Rapports de Human Rights Watch

III. Les lois et procédures antiterroristes en France

L’approche judiciaire préventive

Au cours des 30 dernières années, la France s’est principalement reposée sur son système de justice pénale pour combattre le terrorisme. En 1981, le gouvernement du Président François Mitterrand a aboli la Cour de sûreté de l’État, juridiction d’exception qui avait jugé toutes les affaires liées à la sécurité nationale depuis 1963. La cour, composée de trois magistrats civils et de deux officiers de l’armée, tenait ses procès en secret, sans aucun droit de recours. L’année suivant son abolition, le parlement français a modifié le Code de procédure pénale de façon à garantir le principe selon lequel en temps de paix, les crimes commis contre « les intérêts fondamentaux de la nation » doivent être jugés par les juridictions de droit commun.10

Bien que l’approche préventive française se fonde sur le système de juridictions de droit commun, les enquêtes et poursuites en lien avec le terrorisme font l’objet de procédures d’exception et sont gérées par des procureurs et des juges spécialisés. Depuis le milieu des années 1980, tous les dossiers de terrorisme sont centralisés à Paris auprès de procureurs et de juges d’instruction spécialisés qui travaillent en étroite collaboration avec les services de renseignement nationaux.

La loi fondamentale relative à la lutte contre le terrorisme, adoptée en 1986, a façonné le système judiciaire centralisé qui traite les infractions liées au terrorisme et définit aujourd’hui le modèle français. La loi 86-1020 du 9 septembre 1986 a créé un corps spécialisé de juges d’instruction et de procureurs basés à Paris—le service central de lutte antiterroriste, communément appelé « 14ème section du parquet »—pour traiter tous les dossiers de terrorisme. Pour les crimes de terrorisme, la loi de 1986 a également institué les procès devant des magistrats professionnels à la cour d’assises de Paris, ce qui constitue une exception à la règle du procès de cour d’assises devant un jury populaire.11 La loi a prolongé la durée maximale de la garde à vue jusqu’à 96 heures (quatre jours) dans les affaires liées au terrorisme.12

La clé de voûte de l’approche antiterroriste du système judiciaire français est le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, qui a une définition très large. Ce délit, introduit par la Loi n° 96-647 du 22 juillet 1996, habilite les autorités à prendre des mesures préventives bien avant la commission d’un crime.

La vaste majorité des personnes soupçonnées de terrorisme sont détenues et poursuivies sous ce chef d’accusation. Selon les statistiques gouvernementales, sur les 358 personnes incarcérées en septembre 2005 pour des infractions en rapport avec le terrorisme—déjà condamnées ou dans l’attente d’un procès—300 avaient été accusées d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.13

Comme l’a déclaré à la mi-octobre 2005 Christophe Chaboud, patron de l’Unité de coordination de la lutte antiterroriste du Ministère de l’Intérieur, « Notre stratégie est celle de la neutralisation préventive judiciaire. Les lois antiterroristes … mises en place en 1986 puis en 1996, font notre force. On a créé les outils pour neutraliser les groupes opérationnels avant qu'ils ne passent à l'action. »14

Cette infraction est définie comme étant le fait de « participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ».15 Dans la plupart des cas, il s’agit d’un délit jugé par un tribunal correctionnel et passible d’une peine maximale de 10 ans de réclusion. Une loi de 2006 a fait de ce délit un crime passible d’une peine maximale de 20 ans de réclusion lorsque l’association de malfaiteurs a été formée dans le but de préparer les actes suivants : atteintes à la vie et à l’intégrité de la personne, enlèvement, séquestration, ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport.16 La peine prévue pour le responsable d’une association de malfaiteurs a été portée à 30 ans au lieu de 20.17

La loi de 2006, adoptée en réponse aux attentats perpétrés à Londres le 7 juillet 2005, a également prolongé le délai maximum de la garde à vue dans les affaires de terrorisme, le faisant passer à six jours sous certaines conditions.18

Quatre autres textes législatifs importants adoptés depuis 2001 sont venus renforcer les mesures antiterroristes. Ces lois ont étendu les pouvoirs octroyés à la police pour mener des inspections de véhicules et de bâtiments, imposé l’obligation aux services d’Internet et de télécommunications de conserver et de divulguer des données, exigé la communication de codes de cryptage lorsque cela s’avère nécessaire dans le cadre d’une enquête sur le terrorisme, renforcé les mesures de sécurité dans les aéroports et ports de mer, accru les mesures de surveillance en général et institué de nouvelles mesures visant à lutter contre le financement du terrorisme.19

Le Code pénal dresse également une liste d’infractions qui constituent des actes de terrorisme « lorsqu'elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».20 Par ailleurs toute infraction criminelle fait l’objet d’une peine plus lourde lorsque sa commission est liée à une intention terroriste. Par exemple, une atteinte à la vie, passible d’une peine d’emprisonnement maximale de 30 ans, peut donner lieu à la réclusion à perpétuité si elle est perpétrée en relation avec un acte terroriste.21

Une approche « flexible »

Les responsables du contre-terrorisme et les autorités gouvernementales évoquent l’absence d’attentat terroriste en France depuis le milieu des années 1990 comme preuve de l’efficacité du système. Selon bon nombre de personnes, la clé du succès a été la volonté et la capacité d’adapter les lois et procédures pénales de façon à répondre aux exigences particulières de la lutte contre le terrorisme international. Elles estiment que c’est précisément la flexibilité du système français de justice pénale qui a écarté le besoin de recourir à des mesures extrajudiciaires ou administratives pour combattre le terrorisme.22

Lors d’un entretien avec Human Rights Watch, Jean-Louis Bruguière, le juge antiterroriste le plus célèbre et le plus controversé de France (aujourd’hui retraité), a fait valoir que l’approche judiciaire française soutenait la comparaison avec les exactions commises par les États-Unis à leur centre de détention de Guantanamo et avec celles commises par le Royaume-Uni, où les étrangers soupçonnés de terrorisme ont été détenus sans limite de temps et sans inculpation de 2001 à 2004, jusqu’à ce que la Haute Cour déclare ces mesures illégales.23

Selon Bruguière,

Chaque gouvernement est dans l’obligation de réagir à la menace.  Le paradoxe est que le système de la common law est rigide et n’a pas une forte capacité d’adaptation. Les règles de procédures sont plus importantes que les lois au fond et la procédure dépendant de la coutume, elle ne change pas facilement.  La civil law est donc beaucoup plus flexible car elle va fonctionner sur les lois votées par le Parlement, elle peut réagir plus rapidement.24

La flexibilité et la faculté d’adaptation peuvent constituer des éléments critiques dans une stratégie antiterroriste efficace mais elles ne doivent pas étirer l’État de droit jusqu’au point de rupture. Une approche appropriée de justice pénale doit se fonder sur des garanties procédurales fondamentales qui assurent le droit à un procès équitable et sont enclenchées dès le début d’une enquête criminelle.

Le rôle du juge d’instruction dans les affaires de terrorisme

Le rôle et le pouvoir des juges d’instruction spécialisés dans la lutte contre le terrorisme—qu’un analyste a qualifiés d’ « adversaires bien informés, indépendants et impitoyables du terrorisme sous toutes ses formes »—ne peuvent être sous-estimés.25

Il y a actuellement sept juges d’instruction spécialisés dans les affaires de terrorisme.26 Bruguière était le plus connu d’entre eux. Il était à la tête de l’équipe de juges spécialisés dans la lutte antiterroriste lorsqu’il s’est retiré en 2007 après 20 années de service.27 Pendant qu’il était en fonction, Bruguière a acquis une réputation pour le dévouement rigoriste dont il faisait preuve dans son travail. Connu sous le surnom de « sheriff » et d’ « amiral », Bruguière a affirmé en 2004 qu’il avait arrêté plus de 500 personnes au cours de la décennie précédente.28

Le pouvoir considérable du juge d’instruction dans le système français se trouve renforcé dans les affaires de terrorisme. Selon la logique suivie, un juge spécialisé, expérimenté, titulaire d’une habilitation de sécurité, sera capable, à partir de toutes les informations pertinentes, notamment les données sensibles émanant des services de renseignement, d’établir un lien entre tous les éléments : déceler l’existence d’un réseau terroriste, alors même que les actes matériels démontrant cette existence sont limités à des infractions de droit commun (par exemple la falsification de documents d’identité), et déterminer l’identité des membres du réseau.29

Néanmoins, les avocats de la défense se plaignent des méthodes utilisées pour mener les enquêtes judiciaires dans les dossiers de terrorisme, leur reprochant de miner sérieusement le droit de tout accusé à une défense effective.30 Ce droit est une pierre angulaire du droit à un procès équitable. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) ainsi que la Convention européenne des Droits de l’Homme énoncent les garanties minimales nécessaires pour assurer le droit à un procès équitable à toutes les personnes accusées d’une infraction criminelle. Ces garanties comprennent notamment l’accès confidentiel à un conseil dans un délai raisonnable et le fait de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de la défense. Un autre élément essentiel est le respect du principe de « l’égalité des armes », qui exige que l’accusation et la défense aient des chances égales pour préparer et présenter leur cause, obligeant notamment l’accusation à divulguer toutes les informations matérielles.31

Demandes d’actes rejetées

Presque tous les avocats de la défense avec lesquels nous nous sommes entretenus se sont plaints du fait que les juges d’instruction rejetaient régulièrement les demandes qu’ils déposaient pour entreprendre des actes d’enquête au cours de l’instruction.

L’expérience de Sébastien Bono lorsqu’il a défendu Christian Ganczarski est juste quelque peu extrême : seule l’une de ses 24 demandes d’actes d’enquête a été acceptée (une commission rogatoire internationale en Arabie saoudite).32 Ganczarski est un ressortissant allemand soupçonné d’être une figure importante d’Al-Qaida. Il a été arrêté en France en juin 2003 après avoir été expulsé d’Arabie saoudite dans le cadre de ce que son avocat a qualifié « d’extradition déguisée ». Il comparaîtra devant la cour d’assises de Paris pour implication dans un attentat suicide perpétré contre une synagogue en Tunisie en 2002 et qui a fait 21 victimes. L’une des 23 demandes rejetées était une demande émise par l’avocat de Ganczarski pour recevoir une véritable copie, et non pas seulement une transcription, de l’enregistrement d’une conversation ayant eu lieu le matin de l’attentat contre la synagogue entre Ganczarski et Nizar Naouar, le kamikaze qui a perpétré l’attentat.

L’avocat d’un jeune homme accusé d’association de malfaiteurs, qui a demandé que son identité ne soit pas révélée car l’affaire est encore à l’instruction, a déclaré que les trois demandes qu’il avait déposées jusqu’à présent avaient été rejetées. Deux d’entre elles demandaient une déposition commune des accusés et l’extradition d’Algérie d’une personne dont les aveux présumés sont essentiels dans l’affaire contre son client.

Ont également été rejetées des demandes pour la restitution d’une somme d’argent relativement peu élevée confisquée lors de l’arrestation de son client (celui-ci est sorti de prison et se trouve sous contrôle judiciaire après avoir passé un an en détention provisoire), ainsi que pour l’autorisation de remettre une copie du dossier à son client, qui était encore en détention provisoire à ce moment-là. Sans cette autorisation, les avocats de la défense n’ont pas le droit de remettre à leurs clients une copie d’un quelconque élément du dossier ; ils ne peuvent que montrer, lire ou résumer les documents. Le juge d’instruction a rejeté la requête aux motifs que son client risquait d’utiliser les informations pour faire pression sur d’autres personnes impliquées dans l’affaire.33 L’impossibilité de communiquer le dossier à l’accusé a un impact négatif sur la capacité de l’avocat à préparer une défense efficace, car selon l’avocat, « le dossier est très large, il y a des choses qui peuvent nous échapper mais que le client pourrait considérer importantes ».34 La commission parlementaire qui a mené une enquête sur l’affaire d’Outreau a recommandé que tous les suspects faisant l’objet d’une information judiciaire, y compris ceux qui se trouvent en détention provisoire, aient le droit illimité d’avoir communication de leur dossier.35 Les requêtes décrites ici ne sont pas à proprement parler des demandes d’actes d’enquête.

Comme il est mentionné plus haut, les avocats peuvent interjeter appel de toute décision prise par un juge d’instruction devant la chambre de l’instruction. Le président de la chambre a le pouvoir de rejeter l’appel par ordonnance motivée ou de saisir la chambre de l’instruction dans son ensemble ; cette décision n’est pas susceptible de recours.36 Toutes les demandes discutées plus haut ont été rejetées par le président de la chambre de l’instruction.

Dossiers ingérables

Les avocats de la défense font valoir que la longueur et la complexité de l’instruction dans les affaires de terrorisme entravent considérablement leur capacité à préparer une défense effective. Comme il est expliqué plus en détail ci-après, les enquêtes relatives au terrorisme islamiste supposent souvent des investigations complexes, très longues, dans des réseaux présumés de personnes de même sensibilité, débouchant souvent sur de volumineux dossiers qui décrivent les écoutes téléphoniques, les déplacements, les réunions ainsi que les opinions d’un grand nombre de personnes. Selon l’avocat Dominique Tricaud, cela signifie que les dossiers sont construits sur « une idée, une mouvance, et non plus sur les accusés. Et alors la défense devient impossible ».37 Henri de Beauregard, un avocat commis d’office pour défendre l’un des accusés dans un grand procès pour terrorisme impliquant huit personnes, s’est plaint lors du procès qu’il n’avait pas été en mesure de défendre efficacement son client :

Il y a 7,50 mètres de dossier, 78 tomes … 325 kg de papier. Cela représente 541 heures de lecture, c’est-à-dire trois mois et demi. Les frais d’avocat de M. Charouali [son client] se montent à 450 euros. Donc quand on fait le calcul, j’ai droit à 75 centimes d’euro par heure pour assurer sa défense. De surcroît, je n’ai pas bénéficié de deux à trois mois pour préparer mon réquisitoire contrairement au procureur mais d’un mois et demi. L’avocat de la défense est donc dans l’impossibilité de faire son travail.38

A la mi-2007, de Beauregard a déposé plainte contre la France devant la Cour européenne des Droits de l’Homme pour violation de l’article 6(1)—droit à un procès équitable—et de l’article 6(3)—droit de disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense. Au moment où sont écrites ces lignes, la Cour n’a pas encore rendu d’arrêt au sujet de la recevabilité de la plainte.

Pendant que l’enquête est en cours, les avocats peuvent consulter le dossier au Palais de Justice (dans des conditions d’exiguïté) ou demander des copies sur papier aux frais de l’État. Mais ils se sont plaints du fait que, dans le cas des grandes enquêtes sur le terrorisme, même s’ils obtenaient ces copies, ils ne disposeraient pas de suffisamment d’espace dans leur bureau pour entreposer le dossier complet. Les avocats ont le droit de recevoir une copie du dossier complet sur CD-ROM une fois que la phase d’instruction est terminée ; étant donné que les copies électroniques permettent de mener des recherches par mot-clé et de recouper les informations de manière relativement aisée, l’accès à une copie électronique plus tôt dans la procédure faciliterait une préparation adéquate et pertinente de la défense.


IV. L’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste

La particularité de la loi est qu’elle nous permet de poursuivre des personnes impliquées dans une activité terroriste sans avoir à établir un lien entre cette activité et un projet terroriste précis. C’est la grande différence avec la situation à l’étranger où vous devez avoir un lien avec un projet précis. Ce texte nous permet de prendre des mesures bien avant la menace et d’agir contre des réseaux de soutien clandestins ou le soutien logistique apporté à ces organisations.

—Jean-Louis Bruguière, alors chef de file des juges d’instruction antiterroristes39

Ce chapitre examine cinq préoccupations connexes soulevées par le délit d’association de malfaiteurs. Premièrement, cette infraction manque de précision juridique, permettant difficilement aux personnes de savoir quelle conduite est interdite et donnant trop de latitude aux forces de l’ordre pour des actions arbitraires. Deuxièmement, les décisions d’arrêter des suspects et d’ouvrir une instruction officielle à leur sujet se fondent sur des critères peu exigeants en matière de preuve et sur une approche qui favorise la possibilité d’opérer de grands coups de filet. Troisièmement, il y a présomption en faveur de la détention provisoire, en dépit du fait que les décisions sont prises par un juge différent, le juge des libertés et de la détention, les suspects étant soumis à de très longues périodes de détention provisoire tandis que les autorités judiciaires mènent des enquêtes complexes sur de multiples suspects. Quatrièmement, l’utilisation importante de données émanant des services de renseignement lors de l’instruction, les juges entretenant des relations étroites avec les services de renseignement, soulève des préoccupations quant à l’impartialité procédurale et la fiabilité des preuves obtenues de pays tiers où la torture et les mauvais traitements sont monnaie courante. Enfin, certaines condamnations semblent reposer sur des éléments de preuve ténus.

Le manque de précision juridique

Comme il est déjà mentionné au Chapitre III, le Code pénal français définit l’association de malfaiteurs comme étant « le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents ».40 Les éléments du crime développés dans la jurisprudence sont notamment les suivants : l’existence d’un groupement de plusieurs personnes unies dans l’intention de perpétrer un acte criminel collectif ; chaque membre doit avoir pleinement conscience de cette intention et du fait qu’il s’agit d’une entreprise criminelle ; et cette intention doit être démontrée par un ou plusieurs faits matériels. Il n’est pas nécessaire que l’un des participants accomplisse une action concrète pour mettre à exécution un acte terroriste.

Dès le départ, la définition d’association de malfaiteurs a soulevé des préoccupations considérables quant au manque de précision juridique. Le principe bien établi de légalité, consacré dans l’article 7 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, exige que les législations pénales soient suffisamment claires et bien définies pour que les personnes soient capables d’adapter leur conduite de façon à éviter toute infraction et pour que l’interprétation judiciaire créative des tribunaux soient d’une portée limitée.41

Human Rights Watch constate que la Commission européenne des droits de l’homme en place à l’époque a déclaré irrecevable une plainte de 1997 qui faisait valoir, entre autres, que la définition de l’association de malfaiteurs violait l’article 7 de la Convention européenne.42 Cette décision est basée sur l’article 421-1 du Code pénal—établissant avec précision les infractions qui constituent des actes de terrorisme, notamment le meurtre, l’enlèvement et la possession illégale d’armes, lorsqu'elles sont intentionnellement commises dans le but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur—ainsi que sur l’article 450-1 qui fournit une définition générale de l’association de malfaiteurs en relation avec un crime ou délit. L’article 421-2-1 qui définit l’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste comme un acte terroriste autonome n’avait pas encore été inclus dans le Code pénal au moment des actes en question dans cette affaire.43

Dans un rapport datant de 1999, « La porte ouverte à l’arbitraire », la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) a qualifié l’article 421-2-1 de « loi d’incrimination large » et en a conclu qu’il prêtait à une « interprétation et application arbitraires » :

L’intention de cet article est claire : les autorités chargées de l’enquête et de l’instruction … sont exonérées de toute obligation de lier l’allégation de participation à une quelconque exécution d’acte terroriste ou tout du moins à un projet vérifiable d’une telle exécution … [L]es dossiers que nous avons étudiés … ont révélé le peu d’efforts fournis durant la phase d’instruction pour établir précisément quel acte terroriste spécifique - sans parler de sa catégorie - la personne inculpée préparait … Faute de matérialisation de l‘objet exact de l’association de malfaiteurs ou de la conspiration, n’importe quelle type de “preuve”, même insignifiante, se voit accorder une certaine importance. 44

Tant la lettre de la loi que la jurisprudence établissant une interprétation étendue de l’association de malfaiteurs sont demeurées inchangées depuis le rapport de la FIDH et les recherches de Human Rights Watch semblent indiquer que ce chef d’accusation continue d’être utilisé pour arrêter, placer en détention et même condamner sur la base de preuves ténues.

Le procureur antiterroriste Philippe Maitre a expliqué que la loi relative à l’association de malfaiteurs criminalise les actes préparatoires les plus éloignés de la commission réelle d’un acte terroriste. Dessinant trois cercles concentriques sur un morceau de papier, Maitre a présenté le cercle central comme étant l’acte terroriste, le deuxième cercle comme étant la complicité directe—à savoir les actes qui contribuent immédiatement et directement à la commission du crime—et le cercle extérieur comme étant tous les autres actes, quels qu’ils soient et aussi éloignés soient-ils dans le temps et l’espace, qui ont contribué à une entreprise terroriste. Même si ces actes ne constituent pas en soi des crimes, « le fait même d’avoir composé une entreprise est le comportement qui est incriminé. Les conséquences sont tellement graves en matière de terrorisme que tout comportement qui tourne autour de cet objectif est réprimé ».45

Le manque de précision dans la loi empêche de voir clairement quel comportement est susceptible de donner lieu à une sanction criminelle et les libertés d’expression et d’association qui constitueraient normalement des droits protégés en vertu du droit international des droits humains—quelle que soit leur nature offensive—peuvent être utilisées comme preuve d’intention criminelle.

L’obligation de formuler une loi avec suffisamment de précision pour permettre à une personne d’adapter son comportement est importante non seulement au regard de l’article 7 mais également en raison de l’impact que la loi pourrait avoir sur l’exercice légitime des droits à la liberté d’association, d’expression, de religion et à la vie privée (articles 8 – 11 de la Convention européenne des Droits de l’Homme). Ces droits ne sont pas absolus et peuvent faire l’objet d’une ingérence prévue par la loi mais cette ingérence risque d’être arbitraire si les lois ouvertement étendues accordent un pouvoir excessif aux autorités ou ne prévoient pas les sauvegardes adéquates quant à la façon dont ce pouvoir est exercé.46

Nos recherches révèlent que l’interprétation de la loi relative à l’association de malfaiteurs et la conduite des enquêtes sur le terrorisme soulèvent des préoccupations quant à l’ingérence illégitime dans ces droits protégés, en particulier la liberté d’expression et la liberté d’association. Contrairement aux enquêtes menées sur le séparatisme basque violent—l’ETA étant une organisation structurée aux objectifs et tactiques clairement identifiables—, la plupart des enquêtes portant sur des activités terroristes islamistes présumées en France sont basées sur la cartographie de réseaux de contacts. Cela peut aboutir à l’arrestation et la mise en examen de proches parents, d’amis, de voisins, de membres de la même mosquée, de collègues de travail, ou de personnes qui fréquentent un restaurant déterminé. De même, il semble y avoir une trop grande marge de manœuvre pour engager une action en justice à l’encontre de personnes qui partagent des vues extrémistes et peuvent même exprimer leur soutien au djihad, par exemple, mais qui n’ont pas distinctement fait la démarche de s’engager sur la voie de la violence terroriste.

Un juge des libertés et de la détention avec lequel nous nous sommes entretenus a qualifié l’association de malfaiteurs d’infraction « impalpable », « difficile à définir », avec « des éléments constitutifs très larges », ajoutant que dans bon nombre de dossiers liés au terrorisme islamiste, le seul élément était les contacts au sein d’un groupe de personnes. Le juge a mentionné une affaire de 2007 impliquant un groupe de six ou sept jeunes musulmans qui parlaient de partir se battre en Irak. « Ils se voyaient, et certains avaient des contacts avec quelqu’un qui était parti pour l’Iraq.  Et alors, est-ce qu’on est devant un réseau ?  Le fait d’avoir des contacts, on se dit peut-être qu’il y a d’autres choses derrière ».47 Le juge a envoyé la plupart de ces jeunes en détention provisoire, tandis que deux ou trois d’entre eux ont été placés sous contrôle judiciaire. Le juge ne sait pas ce qu’il est advenu de l’affaire et n’est plus en charge du dossier.48

Un ancien JLD a décrit le genre de dossiers qu’il a vus : « des petits magrébins français, entre 20 et 25 ans, qui avaient pour idéal de retrouver l’idéal islamique.  Des petits poissons, les petits gars avec le poster de Ben Laden dans leurs chambres.  On leur reprochait surtout de faire des stages d’entraînement ailleurs, rien en France, ce qui était déjà problématique.  On envoie en prison en matière antiterroriste pour des raisons très faibles.  Il y avait des preuves mais de quoi ?  On trouvait des numéros dans les portables, des voyages, une culture religieuse intense, consultation de certains sites Internet… ».49

Derrière la décision d’arrêter, des critères peu exigeants en matière de preuve

Le but est d’avoir le plus d’enquêtes possible en cours pour permettre les mesures coercitives, par exemple les écoutes, et surtout ça permet de mettre les gens en détention provisoire tout de suite.  Il y a ce débordement, aucun élément à charge, des indices insuffisants en droit commun, mais au moment où c’est estampillé terrorisme, ça suffit pour incarcérer.50

—Nicolas Salomon, avocat de la défense

L’interprétation étendue de ce qui peut constituer une participation à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste se traduit en des critères peu exigeants en matière de preuve pour l’arrestation et la décision de mettre en examen un suspect.

Un grand coup de filet

L’une des caractéristiques des enquêtes relatives aux délits d’association de malfaiteurs a été l’arrestation en grand nombre de personnes susceptibles d’avoir un lien quelconque avec un réseau terroriste présumé. Selon Laurent Bonelli, sociologue et expert dans le domaine des services de renseignement antiterroristes, la stratégie du coup de filet ou du coup de pied dans la fourmilière est fondée sur la foi des praticiens du contre-terrorisme en « sa capacité à déstabiliser des réseaux et à mettre à mal une logistique. Et peu lui importe si une bonne partie des prévenus est ensuite innocentée après avoir passé un ou deux ans en détention préventive ».51

Les arrestations et perquisitions sont ordonnées et supervisées par les juges d’instruction. L’ancien juge Bruguière a expliqué que le juge d’instruction contrôle ces actions « en temps réel »—les policiers qui procèdent aux arrestations appelant le juge pour recevoir ses instructions, par exemple pour savoir s’ils doivent interpeller d’autres personnes outre les cibles initiales de l’opération.52

Dans certains cas, les responsables de la lutte contre le terrorisme se sont livrés à des rafles spectaculaires. Le 9 novembre 1993, dans le cadre d’une action policière ayant pour nom de code « opération Chrysanthème », 110 personnes seront interrogées et 87 placées en garde à vue pour suspicion d’implication dans le terrorisme. Seules trois feront finalement l’objet d’une instruction officielle.

En novembre 1994, 93 personnes seront arrêtées en un seul jour, marquant le début d’une série d’arrestations qui se poursuivront pendant deux années et qui viseront des membres présumés d’un réseau de soutien aux combattants islamistes en Algérie. Le 25 juin 1995, 131 personnes seront arrêtées dans cinq villes différentes de France, à nouveau sur présomption d’implication dans une activité terroriste. En définitive, 138 personnes seront jugées en 1998 pour association avec un groupe terroriste, désigné en France sous le nom de « réseau Chalabi ». En raison d’un manque d’espace au tribunal central, le procès extrêmement controversé se déroulera dans le gymnase d’une prison située en périphérie parisienne. Cinquante et une personnes seront relaxées, dans certains cas après une détention provisoire longue de trois ans, tandis que 87 seront reconnues coupables. Quatre autres seront acquittées en appel. Parmi les condamnés, 39 recevront des peines de moins de deux ans tandis que les quatre principaux accusés, dont Mohamed Chalabi, le chef présumé, seront condamnés à des peines allant de six à huit ans.

Le 26 mai 1998, près de 80 personnes seront arrêtées dans plusieurs pays européens dans le cadre d’une opération coordonnée en vue de prévenir ce qui sera qualifié de complot visant à commettre un attentat terroriste en France lors de la Coupe du monde de football de 1998. Cinquante-trois personnes seront appréhendées ce jour-là ; 40 d’entre elles seront libérées dans les 48 heures. En définitive, 24 personnes passeront en jugement et seules huit d’entre elles seront reconnues coupables d’association de malfaiteurs en 2000.  Leurs peines d’emprisonnement iront de quatre mois à quatre ans.

Selon un responsable de la lutte contre le terrorisme, le recours aux arrestations massives durant cette période reflétait le besoin de rassembler des informations au sujet des réseaux islamistes radicaux : « On était obligés d’interpeller les gens pour avoir des informations qu’on n’avait pas.  Quelquefois un numéro sur le portable suffisait.  Tout pour récupérer les réseaux, pour prendre les portables, ordinateurs… On ne faisait pas ça avec les Corses et les Basques [car on avait déjà beaucoup d’informations sur eux]. »53

Il soutient que cette technique n’est plus nécessaire pour obtenir des renseignements sur les réseaux islamistes radicaux et que lorsqu’elle est utilisée, c’est généralement pour des motifs politiques : « Il y a de l’instrumentalisation politique. Ça arrive que le politicien dise aux services, ‘vous devez interpeller quelqu’un tel ou tel jour, même si on n’a pas d’éléments’. »54

Un responsable antiterroriste travaillant pour les services secrets français, les Renseignements Généraux (RG), a confirmé cela, se souvenant d’une enquête qu’il avait reçu l’ordre de mener en l’absence de preuves et qui avait abouti à l’arrestation de trois personnes. Celles-ci ont été libérées quelques jours plus tard : « Il y a des tas d’histoires de ce genre—des tas de gens arrêtés, cela fait la une et puis il n’y a rien. Je le sais parce que je l’ai vu. Il y a des raisons politiques, des intérêts circonstanciels. C’est traumatisant pour les enfants et pour les communautés. »55

Bien que les rafles spectaculaires soient devenues moins courantes aujourd’hui, des exceptions ont été constatées récemment. Le 17 juin 2003, par exemple, des policiers ont effectué une descente dans les locaux des Moudjahidin du Peuple d’Iran (MKO, un groupement iranien armé d’opposition en exil) et arrêté 165 personnes, dont Maryam Radjavi, l’épouse du dirigeant du groupe Massoud Radjavi.  Seules 17 personnes ont finalement fait l’objet d’une information judiciaire pour des délits liés au terrorisme. Dans une opération de moindre ampleur, la police a interpellé 14 membres présumés des Tigres de libération de l’Eelam Tamoul (LTTE, un groupe séparatiste armé du Sri Lanka) en avril 2007 et cinq autres en septembre 2007 pour association de malfaiteurs. En février 2007, 14 membres présumés du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) ont été arrêtés en une seule journée. Après quatre jours en garde à vue et deux semaines en détention provisoire, ces 14 personnes ont toutes été remises en liberté provisoire. Elles restent mises en examen pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste.

Aujourd’hui, la majorité des enquêtes antiterroristes durent longtemps et donnent lieu à de nombreuses arrestations étalées sur une période de temps considérable. L’enquête et les poursuites engagées à l’encontre de la dénommée « filière tchétchène » en sont une illustration. Plus de soixante personnes ont été interpellées entre 2002 et 2005, dont seize couples, mais seules 27 personnes ont en définitive été traduites en justice.56 Quatorze des épouses ou partenaires de suspects ont été placées en garde à vue pendant trois ou quatre jours et ont été libérées par la suite sans faire l’objet d’aucune inculpation. Rachida Alam, par exemple, a été soumise à 25 heures d’interrogatoire pendant les trois jours qu’elle a passés en garde à vue en mai 2004. Pendant ce temps, elle n’a eu pas eu accès à un avocat ni le droit d’en consulter un. Diabétique, Alam a été emmenée trois fois à l’hôpital du centre de détention avant que le médecin n’ordonne finalement qu’elle y reste.57 Sur les deux femmes poursuivies en justice, l’une a été reconnue coupable tandis que l’autre a été relaxée après avoir passé un an en détention provisoire avec sa fille en bas âge. Dans les couples concernés, huit des maris ont été reconnus coupables lors de leur procès, un a été relaxé et les sept autres ont bénéficié d’un non-lieu dans cette affaire.

Le bureau des statistiques du Ministère de l’Intérieur a déclaré à Human Rights Watch qu’il était incapable de fournir des données sur le nombre d’arrestations pour association de malfaiteurs, sur le nombre de personnes mises en examen ou sur le nombre de celles placées en détention provisoire.58 Une étude d’Europol a révélé que 130 islamistes présumés avaient été arrêtés en France au cours des 10 premiers mois de l’année 2005. 30 d’entre eux ont été placés en détention provisoire.59 En 2006, 139 islamistes présumés ont été interpellés, selon un rapport d’Europol (soit plus de la moitié de tous les islamistes présumés arrêtés cette année-là au sein de l’UE), ce nombre se réduisant à 91 en 2007.60 Les rapports d’Europol pour 2006 et 2007 ne contiennent pas de statistiques sur les placements en détention provisoire. Nicolas Sarkozy a signalé en novembre 2005 que plus de 367 personnes avaient été arrêtées pour suspicion de terrorisme depuis début 2002 ; moins de 100 d’entre elles avaient été mises en examen et incarcérées.61

La présomption en faveur de la détention

Il est plus facile d’être efficace dans le système français où le juge d’instruction peut détenir une personne plusieurs mois sous une motivation très générale.

—Antoine Garapon, secrétaire général de l’Institut des Hautes Études sur la Justice62

Le délit d’association [terrorisme] se déduit de la proximité du diable : vous êtes un jeune musulman, vous avez partagé l’appartement avec des salafistes, imprudemment, vous avez échangé des écrits … Le niveau de preuves est faible parce qu’on est sur une intention présumée.  Le fait d’avoir été proche d’un salafiste … permet de dire que parce que vous auriez pu avoir l’intention de commettre un acte terroriste, il convient de vous mettre en détention.

—William Bourdon, avocat de la défense63

Jusqu’en janvier 2001, les juges d’instruction avaient le pouvoir de placer des suspects en détention provisoire. Aujourd’hui ce pouvoir repose uniquement dans les mains de magistrats spéciaux, les juges des libertés et de la détention (JLD), institués en 2000 dans le cadre d’une réforme du Code de procédure pénale.64

Ils décident du placement en détention provisoire après une première comparution du suspect devant le juge d’instruction. Ils statuent également sur les requêtes de l’accusation visant à renouveler la détention et sur les appels formés par la défense à l’encontre des décisions des juges d’instruction de rejeter les demandes de mise en liberté provisoire (voir plus loin). Bien qu’il n’existe pas de JLD spécialisés en terrorisme, le fait que tous les dossiers de terrorisme sont centralisés à Paris signifie que les sept JLD couvrant Paris sont appelés à prendre des décisions concernant la garde à vue dans tous ces dossiers.

Aux termes du droit français, la détention provisoire peut être ordonnée et prolongée si la privation de liberté est considérée comme l’unique moyen de conserver les preuves matérielles ; d’empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ; d’empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses complices ; de protéger la personne mise en examen ; de garantir le maintien de la personne mise en examen à la disposition de la justice ; ou de mettre fin à l'infraction ou prévenir son renouvellement.65

En matière correctionnelle, lorsque la peine d’emprisonnement maximale est de 10 ans, la durée de la détention provisoire initiale est de quatre mois. Cette période peut être renouvelée, la durée totale de la détention pouvant aller jusqu’à trois ans maximum dans les affaires de terrorisme (la chambre de l’instruction peut, à titre exceptionnel, prolonger la détention provisoire de quatre mois au-delà du délai de trois ans).66 En matière criminelle, lorsque le crime commis est passible d’une peine supérieure à 10 ans de réclusion, la détention provisoire est imposée initialement pour une période d’un an, renouvelable par périodes de six mois, la durée de détention maximale allant jusqu’à quatre ans dans les affaires de terrorisme (la chambre de l’instruction peut, à titre exceptionnel, prolonger la détention provisoire de deux fois quatre mois au-delà du délai de quatre ans).67 Au moment de prendre une décision initiale sur le placement en détention provisoire, et chaque fois que la détention doit être renouvelée, le JLD doit tenir une audience où il entend la personne mise en examen et le ministère public. La première audience tenue pour statuer sur le placement en détention provisoire ne peut avoir lieu que si la personne mise en examen est représentée par un avocat. Les audiences ultérieures visant à déterminer la prolongation de la détention provisoire peuvent toutefois avoir lieu que l’avocat de la personne mise en examen soit présent ou non. Néanmoins, l’avocat doit être dûment informé des audiences prévues dans un délai raisonnable. Le JLD ne tient pas d’audience lorsqu’il examine une demande de mise en liberté provisoire introduite par la défense.

Le juge d’instruction conserve un pouvoir considérable en matière de garde à vue. Par exemple, il peut ordonner, à n’importe quel moment, la libération d’un détenu sous contrôle judiciaire ou sans conditions, soit suite à une demande de mise en liberté provisoire, soit de sa propre initiative. Les mesures de contrôle judicaire peuvent comprendre : l’assignation à domicile ; l’interdiction de se déplacer en dehors de limites territoriales déterminées ; l’interdiction de rencontrer certaines personnes ou de se rendre en certains lieux ; le port d’un bracelet électronique (avec l’accord du suspect) ; le dépôt d’une somme en cautionnement au tribunal ; et la remise des documents justificatifs d’identité, notamment du passeport.68

Si un juge d’instruction s’oppose à une demande de mise en liberté provisoire, il doit transmettre l’appel au JLD dans les cinq jours. Le JLD statue dans un délai de trois jours sans entendre les parties.69 Les demandes de mise en liberté provisoire ne peuvent être adressées directement au JLD.

Théoriquement, le JLD constitue une amélioration importante et une sauvegarde cruciale contre la détention arbitraire. Dans la pratique toutefois, l’introduction de ce second niveau de contrôle ne semble pas avoir fait une grande différence. Un rapport parlementaire de 2006 a révélé qu’en 2004, dans 89,7 pour cent des cas, les JLD avaient suivi l’avis du juge d’instruction.70 « C’est une garantie trompe-l’œil », a déploré Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature. « Il faut s’imaginer son rôle. Il a en face de lui le parquet et le juge d’instruction qui veulent la détention, et lui est tout seul, il n’a que le dossier pour motiver sa décision. »71

Dans les cas de placement en détention provisoire ou de renouvellement de la détention au cours d’une procédure d’instruction dans une affaire de terrorisme, le JLD est généralement confronté à un dossier comportant des milliers de pages. Il ne dispose pas de suffisamment de temps pour procéder à la lecture du dossier complet et ne tente même pas de le faire. Comme l’a expliqué un JLD : « On n’a pas besoin de lire tout le dossier.  On n’est pas là pour juger les faits, sinon pour apprécier si on a besoin, pour les exigences de l’enquête, de placer en détention. Nous avons la saisine du juge d’instruction.  On peut lire les résumés des faits, les deux ou trois derniers tomes du dossier. »72

Une réforme adoptée en mars 2007 a accordé au JLD le pouvoir de reporter de quatre jours maximum le débat contradictoire où il statuera sur le placement en détention provisoire, précisément pour avoir davantage de temps pour étudier le dossier.73 Le rapport parlementaire sur la réforme a mis en évidence le fait que le JLD « doit faire reposer sa décision sur le fond du dossier et non sur les seuls critères de la détention provisoire… Le JLD a précisément été créé pour apporter un double regard sur la procédure, y compris sur les éléments à charge et à décharge, et non pour opérer une simple vérification juridique du respect des critères de placement en détention ».74 L’un des JLD avec lesquels nous nous sommes entretenus ne s’est pas immédiatement souvenu de cette réforme et a ensuite dit que le pouvoir de reporter l’audience n’avait probablement jamais été exercé par aucun des JLD l’année où il avait été institué.75

Lors de conversations avec un ancien juge des libertés et de la détention et deux JLD en fonction, il est ressorti que dans les dossiers de terrorisme, une tendance à la prudence, exacerbée par un manque de recul et par la longueur et la complexité des enquêtes, crée une présomption en faveur de la détention. Les trois juges avec lesquels nous nous sommes entretenus ont déclaré que le taux de détention provisoire était probablement plus élevé dans les affaires de terrorisme, bien qu’aucun d’entre eux n’ait pu s’appuyer sur des statistiques officielles. Un JLD a laissé entendre que les juges des libertés et de la détention suivaient les demandes de détention provisoire des juges d’instruction et des procureurs dans la vaste majorité des cas, et certainement dans les affaires de terrorisme.76

Les trois juges ont tous parlé ouvertement des pressions, qu’ils s’imposent parfois eux-mêmes, les poussant à pêcher par excès de prudence et à ordonner la détention dans les affaires de terrorisme. « Nous avons peur de remettre en liberté et de nous tromper.  Je ne m’accorde pas la même liberté d’appréciation qu’en d’autres affaires.  Dans les dossiers de droit commun, je me tiens à ce que les enquêteurs ont déjà trouvé.  En terrorisme, on va se demander ce qu’ils pourraient encore trouver »,77 a expliqué l’un d’eux.

L’ancien JLD cité plus haut lorsqu’il parlait « des petits poissons, des petits gars avec le poster de Ben Laden dans leurs chambres » a néanmoins admis avoir senti ces pressions poussant à pencher en faveur de la détention : « Nous avons reconnu que [la détention] c’était en partie pour les effrayer. Mais aussi que c’était très difficile de prendre le risque de les remettre en liberté. »78

Les juges d’instruction, les juges des libertés et de la détention et les procureurs proviennent du même corps judiciaire et suivent la même formation. Au cours d’une carrière dans l’administration de la justice, une même personne peut remplir les trois rôles différents. Les JLD sont nommés et supervisés par le président du Tribunal de Grande Instance.

Tous les JLD avec lesquels nous nous sommes entretenus avaient été juges d’instruction, l’un d’eux avait également été procureur. Cette « interchangeabilité », comme l’a expliqué un juge, fait qu’il est difficile pour les JLD de garder la distance nécessaire. « Le JLD est une très bonne idée mais dans un système où les magistrats appartiennent au même corps, le JLD n’a pas toute l’indépendance souhaitable… Il y a trop d’esprit de corps.  Il ne s’agit pas de pression mais de cet esprit de corps qui se traduit en solidarité. »79

En fait, les cas de pression directe pourraient exister. Un ancien JLD a confié à Human Rights Watch qu’il avait dû s’expliquer devant ses supérieurs lorsqu’il ne s’était pas conformé aux souhaits émis par un juge d’instruction à propos d’une détention provisoire dans une affaire de terrorisme :

C’était un algérien qui habitait au Japon, marié avec une Japonaise et avec deux enfants shintoïstes.  Il a été interpellé à Roissy en route pour l’Algérie parce que son numéro de téléphone figurait dans le portable des personnes soupçonnées de terrorisme.  Il a dit que c’était parce que ces gens-là étaient passés par le Japon et qu’il les avait hébergés. Il y avait demande de le placer en détention provisoire mais j’ai dit non. J’ai dit qu’il pouvait s’installer sous contrôle judiciaire chez sa sœur à Lyon.80

L’intéressé, Djamel Hamouni, a passé trois ans sous contrôle judiciaire avant qu’un autre juge d’instruction lève les ordonnances et l’autorise à quitter le pays en novembre 2007. Au cours de ces trois années, il lui était interdit de quitter la région lyonnaise, il devait se présenter à la police chaque semaine et n’était pas en mesure de travailler. Au moment de la rédaction du présent rapport, il se trouve en Algérie en attente d’un visa pour retourner au Japon et voir sa famille pour la première fois en trois ans et demi.81

Le fait qu’il n’existe aucune garantie de continuité au niveau du JLD en charge d’un dossier pose un autre problème. Deux ou trois JLD sont de service pour gérer les nouveaux dossiers—ceux des personnes qui viennent de terminer leur délai de garde à vue. Mais c’est le chef de la section des JLD qui attribue le dossier lorsqu’il s’agit des renouvellements et des demandes de mise en liberté provisoire. Aucune règle ni ligne directrice n’est appliquée pour veiller à ce que ce soit le JLD qui a placé quelqu’un en détention la première fois qui décide du renouvellement ou de la remise en liberté.

Les données des services de renseignement et les preuves de torture

Les données émanant des services de renseignement, y compris les informations provenant de pays tiers, sont souvent au cœur des enquêtes sur les délits d’association de malfaiteurs. La plupart, si pas toutes les enquêtes sont effectivement ouvertes sur la base d’informations émanant des services de renseignement. Lors des procédures judiciaires, les données fournies par ces services jouent un rôle légitime au niveau de l’efficacité des poursuites liées aux délits de terrorisme. Mais les relations étroites qui existent entre les juges d’instruction spécialisés et les services de sécurité soulèvent des préoccupations quant à la question de savoir si les juges regardent ces données comme d’éventuelles preuves qu’il convient d’aborder avec le scepticisme nécessaire et en se souciant des droits de l’accusé.

L’utilisation de preuves obtenues de pays tiers où la torture et les mauvais traitements sont monnaie courante soulève des préoccupations particulières, notamment quant à la nature de la coopération entre les services de sécurité français et ceux de ces pays. Certaines personnes poursuivies en France qui ont affirmé de façon crédible avoir été torturées dans des pays tiers pour leur arracher des aveux ont réussi à ce que ces aveux soient rejetés en tant qu’éléments de preuve.

Mais dans certains cas, les tribunaux semblent avoir autorisé comme preuves des déclarations qui auraient été obtenues de tiers sous la torture. Et les déplacements effectués par les juges d’instruction dans des pays tiers au triste bilan en matière de torture afin de vérifier les données à utiliser dans le cadre de poursuites en France soulèvent des questions quant à la volonté des juges français de fermer les yeux sur les allégations d’exactions.

La coopération de l’appareil judiciaire avec les services de sécurité

Tant les experts nationaux qu’internationaux de la lutte antiterroriste mettent l’accent sur la coopération entre les juges d’instruction spécialisés et les services de sécurité français. Un responsable de la lutte contre le terrorisme a expliqué à Human Rights Watch : « C’est la spécificité française : les juges et les policiers travaillent ensemble tous les jours. Il y a une espèce de confiance là. Le passage entre le renseignement et l’enquête judiciaire est très facile. Le juge est un allié, pas un adversaire, et cela est une grande facilitation. »82

Les juges d’instruction coopèrent étroitement avec la Direction de la Surveillance du Territoire (DST) et les Renseignements Généraux. Les deux agences font partie du Ministère de l’Intérieur. La DST est à la fois une agence qui recueille des renseignements et une force de police judiciaire, ce qui signifie que les agents de la DST peuvent être affectés à des enquêtes criminelles pour assister les juges d’instruction. Dans la pratique, ceci se traduit par un échange continu d’informations et une planification stratégique conjointe entre les juges d’instruction et les agents des services de sécurité.83

La facilité avec laquelle les données sensibles émanant des renseignements sont utilisées dans les procédures judiciaires sans compromettre les sources et les méthodes de renseignement fait la fierté des responsables français de la lutte antiterroriste et suscite apparemment l’envie de leurs homologues dans d’autres pays. Le Ministère de l’Intérieur britannique, par exemple, a étudié le système français des juges d’instruction, s’intéressant particulièrement à la façon dont les données des renseignements étaient présentées comme éléments de preuve.84 Avec son expertise, sa formation et son habilitation de sécurité, le juge d’instruction spécialisé constitue le filtre désigné de toutes les informations émanant des services de renseignement. Non seulement les rapports de ces services peuvent être versés au dossier (et utilisés ultérieurement lors du procès) sans que l’on en connaisse les sources, mais les juges d’instruction peuvent aussi autoriser un nombre illimité d’actes d’enquête, notamment des arrestations, sur la base des seules informations des renseignements.

Par exemple, les arrestations opérées fin septembre et début octobre 2005 de personnes soupçonnées d’avoir projeté des attentats terroristes dans le métro parisien, contre le siège de la DST et/ou un aéroport de Paris en sont une bonne illustration et semblent s’être basées en grande partie, si pas entièrement, sur des déclarations qui auraient été faites par un homme répondant au nom de M’hamed Benyamina alors qu’il était détenu par le Département du Renseignement et de la Sécurité (DRS), les services secrets algériens.

Benyamina, un Algérien résidant légalement à Trappes en France, a été arrêté à l’aéroport d’Oran, en Algérie, le 9 septembre 2005, alors qu’il s’apprêtait à rentrer en France. Benyamina a expliqué à Amnesty International que des agents de la sécurité algérienne lui avaient dit que les autorités françaises avaient demandé qu’il soit arrêté. Un article paru en février 2006 dans le quotidien français Le Figaro, s’inquiétant du fait que la France avait « livré » un islamiste présumé à l’Algérie pour le faire parler sous la torture, citait deux sources policières anonymes reconnaissant ce lien avec la France, tandis qu’une autre source proche de l’affaire insistait sur le fait qu’Alger avait ses propres raisons de s’intéresser à Benyamina.85

Benyamina a été détenu par le DRS pendant au moins cinq mois. Au cours de cette période, sa famille n’a reçu aucune information sur le lieu où il trouvait et il n’a été mis en examen ni en France, ni en Algérie. Il s’agit donc d’un cas de disparition forcée. Benyamina a expliqué qu’il avait été détenu dans une cellule exiguë et sale, sans fenêtre et sans électricité, que pendant les cinq mois il n’avait vu personne si ce n’est ses interrogateurs, et qu’il ne pouvait utiliser la toilette que deux fois par jour.86 Il n’a jamais vu d’avocat ni eu l’occasion de contester d’une quelconque façon la légalité de sa détention. En mars 2006, aux dires des autorités algériennes, il a été placé en détention provisoire pour appartenance à une organisation terroriste internationale. Le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a qualifié les cinq mois passés par Benyamina aux mains du DRS de détention illégale et arbitraire.87

Benyamina a confié à Amnesty International qu’il ne voulait pas parler de la façon dont il avait été traité pendant sa détention aux mains du DRS aussi longtemps qu’il restait en Algérie, par peur des représailles.88 Sur la base des dizaines de cas de torture et de mauvais traitements relevés par Amnesty International entre 2002 et 2006, tout semble indiquer que le DRS arrête et maintient systématiquement au secret les personnes soupçonnées de terrorisme, sans qu’elles aient accès à un avocat, dans des conditions qui les exposent particulièrement à des actes de torture et des mauvais traitements.89

Emmanuel Nieto et Stéphane Hadoux ont été arrêtés en France début octobre 2005 sur la base des déclarations faites par Benyamina lors de sa détention aux mains du DRS. Ces deux personnes affirment avoir subi des violences physiques et psychologiques lors de leur garde à vue (voir Chapitre V pour une description détaillée de l’expérience de Nieto). Selon leur avocat, Benyamina a par la suite innocenté Nieto et Hadoux dans des dépositions judiciaires officielles transmises au juge d’instruction français en septembre 2006. C’est sur la base de cette disculpation que l’avocat a obtenu leur mise en liberté sous contrôle judiciaire en janvier 2007, après plus d’un an en détention provisoire.90 Ils se trouvent toujours mis en examen.

Cette affaire illustre bien les difficultés rencontrées par les accusés pour pouvoir réagir efficacement ou contester les données émanant des services de renseignement. Les avocats de Nieto et d’autres personnes impliquées dans ce dossier ont demandé l’extradition de Benyamina d’Algérie afin de pouvoir procéder à un contre-interrogatoire ; ces demandes ont été rejetées. Et alors que les agents des services de renseignement pourraient être appelés à témoigner au procès—et pourront le faire tout en protégeant leur identité--, ils ne pourront pas se voir forcés de révéler leurs sources. L’étude du Ministère de l’Intérieur britannique mentionnée plus haut est arrivée à la conclusion qu’alors que « l’impossibilité de contrôler ou de contester les données à la base des rapports des services de renseignement n’a jamais été remise en question en France », au Royaume-Uni, « le fait de priver la défense de l’opportunité de réagir face à une partie éventuellement importante des  arguments de l’accusation … aurait des implications au niveau de l’article 6 », faisant ici allusion à l’article de la Convention européenne des Droits de l’Homme qui garantit le droit à un procès équitable.

L’ancien juge d’instruction Bruguière a expliqué que l’inclusion dans les enquêtes judiciaires d’informations émanant des services de renseignement se révélait cruciale dans la lutte contre le terrorisme et il a présenté l’approche française comme un modèle d’efficacité. « Il n’y a pas de problème de divulgation ou de recevabilité de la preuve», a-t-il signalé. Il a toutefois souligné, à l’instar du procureur antiterroriste Maitre, qu’en France, personne ne serait jamais condamné sur la base des seules informations des services de renseignement. Selon Bruguière, ces données « permettent plutôt d’orienter une enquête vers des éléments matériels. Les renseignements doivent être corroborés par d’autres éléments ».91 Cela signifie surtout que le juge d’instruction prendra des informations recueillies selon les méthodes des services de renseignement, en dehors du cadre d’une enquête criminelle et de la supervision judiciaire qui y est associée, et qu’il les « judiciarisera » en ordonnant des actes d’enquête visant à trouver des éléments de preuve à l’appui. Comme le souligne Garapon, le juge d’instruction joue un rôle « d’interface » entre les services de renseignement et l’accusation car la phase d’instruction judiciaire lui permet de faire « d’un renseignement utile une preuve parfaitement valide et transparente ».92

Dans un rapport de 2007 sur le contrôle démocratique des services de sécurité, la Commission européenne pour la démocratie par le droit (connue sous le nom de Commission de Venise, un organe du Conseil de l’Europe) a prévenu que le fait de compter sur le contrôle des services de sécurité par des juges spécialisés comme moyen de supervision comportait des risques, notamment que ces juges s’identifient trop aux agents de la sécurité et qu’ils perdent leurs qualités d’indépendance et de vision extérieure nécessaires pour qu’il y ait contrôle adéquat. Le rapport donne l’exemple de la France et de l’Espagne pour illustrer cette approche et met en garde contre le fait que « la conscience indispensable des droits des personnes suspectées risque progressivement de s’amenuiser au fil des années passées en vase clos, aux côtés des services de renseignement de sécurité ». 93

Jusqu’à il y a peu, la France figurait parmi les quelques démocraties occidentales qui n’avaient pas mis en place de mécanisme de contrôle parlementaire de ses services de renseignement. Une loi d’octobre 2007 a créé une « délégation » parlementaire spéciale, composée de quatre députés et de quatre sénateurs.94 La délégation, dont les audiences se feront toujours à huis clos et dont les travaux sont couverts par le secret de la défense nationale, peut adresser des recommandations au premier ministre et au président. Elle a officiellement entamé ses travaux en février 2008.

L’utilisation de preuves obtenues sous la torture

L’une des préoccupations majeures soulevées par les relations étroites entre les juges d’instruction et les services de sécurité français est que les informations obtenues de pays tiers sous la torture ou au moyen de mauvais traitements interdits seront utilisées dans le cadre de procédures criminelles en France. L’interdiction absolue de la torture est un principe fermement établi en droit international coutumier et dans les traités internationaux auxquels la France est un État partie. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ainsi que la Convention européenne des Droits de l’Homme affirment tous ce principe fondamental. L’interdiction de la torture ne souffre pas d’exceptions ni de dérogations et s’étend à l’utilisation des informations obtenues sous la torture dans le cadre de procédures légales. L’article 15 de la Convention contre la torture dispose que toute déclaration dont il est établi qu'elle a été obtenue par la torture ne peut être invoquée comme un élément de preuve dans une procédure, si ce n'est contre la personne accusée de torture pour établir qu'une déclaration a été faite. En vertu de l’article 55 de la Constitution française, les traités internationaux ratifiés par la France ont une autorité supérieure à celle des lois nationales.

L’utilisation d’éléments de preuve obtenus sous la torture ou au moyen de mauvais traitements est interdite non seulement parce qu’ils ne sont pas fiables mais parce que, selon la Cour européenne, cette utilisation « ne ferait que légitimer indirectement le type de conduite moralement répréhensible que les auteurs de l’article 3 de la Convention ont cherché à interdire ou, comme l’a si bien dit la Cour suprême des États-Unis dans son arrêt en l’affaire Rochin … ‘à conférer une apparence de légalité à la brutalité’ ».95

La coopération entre les services de renseignement et de sécurité de différents États est une composante capitale de la lutte contre le terrorisme. L’existence d’Alliance base (un centre basé à Paris, créé conjointement par les services secrets américains et français en 2002 et destiné à coordonner la lutte antiterroriste entre les services secrets occidentaux) est une illustration de la coopération étroite des services de renseignement français avec la majorité de leurs homologues des démocraties occidentales. La DST et les RG partagent également des informations et collaborent avec un large éventail de services secrets, y compris ceux qui ont la réputation de torturer.96

Un responsable du contre-terrorisme qui s’est entretenu avec Human Rights Watch sous le couvert de l’anonymat a expliqué que les services secrets français recevaient normalement des services de renseignement étrangers un produit raffiné, sous forme de résumé ou simplement de tuyau, plutôt que des informations brutes. Ils évaluent ensuite la fiabilité des informations en tenant compte des méthodes et de l’efficacité connues des services étrangers concernés et tentent de recouper les informations. Ils essaient également de s’assurer que les renseignements émanant d’un partenaire de confiance, par exemple le Royaume-Uni, ne proviennent pas en réalité d’une source douteuse, par exemple l’Ouzbékistan. L’agent a souligné que les renseignements obtenus illégalement, notamment par la torture ou les mauvais traitements, étaient inacceptables car ils ne sont pas fiables et seraient en fin de compte déclarés irrecevables au tribunal.97

Dans la pratique, le contrôle de la justice sur cette phase des opérations est inexistant. Comme l’a expliqué Bruguière, les juges d’instruction ne reçoivent des renseignements que de la DST, et non pas directement des sources dans les pays tiers : « L’interface [avec les autres services secrets], c’est eux qui la font, et ils ne me disent pas d’où viennent leurs informations … On ne sait pas si les méthodes utilisées sont humaines ou techniques, [même pas] si les informations viennent d’un pays tiers… »98

Le procureur antiterroriste Philippe Maitre a confirmé ce fait, expliquant : « Il n’y a pas de contrôle de la justice sur les services de renseignement. C’est la procédure judiciaire qui vérifie l’information qui commence par des renseignements … L’origine des renseignements n’importe pas et on ne la connaît pas forcément. »99 Dans ces circonstances, il est difficile de voir comment le juge d’instruction peut exercer un quelconque contrôle sur la légitimité des méthodes utilisées et la véracité des informations obtenues lorsqu’il détermine s’il convient d’ouvrir une enquête officielle ou d’autoriser certains actes d’enquête.

Mais en fait, un juge d’instruction peut pleinement « judiciariser » les renseignements provenant de l’étranger en instituant une commission rogatoire internationale chargée de demander des informations officielles aux autorités judiciaires d’un pays déterminé. Le juge peut se rendre dans le pays concerné afin de participer à des interrogatoires ou d’y assister en tant qu’observateur. Les informations recueillies dans ces circonstances, indépendamment des conditions d’incarcération et du traitement du détenu avant et après la commission rogatoire internationale, jouissent d’une légitimité considérable.

Les cas mentionnés ci-après illustrent la façon dont les preuves obtenues sous la torture ou au moyen de mauvais traitements interdits dans des pays tiers ont été utilisées en France dans le cadre de procédures criminelles. Les personnes soumises à des mauvais traitements interdits dans un pays tiers et poursuivies ensuite en France ont l’opportunité de contester l’utilisation de ces preuves, parfois avec succès, comme il est illustré plus bas. Par contre, si la victime n’est pas l’un des accusés, la marge de manœuvre pour contester les informations susceptibles d’avoir été obtenues illégalement est très réduite.

Plusieurs de ces cas illustrent également les préoccupations soulevées par les contacts directs existant entre les juges d’instruction et des pays ayant une piètre réputation sur le plan de la torture. Ces cas soulèvent des questions quant à la volonté des juges d’instruction de fermer les yeux sur les allégations d’exactions.

 

Djamel Beghal

Djamel Beghal est un Algérien de 43 ans qui a passé les six dernières années en isolement cellulaire dans une prison française. Il a été condamné en mars 2005 à 10 ans d’emprisonnement, soit la peine maximale pour le délit d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. La Cour d’Appel a ensuite confirmé la peine et a ajouté l’obligation de purger les deux tiers de cette peine avant d’avoir le droit d’être remis en liberté. En décembre 2006, Beghal a été déchu de la nationalité française qu’il avait acquise et il a été notifié de son expulsion du territoire dès sa libération de prison.

Beghal a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs en grande partie sur la base de déclarations qu’il avait faites sous la torture et en subissant des mauvais traitements interdits aux Émirats Arabes Unis en septembre 2001. Tous les documents officiels du tribunal relatifs à l’affaire stipulent que Beghal a été arrêté à l’aéroport de Dubaï le 7 septembre 2001 car il utilisait un faux passeport français. Beghal venait du Pakistan et transitait par les EAU pour se rendre au Maroc. Il avait apparemment été identifié, bien que l’on ne sache pas trop par qui, comme étant un agent d’Al-Qaida impliqué dans des projets d’attentats contre des intérêts américains en France. Il a affirmé avoir été arrêté à son hôtel, des heures après être arrivé à Dubaï, par cinq ou six hommes portant des lunettes de soleil.100 Il a été extradé en France le 1er octobre 2001.

Dans une déclaration écrite, Beghal a décrit le traitement difficilement supportable qu’il a subi pendant sa détention aux EAU, notamment :

« Falaqa » avec mise des pieds dans des bassines de glaçons pour faire coaguler le sang et retaper sur les plantes pour doubler l’intensité de la douleur. Et ce … plusieurs jours… Arrachages des ongles des orteils … Injection de produits provoquant beaucoup de douleur, des vomissements … Privation de sommeil jusqu’à perdre l’élocution. Bruits assourdissants. Dent de sagesse trouée à vif et des douleurs jusqu’à l’évanouissement… Mis au froid dans un grand « frigo » ou chambre froide avec promesse de me faire mourir de froid. Toujours les yeux bandés… à tel point que je ne pensais plus au bandage ou à l’existence de la lumière. Ce qui revenait sans cesse : « Ben Laden t’a chargé d’une mission ». Puis devant mes réponses toujours négatives, un temps de répit et – je crois après le 11 septembre et ses évènements – ils sont revenus avec un scénario : « Tu es chargé d’attaquer l’ambassade des USA à Paris », comme ça, sans introduction. Ils n’ont cessé de me marteler avec cette histoire.101

Le 1er octobre 2001, après un long voyage en avion depuis Dubaï au cours duquel il a été « suspendu telle une chauve-souris, menotté aux crochets des suspentes des parachutistes, dans le froid glacial des hautes altitudes »,102 Beghal a été emmené directement devant le juge d’instruction et soumis à sept heures d’interrogatoire.103 Son avocat commis d’office ne lui a pas conseillé de garder le silence et n’a pas non plus réclamé un report de l’audience.

À cette occasion, Beghal a nié tout projet d’attentat terroriste contre des intérêts américains en France. Il a décrit au juge les conditions de détention et les mauvais traitements subis aux EAU. L’examen médicolégal ordonné par le juge immédiatement après l’interrogatoire a révélé certaines traces de mauvais traitements dénoncés par Beghal—notamment un hématome au bras gauche, ainsi que des marques sur sa cheville gauche et la plante du pied et une légère enflure d’un orteil au pied gauche—et le médecin a noté un « retentissement post-traumatique aux faits allégués ».104

La 10ème chambre du Tribunal Correctionnel a néanmoins autorisé l’utilisation en tant qu’éléments de preuve de toutes les déclarations faites par Beghal aux EAU, y compris ses aveux présumés où il déclare qu’un haut responsable d’Al-Qaida dénommé Abou Zubeida l’avait chargé d’organiser un attentat contre l’ambassade des États-Unis en France.105 Appliquant un raisonnement circulaire, le tribunal a établi que : « Même si Djamel Beghal reviendra progressivement, et définitivement à l’audience, sur ses déclarations faites aux Émirats Arabes Unis, force sera de constater que l’essentiel de celles-ci, de toute évidence confirmé lors de son interrogatoire de première comparution, sera, en tout état de cause, confirmé par les nombreuses investigations entreprises. »106 Ces investigations comprennent la reconstitution par la DST des déplacements de Beghal ; des opérations policières en France, en Belgique et en Espagne qui sont venues confirmer les contacts entre des membres présumés du groupe ; ainsi que les dépositions faites en garde à vue par plusieurs personnes, dont Nizar Trabelsi. Trabelsi est un ressortissant tunisien qui a été arrêté en Belgique le 13 septembre 2001 et a finalement été condamné en 2003 pour avoir projeté un attentat contre une base aérienne de l’OTAN en Belgique. La possibilité selon laquelle Trabelsi était censé perpétrer un attentat contre l’ambassade américaine à Paris a été évoquée, accusation que l’intéressé a toujours niée, alors qu’il a avoué l’attentat projeté en Belgique.107

Le Tribunal Correctionnel a établi que Beghal était membre d’un réseau terroriste en raison de ses contacts avec certaines personnes identifiées comme de hauts responsables d’Al-Qaida. Le jugement cite des renseignements de la DST concernant les faits et gestes de Beghal, notamment le temps qu’il a passé dans des camps paramilitaires en Afghanistan ainsi que ses contacts avec des recruteurs présumés d’Al- Qaida, Abou Qatada et Abou Doha, au Royaume-Uni, ce que Beghal a entièrement reconnu tant aux EAU qu’en France.108 Le tribunal français a conclu que Beghal aurait exécuté une mission terroriste en France s’il n’avait pas été arrêté aux EAU.109

Lors de sa première comparution devant le juge d’instruction, Beghal a en fait confirmé qu’il connaissait certaines personnes identifiées comme étant des membres de mouvements islamistes radicaux, notamment Abou Qatada à Londres, ainsi que certains des co-accusés de Beghal et Nizar Trabelsi. Mais Beghal a nié avoir rencontré Abou Zubeida en Afghanistan et a déclaré que son séjour dans ce pays n’était pas lié à Al-Qaida.

La Cour d’Appel a confirmé la condamnation de Beghal en décembre 2005 bien qu’elle ait établi que la déposition provenant des EAU ne pouvait pas être retenue contre lui. Notant que le seul véritable élément de preuve relatif à un complot contre des intérêts américains à Paris était la déposition obtenue à Dubaï « dans des conditions non conformes au respect des droits de la défense », la 10ème chambre de la Cour d’Appel a néanmoins conclu qu’un nombre amplement suffisant d’éléments indiquaient « l’implication [de Beghal] … dans la mouvance islamiste la plus radicale, celle soutenue par Al Qaïda, dont les objectifs de déstabilisation des régimes occidentaux soutenant les États-Unis et Israël sont avérés ».110

En février 2008, l’avocat de Beghal a abouti à la conclusion que « la justice française ne s’est pas fait honneur de la manière dont elle a mené le procès Beghal, depuis le moment où il a été amené ici jusqu’à maintenant. On se trouvait dans l’obligation de prouver l’innocence, dans un renversement de toutes les règles, et c’était impossible. Les choses étaient entendues dès le départ. En aucun moment on a pensé qu’une relaxe était possible. La conviction du juge était faite dès le départ. Il y avait des dizaines de tomes dans lesquels il n’y avait rien d’intéressant, mais il y avait une accumulation d’informations pour faire croire qu’il [Beghal] pouvait commettre un acte dans le futur ».111

Saïd Arif

Saïd Arif était l’une des figures principales au procès de la filière dite tchétchène. L’affaire impliquait 27 prévenus, dont la plupart étaient accusés d’avoir suivi une formation paramilitaire dans des camps situés dans les gorges de Pankissi en Géorgie, en vue de revenir en Europe pour perpétrer des attentats terroristes. Le groupe a été baptisé « filière tchétchène » car bon nombre de ses membres auraient envisagé d’aller se battre en Tchétchénie, bien qu’aucun de ceux passant en jugement ne l’aient à vrai dire fait.112

Arif, un ressortissant algérien âgé de 43 ans, a été arrêté à Damas par les services secrets syriens en juillet 2003. En l’absence d’un traité d’extradition entre les deux pays, il a été amené en France en juin 2004 selon une procédure ad hoc. Un juge d’instruction français s’est rendu à Damas en mai 2004 dans le cadre d’une commission rogatoire internationale et a fourni aux autorités syriennes une liste de questions à poser à Arif. Ces questions étaient accompagnées de « réponses » indiquées entre parenthèses.113 Le juge français n’a pas participé ni assisté personnellement aux interrogatoires et, à notre connaissance, il n’a pas vu Arif en détention.114

Arif a allégué de façon crédible qu’il avait été torturé pendant toute l’année qu’il a passée en détention en Syrie :

J’ai été retenu dans les locaux des services secrets syriens pendant un an dans des conditions inhumaines. J’étais dans une cellule individuelle de 1 mètre sur 1 mètre 90, avec une hauteur de 2 mètres et dans l’obscurité totale. Je dormais à même le sol sans hygiène, sans accès aux soins.  Il m’était interdit de parler, d’avoir une notion de l’heure et j’étais frappé de temps à autre. Pendant l’hiver, je n’avais pas de chauffage ni d’eau chaude … Pendant toute cette année de détention à Damas, j’ai été torturé avec un câble de télévision, alors que l’on m’avait mis dans un pneu, ce qui a eu des incidences sur ma colonne vertébrale. Le moindre des sévices que je recevais était sous la forme de gifles… on m’a contraint à reconnaître des faits que j’ignorais et ce, jusqu’au dernier jour de ma détention, tout en ignorant qu’il y avait une commission rogatoire internationale et sans être assisté d’un avocat.115

En Syrie, la torture est un problème grave, attesté par de nombreuses sources. Elle est tout particulièrement utilisée lors des interrogatoires.116

Arif a démenti tout ce qu’il aurait dit pendant son incarcération en Syrie. Son avocat, Sébastien Bono, a fait valoir avec succès que tous les éléments de preuve émanant de sa détention en Syrie et versés au dossier par l’accusation en tant qu’éléments à charge devraient être considérés irrecevables au procès. Le tribunal, ayant entendu le témoignage de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, d’Amnesty International et de l’Organisation Mondiale contre la Torture au sujet de l’usage systématique et généralisé de la torture en Syrie, a reconnu qu’il était « vraisemblable que les déclarations effectuées par Saïd Arif en Syrie … l’aient été sous la torture, et que ses aveux aient été obtenus par cette méthode ».117

En juin 2006, le tribunal a néanmoins déclaré Arif coupable d’appartenance à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste et l’a condamné à neuf ans de réclusion. Le jugement a établi qu’il avait été prouvé qu’Arif était membre du réseau terroriste d’Abou Doha, qu’il avait passé un certain temps en Afghanistan et avait été en contact avec des « dirigeants de la mouvance islamiste radicale », qu’il avait passé du temps dans les gorges de Pankissi en Géorgie où il avait été en contact permanent avec des membres d’une cellule terroriste française, et qu’il se trouvait à Barcelone en mars 2002 au moment d’une rencontre d’islamistes radicaux « en vue de définir la nouvelle stratégie du djihad en Europe ».118 La présidente de la 10ème chambre du Tribunal Correctionnel qui a jugé le dossier, Jacqueline Rebeyrotte, a également présidé le procès du réseau dit de Francfort, accusé d’avoir projeté un attentat sur le marché de Noël de Strasbourg en 2000. Dans le verdict de 2004, qui a condamné 10 hommes, la magistrate (et ses deux assesseurs) a présenté Arif comme étant l’une des « grosses pointures » et laissé entendre que son appartenance à un « mouvement islamiste radical » était une évidence.119

Les dépositions des co-accusés d’Arif, ainsi que des membres présumés de mouvements ou réseaux islamistes radicaux, ont joué un rôle primordial dans l’affaire. La plupart de ceux qui ont fait des dépositions à l’encontre de leurs co-accusés pendant leur garde à vue et, dans certains cas, devant le juge d’instruction se sont par la suite rétractés, invoquant le fait qu’ils avaient subi des pressions physiques et/ou psychologiques lors de leur garde à vue.120 Les dépositions faites par Laurent Mourad Djoumakh, déclaré coupable d’avoir participé au projet d’attentat sur le marché de Noël de Strasbourg, semblent avoir revêtu une importance particulière dans les arguments de l’accusation et dans le verdict. Djoumakh a affirmé sous serment qu’Arif était membre du réseau d’Abou Doha et qu’il s’était rendu en Géorgie en 2001 en utilisant le passeport de Djoumakh.121

En mai 2007, la Cour d’Appel a maintenu l’exclusion de la déposition provenant de Syrie mais a confirmé la condamnation prononcée par le Tribunal Correctionnel, alourdissant la peine d’emprisonnement d’Arif pour la faire passer à 10 ans—soit la peine maximale—avec l’obligation de purger au moins les deux tiers de la peine. (Devant la Cour d’Appel, le ministère public avait invoqué le fait que le Tribunal Correctionnel avait « abusivement » écarté les déclarations faites par Arif en Syrie car rien ne prouvait qu’Arif avait été torturé, ajoutant que les Syriens n’avaient aucun intérêt à torturer Arif « puisqu’ils ne s’intéressaient pas à son cas et l’ont livré à la France très rapidement après son arrestation ».122

Après avoir réussi à faire écarter la déposition provenant de Syrie, l’avocat d’Arif, Sébastien Bono, a dû en payer le prix. Le président de la chambre de la Cour d’Appel a critiqué Bono pour avoir déclaré dans ses arguments écrits que les juges d’instruction français étaient complices de torture, qualifiant ces paroles de « manifestement infamantes et dépassant la liberté de parole de la défense ».123 En novembre 2007, le ministère public a demandé au Conseil de discipline de l’Ordre des Avocats de Paris de censurer Bono pour ces accusations. En dépit de l’avis du Bâtonnier estimant que les actions de Bono constituaient des efforts légitimes de la défense, le ministère public a engagé sa propre action disciplinaire à l’encontre de Bono en janvier 2008. Aux termes de la loi, cela signifie que le Conseil de discipline de l’Ordre des Avocats doit mener une enquête. Les sanctions éventuelles incluent la radiation permanente ou temporaire de l’ordre des avocats. La décision peut faire l’objet d’un recours formé devant la même chambre de la Cour d’Appel qui a statué dans l’affaire de la filière tchétchène.124

Abou Attiya

Une partie des informations versées au dossier de la filière tchétchène semble provenir d’un Jordanien connu sous le nom d’Abou Attiya (qui ne se trouvait pas parmi les accusés lors du procès). Un rapport de la DST datant du 6 novembre 2002, au début de l’instruction judiciaire, précisait qu’Abou Attiya était chargé de la préparation, en Géorgie, d’attaques chimiques en Europe.125 Un juge d’instruction français s’est rendu à Amman dans le cadre d’une commission rogatoire internationale et a remis aux autorités jordaniennes des questions à l’intention d’Abou Attiya. Pour autant que nous sachions, le juge français n’a dirigé ni participé à aucun des interrogatoires. Il est fait allusion à Abou Attiya dans le verdict de juin 2006 de 305 pages ainsi que dans l’arrêt de la Cour d’Appel de mai 2007. La Cour d’Appel cite effectivement les déclarations faites par Abou Attiya lors de sa détention en Jordanie comme constituant l’un des principaux éléments de preuve d’un complot visant à commettre une attaque chimique en France.126

L’avocat de Zine Eddine Khalid, l’un des accusés dans le procès de la filière tchétchène, a invoqué, devant la Cour d’Appel, le fait que la déposition d’Abou Attiya devait être exclue étant donné les conditions dans lesquelles elle avait été obtenue et « l’absence de précision sur les sources d’information de la DST. »127

Human Rights Watch a eu un entretien avec Abou Attiya en Jordanie en août 2007. Il a signalé que son nom complet était Adnan Muhammad Sadik Abou Najila. Il nous a confié qu’il avait été arrêté en Azerbaïdjan à la mi-août 2003 et transféré en Jordanie fin septembre 2003. Il a été détenu par le GID (les services secrets jordaniens) jusqu’au 30 décembre 2007, date à laquelle il a été libéré, après plus de quatre ans, sans inculpation. Le GID est connu pour ses arrestations arbitraires et les sévices infligés aux prisonniers.128 Lors des interrogatoires, « ils m’ont posé des questions sur les gens qui venaient d’Europe. Ces personnes voulaient aller en Tchétchénie mais ne pouvaient pas ; je n’avais pas grand-chose à voir avec elles », nous a expliqué Abou Attiya. Il prétend n’avoir jamais avoué aucun projet visant à commettre des attentats en Europe.

Abou Attiya a déclaré qu’il avait subi des privations de sommeil lorsqu’il était détenu par le GID et qu’il avait reçu des pilules et des injections. « Les injections me rendaient nerveux et me faisaient trembler, donc je n’arrivais pas à me concentrer. Les pilules étaient très petites, elles me rendaient nerveux et agité », a-t-il expliqué. Il n’a pas été autorisé à lire ses « aveux » avant de les signer.129

Interrogé par Human Rights Watch à propos des informations fournies par Abou Attiya et utilisées dans l’affaire de la filière tchétchène, le juge d’instruction a répondu, « mais c’était une commission rogatoire internationale en Jordanie… je n’ai participé qu’à des commissions rogatoires non violentes ».130 Au sujet du fait qu’Abou Attiya avait dénoncé des mauvais traitements lors de sa détention en Jordanie, le juge a dit, « j’en sais rien, moi ».131

Les condamnations reposant sur des preuves ténues

Les affaires d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste sont jugées en collégialité par trois juges au Tribunal Correctionnel de Paris. Le tribunal ne dispose pas d’une chambre spécifique pour entendre ces affaires, bien que la plupart soient jugées par la 13ème, la 14ème ou la 16ème chambre. Tous les appels formés contre les verdicts du Tribunal Correctionnel sont entendus par trois mêmes juges qui président la 10ème chambre de la Cour d’Appel de Paris. Tant le ministère public que l’accusé peuvent interjeter appel ; dans bon nombre des cas examinés par Human Rights Watch, la Cour d’Appel a confirmé les condamnations et souvent alourdi les peines d’emprisonnement, et dans certains cas, elle a annulé le verdict de relaxe et a condamné les accusés.

Dans le système de justice pénale français, le niveau de preuve est défini dans l’article 427 du Code de procédure pénale : les juges (et jurés) décident de l’innocence ou de la culpabilité de l’accusé d’après leur « intime conviction », dans un système où tous les types de preuve sont recevables (système de la « preuve libre »). Les chambres correctionnelles doivent rendre des jugements motivés expliquant leurs verdicts. Les juges et jurés de la cour d’assises, qui jugent les crimes les plus graves, ne doivent pas rendre d’arrêts motivés. La Cour européenne des Droits de l’Homme a établi que la norme de « l’intime conviction » était, dans la pratique, équivalente à la norme pénale de la preuve « au-delà de tout doute raisonnable » utilisée dans les juridictions de common law.132

Le Juge Jean-Claude Kross, haut magistrat présidant la 16ème chambre du Tribunal Correctionnel de Paris, a expliqué que « nous statuons au regard des éléments matériels et légaux qui sont contenus dans le dossier d’instruction, qui inclut l’enquête de police ». Il a par ailleurs souligné l’importance des débats contradictoires tenus en audience publique pour élucider les faits en rapport avec le dossier.133 Le Procureur adjoint au parquet de Paris, Philippe Maitre, a mis l’accent sur le fait que tout doute devrait bénéficier à l’accusé.134

Human Rights Watch n’a pas été en mesure d’obtenir des statistiques sur la proportion de condamnations par rapport au nombre d’accusés dans les affaires impliquant des réseaux terroristes islamistes présumés. Les cas pris isolément semblent indiquer que dans ces affaires souvent complexes impliquant de nombreux accusés, la majorité de ceux-ci sont reconnus coupables de quelque chose, soit du chef d’accusation principal d’association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, soit de délits tels que le faux et usage de faux, indépendants de l’intention terroriste. Les chiffres d’Europol indiquent qu’en 2007, la France a présenté un taux d’acquittement de 5 pour cent dans les procès pour terrorisme : elle a enregistré 52 condamnations et 3 acquittements sur un total de 55 verdicts. Sur ces 55 verdicts, 31 concernaient des accusés appartenant à des groupes islamistes et 24 concernaient des accusés séparatistes. Le taux d’acquittement pour 2006 était de 0 pour cent, 21 condamnations ayant été prononcées dans les 21 verdicts.135

Un certain nombre de personnes déclarées coupables d’association de malfaiteurs sont condamnées à des peines qui semblent être égales à la durée de leur détention provisoire. Ceci peut refléter la détention souvent longue qui précède le procès dans les affaires de terrorisme mais peut-être aussi l’effort fait pour « couvrir » la période déjà purgée afin d’éviter que cela ne donne l’apparence d’une détention injuste.136 Et parce que le droit français prévoit des réductions automatiques de peines de prison, ces personnes purgent en réalité des peines encore plus longues que si elles n’avaient commencé à purger leur peine qu’après leur condamnation.137  Hassan el Cheguer et Hakim Mokhfi ont tous deux été condamnés à quatre ans, avec un sursis d’un an, pour appartenance à un réseau terroriste, après avoir passé exactement trois ans en détention provisoire. Au départ, ils étaient inculpés, à l’instar de Ghulam Mustafa Rama, d’avoir fourni un soutien à Richard Reid, le citoyen britannique surnommé le « shoe bomber » (l’homme à la chaussure piégée) parce qu’il avait tenté de déclencher une bombe dissimulée dans sa chaussure sur un vol Paris-Miami en décembre 2001. Les procureurs ont fini par admettre que les preuves manquaient pour ce chef d’accusation et ont plutôt invoqué le fait que Rama avait recruté les deux jeunes hommes pour le terrorisme. El Cheguer et Mokhfi ont avoué avoir passé trois semaines en septembre 2001 dans un camp d’entraînement dirigé par une organisation islamiste appelée Lashkar-e-Toiba, dans le Cachemire sous administration pakistanaise. Ils ont affirmé n’avoir pas été pleinement informés et avaient été surpris et effrayés de découvrir sa vraie nature.

Certaines de ces condamnations d’une durée égale à la période déjà passée en détention semblent se baser sur des éléments de preuve n’établissant guère plus que des contacts entre certaines personnes. Une affaire de 2005 impliquant six accusés poursuivis pour appartenance à un réseau projetant un attentat contre des intérêts américains en France illustre bien cette préoccupation. La figure principale de l’affaire était Djamel Beghal (voir plus haut notre analyse de l’affaire). Deux des autres accusés étaient Rachid Benmessahel, qui a été condamné à trois ans de prison exactement, soit la période déjà passée en détention provisoire, et Johan Bonte, condamné à un an, après avoir passé trois ans en détention provisoire.

Le jugement—dans lequel sont consignés un grand nombre d’appels téléphoniques et diverses rencontres entre les six accusés impliqués dans l’affaire, dont Benmessahel et Bonte,— établit sans l’ombre d’un doute que ces hommes se connaissaient (Bonte est le beau-frère de Beghal).138 Mais il n’établit aucun lien avec un complot terroriste déterminé en France et permet de douter sérieusement du fait que ces hommes aient formé un réseau ou groupement avec une intention terroriste claire.

L’épouse de Benmessahel a exprimé sa frustration par rapport à l’enquête :

J’avais pas mal de disquettes avec des articles sur l’islam, tous genres de sujet, y compris un sur des martyrs. Tout en français, alors que mon mari ne parle pas bien le français. J’ai confirmé qu’elles étaient à moi. Mon mari a dit qu’elles étaient les miennes, mais la police a insisté qu’elles appartenaient à mon mari. J’avais la preuve qu’il était allé à Düsseldorf pour acheter une voiture, mais que je leur montre n’importe quoi, ils insistaient que c’était pour rencontrer des terroristes.  Rachid avait marché sur une mine antipersonnel en Algérie lorsqu’il faisait son service militaire. [Le juge d’instruction] disait qu’il avait été blessé en Afghanistan, et quand j’ai donné à l’avocat de la documentation algérienne sur la blessure de Rachid, [le juge] a dit qu’il ne la prenait pas en compte, que tout s’achetait en Algérie. Ils ont dit que mon mari était allé en Afghanistan en 1997-1998, et quand j’ai prouvé que non, ils ont dit qu’il y était allé en 2000.  Mais il avait été opéré à ce moment, et alors finalement ils ont dit qu’il était la personne sur place en France qui devait coordonner tout. J’avais la sensation de frapper ma tête contre le mur.139

Deux ans après que Rachid Benmessahel eut été libéré de prison, il a été déchu de la nationalité française qu’il avait acquise et expulsé vers l’Algérie. Son épouse, une ressortissante française, et leurs trois enfants continuent à vivre en banlieue parisienne.

Ibrahim Keita et Azdine Sayez ont été jugés en même temps que quatre autres personnes pour appartenance à un réseau apportant un soutien aux agents d’Al-Qaida et recrutement pour le terrorisme. Trois des autres accusés ont été déclarés coupables d’avoir fourni un soutien financier et logistique aux deux Tunisiens qui ont tué le chef militaire du Front national islamique uni pour le salut de l’Afghanistan, le Commandant Ahmed Shah Massoud, en septembre 2001. Un quatrième a été condamné à deux ans d’emprisonnement pour avoir organisé des camps d’entraînement paramilitaire. Bien qu’il ait été jugé en même temps que ces hommes, Keita a été accusé d’avoir fourni un soutien à Willy Brigitte, un citoyen français qui a finalement été reconnu coupable d’avoir projeté un attentat terroriste en Australie. Keita, un musulman pieux, a partagé une petite chambre avec Brigitte à Paris dans des conditions spartiates : Keita y dormait pendant la journée et Brigitte pouvait l’utiliser la nuit pendant que Keita travaillait comme camionneur. Ceci, ainsi que le fait qu’il a participé à ce qu’il a appelé des randonnées organisées par la mosquée qu’il fréquentait, semblent constituer le seul élément sur lequel repose l’accusation d’association de malfaiteurs. Après avoir passé un an et demi environ en détention provisoire, Keita a été relaxé par le Tribunal Correctionnel. Le ministère public a toutefois interjeté appel et la Cour d’Appel a annulé la relaxe et condamné Keita à deux ans d’emprisonnement. Vu le temps déjà passé en détention et les réductions automatiques de peine, Keita n’est pas retourné en prison.

Son co-accusé Sayez semble avoir été arrêté et mis en examen pour guère plus que le fait d’être propriétaire d’une pizzeria halal fréquentée par bon nombre des autres accusés dans l’affaire. Keita lui-même avait l’habitude de passer y prendre une pizza lorsqu’il travaillait comme livreur. Sayez a passé à peu près huit mois en détention provisoire avant d’être relaxé. Mais comme dans le cas de Keita, sa relaxe a été annulée par la Cour d’Appel et il a été condamné à deux ans de prison ; contrairement à Keita, il a été réarrêté et incarcéré pour compléter sa peine.140

Des juridictions étrangères ont jeté le doute sur les éléments de preuve à la base de certaines condamnations pour association de malfaiteurs. En 2002, un tribunal allemand a refusé d’extrader Abdallah Kinai, un Algérien bénéficiant du statut de réfugié en Allemagne, vers la France pour qu’il y complète une peine d’emprisonnement de cinq ans.

Kinai, aujourd’hui âgé de 64 ans, avait d’abord été arrêté le 26 mai 1998 en France dans le cadre de l’opération mise sur pied pour prévenir un projet terroriste présumé visant la Coupe du Monde de football organisée en France cette même année. Kinai a finalement été accusé d’être une figure importante au sein d’un groupe formé pour fournir du matériel et un soutien logistique au GIA en Algérie, et d’avoir donné son approbation à un projet d’assassinat de l’imam de la mosquée de Paris, Dalil Boubaker. Kinai a passé 11 mois en détention provisoire en France avant d’être remis en liberté sous contrôle judiciaire. Le 12 décembre 2000, le Tribunal Correctionnel l’a relaxé de tous les chefs d’accusation. Lors de son procès, 16 des 24 accusés ont été acquittés des chefs d’accusation les plus graves liés à l’appartenance à une association terroriste de malfaiteurs.141 L’accusation a toutefois interjeté appel de la relaxe et le 14 mars 2002, la Cour d’Appel de Paris a déclaré Kinai coupable et l’a condamné à cinq ans de prison.

Kinai était retourné en Allemagne après sa relaxe par le Tribunal Correctionnel et il a été interpellé à Stuttgart le 1er juillet 2002, dans l’attente d’une extradition vers la France pour purger sa peine de prison. Néanmoins, après un examen des documents relatifs à l’affaire, la Haute Cour régionale de Stuttgart a annulé le mandat d’arrêt le 22 novembre 2002 et a définitivement déclaré irrecevable l’extradition de Kinai vers la France le 7 avril 2003, invoquant un manque de motifs légaux expliquant la demande d’extradition. En ce qui concerne l’appartenance présumée à une association de malfaiteurs visant à commettre des actes de terrorisme, la Cour a établi qu’ « il est impossible de déterminer, à partir des documents fournis par les autorités françaises, si le réseau prétendument dirigé par les accusés remplit même les critères d’une organisation criminelle ou terroriste … il n’existe aucune allégation précise qui permettrait à la Cour de déterminer la structure organisationnelle de ce réseau ». Par rapport au projet présumé d’assassinat de l’imam de la mosquée de Paris, la Cour a également estimé qu’elle ne pouvait pas déterminer l’existence d’une quelconque infraction criminelle.142

Un tribunal canadien a également estimé non fondée une condamnation française pour association de malfaiteurs. Abdallah Ouzghar, qui a la double nationalité canadienne et marocaine, a été condamné par contumace en avril 2001 en France pour association de malfaiteurs et fabrication de faux passeports et a été condamné à une peine d’emprisonnement de cinq ans.143 Vingt-trois autres personnes ont été condamnées en même temps que lui pour appartenance au Groupe dit de Montréal. Ce groupe serait lié à Ahmed Ressam, condamné aux États-Unis en avril 2001 pour avoir tenté de faire entrer clandestinement des explosifs du Canada en vue de faire exploser l’aéroport international de Los Angeles. La France a demandé l’extradition d’Ouzghar du Canada peu après les attentats du 11 septembre aux États-Unis, demande qui a abouti à son arrestation en octobre 2001 et à de longues procédures d’extradition. En janvier 2007, un juge de Toronto a rejeté l’argument selon lequel Ouzghar était membre d’un groupement terroriste international mais a autorisé son extradition sur la base des chefs d’accusation mineurs (par exemple la fabrication de faux passeports). Un an plus tard, en janvier 2008, le Ministère canadien de la Justice a ignoré la conclusion du juge et a autorisé l’extradition également pour le chef d’accusation de terrorisme. En mai 2008, Ouzghar se trouvait toujours au Canada après s’être pourvu en appel.144

En France, toute personne qui a fait l’objet d’une détention provisoire et bénéficie ensuite d’un non-lieu ou est relaxée ou acquittée au procès de tous les chefs d’accusation retenus contre elle a droit à réparation.145 Saliha Lebik a passé un an en détention provisoire avec sa fillette en bas âge avant d’être relaxée par le Tribunal Correctionnel en juin 2006 de tous les chefs d’accusation retenus contre elle. Tant Lebik, épouse de l’un des principaux accusés au procès de la filière tchétchène, que sa fille ont contracté la tuberculose en prison. Son époux, Mérouane Benahmed, a été déclaré coupable d’association terroriste de malfaiteurs et condamné à la peine d’emprisonnement maximale de dix ans. La Cour d’Appel a confirmé la relaxe de Lebik en mai 2007, ouvrant la voie à l’obtention d’une réparation. Au moment où sont écrites ces lignes, aucune décision n’a encore été rendue dans l’action intentée par Lebik pour obtenir plus de 220 000€ de dommages et intérêts.146 Les personnes reconnues coupables mais condamnées à des peines de prison plus courtes que la période passée en détention provisoire, comme Johan Bonte (voir plus haut), n’ont pas droit à réparation.




10 Ibid., art. 702 (modifié par la Loi n° 82-621 du 21 juillet 1982).

11 Le Conseil constitutionnel a conclu que le remplacement d’un jury populaire par des juges professionnels dans les affaires liées au terrorisme constituait un moyen légitime d’éviter les pressions et les menaces. Décision n° 86-213 DC, 3 septembre 1986.

12 Le délai de garde à vue de 96 heures est également applicable aux personnes soupçonnées de trafic de drogue et de crime organisé.

13 Le terme « association de malfaiteurs » peut être utilisé pour de nombreux infractions. Dans le présent rapport, nous l’utilisons pour nous référer exclusivement au délit d’appartenance à une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Cette statistique émane du Ministère de la Justice, comme rapporté dans Piotr Smolar, « Les prisons françaises comptent 358 détenus pour activisme », Le Monde, 9 septembre 2005.

14 Jacky Durant et Patricia Tourancheau, « La menace terroriste contre la France est élevée », Libération, 18 octobre 2006.

15 Code pénal (CP), art. 421-2-1.

16 La loi prévoit la peine la plus grave pour l’appartenance à un groupe dont le but est de préparer des atteintes contre les personnes, comme précisé dans l’article 421-1 (les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport); les destructions par substances explosives ou incendiaires réalisées dans des circonstances de temps ou de lieu susceptibles d'entraîner la mort d'une ou plusieurs personnes ; ou le fait d'introduire dans l'atmosphère, sur le sol, dans le sous-sol, dans les aliments ou les composants alimentaires ou dans les eaux, une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme. Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers. En février 2008, personne n’avait encore été accusé du crime d’association de malfaiteurs. Voir Assemblée Nationale, Rapport d’information de la Commission des lois constitutionnelles sur la mise en application de la loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006, 5 février 2008.

17 Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006.

18 Ibid.

19 Loi n° 2001-1062 du 15 novembre 2001 relative à la sécurité quotidienne ; Loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure ; Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; et Loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers.

20 CP, art. 421-1. Ces actes comprennent les atteintes à la vie et à l'intégrité de la personne, l'enlèvement, le détournement, ainsi que le vol et stockage de produits explosifs. Cet article a été incorporé au CP en 1996 et a été modifié en 1998 et de nouveau en 2001.

21 CP, art. 421-3.

22 Antoine Garapon, « Is There a French Advantage in the Fight Against Terrorism? » ARI.

23 Human Rights Watch, « U.K.: Law Lords Rule Indefinite Detention Breaches Human Rights », 16 décembre 2004, http://hrw.org/english/docs/2004/12/16/uk9890.htm.

24 Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Louis Bruguière, ancien juge d’instruction, Paris, 26 février 2008.

25 Jeremy Shapiro et Bénédicte Suzan, « The French Experience of Counter-Terrorism », Survival, vol. 45, no.1, Printemps 2003, p. 78.

26 Il y a huit postes au sein de la division des juges d’instruction spécialisés dans la lutte contre le terrorisme ; au moment de la rédaction de ce rapport, seuls sept juges étaient en activité. Entretien de Human Rights Watch avec Philippe Maitre, procureur adjoint chargé de la lutte antiterroriste, Paris, le 27 février 2008. Les juges tendent à se spécialiser davantage en fonction des différents types de terrorisme (par exemple international ou islamiste, nationaliste ou séparatiste).

27 Début mars 2008, la Commission européenne a désigné Bruguière pour entreprendre une étude sur la mise en œuvre d’un accord de coopération entre l’Union européenne et les États-Unis dans la lutte contre le financement du terrorisme. « L'examen par l'UE du « programme de traque du financement du terrorisme » des États-Unis », communiqué de presse de la Commission européenne, 7 mars 2008, http://europa.eu/rapid/pressReleasesAction.do?reference=IP/08/400&format=HTML&aged=0&language=fr&guiLanguage=fr (consulté le 12 mars 2008).

28 Craig Whitlock, « French Push Limits in Fight on Terrorism », Washington Post, 2 novembre 2004. 

29 Shapiro et Suzan, « The French experience of counterterrorism ».

30 Entretiens de Human Rights Watch avec Sébastien Bono, Paris, 21 juin 2007 et 28 février 2007 ; Henri de Beauregard, Paris, 6 juillet 2007 ; Fatouma Metmati, 13 décembre 2007 ; Bernard Dartevelle, Paris, 21 juin 2007 ; Nicolas Salomon, Paris, 5 juillet 2007 ; Sophie Sarre, Paris, 6 juillet 2007 ; Antoine Comte, Paris, 10 mai 2007 ; Dominique Tricaud, Paris, 10 décembre 2007.

31 Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), adopté le 16 décembre 1966, G.A. Res. 2200A (XXI), 21 U.N. GAOR Supp. (No. 16) at 52, U.N. Doc. A/6316 (1966), 999 U.N.T.S. 171, entré en vigueur le 23 mars 1976, ratifié par la France le 4 novembre 1980, art. 14 ; Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (Convention européenne des droits de l’homme), 213 U.N.T.S. 222, entrée en vigueur le 3 septembre 1953, modifiée par les Protocoles 3, 5, 8 et 11, lesquels sont entrés en vigueur respectivement le 21 septembre 1970, le 20 décembre 1971, le 1er janvier 1990 et le 1er novembre 1998, art. 6. Voir également les arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme : Affaire Dombo Beheer B.V. c. Pays-Bas, arrêt du 27 octobre 1993, Série A n° 274, p. 19, § 33; Affaire Ankerl c. Suisse, arrêt du 23 octobre 1996, Recueil 1996-V, pp. 1567-68, § 38; Affaire Ruiz Mateos c. Espagne, arrêt du 24 juin 1993, Série A n° 262, p. 25, § 63; Affaire Nideröst-Huber c. Suisse, arrêt du 18 février 1997, Recueil 1997-I, p. 108, § 24; et Affaire Beer c. Autriche, n° 30428/96, § 17, 6.2.2001.

32 Entretien de Human Rights Watch avec Sébastien Bono, avocat de la défense, Paris, 28 février 2008.

33 Cette procédure est énoncée dans l’article 114 du Code de procédure pénale.

34 Entretien de Human Rights Watch, avocat de la défense qui a souhaité garder l’anonymat, Paris, 28 février 2008.

35 Assemblée Nationale, Rapport n° 3125, 6 juin 2006, p. 397.

36 CPP, art. 186-1.

37 Entretien de Human Rights Watch avec Dominique Tricaud, avocat de la défense, Paris, 10 décembre 2007.

38 « Extraits d’un procès antiterroriste des présumés membres de la ‘cellule française’ du ‘GICM’ (‘Groupe islamique combattant marocain’) et présumés soutiens financier et logistique aux attentats de Casablanca », http://paris.indymedia.org/IMG/pdf/doc-46372.pdf (consulté le 28 janvier 2008).

39 Jon Boyle, « France trumpets anti-terror laws », Reuters, 25 août 2006. Publié en anglais, traduction de Human Rights Watch.

40 CP, art. 421-2-1.

41 Affaire Kokkinakis c. Grèce, arrêt du 25 mai 1993, Série A, n° 260-A, disponible sur www.echr.coe.int, para. 52.

42 Commission européenne des droits de l’homme, Affaire Karatas et Sari c. France, n° 38396/97, Décision partielle relative à la recevabilité, 21octobre 1998.

43 L’affaire impliquait deux ressortissants turcs, Dursun Karatas et Zerrin Sari, qui avaient été condamnés par contumace  en France en 1997 pour association de malfaiteurs en raison de leur appartenance à un groupement marxiste-léniniste turc qualifié de terroriste par le tribunal. Il est intéressant de noter que le 7 février 2008, la Cour d’Appel d’Anvers (Belgique) a acquitté Karatas et Sari du chef d’appartenance à une cellule terroriste. Voir Thomas Renard, « Presence of Turkish Terrorists in Belgium Leads to Dispute with Ankara », Terrorism Focus, vol. 5, numéro 13, 1er avril 2008, http://www.jamestown.org/terrorism/news/article.php?articleid=237070 (consulté le 8 mai 2008).

44 Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH), « France: La porte ouverte à l’arbitraire », n° 271-2, mars 1999, http://www.fidh.org/IMG/pdf/france.pdf (consulté le 10 octobre 2005), pp. 9-10.

45 Entretien de Human Rights Watch avec Philippe Maitre, 27 février 2008.

46 Voir CEDH, Affaire Klass et autres c. Allemagne, arrêt du 6 septembre 1978, Série A28 ; Affaire Rotaru c. Roumanie, arrêt du 4 mai 2000, Recueil des arrêts et décisions 2000-V ; Affaire Larissus et autres c. Grèce, arrêt du 24 février 1998, Recueil des arrêts et décisions 1998-I ; et Affaire Église métropolitaine de Bessarabie, arrêt du 13 décembre 2001, Recueil des arrêts et décisions 2001-XII. Tous les arrêts sont disponibles sur www.echr.coe.int.

47 Entretien de Human Rights Watch avec JLD #3, Paris, 27 février 2008.

48 Ibid.

49 Entretien de Human Rights Watch avec JLD #1, Paris, 1er février 2008.

50 Entretien de Human Rights Watch avec Nicolas Salomon, avocat de la défense, Paris, 5 juillet 2007.

51Laurent Bonelli, « An ‘anonymous and faceless’ Enemy. Intelligence, exception and suspicion after September 11, 2001 », Cultures and Conflits, no. 58 (2005), pp. 101-129. Bonelli est chercheur à l’Université  de Paris-X (Nanterre) et membre de l’équipe française du programme de la Commission européenne « The Changing Landscape of European Security ».

52 Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Louis Bruguière, 26 février 2008.

53 Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de la lutte contre le terrorisme qui a souhaité garder l’anonymat, Paris, 12 décembre 2007.

54 Ibid.

55 Entretien de Human Rights Watch avec un responsable des Renseignements Généraux qui a souhaité garder l’anonymat, Paris, 30 juin 2006.

56 Sur les 27 personnes passées en jugement, 24 ont été reconnues coupables d’association de malfaiteurs et trois ont été relaxées de ce chef d’accusation.

57 Entretien de Human Rights Watch avec Rachida Alam, Paris, 29 janvier 2008.

58 Demande de renseignements téléphonique de Human Rights Watch auprès du Centre d’études statistiques sur la sécurité, Paris, 15 février 2008.

59 Europol, Terrorist Activity in the European Union, Situation and Trends Report, octobre 2004-octobre 2005, p. 23.

60 Europol, EU Terrorism Situation and Trend Report 2007, mars 2007, http://www.europol.europa.edu/publications/EU_Terrorism_Situation_and_Trend_Report_TE-SAT/TESAT2007.pdf  (consulté le 21 février 2008), p. 16; et Europol, EU Terrorism Situation and Trend Report 2008, avril 2008, http://www.europol.europa.edu/publications/ EU_Terrorism_Situation_and_Trend_Report_TE-SAT/TESAT2008.pdf (consulté le 9 avril 2008), p. 11.

61 Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur, discours prononcé lors de la journée d’étude « Les Français face au terrorisme », 17 novembre 2005, http://www.interieur.gouv.fr/misill/sections/a_l_interieur/le_ministre/interventions/archives-sarkozy-2005-2007/17-11-2005-seminaire-terrorisme/view  (consulté le 30 janvier 2006).

62 Antoine Garapon, « Les dispositifs antiterroristes de la France et des États-Unis », Revue Esprit (Paris), 2006, p. 137.

63 Entretien de Human Rights Watch avec William Bourdon, avocat de la défense, Paris, 5 octobre 2005.

64 Loi n° 2000-516 du 15 juin 2000, art. 48.

65 CPP, art. 144.

66 Ibid., art. 706-24-3, conjointement à l’art. 145-1.

67 Ibid., art. 145-2.

68 Ibid., art. 138.

69 Ibid., art. 148.

70 Assemblée Nationale, Rapport n° 3125, 6 juin 2006, p. 223.

71 Entretien de Human Rights Watch avec Emmanuelle Perreux, présidente du Syndicat de la magistrature, Paris, 31 janvier 2008.

72 Entretien de Human Rights Watch avec JLD #2, Paris, 26 février 2008.

73 Loi n° 2007-291 du 5 mars 2007, article 10 modifiant l’article 145 du Code de procédure pénale.

74 Commission des lois constitutionnelles de l’Assemblée Nationale, Rapport n° 3499 relatif à la formation et à la responsabilité des magistrats par M. Philippe Houillon, député, 6 décembre 2006, http://www.assemblee-nationale.fr/12/pdf/rapports/r3499.pdf ( consulté le 10 mars 2008), p. 221.

75 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec JLD #3, Paris, 28 mars 2008. La défense a également le droit de demander un report et le JLD a souligné que cela arrivait souvent, peut-être même un quart du temps, et que le JLD devait accorder le report dans ce cas.

76 Entretien de Human Rights Watch avec JLD #2, Paris, 26 février 2008.

77 Entretien de Human Rights Watch avec JLD #3, Paris, 27 février 2008.

78 Entretien de Human Rights Watch avec JLD #1, Paris, 1er février 2008.

79 Entretien de Human Rights Watch avec JLD #3, Paris, 27 février 2008.

80 Entretien de Human Rights Watch avec JLD #1, Paris, 1er février 2008.

81 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec l’avocat de Hamouni, Mahmoud Hebia, Lyon, 31 mars 2008. Hamouni a signalé à Human Rights Watch qu’un fonctionnaire de l’immigration au Japon l’avait informé par téléphone qu’il ne recevrait pas de visa à moins qu’il ne soit déclaré innocent par un tribunal français. Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec Hamouni, Alger, 11 juin 2008.

82 Entretien de Human Rights Watch avec un responsable de la lutte antiterroriste qui a souhaité garder l’anonymat, Paris, 12 décembre 2007.

83 Le conflit éventuel entre ces deux rôles a été mis en lumière en septembre 2006 lorsqu’un juge a  suspendu le procès de six ex-détenus de Guantanamo après qu’il est apparu que des agents de la DST avaient interrogé ces hommes à Guantanamo. La défense a fait valoir que les interrogatoires étaient illégaux car les agents avaient agi en leur qualité d’officiers de police judiciaire, recueillant des informations utilisées plus tard pour justifier l’instruction ouverte à l’encontre des intéressés, mais sans divulguer les informations à la défense comme ils étaient tenus de le faire. Le juge a fini par accepter l’argument avancé par l’accusation selon lequel les agents de la DST avaient agi en leur qualité d’officiers des renseignements et qu’il n’y avait pas eu infraction aux règles de procédure en ce qui concerne la divulgation des preuves.

84 Voir Ministère de l’Inté rieur britannique, « Terrorist investigations and the French examining magistrate’s system », juillet 2007, http://www.security.homeoffice.gov.uk/news-publications/publication-search/counter-terrorism-bill-2007/examining-magistrates.pdf?view=Binary (consulté le 5 août 2007).

85 Jean Chichizola, « France-Algérie: Paris soupçonné d’avoir livré un islamiste à Alger », Le Figaro (Paris), 13 février 2006.

86 Amnesty International, « Algeria: Torture in the ‘War on Terror,’ A Memorandum to the Algerian President », avril 2006, http://www.amnesty.org/en/library/asset/MDE28/008/2006/en/MDE280082006en.html (consulté le 10 janvier 2008).

87 Groupe de travail de l’ONU sur la détention arbitraire, Opinion n° 38/2006 (Algérie), adoptée le 21 novembre 2006, A/HRC/7/4/Add. 1, 16 janvier 2008.

88 Amnesty International, « Memorandum to the Algerian President ».

89 Amnesty International, « Des pouvoirs illimités: La pratique de la torture par la Sécurité militaire en Algérie », Index AI : MDE 28/004/2006, 10 juillet 2006, http://www.amnesty.org/en/library/asset/MDE28/004/2006/fr/dom-MDE280042006fr.pdf (consulté le 1er septembre 2006).

90 Entretien de Human Rights Watch avec un avocat de la défense qui a souhaité garder l’anonymat, Paris, 28 février 2008.

91 Entretiens de Human Rights Watch avec Jean-Louis Bruguière, Paris, 26 février 2008; et Philippe Maitre, 27 février 2008.

92 Garapon, « Les dispositifs antiterroristes de la France et des États-Unis », Revue Esprit, p. 137.

93 Commission européenne pour la démocratie par le droit (Commission de Venise), « Rapport sur le contrôle démocratique des services de sécurité », CDL-AD(2007)016, Strasbourg, 11 juin 2007, para. 213.

94 Loi n° 2007-1443 du 9 octobre 2007 portant création d'une délégation parlementaire au renseignement, art. 1.

95 Affaire Jalloh c. Allemagne [GC], n° 54810/00, arrêt du 11 juillet 2006, ECHR 2006-IX, disponible sur www.echr.coe.int, para. 105.

96 Entretien de Human Rights Watch avec deux responsables de la lutte antiterroriste qui ont souhaité garder l’anonymat, Paris, 12 décembre 2007; entretien de Human Rights Watch avec un officier des RG qui a souhaité garder l’anonymat, Paris, 30 juin 2006.

97 Entretien de Human Rights Watch avec deux responsables de la lutte antiterroriste qui ont souhaité garder l’anonymat, 12 décembre 2007.

98 Entretien de Human Rights Watch avec Jean-Louis Bruguière, 26 février 2008.

99 Entretien de Human Rights Watch avec Philippe Maitre, 27 février 2008.

100 Entretien de Human Rights Watch avec Sakina Beghal et l’avocat (qui a souhaité garder l’anonymat)  de Djamel Beghal, Paris, 26 février 2008.

101 Déclaration écrite de Djamel Beghal, 27 mars 2007, en possession de Human Rights Watch.

102 Ibid.

103 Les comptes rendus d’audience indiquent que Beghal a été extradé vers la France le 1er octobre 2001 et que sa première comparution devant le Juge a eu lieu le 1er octobre 2001.

104 Tribunal de Grande Instance de Paris, 10ème Chambre, Jugement du 15 mars 2005, n° d’affaire: 0125339022, Ministère Public c/Daoudi, Beghal, Bounour et autres (Jugement Beghal), p. 142. Le médecin a conclu que les marques que Beghal présentait au pied « évoquent des lésions mécaniques d’appuis répétés et anciens ». En possession de Human Rights Watch.

105 Abou Zubeida est incarcéré au centre de détention de l’armée américaine à Guantanamo. Il est accusé d’être un haut responsable du recrutement au sein d’Al-Qaida.

106 Jugement Beghal, p. 29.

107 « Terror Verdict for Soccer Pro », CBS/AP, 30 septembre 2003, http://www.cbsnews.com/stories/2003/09/30/attack/main575815.shtml (consulté le 26 mai 2008).

108 Abou Doha, un ressortissant algérien, se trouve actuellement incarcéré au Royaume-Uni sous la menace d’une extradition vers les États-Unis où il est accusé d’être le cerveau de l’attentat manqué contre l’aéroport international de Los Angeles en 1999. Abou Qatada est un ressortissant jordanien aujourd’hui sous le coup d’une assignation à résidence au Royaume-Uni après qu’une cour d’appel eut statué que son expulsion vers la Jordanie violerait les obligations qui incombent au Royaume-Uni aux termes de la Convention européenne des Droits de l’Homme. Pour de plus amples informations sur cette affaire, voir « UK: Appeals Court Blocks National Security Deportations », communiqué de presse de Human Rights Watch, 9 avril 2008, http://hrw.org/english/docs/2008/04/08/uk18478.htm ; « UK: Abu Qatada Ruling Threatens Absolute Ban on Torture », communiqué de presse de Human Rights Watch, 1er mars 2007, http://hrw.org/english/docs/2007/03/01/uk15437.htm ; et « UK/Jordan: Torture Risk Makes Deportations Illegal: Agreement Bad Model for Region », communiqué de presse de Human Rights Watch, 16 août 2005, http://hrw.org/english/docs/2005/08/16/jordan11628.htm.

109 Jugement Beghal, p. 149.

110 Cour d’Appel de Paris, 10ème chambre, section A, Arrêt du 14 décembre 2005,  Dossier n°  05/02518, p. 17. En possession de Human Rights Watch.

111 Entretien de Human Rights Watch avec un avocat de la défense qui a souhaité garder l’anonymat, Paris, 26 février 2008.

112 Tribunal de Grande Instance de Paris, 14ème chambre, Jugement du 14 juin 2006, n° d’affaire : 0231239035, Ministère Public c/Marbah, Lebik, Benhamed et autres (Jugement de la filière tchétchène), p. 89. En possession de Human Rights Watch.

113 Document 3685, élément de preuve présenté au procès, cité dans les conclusions écrites de Bono, p. 71. En possession de Human Rights Watch.

114 Jugement de la filière tchétchène, p. 66.

115 Procès-verbal d’interrogatoire, 13 septembre 2004, Tribunal de Grande Instance de Paris, Réf. Gén : 02.312.3903/5, Réf. Cab. : 1449. En possession de Human Rights Watch.

116 Human Rights Watch, Rapport mondial 2008, chapitre sur la Syrie, http://hrw.org/englishwr2k8/docs/2008/01/31/syria17619.htm. Voir également Département d’État américain, Bureau de la démocratie, des droits humains et du travail, « Country Reports on Human Rights Practices – 2007: Syria », 11 mars 2008, http://www.state.gov/g/drl/rls/hrrpt/2007/100606.htm (consulté le 19 mai 2008).

117 Jugement de la filière tchétchène, p. 65.

118 Ibid., p. 189.

119 Citée dans les conclusions écrites de Bono, p. 26. Le jugement faisait également allusion à Mérouane Benahmed, un autre accusé au procès de la filière tchétchène, en utilisant les mêmes termes. Benahmed a été déclaré coupable d’association de malfaiteurs et condamné à une peine de 10 ans d’emprisonnement.

120 Maamar Ouazane, par exemple, a affirmé au procès qu’il avait subi des violences psychologiques pendant sa garde à vue et sa détention provisoire. Il a déclaré au tribunal que le juge d’instruction lui avait garanti la liberté s’il confirmait ses déclarations et quittait ensuite la France « pour échapper aux confrontations », sinon il « croupirait en prison ». L’avocat de Ouazane a dit à la cour qu’il n’avait pas le droit de commenter les déclarations de son client mais « souligne que [son client] a été mis en liberté rapidement ». De la Cour d’Appel de Paris, arrêt du 22 mai 2007, dossier n° 06/05712, p. 77. En possession de Human Rights Watch. Ouazane, qui avait été placé en détention provisoire en janvier 2005, a été libéré en novembre 2005 par ordre du juge d’instruction. Il a finalement été déclaré coupable et condamné à une peine d’emprisonnement de deux ans et à une interdiction de cinq ans du territoire français ; la Cour d’Appel a alourdi sa peine, la faisant passer à quatre ans d’emprisonnement et à une interdiction définitive du territoire français. Interrogé par Human Rights Watch à propos d’Ouazane, le juge d’instruction a rétorqué, « je ne répondrai pas à cette question. Tout a été fait dans un cadre légal avec son avocat ». Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec un ancien juge d’instruction, 15 avril 2008.

121 Jugement de la filière tchétchène, p. 70.

122 Arrêt de la Cour d’Appel du 22 mai 2007, p. 73.

123 Ibid., p. 89.

124 Correspondance électronique de Human Rights Watch avec Sébastien Bono, Paris, 19 mars 2008.

125 « Menace terroriste émanant d’un groupe de moudjahidin ayant combattu en Tchétchénie, susceptible de constituer l’infraction d’association de malfaiteurs ayant pour objet de préparer des actes de terrorisme », rapport de la DST de Louis Caprioli, directeur adjoint de la DST, 6 novembre 2002, p. 12. En possession de Human Rights Watch.

126 Arrêt de la Cour d’Appel du 22 mai 2007, p. 100.

127 Ibid., p. 81. La Cour d’Appel a condamné Khalid à six ans de prison et à une interdiction définitive du territoire français. Le Tribunal Correctionnel avait condamné Khalid à cinq ans d’emprisonnement.

128 Voir Human Rights Watch, Suspicious Sweeps: the General Intelligence Department and Jordan’s Rule of Law Problem, vol. 18, no. 6(E), septembre 2006, http://www.hrw.org/reports/2006/jordan0906/jordan0906web.pdf ; et Human Rights Watch, Double Jeopardy: CIA Renditions to Jordan, ISBN: 1-56432-300-5, avril 2008, http://hrw.org/reports/2008/jordan0408.

129 Entretien de Human Rights Watch avec Adnan Muhammed Sadik Abou Najila, Swaqa, Jordanie, 21 août 2007.

130 Entretien de Human Rights Watch avec un ancien juge d’instruction, 26 février 2008.

131 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec un ancien juge d’instruction, 15 avril 2008.

132 Affaire Barbera, Messegue et Jabardo c. Espagne, arrêt du 6 décembre 1988, Série A no. 146, www.echr.coe.int, para. 77.

133 Correspondance électronique de Human Rights Watch avec le Juge Jean-Claude Kross, Paris, 21 février 2008.

134 Entretien de Human Rights Watch avec Philippe Maitre, 27 février 2008.

135 Europol, Rapports TE-SAT 2007 et 2008 (en anglais), respectivement p. 16 et p. 14. Le taux global d’acquittement dans tous les types d’affaires de terrorisme dans l’ensemble de l’UE s’élevait à 15 pour cent en 2006 et à 26 pour cent en 2007.

136 Entretien de Human Rights Watch avec William Bourdon, avocat de la défense, Paris, 5 octobre 2005. 

137 L’article 721 du CPP garantit que chaque personne condamnée à une peine d’emprisonnement bénéficie d'un crédit de réduction de peine à hauteur de trois mois pour la première année et de deux mois pour les années suivantes. Cela signifie qu’une personne condamnée à trois ans de prison bénéficiera automatiquement d’une réduction de sept mois et ne devrait purger que deux ans et cinq mois. Le CPP prévoit également que les condamnés peuvent obtenir une réduction de peine supplémentaire pour bonne conduite (art. 721-1).

138 Jugement Beghal, pp. 63-79, pp.96-147.

139 Entretien de Human Rights Watch avec Salima Benmessahel, Paris, 29 janvier 2008.

140 Entretiens de Human Rights Watch avec Sébastien Bono, avocat de la défense, Paris, 3 juillet 2007 et 28 février 2008.

141 Neuf de ces seize personnes ont été relaxées de tous les chefs d’accusation, à l’instar de Kinai, tandis que les sept autres ont été condamnées pour des délits mineurs.

142 Arrêt du 7 avril 2003 de la Haute Cour régionale de Stuttgart, cité dans la plainte déposée contre la France par Abdallah Kinai à la Cour européenne des Droits de l’Homme en août 2003 pour violations des articles 5, 6, 7 et 8. Quatre ans plus tard, le 11 septembre 2007, la Cour a jugé la plainte irrecevable. Original en allemand, traduction de Human Rights Watch.

143 Le droit français autorise la tenue d’un nouveau procès lorsque la condamnation a été prononcée par contumace.

144 Entretien téléphonique de Human Rights Watch avec John Norris, avocat d’Ouzghar, Toronto, 2 mai 2008. L’affaire soulève des problèmes de juridiction intéressants car tous les actes criminels présumés d’Ouzghar ont eu lieu au Canada. Comme l’a expliqué son avocat, « À l’époque, Ouzghar se trouve à Montréal. Un gars vient de Turquie et se retrouve avec le passeport d’Ouzghar. La falsification du passeport a eu lieu en Belgique et l’homme qui a essayé d’utiliser le passeport d’Ouzghar a été interpellé à Taiwan alors qu’il se rendait au Canada. Il n’y a absolument aucun lien avec la France. »

145 CPP, art. 149.

146 « Demande de réparation pour Madame Saliha Lebik et Mademoiselle Sarah Behahmed », 4 décembre 2007. En possession de Human Rights Watch. Correspondance électronique de Human Rights Watch avec Isabelle Coutant-Peyre, avocate de Saliha Lebik, Paris, 27 mai 2008.