandais de retirer leurs troupes. Au lieu de cela, le gouvernement rwandais et son allié nouvellement constitué, le RDC, entama une guerre contre le gouvernement congolais. Ensuite, tant le gouvernement que le RDC intensifièrent le recrutement et la formation d'enfants, y compris en réincorporant des enfants soldats qui avaient préalablement été démobilisés.42
      Trois garçons recrutés de force en 1997, 1998 et 1999 alors qu'ils étaient âgés de dix-sept, treize et seize ans ont raconté leur expérience à un chercheur de Human Rights Watch. Il se trouve que deux de ces garçons avaient un lien de famille mais ils ont été capturés séparément et à deux moments distincts, l'un sur le chemin de sa maison de retour de l'église et l'autre sur le chemin de sa maison après l'école. Ils se retrouvèrent dans le même camp de formation à Rumangabo, à environ quatre-vingt kilomètres de Goma. Ils évoquent les deux personnes les plus importantes du camp à savoir les formateurs de l'armée rwandaise connus sous les noms de Afandi Padiri et Innocent. Les deux jeunes hommes s'enfuirent tous les deux en avril 2000 et déclarèrent qu'ils avaient entendu dire que Afandi Padiri et Innocent avaient été envoyés à Kisangani.
      L'un d'entre eux déclare : "Ils nous ont donné des bâtons de bois en forme de fusils. Si on le perdait, on était tué. On nous montrait de vrais fusils et comment les utiliser mais ils les reprenait toujours après. On nous donnait un fusil que quand on allait au front."
      La première fois que les deux jeunes tentèrent de s'échapper, ils furent repris et punis par de nombreux coups. Ils affirmèrent qu'un troisième jeune qui avait essayé de s'enfuir fut tué sur le champ. Les deux garçons réussirent leur seconde tentative et avec l'aide de villageois qui les cachèrent, ils purent peu à peu retrouver la sécurité.43
      Un autre garçon âgé de treize ans à l'époque de son enlèvement à Goma en 1998 raconta à Human Rights Watch :

        Je rentrais de l'école à environ 5 heures du soir. Je vais à l'école l'après midi. Je me dirigeais vers la maison quand des soldats dans un véhicule m'ont arrêté et m'ont fait monter. C'était des Rwandais. Il y avait beaucoup d'autres jeunes garçons dans le véhicule. On est allé à l'aéroport de Goma et de là, à Kalemie par avion. On avait tous dix, douze, treize ans et plus. Puis, on nous envoya à Camp Vert à Moba et on nous forma là-bas. Beaucoup ont été tués pendant la formation. Beaucoup sont morts de maladie. La nourriture était mal préparée et beaucoup ont attrapé la dysenterie.

      Le garçon explique qu'à Moba, le commandant du camp militaire de formation de Camp Vert était un Rwandais appelé Rugazara qui avait aussi été impliqué dans la formation des recrues. Ce garçon avait également été battu pendant la formation et il avait des cicatrices visibles sur la tête, dues selon lui aux coups reçus après une tentative manquée d'évasion. Quand il parvint à s'échapper, lui aussi s'appuya sur la population locale pour se cacher et recevoir de la nourriture pendant son long voyage de retour vers Goma. En arrivant à Goma, il découvrit que son père avait été recruté de force et que sa mère avait disparu. On l'aida à fuir et il put, par chance, retrouver sa mère. Sa mère déclara que jusqu'à sa réapparition, elle n'avait aucune idée de ce qui avait pu lui arriver et elle avait entamé le deuil traditionnel, le croyant mort.44
      Un ancien instructeur du RDC affirme qu'il a déserté du RCD-Goma parce qu'il s'opposait au recrutement forcé des enfants :

        On m'a envoyé dans certaines zones afin de recruter des enfants pour l'armée du RDC. Parce que personne ne se portait volontaire, le RDC a forcé les gens à rejoindre son armée. En 1999, j'ai été impliqué dans le recrutement d'enfants âgés de onze à quinze ans dans les localités de Kasongo et Kalima dans la province de Maniema. Le RDC recrutait habituellement des enfants dans les écoles locales mais les écoles fermèrent parce que les parents avaient peur de la campagne. Le RDC envoya des recruteurs un dimanche pour attendre les enfants qui se rendaient à l'église. 500 enfants au total furent raflés ce jour là dans les deux localités. On les emmena par camions à l'aéroport de Kalima et de là, ils furent envoyés par avion au camp de formation de Kalemie, une ville portuaire sur les rives du lac Tanganyika, dans la province du Katanga.

Il affirme que les enfants furent formés dans deux camps à Kalemie, le Camp Marin et le Camp Mayito où des officiers de l'armée rwandaise supervisaient la formation. Selon cet ancien instructeur, les enfants recevaient entre deux et trois semaines d'entraînement physique de base et étaient ensuite envoyés sur les champs de bataille.

        On les formait à l'utilisation des armes et au tir et c'était tout. Certains enfants ont même été envoyés au combat sans armes. On les envoyait en éclaireurs, à l'avant des troupes du RDC et de l'APR, prêtes au combat, afin qu'ils fassent diversion. On leur ordonnait de faire beaucoup de bruit, en tapant avec des bâtons sur les troncs d'arbres et des choses comme ça. Quand ils réussissaient à attirer l'attention des troupes gouvernementales, c'est à dire, quand les tirs des forces gouvernementales s'abattaient sur eux qui étaient non armés, ces unités, connues sous le nom de Commando Kadogo, étaient littéralement autorisées à tomber comme des mouches sous le feu des forces gouvernementales. Les troupes expérimentées attaquaient alors les troupes gouvernementales lorsque l'attention de ces dernières était centrée sur le Commando Kadogo.

      L'ancien soldat du RCD-Goma a déclaré qu'il avait lui même été le témoin de cette tactique près de Kindu, dans un village appelé Lodja. Les enfants impliqués avaient été recrutés à Mateve, dans le Kibumdo. Dans une autre bataille, dans le village de Kirungu près de la ville de Moba, en février 1999, il fut le témoin du massacre d'au moins cent Commandos Kadogo, la plupart d'entre eux non armés. "Les plus chanceux furent enterrés dans une fosse commune," déclara-t-il. "Les autres furent laissés aux vautours."45

Enlèvement récent d'enfants par le RCD-Goma

      Des rapports récents des Nations Unies ont estimé qu'entre 15 et 30 pour cent de tous les combattants nouvellement recrutés au Congo sont des enfants de moins de dix-huit ans. Un nombre substantiel d'entre eux ont moins de douze ans.46 Le nombre recruté par le gouvernement et par chaque faction armée est inconnu. Dans le camp de formation du RCD-Goma à Mushaki, dans le Masisi, l'ONU estime que parmi les 3 000 (au minimum) jeunes soldats nouvellement recrutés, plus de 60 pour cent ont moins de dix-huit ans.47
      Selon un résident de Rutshuru, les soldats du RCD-Goma et de l'APR ont enlevé des enfants de sa communauté le 17 novembre 2000 ou aux environs de cette date. "Ils sont entrés dans les maisons et ont pris tous les jeunes enfants entre treize et vingt ans et ils ont dit qu'ils devaient partir et devenir des soldats. Ils ont aussi pris des jeunes filles. Cela se passe jour et nuit, dans des opérations [de maison à maison] ou en prenant des groupes d'enfants", déclara-t-il.48
      Parce que les enfants et les jeunes hommes ont pris l'habitude de dormir en dehors de leurs maisons, comme mentionné plus haut, et aussi parce que le recrutement peut se faire de façon plus rapide dans les endroits publics, les soldats cherchent leurs recrues potentielles lors de raids sur les écoles, sur les routes et dans les marchés.
      Dans un cas rapporté à Human Rights Watch, trois étudiants de l'Institut Kashofu, âgés de quinze et seize ans, originaires de l'île Idjwi furent arrêtés le 29 novembre 2000, alors qu'ils se rendaient de l'école à leurs domiciles, à la mi-journée. Des soldats dans un canot à moteur avec à son bord vingt-six autres jeunes hommes se rapprocha. Ils prirent les étudiants de force et les jetèrent dans le canot. Au cours de l'opération, les étudiants lancèrent leurs livres scolaires à d'autres enfants plus jeunes qui observaient la scène. On les emmena à l'extrémité nord de l'île où on les plaça avec 170 autres garçons et jeunes hommes amenés plus tôt du sud de l'île. Le 3 décembre 2000, ils furent conduits à Goma sur un bateau appelé Karisimbi. Le jour suivant, on les emmena au camp de formation de Mushaki où se trouvaient 200 autres jeunes, y compris une fille, déclarèrent-ils. L'un d'entre eux essaya de s'enfuir mais fut repris et sévèrement battu. Les formateurs, qui étaient des soldats de l'APR, volèrent le pantalon, les chaussures et la chemise de l'une des victimes. Les garçons réussirent à s'enfuir peu de temps après, fin 2000.49
      Dans un cas récemment rapporté à Human Rights Watch, deux garçons âgés de douze et treize ans, se sont échappés du camp de formation de Mushaki au cours de la première semaine de janvier 2001. L'un d'entre eux expliqua comment il avait été enlevé par des soldats en plein milieu du marché de Nyanzale, à Rutshuru, le jour de Noël 2000, aux environs de 10 heures du matin.

        On m'a forcé à monter dans un camion. En une heure, le camion s'est rempli d'enfants. On est parti et quelques minutes plus tard, quand on est arrivé dans un centre, le véhicule s'est arrêté et d'autres enfants, certains plus jeunes que moi, ont été forcés de monter à bord. Tout à coup, on s'est retrouvé à Mushaki et le jour suivant, la formation a commencé. On ne savait pas pourquoi on nous avait emmenés là et ce qu'on devait faire et c'est la raison pour laquelle on a pensé qu'on ferait mieux de s'échapper parce que c'était la seule possibilité qui nous restait pour sortir de cet enfer. Nos parents ne savent pas où nous sommes en ce moment même. Je sais qu'ils sont inquiets. Je voudrais les retrouver le plus vite possible ce qui leur ferait tellement plaisir. Je ne veux pas être un soldat. A la place, je rêve de devenir fermier ou charpentier.50

      Parce que les soldats sont connus pour enlever les enfants des écoles, la simple apparition de soldats au voisinage d'une école peut provoquer la panique chez les enfants. Selon des sources locales, des soldats s'approchèrent de l'école secondaire de Kibumba, dans la zone de Nyarigonge, à environ vingt kilomètres de Goma, un matin de la mi-décembre 2000 alors que les cours se déroulaient. Tous les élèves se dispersèrent et s'enfuirent en courant et l'école ne fonctionna pas pendant quelque temps après cet incident parce que les parents et les élèves n'étaient pas prêts à courir le risque de possibles autres tentatives de recrutement.51 Un résident de Rutshuru commente ainsi : "Les parents ont peur de laisser sortir leurs enfants. Des enfants ont été pris par le passé... et ne sont pas revenus. Alors les parents sont très inquiets."52
      Un professeur a relaté à Human Rights Watch un autre incident au cours duquel des soldats sont passés près de son école dans la banlieue de Goma. Ses élèves ont paniqué en croyant que les soldats venaient à l'école pour les emmener en formation militaire. "Ils voulaient sauter par les fenêtres pour s'échapper," déclare leur professeur. En fin de compte, les soldats passèrent sans s'arrêter.53

Libération des enfants
Comme indiqué auparavant, les soldats sont parfois disposés à libérer, en échange de paiement, les enfants et les jeunes gens qui ont été enlevés. Un garçon aujourd'hui âgé de seize ans, déclara dans un témoignage écrit qu'il avait été recruté pour la première fois par les forces rebelles en 1996 et qu'on l'avait ensuite à nouveau enrôlé de force trois fois. A un moment donné, on l'emmena dans un camp de transit à Kinyogote dans l'attente d'un transfert vers Mushaki. "Là-bas, il y avait environ soixante-dix jeunes gens parmi lesquels des recrues anciennes et d'autres récentes et parmi lesquels se trouvaient des garçons de quatorze, quinze, seize et dix-sept ans," déclara-t-il. Il affirma que son oncle paya une fois environ 15 dollars US pour le faire libérer.54 Un résident local raconta des cas similaires dans la province de Maniema où des enfants, certains de moins de douze ans ont été recrutés dans la région de Kasongo, tout particulièrement dans les communautés de Mulu et Maringa. On pouvait racheter les enfants aux soldats pour un paiement de dix chèvres, déclara-t-il.55

37 Interview Human Rights Watch, Goma, 17 décembre 2000.

38 Interview Human Rights Watch avec Joseph Mudumbi, Goma, 19 décembre 2000.

39 Ibid.

40 Conduite par celui qui n'était encore que le rebelle Laurent-Désiré Kabila, l'AFDL était une coalition de partis politiques du Congo oriental qui, avec l'aide du Rwanda, de l'Ouganda, de l'Angola et du Burundi renversa le Président Mobutu après une guerre de sept mois qui débuta en octobre 1996. Pour plus de détails, voir le rapport de Human Rights Watch, "Democratic Republic of Congo: What Kabila is Hiding, Civilian Killings and Impunity in Congo" (République Démocratique du Congo : ce que cache Kabila, assassinats de civils et impunité au Congo), volume 9, numéro 5 (A), octobre 1997 et "Uncertain Course : Transition and Human Rights Violations in Congo" (Issue incertaine : transition et violation des droits humains au Congo), rapport Human Rights Watch, volume 9, numéro 9(A), décembre 1997 (également disponible en français).

41 "Homme mythe, le Colonel James Kabarebe lève un coin de son voile", entretien avec le Colonel James Kabarebe publié en kinyarwanda dans la revue Ingabo, numéro 51, traduit en français par Le Soft International et disponible sur le site www.lesoftonline.net/james.html.

42 Voir le rapport de Human Rights Watch, "Casualties of War: Civilians, Rule of Law, and Democratic Freedoms", volume 11, numéro 1(A), février 1999 ; la déclaration de campagne de Human Rights Watch The Use of Child Soldiers in the Democratic Republic of Congo, 1999 à l'adresse www.hrw.org/hrw/campaigns/crp/congo.htm et "Human Rights Watch Condemns Recruitment of Child Soldiers in Congo", 11 août 1998 à l'adresse www.hrw.org/hrw/press98/aug/cong0811.htm.

43 Interview Human Rights Watch, décembre 2000.

44 Interviews Human Rights Watch, décembre 2000.

45 Ibid.

46 Cinquième rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo, S/2000/1156, 6 décembre 2000, paragraphe 72.

47 Sixième rapport du Secrétaire Général sur la Mission de l'Organisation des Nations Unies dans la République Démocratique du Congo, S/2001/128, 12 février 2001, paragraphe 65.

48 Interview Human Rights Watch, Goma, 7 décembre 2000.

49 Noms gardés secrets afin de protéger l'identité des personnes concernées, communication écrite adressée à Human Rights Watch, janvier 2001.

50 Source Human Rights Watch, 1er janvier 2001.

51 Interviews Human Rights Watch, Goma, 17 et 19 décembre 2000. Human Rights Watch n'a pas confirmé si l'école a réouvert.

52 Interview Human Rights Watch, Goma, 7 décembre 2000.

53 Interview Human Rights Watch, Goma, 18 décembre 2000.

54 Témoignage écrit fourni à Human Rights Watch par un observateur local, Goma, 19 décembre 2000.

55 Interview Human Rights Watch, Goma, 8 décembre 2000.

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