la Documentation et de la Sécurité (DDS), pour crimes de torture,
meurtres et « disparitions ».
C´est la première fois que des membres du gouvernement d´Hissein Habré
sont traduits devant un tribunal. Cette action fait pendant à
l'inculpation au Sénégal, en février dernier, de l'ancien dictateur,
Hissein Habré en personne, pour crimes de torture. En juillet, la
justice sénégalaise a pourtant abandonné les poursuites contre Hissein
Habré, dans des circonstances troubles, qui révèlent une apparente
ingérence du pouvoir exécutif.
Après avoir fait appel devant la Cour de Cassation sénégalaise, la plus
haute cour du pays, les victimes étendent aujourd´hui leur action au
Tchad, lieu même des atrocités qu´elles ont eu à subir.
Parmi les 17 victimes qui ont déposé plainte devant le Tribunal de
Première Instance de N'Djaména, nombreuses sont celles qui ont été
torturées. La torture était en effet monnaie courante dans les centres
de détention du régime Habré. L´une des méthodes les plus fréquemment
utilisées était le ligotage, dit "Arbatachar", qui consistait à lier
dans le dos les quatre membres d´un prisonnier, de manière à couper la
circulation sanguine et à provoquer rapidement la paralysie. Telle fut,
en 1989, la douloureuse expérience d´Aldoumngar Mbaidje Boukar, ancien
gendarme, également passé à tabac et soumis à des séances
d´électrochocs, d´ingurgitation forcée d´eau et d´immersion.
Outre la torture et des conditions de détention inhumaines, d´autres
plaignants font état de l´exécution arbitraire ou de la disparition de
membres de leur famille, comme Mariam Abderaman, dont le mari Bachar
Bong, directeur d´un service au ministère de l´agriculture, fut enlevé
par trois agents de la DDS, lors de la violente campagne de répression à
l´encontre de la communauté Zaghawa, en 1989.
Le 27 septembre dernier, le Président de la République du Tchad, Idriss
Déby, a reçu des membres de l´Association des Victimes de Crimes et
Répressions Politiques au Tchad (AVCRP). L´AVCRP fut constituée au
lendemain de la chute d´Hissein Habré et représente 792 victimes des
atrocités de son régime. Au cours de l´audience, le Président Déby a
assuré aux victimes qu´il apportait son plus total soutien à leur projet
de porter plainte contre leurs tortionnaires, notamment contre les
anciens officiers de la DDS, actuellement en activité au sein de
l´administration tchadienne. Le Président a également observé que «
l´heure de la justice avait sonné ».
"Nous n´avons jamais accepté - et ne pourrons jamais accepter - l´idée
que nos tortionnaires échappent à la justice" a affirmé Ismael Hachim,
Président de l´AVCRP. "Après l´arrestation d´Hissein Habré au Sénégal,
nous nous sommes rendus compte que nous pouvions également exiger que
justice soit faite, ici, dans notre propre pays. C´est maintenant à la
justice tchadienne de faire son devoir."
« L´inculpation d´Hissein Habré au Sénégal a fait prendre conscience à
la communauté internationale de l´étendue de ses crimes et a provoqué un
mouvement de mobilisation et de solidarité envers les victimes »,
rappelle Dobian Assingar, Président de la Ligue Tchadienne des Droits de
l'Homme (LTDH). Ce mouvement a connu un écho au Tchad, où la société
civile et plus particulièrement les victimes elles-mêmes ont estimé que
la situation nouvellement créée leur permettait d´engager une action
judiciaire sur place. »
Au Sénégal, l´annulation des poursuites contre Hissein Habré,
vraisemblable conséquence de l´intervention du pouvoir exécutif dans une
affaire de justice, s´est vue opposer les protestations et l´indignation
des Nations Unies, de l´Association des Magistrats du Sénégal, du New
York Times et des défenseurs des droits de l´homme à travers le monde.
Le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la torture et celui sur
l'indépendance des juges et des avocats ont exprimé leurs inquiétudes
concernant les circonstances entourant l´abandon de l´affaire. Ils ont
appelé le Gouvernement sénégalais à « donner au pouvoir judiciaire les
moyens d'enquêter en toute indépendance et impartialité sur les
allégations visant M. Habré ». Ils lui ont également rappelé son
obligation à l´égard de la Convention des Nations Unies contre la
Torture de 1984, que le Sénégal a ratifiée en 1986, de traduire en
justice les tortionnaires présumés, qui entrent sur son territoire.
Dans les prochains mois, la Cour de cassation sénégalaise devrait
entendre les parties civiles, soit soixante victimes tchadiennes, une
Française, dont le mari tchadien a été tué par le régime Habré, et
l´AVCRP, qui espèrent, en faisant appel, voir les poursuites contre
Hissein Habré relancées.
En 1992, un rapport publié par une Commission d'enquête tchadienne
accusait Habré et son gouvernement de 40.000 assassinats politiques,
ainsi que d'actes systématiques de torture et de brutalité.
Hissein Habré, âgé de 57 ans, avait pris le pouvoir au Tchad en 1982, en renversant le gouvernement de Goukouni Wedeye. Son régime de partiunique, soutenu par les États-Unis et la France, fut caractérisé par de
multiples abus et de vastes campagnes de violence à l'encontre des
ethnies Sara (1986), Hadjerai (1987) et Zaghawa (1989). Habré fut
renversé le 1er décembre 1990, par l'actuel Président Idriss Déby et vit depuis lors, en exil au Sénégal.