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HRW World Report 2000 Chechnya: Renewed Catastrophe
Tchétchénie: "Bienvenue en Enfer" - Résumé


 

Les détenus tchétchènes arrivant au camp russe de "filtration" de Tchernokozovo, en janvier 2000, recevaient un accueil des plus menaçants. Les gardes, en effet, leur souhaitaient la "bienvenue en enfer" et les forçaient ensuite à marcher entre deux rangs de matons armés de matraques et qui les frappaient. Ceci n'était cependant que le début d'une longue et horrible suite d'exactions, incluant passages à tabac, viols et autres formes de torture, dont furent victimes la majorité des tchétchènes détenus au début de l'année 2000. La plupart d'entre eux ne furent relâchés qu'après paiement par leurs familles de fortes sommes à certains officiels russes devenus spécialistes de l'extorsion.


En septembre 1999, la Russie entamait une campagne militaire destinée à rétablir son contrôle sur la Tchétchénie. Cette guerre coûta la vie à des milliers de civils, força des centaines de milliers de personnes à l'exode et provoqua des dégâts gigantesques au niveau de l'infrastructure civile. Les civils furent les principales victimes des bombardements aveugles, des exécutions sommaires et des autres exactions commises par les forces russes en violation des règles applicables aux conflits armés non internationaux.

 
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Ceux qui furent ainsi forcés de passer entre les rangs de matons russes faisaient partie des milliers de tchétchènes détenus par les forces russes parce que suspectés de collaboration avec les combattants rebelles. En septembre 1999, la Russie entamait une campagne militaire destinée à rétablir son contrôle sur la Tchétchénie. Cette guerre coûta la vie à des milliers de civils, força des centaines de milliers de personnes à l'exode et provoqua des dégâts gigantesques au niveau de l'infrastructure civile. Les civils furent les principales victimes des bombardements aveugles, des exécutions sommaires et des autres exactions commises par les forces russes en violation des règles applicables aux conflits armés non internationaux.

Bien que l'offensive militaire ait pris fin en avril 2000, des dizaines de milliers de tchétchènes déplacés se refusent encore aujourd'hui à retourner chez eux, craignant d'être arrêtés ou tués par les forces russes ou de voir le même sort être réservé à leurs mari, fils, père ou frère. Des milliers d'autres, en Tchétchénie, n'osent plus quitter leurs communautés, même pour aller recevoir des soins médicaux. Leurs craintes sont loin d'être infondées… A la fin mai 2000, le Ministère de l'Intérieur affirmait que plus de dix milles personnes avaient été arrêtées en Tchétchénie depuis le début de l'année, que 478 de ces personnes étaient sur la liste des "individus recherchés" et que plus de mille d'entre elles étaient des "rebelles [tchétchènes] ou des complices de ceux-ci"(1). A la date de publication de ce rapport, des arrestations similaires continuent à avoir lieu dans toute la Tchétchénie. La plupart des individus arrêtés ont été emmenés dans des centres de détention en Tchétchénie et ailleurs dans le nord du Caucase, où ils ont eu à souffrir d'exactions.

Le présent rapport rend compte de manière détaillée des arrestations arbitraires et des exactions commises dans plusieurs centres de détention en Tchétchénie, en particulier le camp de Tchernokozovo et six autres centres identifiés dans la région et situés à Tolstoy-Yurt, Khankala et Urus-Martan (Tchétchénie), Pyatigorsk et Stavropol (province de Stavropol), et Mozdok (Ossétie du nord). Le rapport est basé sur les recherches et enquêtes menées par une équipe de Human Rights Watch qui a identifié et interviewé des dizaines d'anciens détenus, de février à mai 2000, et procédé à une vérification minutieuse des récits individuels, les comparant avec d'autres, afin de garantir leur véracité.

Les actes de torture et autres exactions mentionnés dans le présent rapport constituent des violations graves des obligations qui incombent à la Russie en vertu des Conventions de Genève de 1949, du second protocole additionnel aux Conventions de Genève relatif à la protection des victimes des conflits armés non internationaux, et des autres instruments du droit international humanitaire auxquels la Russie est partie.

Les arrestations arbitraires et la torture dans les centres de détention ne sont pas des phénomènes nouveaux en Tchétchénie. Lors du conflit tchétchène de 1994-96, les forces russes avaient déjà organisé des rafles et amené des civils, pour interrogatoire, dans des centres de détention à Mozdok, Grozny, Pyatigorsk et Stavropol. Pendant la première guerre, les individus détenus dans ces camps avaient étaient torturés et souffert d'exactions diverses et, fréquemment, avaient été échangés contre des soldats russes ou de l'argent liquide. Beaucoup d'entre eux ne furent jamais revus vivants, ayant "disparu" après leur période de détention.

Arrestations en masse et détention arbitraire

Dès la reprise du conflit armé en Tchétchénie, en septembre 1999, les autorités russes commencèrent à arrêter des hommes et femmes, soit aux postes de contrôle, soit lors de rafles menées après certains combats ou encore lors de rafles visant des communautés précises. Bien que la Russie n'ait pas déclaré d'état d'urgence en Tchétchénie, les droits des accusés ne sont pas respectés lorsque de telles arrestations ont lieu. Les détenus sont fréquemment maintenus au secret et, pour beaucoup d'eux, le fait qu'ils aient été arrêtés n'est jamais reconnu officiellement. Ils ont souvent tendance à "disparaître" quelques mois après leur arrestation. Les arrestations se font sur base de motifs souvent complètement arbitraires. Des hommes et des femmes sont ainsi détenus parce qu'ils se trouvent dans un endroit qui n'est pas leur domicile officiel, parce que leurs documents d'identité sont incomplets, parce qu'ils portent le même nom de famille qu'un commandant tchétchène, parce qu'on pense que des membres de leur famille sont des rebelles ou encore parce qu'il ont eux-mêmes "l'air" d'être des combattants.

Les arrestations aux postes de contrôle en Tchétchénie et aux frontières avec la Russie sont tellement courantes que les tchétchènes font tout ce qui est en leur pouvoir pour ne pas avoir à voyager, même lorsqu'il devient urgent de fuir les combats. Les soldats des postes de contrôle commettent souvent des exactions à l'encontre des civils, s'en prenant en particulier aux hommes jeunes. Les hommes sont régulièrement passés à tabac pendant les procédures d'arrestation, et soumis à des menaces et des humiliations. Des femmes ont elles été violées après leur mise en détention. Human Rights Watch dispose ainsi d'informations faisant état du viol de deux jeunes femmes au poste frontière de Kavkaz, à la fin du mois de janvier 2000.

Les forces russes ont régulièrement organisé des rafles et arrêté des groupes d'hommes lors d'opérations de "nettoyage", destinées à faire fuir ou à arrêter des rebelles et leurs collaborateurs après la prise d'un village. Elles ont également procédé à des arrestations en masse et des fouilles systématiques de maisons tchétchènes après que la guérilla ait organisé des embuscades ou mené à bien d'autres attaques. Dans certains cas, la population masculine des villages était réunie, emmenée dans un champ et passée à tabac, les officiels russes cherchant à identifier de possibles combattants rebelles. Les individus pris dans des rafles ou des opérations de "nettoyage" sont traités de manière particulièrement brutale et battus sans aucune pitié, parfois à mort, quand ils ne sont pas exécutés sommairement. Ainsi, Akhmed Doshaev fut exécuté par des soldats russes, après avoir été arrêté à Shaami-Yurt le 5 février 2000.

Torture et autres exactions commises à Tchernokozovo

En janvier et début février 2000, pendant la phase la plus active du conflit, la plupart des individus détenus en Tchétchénie étaient envoyés au centre de détention préventive de Tchernokozovo, situé à une soixantaine de kilomètres au nord-ouest de Grozny. A leur arrivée, les détenus étaient accueillis par deux rangs de gardes armés de matraques et étaient brutalement passés à tabac avant même leur entrée. Au moins un détenu, Aindi Kovtorashvilli, est mort à Tchernokozovo, le 11 janvier 2000, une blessure qu'il avait à la tête ayant été rouverte lors du passage à tabac reçu à son arrivée.

Les détenus de Tchernokozovo étaient tabassés à la fois lors des interrogatoires et pendant la nuit, moment où les gardes se déchaînaient. Pendant les interrogatoires, les gardes forçaient les détenus à ramper et les battaient de manière sauvage. Des détenus eurent des côtes cassées, d'autres souffrirent de blessures aux reins, au foie, aux testicules et aux pieds(2). Certains furent soumis à des séances d'électrochoc.

La nuit, les gardes avaient toute liberté de commettre les pires exactions et d'humilier les prisonniers. Souvent saouls, écoutant de la musique forte, les gardes tabassaient et soumettaient les détenus à des jeux humiliants. Certaines des violences les plus graves eurent lieu la nuit. Des détenus étaient régulièrement battus jusqu'à ce qu'ils perdent connaissance, puis réanimés avant d'être battus à nouveau. Certains devaient ramper avec un garde sur le dos et recevaient des coups s'ils avançaient trop lentement. Dans leurs cellules, des prisonniers étaient forcés de rester debout, les mains en l'air, pendant des journées entières. Les gardes se servaient de gaz lacrymogène si quiconque désobéissait à leurs ordres. Des preuves convaincantes démontrant que des hommes et des femmes ont été violés et abusés sexuellement avec des matraques ont également été trouvées.

A la mi-février, lorsque la communauté internationale commença à s'intéresser aux violations des droits de l'homme commises en Tchétchénie et que l'on se mit à parler d'envoyer sur place des observateurs internationaux, les autorités russes ordonnèrent le "nettoyage" du centre de détention de Tchernokozovo. Une délégation militaire russe se rendit sur place au début du mois de février et découvrit des preuves claires d'exactions, bien que beaucoup des détenus qui en avaient été les victimes aient été transférés et que les autres prisonniers aient reçu l'ordre de ne pas se plaindre. Lorsqu'une délégation internationale d'observateurs et de journalistes visita les lieux à la fin du mois de février, les conditions s'étaient fortement améliorées et la plupart des preuves des exactions avaient été éliminées. Les responsables russes, y compris le porte-parole du gouvernement Sergei Yastrzhembsky et le représentant présidentiel aux droits de l'homme, Vladimir Kalamanov, nièrent en bloc toutes les accusations faisant état d'exactions commises à Tchernokozovo. A ce jour, aucune enquête formelle n'a été ordonnée.

Torture et exactions commises dans d'autres centres de détention

L'amélioration des conditions à Tchernokozovo à la mi-février n'affecta absolument pas le nombre de détenus sans cesse croissant emmenés vers d'autres centres de détention. Les tchétchènes continuèrent à être victimes d'exactions aux postes de contrôle, dans les stations de police, les bases militaires et les prisons dans et en dehors de la Tchétchénie.

Dans les centres de détention préventive de Stavropol et Pyatigorsk, situés tous deux sur le territoire de Stavropol, les détenus étaient eux aussi passés à tabac par deux rangs de matons lors de leur arrivée sur place et régulièrement battus pendant leur détention. Sur la base militaire de Mozdok, les détenus étaient sodomisés avec des matraques, forcés de marcher entre des gardes qui les frappaient et leur donnaient des coups de pied, et recevaient des coups dans les testicules. Un médecin ingouche nous a expliqué avoir examiné un ancien prisonnier, détenu à Mozdok, dont les organes génitaux étaient fortement enflés et qui présentait des signes de viol, puisqu'il souffrait de blessures internes au colon.

Sur l'importante base militaire de Khankala, près de Grozny, les détenus étaient souvent gardés dans des camions de transport de prisonniers surpeuplés, et ce même au cœur des terribles hivers tchétchènes. Une jeune femme de 19 ans, souffrant apparemment d'un retard psychologique, y fut violée pendant trois jours par de nombreux soldats, à la fin janvier 2000. Des hommes furent violemment battus, y compris lors d'interrogatoires, et au moins un détenu a été torturé avec un fer à souder. En avril, deux cadavres défigurés furent découverts à Khankala et il est probable que les deux hommes aient été torturés et exécuté sur place.

Des exactions ont également été commises dans des camps militaires en Tchétchénie. Zhebir Turpalkhanov fut détenu en avril 2000 dans un camp situé près de Tsotsin-Yurt et violemment battu pendant cinq jours d'affilée, pendant sa détention. Il mourut quelques heures après avoir été relâché.

D'autres prisonniers ont eux été détenus dans une raffinerie désaffectée proche de Tolstoy-Yurt où, entre autres exactions, les gardes les menaçaient de les exécuter et les passaient à tabac, parfois de manière si brutale que plusieurs détenus eurent des côtes cassées. Dans un ancien pensionnat de Urus-Martan, l'un des trois centres de détention de la ville, les détenus étaient forcés de passer entre des gardes armés de matraques qui les frappaient au passage et étaient régulièrement passés à tabac. Certaines informations font état d'exactions récentes, notamment d'un viol de détenu en avril 2000.

Lors de leur arrestation, les prisonniers étaient souvent emmenés d'abord au poste de police, avant d'être ensuite transférés vers un centre de détention. Beaucoup des détenus de Grozny sont ainsi passés d'abord par le poste de police de Znamenskoye, où ils ont été battus et frappés à coups de pied lors de leur arrivée et dans leurs cellules. Lors du transfert de Znamenskoye vers le centre de détention, les prisonniers étaient parfois empilés les uns sur les autres comme des troncs d'arbre, ce qui provoquait des pertes de conscience chez ceux placés en dessous des autres. Human Rights Watch dispose d'informations faisant état d'exactions et de violences similaires dans d'autres postes de police.

Liberté à vendre: extorsions et "amnisties"

La majorité des anciens détenus interviewés par HRW a raconté qu'ils n'avaient été libérés qu'après que leurs familles aient payé de fortes sommes, pouvant aller de 2.000 roubles à 5.000 USD, à leurs gardiens russes et à certains intermédiaires. En fait, le paiement d'un pot de vin pour obtenir la libération d'un détenu était devenu tellement systématique qu'il est probable que, dans de nombreux cas, des individus aient été arrêtés dans le but de monnayer leur libération et non parce qu'il était nécessaire d'identifier des éléments rebelles. Un homme détenu par des soldats de l'OMON près de Komsomolskoye à la fin janvier 2000 ne fut ainsi jamais remis aux autorités judiciaires; les soldats préférant contacter immédiatement sa famille pour négocier sa libération.

La culpabilité ou l'innocence du détenu ne semble avoir qu'une importance minime pour ceux qui pratiquent ainsi l'extorsion, si ce n'est au niveau du prix à payer. Être innocent ne suffit pas pour être remis en liberté et des combattants tchétchènes confirmés peuvent être rachetés si la somme payée est suffisante. Human Rights Watch dispose d'informations montrant que, dans un cas précis, le chef de l'administration d'un village a pu obtenir la libération d'un combattant capturé moyennant le paiement d'une somme de 5.000 USD. Dans la plupart des cas, les familles sont contactées par des intermédiaires qui, tels des vautours, profitent de leur désespoir pour leur extorquer de grosses sommes d'argent.

Les autorités russes refusent souvent de rendre leurs documents d'identité aux détenus, lorsque ceux-ci sont libérés, où leur remettent des documents les identifiant comme des "combattants amnistiés", même s'il n'a jamais été établi que l'individu concerné ait réellement participé à la lutte armée. Ceci limite la liberté de mouvement des détenus relâchés, qui évitent de se déplacer par crainte de devoir passer les postes de contrôle et d'y être harcelés, arrêtés ou victimes d'autres types d'exaction. Les détenus relâchés sans documents d'identité deviennent ainsi virtuellement prisonniers de leur district d'origine.

Mise au secret et "disparitions"

Les autorités russes ne laissent filtrer aucune information quant aux individus qu'elles détiennent et ne permettent pas à ceux-ci de communiquer avec leur famille, même lorsque la durée de détention est de plusieurs mois. Les familles se déplacent donc jusqu'aux centres de détention, dans l'espoir de déterminer l'endroit où se trouvent leurs proches. Beaucoup de personnes montent ainsi patiemment la garde à l'extérieur des centres de détention où leurs proches semblent être détenus et échangent continuellement entre eux des informations quant aux autres prisons recensées et des listes de noms de détenus, que leur font parvenir les prisonniers relâchés par les autorités russes.

1. "L'Agence d'Information Russe (RIA) annonce des résultats positifs dans la lutte contre le crime en Tchétchénie en 2000," suivi par la BBC des dépêches de la RIA, 28 mai 2000.

2. La forme de torture consistant à frapper les pieds, communément connue sous le nom de falanga, fataka ou basinado, est bien connue et peut avoir des conséquences extrêmement graves, telles que les nécroses musculaires, obstructions vasculaires, handicaps chroniques et douleurs récurrentes. Voir Action Against Torture Survivors et al., Manuel d'enquête et de collecte d'informations relatives à la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ("Protocole d'Istanbul"), Août 1999, pour une description détaillée des conséquences médicales de la falanga.

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