Human Rights Watch lance un appel pressant aux pays donneurs d'aide


"L'aide à la République Démocratique du Congo doit être subordonnée au respect des droits de l'homme"



"Le risque auquel nous sommes confrontés est de voir les donneurs d'aide se retrouver exactement dans la même situation qu'à l'époque du régime de Mobutu. Ils se préparent à renflouer les comptes en banque d'un régime qui viole les droits fondamentaux de la personne humaine et qui n'a, à aucun moment, montré une véritable volonté de s'engager sur la voie de la démocratie."

Peter Takirambudde, directeur général de Human Rights Watch/Afrique

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(1er décembre 1997) A la veille de la réunion organisée par la banque Mondiale à Bruxelles, réunion consacrée à la question de l'aide à apporter à la République Démocratique du Congo (RDC), Human Rights Watch s'est aujourd'hui adressée aux pays donneurs d'aide, leur demandant de tout faire pour éviter de répéter une erreur déjà commise dans le passé: fournir des fonds à un gouvernement répressif dans l'espoir d'assurer une certaine stabilité en Afrique Centrale. Selon Human Rights Watch, la fourniture d'aide doit être subordonnée au respect de divers critères définis avec précision et basée sur une évaluation continue du respect effectif des droits de l'homme et du processus de démocratisation.

"Le risque auquel nous sommes confrontés est de voir les donneurs d'aide se retrouver exactement dans la même situation qu'à l'époque du régime de Mobutu", a déclaré Peter Takirambudde, directeur général de Human Rights Watch/Afrique. "Ils se préparent à renflouer les comptes en banque d'un régime qui viole les droits fondamentaux de la personne humaine et qui n'a, à aucun moment, montré une véritable volonté de s'engager sur la voie de la démocratie."

Les pays donneurs d'aide n'atteindront leur objectif, apporter la stabilité en Afrique Centrale, qu'en continuant à exiger que les responsables des massacres commis lors de l'accession au pouvoir du Président Laurent Désiré Kabila répondent de leurs actes et en insistant pour que le nouveau gouvernement respecte les droits de l'homme et l'autorité de la loi. Tenter d'acheter cette stabilité en ouvrant toutes grandes et de façon inconditionnelle les vannes de l'aide bilatérale et multilatérale ne fera qu'encourager le gouvernement de la RDC à poursuivre sa politique de répression, d'exclusion et de contrôle du pays par la force. La poursuite de telles pratiques mènera à des massacres supplémentaires, tels que ceux perpétrés par les militaires il y a quelques jours, et à la destruction de l'infrastructure sociale et économique mise sur pied grâce à l'aide internationale.

Le gouvernement de la RDC s'est rendu coupable de violations des droits fondamentaux de la personne humaine et a tout fait pour empêcher l'ONU d'enquêter sur les massacres de civils. Depuis mai 1997, les autorités de Kinshasa s'opposent à la poursuite de l'enquête, malgré la forte pression internationale et les nombreuses interventions de, notamment, l'Ambassadeur américain Bill Richardson et le secrétaire Général de l'ONU Kofi Annan. Ces mêmes autorités ne respectent pas les droits des Congolais et ne progressent qu'à pas très comptés sur la voie de la démocratie. Dans de nombreuses régions du pays, elles procèdent à l'arrestation arbitraire et brutale des défenseurs des droits de l'homme et de ceux qu'elles considèrent comme des opposants politiques. Elles ont également interdit aux partis -à l'exception de l'Alliance des Forces Démocratiques pour la Libération du Congo (le parti de Kabila)- de développer des activités politiques. Il est à noter, d'ailleurs, que les membres de la commission chargée de la rédaction de la nouvelle constitution du Congo proviennent tous de ce seul parti. Les autorités au pouvoir ont également restreint la liberté d'association et de réunion des citoyens, menacé journalistes, defenseurs des droits de l'homme et membres de l'opposition politique. A titre d'exemple, citons les événements du 25 novembre dernier, marqués par l'arrestation du leader d'un parti de l'opposition qui venait, dans le cadre d'une conférence de presse, d'émettre diverses critiques à l'encontre du gouvernement de Kabila. Un groupe de dix journalistes présents à la conférence de presse, au sein duquel se trouvaient plusieurs représentants de médias étrangers, fut arrêté par la police et reçut des coups de fouet. Les autorités ont également fait savoir aux organisations de la société civile -ONG de développement, églises, groupes de défense des droits de l'homme et autres- que leur rôle dans la reconstruction du pays et la redéfinition du nouveau Congo resterait limité, malgré les efforts herculéens déployés récemment par ces organisations pour aider la population d'un Zaïre vivant ses dernières heures.

Pendant les dernières années du régime de Mobutu, l'Union Européenne et d'autres bailleurs de fonds ont fait parvenir des centaines de millions de dollars, à titre d'aide, à la population congolaise. Ces sommes sont très souvent arrivées aux populations par le biais des organisations de la société civile, les pays donneurs d'aide évitant volontairement de les verser sur les comptes en banque du gouvernement. Human Rights Watch demande avec insistance à l'Union Européenne, aux Etats-Unis et aux autres donneurs d'aide de prolonger ces pratiques tant que l'attitude du gouvernement en matière de respect des droits de l'homme ne se sera pas améliorée. De cette manière, les sommes libérées serviront véritablement aux populations et ne risqueront pas d'être détournées par les autorités répressives qui gouvernent le pays.

Human Rights Watch appelle les bailleurs de fonds à fournir une aide financière bilatérale et multilatérale au gouvernement central, mais uniquement si les conditions suivantes sont réunies: (1) l'enquête sur le terrain menée par l'Equipe d'Investigation de l'ONUdoit enregistrer des progrès tangibles et démontrés, progrès qui doivent déboucher sur des poursuites judiciaires à l'encontres des individus ayant participé aux massacres; et (2) le gouvernement congolais doit faire preuve d'un respect accru de l'autorité de la loi, des droits de l'homme et des principes démocratiques. Cette dernière condition implique la mise en oeuvre de diverses mesures. Il faut notamment que soit levée l'interdiction faite aux citoyens de participer à la vie politique du pays, que soit garantie la participation des organisations de la société civile à la reconstruction du pays et la redéfinition du nouveau Congo, qu'il soit mis fin au harcèlement dont font l'objet les voix indépendantes de l'opposition politique, des médias et de la société civile et, enfin, que les autorités s'engagent de manière claire à placer face à leurs responsabilités les militaires coupables de violations des droits de l'homme. Des évaluations périodiques et un suivi des actions mises en oeuvre dans ces différents domaines, afin de garantir le respect des critères définis, seront indispensables et permettront de s'assurer de la bonne utilisation de l'aide financière fournie. Les sommes apportées ne peuvent en aucun cas servir au financement de pratiques répressives, comme ce fut le cas sous le régime de Mobutu. Afin d'éviter que des massacres supplémentaires de civils ne soient commis dans la région à l'avenir, il importe également de superviser la manière dont le gouvernement congolais collaborera avec l'équipe de l'ONU en charge de l'enquête et de suivre de près les efforts qui seront réalisés afin de poursuivre en justice les individus impliqués dans des crimes contre l'humanité. L'apport de toute aide bilatérale supplémentaire, par exemple un possible soutien à la balance des paiements, devra être subordonné à la mise en oeuvre progressive de réformes institutionnelles et juridiques visant à garantir le respect des droits de l'homme.

Human Rights Watch craint que le monde ne gâche l'opportunité qui lui est offerte d'influencer positivement et d'accompagner les premiers pas d'un pays encore jeune, le Congo. Seule une politique ferme et cohérente de respect des droits de l'homme et de l'autorité de la loi permettra à la fois de limiter les exactions que sont susceptibles de commettre ceux qui disposent du pouvoir militaire et d'encourager ceux qui luttent pour reconstruire leurs sociétés. Nous engager dans toute autre voie, c'est risquer de déboucher sur une alliance destructrice, semblable à celle qui existait entre le monde occidental et l'ancien Président Mobutu. Cette voie à éviter, c'est celle qui consisterait à alimenter les comptes en banque d'un gouvernement corrompu qui a baffoué les droits de ses citoyens et déstabilisé la région. [haut de la page]

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